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620. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

On ne peut ainsi les transposer, car en elles rien n’est corps : elles sont un idéal qui sort de l’aine et parle aux âmes ; elles ne sauraient servir à exprimer un autre enthousiasme que celui qui les a fait naître. […] Il la confondra presque dans la même croyance, l’embrassera du même amour ; et une veine inconnue d’émotion et de poésie naîtra de ce culte de l’âme, qui n’est pas l’orgueil idéal du stoïcien s’égalant à Dieu, mais qui se compose de foi, d’amour et d’espérance. […] regarde cette âme suppliante qui est à toi, et qui, du milieu de la terre, tente l’ascension des hauteurs idéales. […] Pour lui, la pensée spéculative, la vue de l’idéal divin se confond avec les ardeurs de la charité secourable et la passion du sacrifice.

621. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Ce que Vico avait dit ingénieusement de Dante considéré par lui comme une sorte d’historien idéal, une étude critique et une élaboration attentive de chaque ordre de faits l’ont vérifié rigoureusement et confirmé. […] On est revenu de l’idée de trouver dans les œuvres du passé, fût-ce même dans les chefs-d’œuvre, des modèles parfaits d’idéal et de pure et facile beauté.

622. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

Cette fleur idéale qui décora l’antique maison dans sa splendeur va se retrouver au déclin et sur une ruine. […] Il a fait son René, son Werther, sans y mêler d’égoïsme et en se métamorphosant tout entier dans une personnification qui reste idéale, même dans ce qu’elle a de monstrueux : il n’a pris la coupe du Centaure que pour qu’elle pût le porter plus vite et plus loin.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Je ne sais s’il était capable de se former un idéal à la Beatrix et j’en doute, mais s’il a eu un éclair de cet idéal, c’est à la princesse Marie qu’il l’a dû.

624. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

C’est joli, mais il me semble que la vraie mesure n’est pas où la met cet homme d’esprit, et de doctrine un peu trop idéale : Racine, par exemple, était un génie religieux et croyant, et nul n’a été plus que lui sensible et susceptible ; il était un amour-propre plus vulnérable que Molière ou Shakespeare. […] Ces deux esprits éminents avaient, évidemment, rencontré l’un dans l’autre la forme d’idéal qui leur était la plus chère, et ils y abondent ; ils s’en donnent à cœur joie ; ils sont si naturellement à leur hauteur, qu’ils ne semblent pas se douter qu’ils se guindent.

625. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

S’il y a un défaut, ce serait plutôt dans le trop d’idéal de la ligne et dans l’effet de bas-relief trop continu. […] « On ferait bien, concluait-il, de relire le livre une fois tous les ans, pour s’en renouveler l’impression dans toute sa fraîcheur. » Qu’il y ait eu un peu d’excès dans cette admiration pour une œuvre composée de tant de parties et d’éléments dès longtemps trouvés, que le puissant lecteur, tout plein d’harmonieux souvenirs, ait prêté un peu à cette production du déclin comme à un dernier né qu’on gâte et qu’on favorise, je l’accorderai aisément ; Goethe abondait dans son sens en exaltant si fort le perpétuel âge d’or de la Grèce : mais ce qui ne le trompait pas, c’était le sentiment régnant, respirant dans ce dernier ; tableau, et par lui reconnu et salué, de tout un monde idéal, serein, fortuné, à ciel fixe, à horizon bleu, — l’horizon de la mer de Sicile ou des mers de l’Archipel12.

626. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

« Ne revoyez jamais, dit Hoffmann, la beauté qui fut votre premier idéal dans la jeunesse. » Faut-il dire cela également des nations ? […] Je suis persuadé que si dans cette brillante levée de jeunesse qui s’enrôla sur la foi de La Fayette pour voler au secours des insurgents de Boston, il y a eu quelque esprit un, sagace, mordant, comme il s’en trouvait volontiers dans la jeune noblesse d’alors, il a dû, au retour et dans des conversations familières, rabattre beaucoup de l’idée exaltée qu’on se faisait des républicains de ce pays, et dénoncer déjà en eux le côté si peu idéal qui s’est marqué si vite, que Franklin connaissait et, en partie, personnifiait si bien.

627. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Tout ce qui a l’esprit ouvert et généreux est entamé par leurs doctrines, séduit au moins par quelque portion de leur idéal. […] Les jugements sont des équations, et les termes qu’on assemble sont des objets abstraits, idéaux : nulle part on n’aperçoit mieux que chez Condillac pourquoi l’esprit français au xviiie  siècle élimine de sa pensée toute réalité concrète, les formes par conséquent de la vie et la matière de l’art, et pourquoi la poésie ne peut plus être qu’un jeu intellectuel, réglé par des conventions arbitraires.

628. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

Renan nous a appris à l’estimer mieux, à nous y dévouer, et à maintenir, hors d’elle, à côté d’elle, notre idéal moral. […] Là, plus d’école, ce qui n’est pas un mal ; chacun va à son idéal, selon sa nature, par ses procédés.

629. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

Disons : noble, par supposition mais sans conviction, car tels et tels donateurs avaient sans doute un idéal, et leurs mânes sont certainement satisfaits. […] Le type idéal de l’académicien, c’est M. 

630. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Mais Dante ayant à construire son monde idéal, et voulant peindre pour son siècle et sa nation5, prit ses matériaux où il les trouva : il fit parler une langue qui avait bégayé jusqu’alors, et les mots extraordinaires qu’il créait au besoin n’ont servi qu’à lui seul. […] L’imagination passe toujours de la surprise que lui cause la description d’une cause incroyable à l’effroi que lui donne nécessairement la vérité du tableau : il arrive de là que ce monde visible ayant fourni au poëte autant d’images pour peindre son monde idéal, il conduit et ramène sans cesse le lecteur de l’un à l’autre ; et ce mélange d’événements si invraisemblables et de couleurs si vraies fait toute la magie de son poëme.

631. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Nous n’avons eu que des ébauches de grands poètes, comme Mathurin Régnier, comme Rabelais, et sans idéal aucun, sans la passion et le sérieux qui consacrent. […] Leurs trois noms sont devenus l’idéal de l’art : Platon, Sophocle et Démosthène.

632. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Si dans les hommes irrités dont je parle, il en est qui aient gardé le culte des purs sentiments libéraux, de la vieille liberté entendue comme en 89 ou en 1819, qui aient aimé cette liberté de la même manière avant et pendant le pouvoir, qui n’aient jamais senti, alors qu’ils étaient les maîtres, qu’il fallait faire fléchir les principes eux-mêmes devant les nécessités publiques et les périls imminents, s’il est de tels hommes qui aient conservé chastement en eux ce premier idéal de la nature humaine et de la nature française gouvernable, à ceux-là je leur accorde tout ; de tels modèles sont beaux de temps en temps à contempler à distance dans l’histoire. […] M. de Serre, emportant sa blessure au foie en silence, s’en allait mourir à Naples ; M. de Villèle, moins idéal et plus positif, s’en allait faire les affaires de sa province, de sa commune et de sa municipalité, et il les fait encore : sur une échelle ou sur une autre, est-ce que toutes les affaires ne se ressemblent pas ?

633. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Le peintre Cyprien n’est à l’aise que devant certains spectacles douloureux et minables ; il préfère « la tristesse des giroflées séchant dans un pot, au rire ensoleillé des roses ouvertes en pleine terre » ; à la Vénus de Médicis, « le trottin, le petit trognon pâle, au nez un peu canaille, dont les reins branlent sur des hanches qui bougent » ; formule son idéal de paysage en ces termes : « Il avouait d’exultantes allégresses, alors qu’assis sur le talus des remparts, il plongeait au loin… Dans cette campagne, dont l’épiderme meurtri se bossèle comme de hideuses croûtes, dans ces roules écorchées où des traînées de plâtre semblent la farine détachée d’une peau malade, il voyait une plaintive accordance avec les douleurs du malheureux, rentrant de sa fabrique éreinté, suant, moulu, trébuchant sur les gravats, glissant dans les ornières, traînant les pieds, étranglé par des quintes de toux, courbé sous le cinglement de la pluie, sous le fouet du vent, tirant résigné sur son brûle-gueule. » Et sur ce dolent idéal, des Esseintes renchérit encore : « Il ne s’intéressait réellement qu’aux œuvres mal portantes, minées et irritées par la fièvre » « … se disant que parmi tous ces volumes qu’il venait de ranger, les œuvres de Barbey d’Aurevilly étaient encore les seules dont les idées et le style présentassent ces faisandages, ces taches morbides, ces épidermes talés, et cegoût blet, qu’il aimait tant à savourer parmi les écrivains décadents ».

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