C’est dans cette période de sa vie, j’imagine (car je ne vois pas d’autre moment où placer convenablement cet épisode) que le digne abbé, qui avait d’ailleurs des mœurs pures, mais non pas dans le sens strict de sa profession et de son ministère, paya son tribut à la faiblesse humaine. […] L’abbé était connu d’ailleurs pour n’aimer personne en particulier ; il embrassait trop le genre humain en masse pour se resserrer ainsi dans un choix unique.
Quoi de moins philosophique que de n’avoir pas su au moins, en vieillissant, reconnaître l’éternelle nécessité en fait, de quelque religion positive dans les sociétés humaines et, au lieu de faire la part de cette nécessité en la conciliant avec la justice, d’avoir voulu entraîner le peuple à écraser l’infâme ? […] Aucune idée fausse ne me blesse plus que celle qui considère le genre humain comme incapable d’avoir trouvé et fixé la vraie morale s’il n’avait eu l’Évangile.
Or, voir une chose en se souvenant d’une autre, soutenir, au sein de sa pensée, des rapports multiples et presque contraires en les dominant, c’est l’opposé du taureau ardent, c’est le propre du jugement humain par excellence ; et, dans l’exécution des œuvres, c’est la gloire de l’art. […] J’ai noté, dans ce chapitre II, page 8, une phrase sur Napoléon, sur son arc, sur la fibre humaine qui en est la corde, et sur les flèches que lance ce Nemrod, et qui vont tomber je ne sais où ; une pareille phrase, si on la lisait dans la traduction du Titan de Jean-Paul, ferait dire : « Cela doit être beau dans l’original, » et ce demi-éloge de la pensée serait, à mes yeux, la plus sensible critique du style et de l’expression.
Mais en fait, d’après la loi de l’infirmité et de la lâcheté humaine, dans le manque d’éducation forte et de croyance régnante, ce sont les instincts naturels qui décident en dernier ressort et qui font l’homme. […] A quelle école, se demande Casanova, cette jeune fille spirituelle, si ingénue en apparence, si trompeuse et insaisissable, à quelle école avait-elle appris à connaître le cœur humain ?
Enfin les caractères tragiques seront-ils tirés des souvenirs, ou de l’imagination, de la vie humaine, ou du beau idéal ? […] Il ne dit pas un mot qui n’atteste son mépris pour l’espèce humaine, et pense plus souvent encore à se tuer qu’à punir ; noble idée du poète d’avoir représenté l’homme vertueux ne pouvant supporter la vie, quand la scélératesse l’environne, et portant dans son sein le trouble d’un criminel, alors que la douleur lui commande une juste vengeance.
Un discours sur les intérêts les plus importants de la société humaine, peut fatiguer l’esprit, s’il ne contient que des idées de circonstance, s’il ne présente que les rapports étroits des objets les plus importants, s’il ne ramène pas la pensée aux considérations générales qui l’intéressent. […] Les principes littéraires qui peuvent s’appliquer à l’art d’écrire, ont été presque tous développés ; mais la connaissance et l’étude du cœur humain doivent ajouter chaque jour au tact sûr et rapide des moyens qui font effet sur les esprits.
Et c’était du matin au soir et du soir au matin, dans ce malencontreux cul-de-sac, un piétinement continuel, une tempête de rumeurs et de cris, de chants, d’appels, d’aboiements, de rires et de disputes, tout le remue-ménage et le tumulte d’une cité ouvrière, au pitoyable grouillement humain. […] Il allait bientôt entreprendre une vertigineuse épopée, l’Évolution de l’être humain, besogne écrasante à laquelle il n’a cessé de se dévouer depuis lors et dont de longs fragments paraissent en volumes, à périodes irrégulières, mais je ne sais si, à force de vouloir empiéter sur le domaine musical, René Ghil n’est pas arrivé à se fourvoyer.
Elle a embrassé en France toutes les connaissances humaines ; elle a rangé sous ses lois les sciences et les savants ; et dans les occasions où ceux-ci n’ont pu avoir les femmes pour interlocuteurs, ils ont voulu les avoir pour témoins de leurs discussions12. […] La conversation française, commune aux deux moitiés de la société, excitée, modérée, mesurée par les femmes, est seule une conversation nationale, sociale ; c’est, si on peut le dire, la conversation humaine, puisque tout y entre et que tout le monde y prend part.
On comprend donc que l’être humain, dans les conditions actuelles où il est placé, ne puisse pas penser sans cerveau. […] Sans doute l’âme n’est pas détruite par là même, et elle conserve encore virtuellement la puissance de penser ; mais la pensée actuelle, mais la pensée individuelle, la pensée enfin accompagnée de conscience et de souvenir, cette pensée qui dit moi, celle-là seule qui constitue la personne humaine et à laquelle notre égoïsme s’attache, comme étant le seul être dont l’immortalité nous intéresse, que devient-elle à ce moment terrible et mystérieux où l’âme, en rompant les liens qui l’unissent à ses organes, semble en même temps rompre avec la vie d’ici-bas, en dépouiller à la fois les joies et les misères, les amours et les haines, les erreurs et les souvenirs, en un mot perdre toute individualité ?
Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations Pourquoi toutes les nations sont-elles si differentes entr’elles de corsage, de stature, d’inclinations et d’esprit, quoiqu’elles descendent d’un même pere ? […] Les organes du cerveau ou les parties du corps humain qui décident, en parlant physiquement, de l’esprit et des inclinations des hommes, sont sans comparaison plus composées et plus délicates que les os et les autres parties qui décident de leur stature et de leur force.
Par exemple, pour dire une chose impossible aux efforts humains, les latins disoient, arracher la massuë à Hercule , et nous disons en françois, prendre la lune avec les dents : la figure latine est-elle bien renduë par la figure françoise ? […] Les hommes le sçavent bien, et l’on n’ébranlera jamais la foi humaine, ou l’opinion prise sur le rapport uniforme des sens des autres.
Ce qui suit n’est qu’une phrase nombreuse ; du reste, elle l’est à souhait, et sans affectation ni raffinement, par où elle est un vrai modèle : « Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines, | la félicité sans bornes aussi bien que les misères, | une longue et paisible jouissance d’une des plus nobles couronnes de l’Univers, | tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulée sur une seule tête, | qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; | la bonne cause d’abord suivie de bon succès | et, depuis, des retours soudains, des changements inouïs, | la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse, | nul frein à la licence ; les lois abolies ; la majesté violée par des attentats jusqu’alors inconnus, | l’usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté, | une reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes | et à qui sa propre patrie n’est plus qu’un triste lieu d’exil, | neuf voyages sur mer entrepris par une princesse malgré les tempêtes, | l’océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers et pour des causes si différentes, | un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli. » Cette période est composée de membres de phrase d’une longueur inégale, mais non pas très inégale, de membres de phrase qui vont d’une longueur de vingt syllabes environ à une longueur de trente syllabes environ et c’est-à-dire qui sont réglées par le rythme de l’haleine sans s’astreindre à en remplir toujours toute la tenue, et qui ainsi se soutiennent bien les uns les autres et satisfont le besoin qu’a l’oreille de continuité à la fois et de variété, de rythme et de rythme qui ne soit pas monotone. […] Il en faut user avec lui comme avec un peintre, dont tantôt on étudie la composition, tantôt le dessin, tantôt la couleur, tantôt les figures et physionomies humaines, tantôt les eaux et tantôt le ciel.
Dieu et ses attributs, l’homme et ses facultés resteront toujours des objets mystérieux ; les bases de toute société échapperont également au flambeau indiscret de la raison humaine. […] Mais je demande si le Discours sur l’Histoire universelle est maintenant autre chose, pour un grand nombre, qu’une magnifique conception littéraire, une sorte d’épopée qui embrasse tous les temps et tous les lieux, et dont la fable, prise dans de vastes croyances, est une des plus belles données de l’esprit humain.
II Le capitaine d’Arpentigny est le Lavater de la main humaine. […] Il voit tout dans la main humaine, comme Malebranche voyait tout en Dieu.