/ 3142
16. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

Ces idées sont, sinon des forces, du moins des économies de force. […] « Par conséquent, dit-il, la force dont nous affirmons la persistance est la force absolue, dont nous avons nécessairement conscience comme corrélatif nécessaire de la force que nous connaissons. […] On y voit le principe de la persistance de la force pris tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. Là, c’est au sens physique : la force motrice, la somme des forces potentielles et des énergies actuelles ; ici, c’est au sens métaphysique : la force absolue (ce qui est inintelligible), le noumène inconnaissable et cependant connu comme éternellement réel ! […] C’est pour cela qu’elles sont des forces.

17. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Ainsi, quand une force disparaît, elle est remplacée par une force égale. Plus précisément encore, si l’on considère la force en général et dans ses deux états, le premier dans lequel elle est en exercice et se dépense, par exemple lorsqu’elle fait remonter une masse pesante, le second dans lequel elle reste disponible et ne se dépense pas, par exemple lorsque la masse pesante est immobile au terme de sa course, on découvre que toutes les diminutions ou tous les accroissements que la force reçoit sous l’une de ces deux formes sont exactement compensés par les accroissements ou par les diminutions qu’elle reçoit en même temps sous l’autre forme, partant que la somme de la force disponible et de la force en exercice, en d’autres termes, l’énergie, comme on l’appelle aujourd’hui, est dans la nature une quantité constante. […] Nous ne la touchons que du doigt ; mais il n’est pas défendu d’espérer qu’un jour nous pourrons étendre la main, et dès à présent, ce semble, nous pourrions l’étendre. — En effet, la loi découverte présuppose deux conditions. — En premier lieu, dans les derniers éléments mobiles, il faut qu’il y ait une autre force que celle de la masse multipliée par la vitesse, qui est une force en exercice ; car, autrement, cette force se dépenserait plus ou moins complètement dans les chocs, sans que sa diminution, plus ou moins grande, fût compensée par un accroissement égal de la force disponible. Il y a donc dans les derniers éléments mobiles une ou plusieurs forces capables de devenir disponibles, attraction, répulsion, qui croissent à mesure que leur opposition fait décroître la force en exercice et qui la représentent tout entière sous forme de recette, après qu’elle a disparu sous forme de dépense. — En second lieu, si toute la force en exercice pouvait à la longue se convertir en force disponible, si la nature ou l’arrangement des derniers éléments mobiles étaient tels que la transformation des effets en effet équivalents, mais différents, dût un jour s’arrêter partout, cela serait déjà fait ; or cela n’est pas fait. […] Pour l’embrasser tout entière, il faudrait à la théorie de l’intelligence ajouter la théorie de la volonté ; si je juge de l’œuvre que je n’ose encore entreprendre par l’œuvre que j’ai essayé d’accomplir, mes forces ne suffiront pas ; tout ce que je me hasarde à souhaiter, c’est que le lecteur accorde à celle-ci son indulgence, en considérant la difficulté du travail et la longueur de l’effort.

18. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre troisième. L’idée-force du moi et son influence »

Par là l’être acquiert, dans la lutte pour la vie, une force nouvelle : au lieu de demeurer dispersées, ses tendances s’organisent vers un but conscient. […] Le concours des forces organiques augmente l’intensité de la vie ; il permet l’emploi le plus grand de la force avec la moindre dépense possible. Par cela même, chez un être sensible, la plus parfaite unité de forces vitales produit un sentiment de vie plus intense, c’est-à-dire un plaisir et, comme conséquence, une tendance croissante à la concentration des forces, un accroissement de gravitation intérieure. […] Dès qu’une substance nerveuse reçoit le choc des forces extérieures, quelque désordonnées, multiples et diverses que soient ces forces, une résultante s’établit bientôt, par le seul jeu des lois mécaniques ; un rythme se produit, une forme quelconque qui permet la distribution et l’intégration des forces. […] L’être vivant veut continuer de vivre, tout comme le mobile persévère dans son mouvement et dans la direction de son mouvement, à moins qu’une force extérieure ne l’arrête ou ne le dévie.

19. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XII. L’antinomie morale » pp. 253-269

Durkheim, les règles morales expriment une force souveraine et toute-puissante devant laquelle l’individu n’a qu’à s’incliner. […] Beaucoup d’hommes sont d’ailleurs femmes sur ce point) ; il la nie comme étant une morale d’envieux, de gens jaloux de toute force et de toute supériorité de force, une morale de conformistes à la fois serviles et intolérants. […] J’entends par là qu’elle glorifie la force individuelle ; elle s’élève contre les coalitions grégaires qui s’efforcent d’opprimer par le nombre la force individualisée. Chez presque tous ses représentants, elle glorifie la sincérité, la noble franchise, compagne de la force ; le courage qui aime et recherche la responsabilité individuelle, qui ne s’abrite pas derrière autrui. […] Celle-ci se heurte à des résistances, à des hostilités sourdes et hypocrites ou encore à une force d’inertie, à une indifférence inintelligente qui découragent le novateur.

20. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

La réparation nerveuse, qui accumule la force, a toujours pour résultat et pour objet l’exercice, qui dépense la force. […] S’il y a concours, « synergie », il y a plaisir, puisque notre force s’augmente alors par le concours même des autres forces ; s’il y a conflit, manque d’adaptation aux conditions d’existence, il y a pour nous conscience d’une diminution de notre énergie, employée à vaincre les résistances, comme une machine imparfaite qui perd sa force dans des frottements. L’ordre et l’harmonie sont donc encore des moyens de conserver et d’augmenter la force. […] Toute la « force » et l’efficace n’est donc pas dans les lois mécaniques. […] Le calcul algébrique des forces (mV2) n’est alors qu’un symbole abstrait du calcul philosophique des forces réelles, des causes.

21. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Eh bien, selon nous, ce secret, c’est la force ! […] Il a la force dans l’invention (voyez les héros de ses romans et même ses héroïnes, qui sont toutes des femmes à caractère !) et il a la force dans le style, qui, de fort, sous sa plume, devient immanquablement de mauvais goût s’il ajoute quelque chose au jeu naturel de ses muscles et de sa robuste maigreur. Quand Stendhal est nettement supérieur, il ne l’est que par la seule vigueur de son expression ou de sa pensée… Si on creusait cette analyse, on verrait, en interrogeant une par une ses facultés, qu’il a la sagacité qui est la force du regard, comme il a la clarté brève de l’expression qui est la force du langage. […] Stendhal, nous l’avons constaté, avait le don de la force, et d’une force que rien n’a pu énerver ; mais cette force a manqué souvent de douceur, de liant, de tendresse, de largeur, de plénitude.

22. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

selon nous, c’est la force ! […] Il a la force dans l’invention (voyez les héros de ses romans, et même ses héroïnes, qui sont toutes des femmes à caractère !), et il a la force dans le style, qui, de fort sous sa plume, devient immanquablement de mauvais goût, s’il ajoute quelque chose au jeu naturel de ses muscles et à sa robuste maigreur. Quand Stendhal est nettement supérieur, il ne l’est que par la seule vigueur de son expression ou de sa pensée… Si on creusait cette analyse, ou verrait, en interrogeant une par une ses facultés, qu’il a la sagacité, qui est la force du regard, comme il a la clarté brève de l’expression, qui est la force du langage. […] Stendhal, nous l’avons constaté, avait le don de la force, et d’une force que rien n’a pu énerver ; mais cette force a manqué souvent de douceur, de liant, de tendresse, de largeur, de plénitude.

23. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

— « La force du désir, dit-on enfin, est en raison inverse du sentiment que nous avons de notre intelligence et de notre action propre ; au contraire, la force de la volition est en raison directe de ce même sentiment. » — Oui, parce que la force de la volition n’est autre chose que le sentiment même de notre intelligence et de la puissance d’action qui appartient à l’idée de notre moi indépendant. […] Le motif qui prévaut doit sa victoire non seulement à sa force initiale comparée à la force initiale des autres motifs, mais encore à la force acquise pendant la délibération et par la délibération même, conséquemment à la conscience qu’il a eue de soi et de ses rapports avec les autres motifs. […] La force initiale des motifs et mobiles est donc à la fin modifiée par l’idée du pouvoir même de la volonté. […] Faut-il prendre modèle sur la composition mécanique des forces ? […] C’est encore là tout considéré, la ligne de la moindre résistance, puisqu’il faudrait, pour vaincre la force de projection imprimée par la poudre, une force de résistance plus grande que n’en oppose la muraille.

24. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VIII. La crise actuelle de la Physique mathématique. »

C’est le seul qui ne se présente pas comme une conséquence immédiate de l’hypothèse des forces centrales ; bien mieux, il semble sinon contredire directement cette hypothèse, du moins ne pas se concilier avec elle sans un certain effort. […] Et puis il y a encore l’hypothèse sur les forces. […] Mais comme, pour mesurer cette répulsion, nous devons l’équilibrer par une autre force, et que toutes ces autres forces sont réduites dans la même proportion, nous ne nous apercevons de rien. […] Quelle est la force qui doit produire ce recul ? […] Eh bien, ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour rendre compte de ces résultats, Lorentz a été obligé de supposer que toutes les forces, quelle que soit leur origine, étaient réduites dans la même proportion dans un milieu animé d’une translation uniforme ; ce n’est pas assez, il ne suffit pas que cela ait lieu pour les forces réelles, il faut encore qu’il en soit de même pour les forces d’inertie ; il faut donc, dit-il, que les masses de toutes les particules soient influencées par une translation au même degré que les masses électro-magnétiques des électrons.

25. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Mais la velléité ne s’en est pas plutôt dessinée qu’une force antagoniste survient, faite de toutes les forces sociales accumulées : à la différence des mobiles individuels, qui tireraient chacun de son côté, cette force aboutirait à un ordre qui ne serait pas sans analogie avec celui des phénomènes naturels. […] Telle est la force qui poussera le criminel à se dénoncer. […] D’où lui vient sa force ? […] Et quelle est la force qui fait pendant ici à la pression sociale ? […] Mais cette seconde force, pas plus que la première, n’a besoin d’explication.

26. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXV. Avenir de la poésie lyrique. »

Ne devrait-elle plus attendre qu’une de ces époques déjà signalées dans le monde, où la science des choses matérielles avait détruit le sentiment de l’idéal, où la force et le travail tenaient enchaînées dans un vulgaire bien-être des millions d’intelligences éteintes à l’amour de la liberté civile et des arts ? […] Tout ce qui ajoute extérieurement aux forces de l’homme, tout ce qui d’abord double pour lui le temps ou abrège l’espace, doit à la longue profiter au retour de l’âme sur elle-même ; car l’homme, à tout prendre, n’est grand que de ce qu’il a conçu par la pensée et senti par le cœur. […] Ou ville libre et neutralisée, ou capitale d’un État grec, ou conquête disputée entre de grandes puissances, Constantinople, si près de Malte et de Marseille, dans la vitesse actuelle des forces civilisées, ne peut longtemps appartenir à un autre monde, à un autre génie que l’Europe chrétienne. […] Et puis, à cette race fière de sa force, ne pouvant presque supporter d’autre joug que le péril et le travail, un frein salutaire est apporté par la religion, par l’ardeur de la foi et la discipline du culte. […] Quand la force tombe, quand le flambeau se déplace, quand une nation, usée de lassitude et de souffrance, ne sent plus palpiter en elle les grandes fibres de la vie sociale, un autre peuple a déjà recueilli son héritage.

27. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Mais puisque cette force vient finalement se traduire en mouvements musculaires, elle ne saurait différer essentiellement des autres forces de l’univers. […] L’homme qui les éprouve a l’impression qu’il est dominé par des forces qu’il ne reconnaît pas comme siennes, qui le mènent, dont il n’est pas le maître, et tout le milieu dans lequel il est plongé lui semble sillonné par des forces du même genre. […] Ils sont essentiellement moteurs ; car derrière eux, il y a des forces réelles et agissantes : ce sont les forces collectives, forces naturelles, par conséquent, quoique toutes morales, et comparables à celles qui jouent dans le reste de l’univers. L’idéal lui-même est une force de ce genre ; la science en peut donc être faite. […] Livré à ses seules forces, comment aurait-il pu avoir et l’idée et le pouvoir de se dépasser soi-même ?

28. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

  La Physique des forces centrales. […]   La Physique des principes. — Néanmoins, il est arrivé un jour où la conception des forces centrales n’a plus paru suffisante, et c’est la première de ces crises dont je vous parlais tout à l’heure. […] On renonça à pénétrer dans le détail de la structure de l’univers, à isoler les pièces de ce vaste mécanisme, à analyser une à une les forces qui les mettent en branle et on se contenta de prendre pour guides certains principes généraux qui ont précisément pour objet de nous dispenser de cette étude minutieuse. […] Point n’est besoin pour cela de pénétrer le mécanisme de cet équilibre et de savoir comment les forces se compenseront à l’intérieur de la machine ; c’est assez de s’assurer que cette compensation ne peut pas ne pas se produire. […] On a été conduit ainsi à les regarder comme des vérités expérimentales ; la conception des forces centrales devenait alors un soutien inutile, ou plutôt une gêne, puisqu’elle faisait participer les principes de son caractère hypothétique.

29. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIII : De la méthode »

Force est que ces opérations se fassent : toutes traductions de la même chose. […] Cette nécessité ou force amène, entraîne et produit des opérations, comme elle amène, entraîne et produit des conséquences. […] Si vous voulez, transformez-la en substance, pour la commodité du langage : vous direz alors qu’il y a une force dans le corps organisé. […] La force vitale n’est ni une qualité, ni une substance, mais un simple rapport. […] L’air pesant est une force ; cela veut dire qu’en l’appliquant sur la cuvette du baromètre, il forcera le mercure à monter, en d’autres termes, que l’air s’appliquant sur le baromètre, le mercure montera nécessairement. — La chaleur a une force de dilatation : cela veut dire que la chaleur forcera cette barre à se dilater, en d’autres termes, que cette barre étant chauffée se dilatera nécessairement. — Le fer et l’oxygène ont une force d’affinité réciproque : cela veut dire que le fer exposé à l’air humide se combinera nécessairement avec l’oxygène. 

/ 3142