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592. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

« C’eut été un homme très sage, s’il n’eût eu la folie de la raison. » J. […] Certainement cet excellent homme, content de son lot entre tous, s’estimait exempt plutôt que privé de ce qu’il n’avait pas. […] L’abbé de Saint-Pierre, en négligeant de plaire aux lecteurs, allait donc contre ses principes… Son défaut était moins de nous regarder comme des enfants que de nous parler comme à des hommes. » Que ne connaissait-il mieux les poètes ! […] Il allait aussi chez Mme de La Fayette et prenait goût dès lors au commerce des femmes, qui se montrent souvent plus patientes à écouter que les hommes. […] Nous-mêmes nous touchons aux premiers hommes et aux patriarches : et qui pourra ne nous pas confondre avec eux dans des siècles si reculés ?

593. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XIII. Conclusions » pp. 271-291

Chaque homme un peu individualisé est, à cet égard, comme une « maison divisée ». […] L’antagonisme de ces deux âmes ne se fait d’ailleurs pas jour chez tous les hommes avec une égale intensité. […] 1º Il y a une première solution qui consiste à considérer l’homme comme un être naturellement social. […] L’individualisme uniciste revêt d’ailleurs autant d’aspects particuliers qu’il y a de modes possibles de différenciation pour les individus. — Un homme ne peut voir le monde, un homme ne peut penser exactement comme un autre homme ; de là un individualisme intellectuel. — Un homme ne peut sentir exactement comme un autre ; de là un individualisme sentimental. — Un homme ne peut avoir exactement les mêmes raisons d’agir qu’un autre ; de là un individualisme moral. — Un homme ne peut avoir exactement la même manière de sentir la beauté qu’un autre ; de là un individualisme esthétique. — Un homme ne peut avoir exactement les mêmes intérêts qu’un autre ; de là un individualisme économique. — Un homme ne peut avoir exactement la même puissance, ni par conséquent le même droit qu’un autre ; de là un individualisme juridique ou antijuridique, comme on voudra. — Ainsi dans les différents ordres de pensée et d’activité, l’individualisme uniciste nie tout idéal collectif : idéal intellectuel, sentimental, moral, esthétique, économique, juridique, politique. […] Il est vrai que deux hommes ne voient pas de la même façon la même feuille d’arbre et qu’ils n’apprécient pas exactement de la même manière la distance entre deux arbres.

594. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Mais dans la société des hommes ? […] Elle conseille la fuite des hommes. […] Il connaît les hommes. […] C’est un homme qui a inventé Julie. […] Kant aussi trouve toute la morale dans l’homme intérieur.

595. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

La profession de Quintilien étoit d’enseigner aux hommes l’art d’émouvoir les autres hommes par la force de la parole ; cependant Quintilien met en paralelle le pouvoir de la peinture avec le pouvoir de l’art oratoire. […] L’amour de soi-même qui se change presque toujours en amour propre immoderé à mesure que les hommes avancent en âge, les rend trop attachez à leurs interêts presens et à venir, et trop durs envers les autres, lorsqu’ils prennent leur resolution de sens rassis. Il étoit à propos que les hommes pussent être tirez de cet état facilement. […] Les cris d’un homme qui ne tient à nous que par l’humanité, nous font voler à son secours par un mouvement machinal qui précede toute déliberation. […] Pourquoi les acteurs qui se passionnent veritablement en déclamant, ne laissent-ils pas de nous émouvoir et de nous plaire, bien qu’ils aïent des défauts essentiels : c’est que les hommes qui sont eux-mêmes touchez, nous touchent sans peine.

596. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Le peuple connaissait déjà le grand homme du ciel que la terre venait de perdre, avant qu’aucun journal en eût charrié la gloire jusqu’à lui. […] il avait fait trouver doux enfin ce pain si amer à la bouche de l’homme. […] Quand Vincent de Paul ne serait pas un Saint, on le concevrait encore comme un grand homme de bien, un organisateur, un Napoléon de la bienfaisance. […] Le Curé d’Ars fut ce confesseur, qui devait peut-être raccommoder la confession avec les hommes et réhabiliter cette grande Institution aux yeux égarés des pécheurs. […] Jamais on ne pleura comme lui sur les péchés des hommes, et Dieu seul, qui peut compter les pleurs, a pu compter les siens.

597. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Sous peine de retomber dans les redites de la vulgarité, un grand homme est presque nécessaire pour juger un grand homme… Du moins, un certain plain-pied doit-il exister entre l’historien et son héros, pour que l’histoire soit entendue. […] La Vie en question était la première mise en œuvre, régulière et suivie, des nombreux documents qu’on avait sur Bossuet, et, de plus, c’était l’ouvrage d’un homme qui, vu par les dehors de son état, avait qualité pour parler congrûment d’un évêque, puisque cet homme était cardinal. […] Voilà ce qui sauva de l’oubli un homme pour qui l’Église romaine se montra plus que généreuse, mais pour qui la Fortune, à force de bontés, finissait par se retrouver cruelle. […] Nul, dans le siècle et hors du siècle, parmi les saints et parmi les hommes, n’a eu jamais, je crois, de destinée d’une plus complète harmonie. […] L’enfant fut plus heureux que bien des hommes.

598. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Pour moi, qui ne cherche que l’homme moral en lui et l’écrivain philosophe, je me bornerai à remarquer qu’il échoua dans cette carrière active. […] Mais il ne serait pas juste, à notre tour, de prendre au mot, et dans toute la vivacité d’un éclat secret, l’irritation de cet homme de bien. […] Tous les hommes de sensibilité et de cœur désiraient, appelaient vaguement un Rousseau quand il parut. […] — Il me semble qu’il n’y a plus aujourd’hui d’hommes d’esprit et de conversation, comme dans ma jeunesse. […] Quand le siècle lui paraîtra, en avançant, présenter quelques meilleurs symptômes, il sera le premier à les noter et à nous en faire part, avec la joie d’un homme qui ne désespère pas des hommes et qui aime à croire au progrès de la raison publique.

599. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Plantées sur un territoire limité, elles n’abritent, qu’un nombre d’hommes déterminé. L’idée qu’on trouve directement à leur racine est celle de l’égalité des nationaux, non celle de l’égalité des hommes. […] L’idée que les Français invoquent pour exiger telle réforme égalitaire n’est pas l’idée que seuls au monde les Français sont égaux entre eux, tandis que les Américains ou les Allemands seraient inégaux, c’est l’idée plus générale qu’un homme vaut un homme. […] Des conventions de plus en plus nombreuses se nouent, un droit international privé se constitue à côté du droit international public, prouvant que, malgré tout ce qui sépare les nations modernes, elles reconnaissent aux hommes en tant qu’hommes une valeur propre. […] Comment, du sentiment que quelques hommes avec lesquels on vit sont égaux, en est-on venu à l’idée que tous les hommes, en principe, ont les mêmes droits, voilà le pas qui importe.

600. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Une histoire est une étude détaillée et sévère, juste quand l’homme peut l’être, mais consciencieuse toujours. […] Nous trouvons très indigne d’un homme de sa trempe d’écrire sur la première page de son histoire le même mot que M.  […] Ferrari est absolument le même homme qu’alors. […] Un homme d’action, je le sais bien, peut l’enseigner à des esprits subalternes, dont il espère faire des esclaves. […] Ferrari, l’homme du phalanstère commandait aux soldats de plomb de sa chimérique humanité.

601. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Le printemps est un paradis provisoire ; le soleil aide à faire patienter l’homme. […] Ce grand besoin de l’homme, le fini, qui admet l’embrassement, ils l’ignorent. […] L’homme souffre, c’est possible ; mais regardez donc Aldébaran qui se lève ! […] On peut être plus qu’homme et moins qu’homme. […] Misère de la femme qui adhère à l’homme comme la chair aux os !

602. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

C’était se tirer d’affaire en habile homme. […] — Oui, mon père, et combien les hommes sont petits !  […] La Divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois, les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, les bêtes ont leurs lois, l’homme a ses lois. […] L’homme est ingénieux, mais il n’est pas sûr. […] L’absolu n’est qu’à Dieu, le relatif est à l’homme.

603. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Le gouvernement étant le centre de la plupart des intérêts des hommes, les habitudes et les pensées suivent le cours des intérêts. […] La grâce et l’élégance des manières passaient des habitudes de la cour dans les écrits des hommes de lettres. […] La flatterie qui sert à l’ambition exige beaucoup plus d’esprit et d’art que celle qui ne s’adresse qu’aux femmes : ce sont toutes les passions des hommes et tous leurs genres de vanité qu’il faut savoir ménager, lorsque la combinaison du gouvernement et des mœurs est telle, que les succès des hommes entre eux dépendent de leur talent mutuel de se plaire, et que ce talent est le seul moyen d’obtenir les places éminentes du pouvoir. […] Molière, et même après lui quelques autres comiques, sont des hommes supérieurs, dans leur genre, à tous les écrivains des autres nations. […] Le loisir que la monarchie laissait à la plupart des hommes distingués en tous les genres, était nécessairement très favorable au perfectionnement des jouissances de l’esprit et de la conversation.

604. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

On conçoit que la politique ne prête à un homme de talent qu’un emploi sans beauté, d’ailleurs tout à fait provisoire. […] Ceux-ci conservent le culte classique de la nature et de l’homme. […] Au lieu d’évoquer de charmantes amantes et de suaves seigneurs chimériques, nous chanterons les hautes fêtes de l’homme. […] Dans la pensée de quelques jeunes poètes, les travaux quotidiens de l’homme paraissent mériter une consécration. […] Les hommes ne sont pas moins touchants pendant le repos et pendant la guerre.

605. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Il doit donc en vertu de cette vicissitude, survenir quelquefois des changemens dans l’esprit et dans l’humeur des hommes d’un certain païs, parce qu’il doit y avoir des siecles plus favorables que d’autres à l’éducation physique des enfans. […] Les hommes mangent une partie des fruits que la terre produit, et ils abandonnent l’autre aux animaux, dont ils convertissent ensuite la chair en leur propre substance. […] Cependant l’humeur, et même l’esprit des hommes faits, dépendent beaucoup des vicissitudes de l’air. […] Il est en Europe un païs où les hommes qui se défont eux-mêmes, sont moins rares qu’ils ne le sont ailleurs. […] Hommes doux et débonnaires dans les autres saisons, ils deviennent presque féroces durant les fortes gelées.

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