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1200. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

La grande Catherine de Russie, après quelque conversation avec les philosophes Diderot ou Grimm, disait en se levant pour aller vaquer aux affaires d’État : « Maintenant il faut songer au gagne-pain. » Ce n’est pas Louis XIV qui eût dit ce mot-là, qui a d’ailleurs sa bonne grâce ; ce n’est pas lui qui eût fait ainsi bon marché, même en paroles et d’un air de badinage, de ce qu’il considérait comme les plus importants et les plus sacrés de ses devoirs. […] Le comte de Guiche, à la tête des cuirassiers et de la brigade de Pilloy et de plusieurs gens de qualité de la cour volontaires, se jeta dans le Rhin ; un escadron des ennemis, qui était posté dans le Tolhus, débusqua brusquement de son poste et se jeta de son côté d’assez bonne grâce dans le Rhin pour disputer le passage de ce fleuve au comte de Guiche, et fit sa décharge dans le milieu de l’eau, de laquelle Guitry, grand maître de ma garde-robe ; Nogent, maréchal de camp et maître de ma garde-robe ; Théobon et quelques autres officiers ou volontaires furent tués ; Revel, colonel des cuirassiers, et quelques autres blessés.

1201. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Il y a des enfances dans ce Journal, mais à tout instant il est émaillé de jolies choses, de pensées délicates, de nuances exquises, le tout dit dans une langue heureuse, souvent trouvée, avec un mouvement et une grâce d’expression qui ne s’oublient plus, il faut bien appeler les choses par leur nom, elle s’ennuie : c’est une âme inemployée et même sevrée. […] mais on a parlé de classique dernièrement à propos des écrits d’une dame russe fort vantée, et j’ai protesté contre cette manière d’éloge : Mme Swetchine, avec tout son esprit, ne saurait, en effet, être appareillée aux véritables classiques, même en matière de spiritualité ; celle qui mériterait véritablement ce nom par la grâce du tour, la correction du trait, le naturel et la propriété des images, la simplicité (au moins relative) des pensées, ce serait Mlle Eugénie de Guérin, si elle avait fait un livre.

1202. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Dauban, avec une jolie phrase en sus et dont la grâce vive est, après tout, sans inconvénient (page 66). […] Que ce soit agréable ou non à lire, ce n’est pas la question ; que l’effet de ces nouveaux passages doive être très favorable et ajouter en bien à l’idée qu’on a pu se faire de Mme Roland, surtout pour l’agrément, pour la grâce, je n’en réponds pas du tout ; mais c’est très remarquable et infiniment curieux.

1203. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Notez que le chrétien selon Saint-Paul et selon Calvin a bien ses terreurs, mais aussi, une fois entré pleinement dans l’idée de la gratuité de la Grâce, il n’a point les scrupules perpétuels du chrétien catholique ; il marche avec candeur et sécurité dans la joie des enfants de Dieu. […] n’avez-vous pas cédé, sans le vouloir tout à fait, au plaisir d’opposer la protestante un peu verte, un peu roide, bien, portante d’une bonne grosse santé morale, à la catholique pleine de grâce et de nonchaloir, touchante par sa timidité, discrète, effarouchée, souffreteuse peut-être, mais humble et toute pénétrée de charme ?

1204. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre (suite et fin) »

Mais si vous voulez, Sire, qu’on rompe le silence, c’est à vous de l’ordonner. » Louis XV accepte de bonne grâce cette ouverture et lui permet de libres avis ; il avait du goût pour ce genre de correspondance particulière, j’allais dire cachotière, en dehors de ses ministres en titre ; ce n’était pas précisément un insouciant que Louis XV, c’était même un curieux ; il aimait à tout savoir, le pour et le contre sur les choses et sur les gens, sauf à en très peu profiter et à n’en rien faire. […] Fénelon n’était pas un flatteur ou il ne l’était qu’avec goût, lorsque dans son Mémoire sur les occupations de l’Académie française, et conseillant à la docte Compagnie de donner une Rhétorique et une Poétique, il disait : « S’il ne s’agissait que de mettre en français les règles d’éloquence et de poésie que nous ont données les Grecs et les Latins, il ne vous resterait plus rien à faire : ils ont été traduits… Mais il s’agit d’appliquer ces préceptes à notre langue, de montrer comment on peut être éloquent en français, et comment on peut, dans la langue de Louis le Grand, trouver le même sublime et les mêmes grâces qu’Homère et Démosthène, Cicéron et Virgile, avaient trouvés dans la langue d’Alexandre et dans celle d’Auguste. » Il y aurait à dire aux analogies, mais ce qui est certain, c’est que, s’il est naturel et juste de dire la langue de Louis XIV, il serait ironique et ridicule de dire la langue de Louis XV.

1205. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

et tout historien, fût-ce même le plus régulier et le plus froid) « sujet à erreur », il ajoute : « Ces réserves faites, on ne peut méconnaître dans Saint-Simon une étude personnelle et persévérante des principaux personnages de la Cour de Louis XIV, et un talent merveilleux pour les peindre. » On ne peut méconnaître… mais véritablement quelle grâce on nous fait là ! […] Grâce à lui, nous n’avons rien à envier à l’autre.

1206. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Théophile Gautier qui vient à eux cette fois, non plus seulement comme un curieux et comme un érudit, mais comme un franc auxiliaire ; il entre dans la question flamberge au vent et enseignes déployées, ou, pour parler son pittoresque langage, il y entre « comme un jeune romantique à tous crins de l’an de grâce mil huit cent trente. » Un tel point de vue, hardiment choisi, est bien fait pour éveiller l’intérêt, quand on sait à quelle plume vive, à quelle plume effilée, intrépide et sans gêne on a affaire. […] La rose en rendant son odeur, Le soleil donnant son ardeur, Diane et le char qui la traîne, Une Naïade dedans l’eau, Et les Grâces dans un tableau, Font plus de bruit que ton haleine.

1207. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Les grâces discrètes reviendront peut-être à la longue, et avec une physionomie qui sera appropriée à leurs nouveaux alentours ; je le veux croire : mais, tout en espérant au mieux, ce ne sera pas demain sans doute que se recomposeront leurs sentiments et leur langage. […] Nous ne dirons rien des autres écrits de Mme de Souza, de Mademoiselle de Tournon, de la Duchesse de Guise, non qu’ils manquent aucunement de grâce et de finesse, mais parce que l’observation morale s’y complique de la question historique, laquelle se place entre nous, lecteur, et le livre, et nous en gâte l’effet.

1208. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Non moins habilement, Perrault choisit la forme du dialogue : c’est la plus commode, quand il faut plaire à un public léger ; elle a de plus cet avantage, qu’elle permet à l’auteur aussi d’être léger et superficiel, et que le décousu, le paradoxe, l’affirmation téméraire et sans preuves, tout ce qui invaliderait une exposition dogmatique, se tourne ici facilement en grâces. […] Jugez-en par Racine, un des deux ou trois écrivains du siècle à l’âme desquels la Grèce a vraiment parlé : qui s’attendrait que Racine voulût retrancher du Banquet de Platon, comme inutile et scandaleux, tout le discours d’Alcibiade, ce portrait de Socrate, ce pur chef-d’œuvre où l’enthousiasme et la moquerie se mêlent avec une grâce subtile ?

1209. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

« Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure, contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser. » La véritable métaphore présente à la fois deux objets à l’imagination, l’un qui est dans le sens propre du mot, l’autre qui par le moyen du premier s’éveille dans la pensée. […] — Mais, de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure ; contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser.

1210. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Marivaux est trop près de Fontenelle, pour qu’on s’étonne de le voir prendre ce rôle : il le fait sans violence et sans âpreté, avec une grâce malicieuse, semant les hypothèses et les paradoxes de l’air d’un homme qui n’en soupçonne pas la portée. […] Marivaux est un peintre délicieux de la femme : ses Silvia, ses Araminte, ses Angélique sont exquises de sensibilité et de coquetterie, d’abandon ingénu et d’égoïsme en défense, de grâce tendre et d’esprit pétillant.

1211. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Faites-nous grâce, homme au cœur fort ! […] Même le prince d’Athis humanise la courbe méprisante de son profil devant ce miracle de jeunesse et de grâce dansante qui, du bout de ses pointes, décroche tous ces masques mondains ; et le Turc Mourad Bey, qui n’a pas dit un mot de la soirée, affalé sur un fauteuil, maintenant gesticule au premier rang, gonfle ses narines, désorbite ses yeux, pousse les cris gutturaux d’un obscène et démesuré Caragouss.

1212. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Et, quand Angélique se jette à genoux devant lui, il est très frappé de la grâce de sa nuque, et de son odeur. «… Ah ! […] Toute la grâce de la naïve historiette disparaît.

1213. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

On nous a assuré que, quand il voulait plaire, il avait pour cela, et jusqu’à la fin, des séductions, des grâces, une jeunesse d’imagination, une fleur de langage, un sourire qui étaient irrésistibles, et nous le croyons sans peine. […] » Il retrouve la grâce, l’imagination, presque de la tendresse.

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