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984. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Elle y souffre comme toutes les âmes fortes, qui périssent d’orgueil, déchirées dans leur force vaine. […] Une négation n’est jamais féconde, mais la négation de l’Affirmation infinie, la négation de Dieu, source de toutes les fécondités, ne peut pas engendrer longtemps… Madame Ackermann, malgré la force prolifique de ses facultés de poète, n’a pas produit en proportion avec la force de ses facultés.

985. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Or, si l’état de la littérature, c’est-à-dire la force intellectuelle d’une époque, se juge par le nombre et la distinction des livres qui sortent de la plume de ses écrivains, la librairie, qui est l’instrument et le véhicule plus ou moins intelligent de la littérature, se juge d’abord par l’état de cette dernière ; mais elle se juge surtout par ce qui est bien davantage son action directe, positive, réfléchie, personnelle, et nous n’entendons plus ici les livres nouveaux qu’elle édite, mais les livres anciens qu’elle réimprime. […] … Toutes choses aléatoires sur lesquelles il y a une décision à prendre avec ce coup d’œil qui est le génie de toute affaire, et qui implique, dans l’intérêt du libraire, la double force de la sagacité littéraire et de la sagacité du commerçant. C’est cette double force, trop rare, il faut bien le dire, parmi les libraires de ce temps, que Didier a montrée en réimprimant le livre de Stendhal sur l’amour.

986. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

Et il l’a gravée avec tant de force, que de ce nom de Messaline qu’il a tué, comme nom, — car quelle femme voudrait le porter ? […] elle est parfaitement hypocrite ; et Messaline, emportée et stupide d’emportement, ne pourrait jamais être cette chose volontaire, réglée, surveillée, travaillée, et admirable de force dans sa perversité, que l’on appelle une hypocrite. […] Quand le monde romain et païen se mourait, c’était le monde physique qui finissait, le plus puissant monde physique qui eût jamais écrasé de son poids la terre, et il avait encore la force de rejeter, de son ventre épuisé, des arrière-faix comme Messaline.

987. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Seulement, comme il n’est pas ministre ou ambassadeur, et qu’il n’a pas renoncé à la littérature, nous voulons montrer comment la sienne est faite, et, dans l’intérêt des dupes généreuses qui aiment les lettres pour elles-mêmes, prendre la longueur et la force de ce bâton des lettres dans une main habile, quand elles ne sont plus qu’un bâton. […] Mettre du citron dans sa limonade, mais pas trop, couper d’eau fraîche un vin trop fort, et cependant n’en pas abolir toute la force, opération de dosage et de mixture, alchimie littéraire dont le résultat produit immanquablement sur tant de volumes, vendus par le libraire, tant de petits sous à l’auteur. […] C’est l’ignoble montant, à force d’art, jusqu’au terrible.

988. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Maintenant, le poëte qui se moquait ainsi de lui-même trouvait ailleurs des accents pleins d’élévation et de force, pour encourager la constance et la lutte contre l’infortune. […] Après cela, tout est à croire et à espérer pour les mortels ; et personne de vous ne doit s’étonner, s’il voit les animaux féroces échanger avec les dauphins leurs forêts contre les profondes vallées de la mer, et les uns préférer les flots retentissants à la terre, tandis que les autres se plairaient désormais sur la montagne. » Ailleurs le poëte proteste, avec non moins de force, contre les mécomptes de la vie, et ne conseille pas, comme fait parfois Horace, d’y opposer l’insouciance et le plaisir, mais la fermeté d’âme. […] Nous voyons l’empereur Julien, dans sa défense et sa réforme du polythéisme, interdire la lecture d’Archiloque, dont il admire d’ailleurs la force d’âme à lutter, en se servant de la poésie, dit-il, pour alléger, par l’opprobre jeté sur ses ennemis, les maux que lui faisait le sort. » L’esprit chrétien fut encore plus sévère au poëte impur et diffamateur.

989. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Il est bon d’essayer ses forces, à condition que l’essai ne durera pas trop longtemps. […] Admirez Molière, avant tout, et de toutes vos forces, et M.  […] Or, il ne fallait rien moins que des chefs-d’œuvre de cette force pour battre en brèche une croyance de dix-sept cents ans ! […] Chemin faisant, vous assistez à toutes sortes de tours de force. […] En ce moment, sa misanthropie est à son comble à force d’indécision, d’étonnement et de douleur.

990. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Gautier repousserait de toutes ses forces, et que nous tiendrions à honneur de repousser à ses côtés ? […] Ce n’est pas une raison de venir brouiller l’histoire et de déplacer par un coup de force le centre d’une grande littérature. […] Molinier veut qu’on lise désormais : « Le ton de voix change un poème ou un discours de force ». […] C’est le calme de la force qui s’est éprouvée par l’expérience, et la sérénité d’une inébranlable conviction contre laquelle rien d’humain ne saurait prévaloir. […] Tout écrivain a calculé que son talent est une force, comme la fortune, comme la naissance, et une force dont il faut savoir se servir.

991. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

La mère a mis dans une corbeille les aliments de toute sorte pour ranimer les forces ; elle y place les vivres et le vin qu’elle a versé dans une outre de peau de chèvre. […] Puis il s’avance comme un lion nourri dans les montagnes, confiant en sa force, qui marche battu de la pluie et du vent. […] Ce sont les Phéaciens qui possèdent cette ville et cette terre ; et moi, je suis la fille du magnanime Alcinoüs qui reçoit des Phéaciens la force et la puissance.” […] Médite la parole divine, ne la perds jamais de vue ; dirige vers elle toute la force intellectuelle de l’âme. […] On dirait que cet infortuné avait voulu pousser à bout, par son exemple, un témoignage inouï des douleurs de la poésie abandonnée à ses propres forces.

992. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Leur force d’enfantement est vite épuisée. […] Il parut passer du côté du destin représenté, à ses yeux, par l’homme de la force brutale. […] Pour être vrai, il devait se montrer avec toute la bienveillance de ses jugements, avec la pleine clarté et la pleine force de son intelligence, avec la dignité naturelle à un caractère élevé. — Ce n’était pas là une petite difficulté. […] Mais nous, modernes, si nous avons aussi de grandes idées, nous pouvons rarement les produire au dehors avec la force et la fraîcheur de vie qu’elles avaient dans notre esprit. » Je vis alors arriver Riemer, Meyer, le chancelier de Müller et plusieurs autres personnes, hommes et dames de la cour. […] Ce qui m’a fait écrire, ce qui m’a mis dans cet état d’esprit d’où est sorti Werther, ce sont bien plutôt certaines relations, certains tourments tout à fait personnels et dont je voulais me débarrasser à toute force.

993. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Je n’avais pas la force de lui répondre ; je me jetai dans le fauteuil en fondant en larmes ; Catherine s’assit près de moi, le bras autour de mon cou, et nos sanglots redoublèrent. […] Elle ne se leva point, et je m’en allais bien vite, n’ayant plus de force, lorsqu’elle se mit à crier d’une voix déchirante : « Joseph ! […] Cette nouvelle me porta le dernier coup, parce que je ne me sentais plus la force d’avancer, ni d’ajuster, ni de me défendre à la baïonnette, et que toutes mes peines pour venir de si loin étaient perdues. […] Plus de dix mille hommes passèrent ainsi, de la cavalerie et de l’infanterie ; je n’avais plus la force d’appeler. […] Mais alors de toutes mes forces je m’écriai : « Christian !

994. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Deux forces réunies dans des proportions inégales, le génie et la tradition, ont tiré l’esprit français de cette décadence précoce où l’acheminait doucement, du pas dont il marchait lui-même au dernier terme, Fontenelle, profitant de l’interrègne du génie pour établir le spécieux empire du bel esprit. Ces deux forces réparatrices se personnifient dans Montesquieu, Voltaire et Buffon, chez qui la tradition est continuée et renouvelée par le génie ; dans Lesage et Rollin, chez qui le génie semble l’inspiration docile et le sentiment fidèle de la tradition. […] Connaître les hommes pour les conduire et les dominer, ne se connaître soi-même que comme une force en lutte avec d’autres forces, tel est l’objet de la première. […] Mais il n’en est aucun qui ne soit commandé par les besoins de l’élève, ni qui soit au-dessus des forces du maître. […] Je sens de nouveau les joies et les peines fécondes de l’émulation, et ces naissantes admirations pour les beautés des lettres, auxquelles m’invitait une parole respectée, et qui sont jusqu’à la fin de la vie des voluptés pour l’esprit et des forces pour l’âme.

995. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Elle n’est plus que dans le repentir, car le repentir est la dernière force de l’âme ; c’est celle qui se réveille quand toutes les autres sont assoupies. […] esprit de vie et de lumière, Qui, reposant ta force au centre de la Terre, Sous ta céleste chaîne y restes prisonnier ! […] Ajoutons qu’ils n’ont ni l’un ni l’autre plus de force et plus de désespoir de pensée que dans les vers suivants, imprécations de Frank qui se cramponne à la vie. […] Il a prouvé sa force. […] Je combattais alors de toutes mes forces à la tribune la coalition soi-disant parlementaire, et la guerre universelle pour la cause d’un pacha parvenu.

996. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Ronsard a le souffle généreux et une certaine force inhérente à son talent : c’en est un trait distinctif ; mais cette force insuffisante, et qui le trahit dans les grands sujets, réussit mieux et le sert quand il se rabat aux moindres. […] Il a exprimé cela admirablement dans une épître à son ami Jean Galland, principal du collège de Boncourt ; il lui dit : Comme on voit en septembre aux tonneaux angevins Bouillir en écumant la jeunesse des vins, Qui, chaude en son berceau, à toute force gronde Et voudroit tout d’un coup sortir hors de sa bonde, Ardente, impatiente, et n’a point de repos De s’enfler, d’écumer, de jaillir à gros flots, Tant que le froid hiver lui ait dompté sa force6, Rembarrant sa puissance aux berceaux d’une écorce : Ainsi la poésie, en la jeune saison, Bouillonne dans nos cœurs… Mais quand vient l’âge de trente-cinq ou quarante ans (c’est la limite qu’il assigne), le sang se refroidit ; adieu la muse et les belles chansons : Nos lauriers sont séchés, et le train de nos vers Se présente à nos yeux boileux et de travers : Toujours quelque malheur en marchant les retards, Et comme par dépit la muse les regarde. […] [NdA] Dans toutes les éditions que j’ai vues on lit : « Tant que le froid hiver lui ait donné sa force… », ce qui est contraire au sens.

997. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Le signe des belles et tout à fait grandes âmes est de n’en jamais perdre la conscience ni l’habitude aux heures de la force et de la prospérité. […] Quoique tout semble perdu, il nous reste des choses qu’on ne pourra nous enlever : c’est la fermeté et les sentiments du cœur. » Cependant, Frédéric discutait librement avec elle de ses résolutions tragiques, de leur commune et unanime destinée ; il sentait la force des raisons qu’on lui opposait, et il les admettait en partie : Si je ne suivais que mon inclination, je me serais dépêché d’abord après la malheureuse bataille que j’ai perdue ; mais j’ai senti que ce serait faiblesse, et que c’était mon devoir de réparer le mal qui était arrivé. […] Je ne sais ce que j’ai écrit ; j’ai le cœur déchiré, et je sens qu’à force d’inquiétude et d’alarmes, mon esprit s’égare. […] Pour plus de sûreté il écrivit à Voltaire en lui recommandant celle qui n’était plus : N’en perdez jamais la mémoire, lui disait-il, et rassemblez, je vous prie, toutes vos forces pour élever un monument à son honneur.

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