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435. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Le bon Quenescourt est le mieux loti et le plus riche de la bande, et il vient souvent au secours des moins heureux ; « Vous êtes prieur, tandis que je ne suis qu’un pauvre frère quêteur », lui dit Béranger. […] D’autres journées sont moins heureuses ; il y a des jours gras (1811) où, faute d’argent, le carême commence pour lui plus tôt qu’il ne devrait : « Je n’ai pris aucun divertissement ; j’aurais bien voulu être auprès de vous, écrit-il à Quenescourt. […] Non-seulement il ne devait plus jamais retrouver sa belle, comme on dit, mais il rencontrait : à tout coup le contraire ; pour prix d’un heureux et magnifique moment, il semblait voué au guignon, au contre-temps perpétuel ; il portait malheur à tout ce qu’il touchait. […] Voilà notre homme heureux, mais, dans son besoin de malencontre, il se met encore en peine ; il se tourmente de se voir décoré quand Béranger ne l’est pas.

436. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

. — Dans la leçon orale qu’il débita pour cette même agrégation, il avait à parler d’un traité de saint Augustin sur la Vie heureuse  ; il commença vivement, a peu près en ces termes et dans cette donnée (je ne réponds que du trait) : « Saint Augustin était jeune, brillant, amoureux, entouré d’amis ; il avait remporté des prix de poésie et s’était vu applaudi en plein théâtre ; il était professeur de rhétorique à vingt-deux ans, et sans concours ; et cependant il n’était pas heureux !  […] Plus tard, hors du cercle de l’école ; dans la page écrite pour le public, ce soin continuel, cette perpétuité, cette contention d’élégance, se feront sentir au milieu même des vivacités heureuses et pourront devenir un défaut. […] La seconde manière de Casimir Delavigne paraîtra non pas une capitulation, mais un progrès courageux et une conquête prudente de nouvelles beautés… » Je le demande, qu’y a-t-il de vrai dans un tel pronostic, et cette seconde manière de Casimir Delavigne est-elle donc à la veille d’être proclamée si heureuse et de triompher ?

437. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

De remplacer le plus fécond, le plus inventif, le plus adroit et le plus heureux des auteurs et arrangeurs dramatiques de ce temps ; de celui qui, pendant quarante ans, n’a cessé d’alimenter tous les théâtres et de desservir toutes les scènes ; qui est mort sur le champ de bataille, pour ainsi dire, en plein travail, au moment où, une idée en tête, il courait au galop chez un collaborateur. […] Mazères semble avoir pour lui l’ancienneté des titres, leur parfaite convenance dans la circonstance présente, une collaboration heureuse avec des maîtres illustres de la scène, et, en son propre et seul nom, des pièces agréables, dont une, faite de verve, le Jeune Mari, est restée au répertoire ; ce qui était fort compté en d’autres temps. […] Quand il veut faire le vif et le léger, il est moins heureux. […] Gozlan est un homme d’esprit dans la force du terme ; il a d’heureux mots, comme on en cite d’autrefois : il a des fantaisies qui réussissent à la scène, des nouvelles dont l’idée est piquante.

438. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poëme des champs par M. Calemard de Lafayette. »

Mais l’âme s’en pénètre ; elle se plonge, entière, Dans l’heureuse beauté de ce monde charmant ; Elle se sent oiseau, fleur, eau vive et lumière. […] Quand l’auteur des Épaves dit à son jeune ami : Vis et chante à l’écart ; dans tes rimes heureuses, Réfléchis les splendeurs du tranquille univers ; A la fleur, à la femme, à ces choses trompeuses, Ne prends que les parfums qu’il te faut pour tes vers ; quel poëte voudrait suivre à la lettre ce conseil après avoir lu M.  […] Un hasard heureux me met à même de faire ici un rapprochement assez inattendu. […] Que je serais heureux si mon panier avait gardé un peu de la saveur primitive, si mes vers vous rappelaient Wordsworth autrement que par le titre ! 

439. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Il faut que les choses en effet aient bien marché, que les générations se soient bien renouvelées, et que quelques-uns des nouveaux et spirituels rédacteurs des Débats soient bien jeunes (heureux défaut !) […] Mais une certaine reconnaissance toutefois, liée au souvenir d’une heureuse journée, m’est toujours restée de cet accueil, de cette idée bienveillante des anciens Bertin, et tant qu’il y aura un Bertin aux Débats, tant qu’il y aura de ces rédacteurs qui sont allés aux Roches, nous ne pourrons nous étonner que la justice ou l’indulgence littéraire y triomphe de préventions politiques qui elles-mêmes ne se trahissent que par accès et qui ont leurs intermittences. […] Jean-Jacques Rousseau, qu’on cite toujours comme exemple de faiseur d’utopies politiques, ne s’est pas trompé lorsqu’il a tant de fois décrit, appelé de ses vœux et deviné à l’avance cette classe moyenne de plus en plus élargie, vivant dans le travail et dans l’aisance, dans des rapports de famille heureux et simples, dans des idées saines, non superstitieuses, non subversives, ce monde qui fait penser à celui de Julie de Wolmar et de ses aimables amies, et dont les riantes demeures partout répandues, dont les maisons « aux contrevents verts » peuplent les alentours de notre grande ville et nos provinces. J’ai oublié le Contrat social de Rousseau, mais j’ai toujours présentes à l’imagination et à l’esprit tant de descriptions engageantes d’une vie saine, naturelle et sensée : puisse ce genre heureux d’existence, qui présuppose de si bons fondements, se propager plus encore39 !

440. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Selon une très heureuse expression pittoresque, on aurait dit, à de certains jours, que ces centaines de statues et de figures qui peuplaient les portails et les vitraux des cathédrales descendaient de leurs niches et de leurs verrières pour jouer en personne leur histoire devant le peuple69. […] Il peut y avoir dans un ouvrage de l’habileté, des parties passables et même assez bonnes, qui font dire : Ce n’est pas trop mal, des situations touchantes, des dialogues assez vifs et assez naturels, d’heureuses reparties et d’heureuses rencontres, des hasards ou des commencements de talent plus, ou moins de main d’œuvre et de métier (la plupart de nos mélodrames actuels ont de tout cela), sans qu’il y ait véritablement beauté. […] Cet endroit, qui est en partie de l’arrangeur Jean Michel, nous est cependant signalé comme une addition et une variation bucolique fort heureuse.

441. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Lebrun, dans sa jeunesse, sans précisément s’endormir, perdit, en effet, du temps à rêver et à être heureux : il faut en tout genre, quand on aime la gloire, être prompt à saisir, à remplir sa destinée. […] Notre vie a fait un long cours, Depuis que je t’ai devinée Dans ce cher et doux Prytanée, Heureux berceau de nos amours. […] Évidemment l’homme heureux, le sage, l’homme du monde aussi et de société ont un peu nui chez M.  […] Il ne reverra plus son cher Tancarville qu’après trente années presque révolues d’absence (septembre 1845) ; en le revoyant, sa verve se ranime avec toutes les émotions de son cœur, et il le salue, il le célèbre encore une fois par une Épître où l’homme sensible et le sage jettent un dernier regard mélancolique, mais non morose, sur ce passé : Parmi tous ces débris où j’ai souvent erré, Où j’ai joui, souffert, aimé, rêvé, pleuré, Mon heureuse jeunesse en vingt lieux dispersée Soudain de toutes parts remonte à ma pensée.

442. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

que d’idées, que d’aperçus, que de bon sens sous air de boutade, que d’inspirations heureuses ainsi dispersées en germe et jetées au vent ! […] Après une description heureuse du Généralife qui n’est, en quelque sorte, que le pavillon champêtre de l’Alhambra, et dont le charme principal consiste dans les jardins et les eaux, il termine par une image vivante et d’une adoration toute sympathique :    « Un canal, revêtu de marbre, occupe toute la longueur de Fenclos, et roule ses flots abondants et rapides sous une suite d’arcades de feuillage formées par des ifs contournés et taillés bizarrement. […] Jamais rien ne m’a fait éprouver un sentiment plus vif de la beauté que ce laurier-rose du Généralife. » Et à ce laurier-rose glorieux et triomphant, « gai comme la victoire, heureux comme l’amour », il a même adressé des vers et presque une déclaration, telle vraiment qu’Apollon eût pu la faire au laurier de Daphné. […] On sait mon nom ; ma vie est heureuse et facile ; J’ai plusieurs ennemis et quelques envieux ; Mais l’amitié, chez moi, toujours trouve un asile, Et le bonheur d’autrui n’offense pas mes yeux.

443. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Malgré des incorrections de détail et des longueurs, l’essai était charmant ; ce dut paraître un très-heureux commencement pour les poëmes à venir, comme Hernani avait pu paraître, dans ses hasards, un heureux prélude pour des drames futurs.  […] … Et ici, en beaux et grands vers que chacun a pu lire, revient l’utopie immense, trop immense, mais enfin bornée (il était temps) par une vive peinture de vie heureuse dans une bastide du Midi. […] N’aurait-il pas ce qui, dans les talents heureux, tient lieu d’ordinaire, en avançant, de la pudeur instinctive de la jeunesse ? […] Ô Lac des premiers jours, cadre heureux, écho plaintif et modéré, chose amoureuse et close, qu’es-tu devenu ?

444. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Après plusieurs voyages, retiré aux environs de Paris, il commençait une vie heureuse dans laquelle l’étude et l’amitié empiétaient de plus en plus sur les plaisirs, quand la Révolution éclata. […] Il ne lui arrive jamais, aux heures de rêverie, de voir, dans les étoiles, des fleurs divines qui jonchent les parvis du saint lieu, des âmes heureuses qui respirent un air plus pur, et qui parlent, durant les nuits, un mystérieux langage aux âmes humaines. […] Cela ne sera vu que de moi, et je suis sûr que j’aurai un jour quelque plaisir à relire ce morceau de ma triste et pensive jeunesse. » Oui, certes, Chénier relut plus d’une fois ces pages touchantes, et lui qui refeuilletait sans cesse et son âme et sa vie, il dut, à des heures plus heureuses, se reporter avec larmes aux ennuis passés de son exil. […] Chez l’un comme chez l’autre, même procédé chaud, vigoureux et libre ; même luxe et même aisance de pensée, qui pousse en tous sens et se développe en pleine végétation, avec tous ses embranchements de relatifs et d’incidences entre-croisées ou pendantes ; même profusion d’irrégularités heureuses et familières, d’idiotismes qui sentent leur fruit, grâces et ornements inexplicables qu’ont sottement émondés les grammairiens, les rhéteurs et les analystes ; même promptitude et sagacité de coup d’œil à suivre l’idée courante sous la transparence des images, et à ne pas la laisser fuir, dans son court trajet de telle figure à telle autre ; même art prodigieux enfin à mener à extrémité une métaphore, à la pousser de tranchée en tranchée, et à la forcer de rendre, sans capitulation, tout ce qu’elle contient ; à la prendre à l’état de filet d’eau, à l’épandre, à la chasser devant soi, à la grossir de toutes les affluences d’alentour, jusqu’à ce qu’elle s’enfle et roule comme un grand fleuve.

445. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Ce sentiment moral et humain de Pline est digne de remarque ; il ne se lasse point de l’exprimer en maint endroit, mais nulle part plus admirablement que quand il parle de Sylla : Le seul homme qui jusqu’à présent se soit attribué le surnom d’Heureux est L.  […] Et quels furent ses titres à se dire heureux ? […] Telle fut la préoccupation dernière de cet homme, le seul qui se soit proclamé heureux. […] Et qu’on ne dise pas que Pline seul gagne aujourd’hui au rapprochement, et qu’il est bien heureux de ce voisinage de Tacite.

446. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Il la quitte, et au moment où il se croit pour longtemps séparé d’elle, il la retrouve encore, par le plus heureux hasard, sur le vaisseau qui le porte de Gênes à Marseille. […] de la vie qui consiste uniquement dans le repos, et que cette tranquillité d’âme si heureuse se trouve dans une douce profession qui nous arrête, comme l’ancre fait un vaisseau retenu au milieu de la tempête. […] Heureux ces génies qui amusent tandis que nous raisonnons ! […] Bredouille réplique par la grande raison de tous les poètes heureux : « Pour moi, je n’y entends pas tant de façon ; quand une chose me plaît, je ne vais point m’alambiquer l’esprit pour savoir pourquoi elle me plaît. » Regnard aurait pu se dispenser de cette petite pièce ; Le Légataire se défendait tout seul avec les rires qu’il provoquait.

447. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Heureux ceux qui n’ont pas une conscience littéraire si scrupuleuse ! […] Il y a toujours eu des siècles à part, que l’on pourrait appeler les siècles heureux, tant ils ont été favorisés par une réunion de circonstances uniques. […] Enfin le moins heureux de ces chers absents, Charles Barbara, sortait de la foule par la nuance particulière de sa vocation. […] Nourri de l’antiquité grecque et latine, des Essarts la mélange dans les proportions les plus heureuses avec la modernité la plus récente. […] Heureux et malheureux à la fois, il a un fils qui est son orgueil et auquel il n’a pas donné son nom, de peur que son nom ne fut une tache.

448. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Cependant, lorsqu’un des amis de Ronsard, Remi Belleau, essaya de traduire Anacréon d’un bout à l’autre, il ne fut guère plus heureux que ne l’ont été, depuis, ses nombreux successeurs. […] Plus fidèle à son auteur, il doit quelquefois à cette exactitude même d’assez heureuses rencontres, témoin ces vers de l’ode suivante :  L’oiseau fend l’air ; le poisson nage ;  Le lièvre, au défaut de courage,  Sait déployer l’agilité ; L’homme seul eut pour lui la prudence en partage.

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