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486. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Le mouvement le plus simple, qui suppose une répétition de soi-même au moins pendant deux instants consécutifs, est déjà une mémoire ; bref, la conservation de la force et, comme conséquence, du mouvement avec une intensité, une direction et une forme déterminées, la somme des produits restant constante malgré la variation possible des facteurs, voilà le fond de l’habitude et aussi de la mémoire, quand on n’en considère par abstraction que le coté extérieur et mécanique. […] La harpe vivante diffère des autres en ce qu’elle se sent elle-même résonner, en ce qu’elle jouit ou souffre de ses accords ou de ses discordances, en ce que ce sentiment de soi réagit sur elle-même : elle a un fond mental en même temps qu’une organisation physique ; sans ce fond, il n’y aurait point de souvenir véritable, pas plus qu’il n’y aurait de chaleur véritable, malgré les ondulations de l’éther en certaines directions, sans l’être qui sent ces ondulations sous forme de chaleur. […] Cette loi, si nous ne nous trompons, confirme notre hypothèse sur le fond du souvenir. […] Ribot, les facultés affectives s’éteignent bien plus lentement que les facultés intellectuelles72. » C’est qu’elles sont ce qu’il y a en nous de plus profond et de plus intime ; les états affectifs ont beau être vagues et indescriptibles pour l’intelligence, ils sont le fond dont l’intelligence réfléchie ne saisit que la forme. […] Ici encore, nous voyons les sentiments, et surtout ceux des jeunes années, résister mieux que les idées à l’influence destructive de la maladie, tant il est vrai que la sensibilité et la volonté sont le fond de la vie même et conséquemment de la mémoire.

487. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Un marchand de vin dont la lanterne porte, sur un fond bleu, un pierrot en blanc avec au-dessus : Au vrai Pierrot. […] Et par-dessus et au-delà du parapet, un paysage à la Ciceri, un ciel couleur de mine de plomb, les toits de zing bleuâtres, les dévalements jaunes de terrains, les grandes pierres aux larges arêtes semées avec les caprices de leurs angles, les maisons blanches du premier plan s’enlevant sur la cantonade violacée du fond, — le paysage grisâtre du climat parisien. […] La personnification et le représentant de l’homme de 1830, habitué à la bataille, aux nobles luttes, aux sympathies ardentes, à l’applaudissement d’un jeune public, et en portant, inconsolable et navré, au fond de lui, le regret et le deuil. […] Et donc, les petites demoiselles : Jenny qui montrait déjà un si joli petit museau de soubrette, Berthe qui embrassait le fond de mes casquettes et collectionnait, dans une boîte, les noyaux des pêches mangées par moi, Marie qui avait les plus beaux cheveux et les plus beaux yeux du monde. […] Au travers et au-dessus des arbres, un ciel tout gris, poussiéreux de pluie, avec quelques éclaircies comme faites à la mie de pain sur un dessin au fusain, et des fonds estompés dans un brouillard gris perle étendu sur un fond nankin.

488. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

» Il ajoute : « Au fond, on ne le sait pas, mais ce qu’il aimait, c’était la science et la philosophie… Quand Robin a été nommé sénateur, cette nomination lui a fait autant de plaisir que les élections de 76. […] * * * — Une monarchie tempérée par de l’esprit philosophique : au fond, voilà ce qu’il me faudrait. […] * * * — Au fond, chez moi, la plus sérieuse jouissance dans ce moment-ci, c’est l’étoilement de la verdure au fond de mon jardin, par toutes ces roses, ces roses feuillues et vigoureuses appelées Coupe d’Hébé ; ces roses, nommées Capitaine Christy, ayant le crémeux coloriage du carmin, sur l’ivoire d’une miniature commencée ; ces roses baptisées Baronne de Sancy, ayant dans une rose cultivée, les jolies mollesses et le demi-refermement floche des roses de l’églantier. […] On causait de sensiblerie, très souvent cachée au fond des sceptiques, et à ce propos un de mes amis racontait, que demandant à X… pourquoi il était si triste : « Eh bien ! […] Je dis au ménage, ce que je crois, c’est qu’il n’y a pas au fond vraiment de question politique, mais que ça va être seulement une question de chic pour les clubs, de venir chuter la pièce, et qu’on doit s’attendre à cinq ou six représentations cahotées, après quoi, la pièce marchera.

489. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Ovide avait à regretter, du fond de sa Scythie, bien des succès littéraires dont il était si vain, et auxquels il avait sacrifié peut-être les confidences indiscrètes d’où la disgrâce lui était venue. […] Au milieu de cette admiration haletante et morcelée, l’idée de l’ensemble, le mouvement du fond, l’effet général de l’œuvre, ne saurait trouver place ; rien de largement naïf ni de plein ne se réfléchit dans ce miroir grossissant, taillé à mille facettes. […] L’ami du poëte, le confident de ses jeunes mystères, comme a dit encore Chénier, a besoin d’entrer dans les ménagements d’une sensibilité qui ne se découvre à lui qu’avec pudeur et parce qu’elle espère au fond un complice.

490. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Au fond, tel monde, telle idée de Dieu ; de sorte que l’idée de Dieu change avec les changements du monde. […] On vit alors le spectacle le plus extraordinaire et le plus ridicule, la poésie séparée de la religion, dont elle est le fond naturel et l’aliment intime, un ciel païen introduit dans un monde chrétien, l’Olympe restauré, non par sympathie sensuelle comme à la Renaissance, ou par sympathie archéologique comme aujourd’hui, mais par convenance, pour remplir un cadre vide et ajouter une parade de plus à toutes celles dont ce siècle s’était affublé. […] Au fond ils s’y produisent comme dans la nature, sans formules préconçues et au moyen de détails isolés, mais selon des directions générales et en vertu d’un besoin inné.

491. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

Les âmes au fond desquelles vivait encore une foi intense, avaient perdu l’enthousiasme : les nobles avaient ruiné la féodalité, les gens d’Église étaient en train de perdre l’Église et la religion : les grandes idées périssaient par les hommes qui les représentaient. […] Il nous fallait l’idée de l’art, idée à laquelle peut-être le fond de notre tempérament national est assez réfractaire, qu’en cinq siècles de fécondité littéraire il n’avait pas acquise, que peut-être il ne pouvait absolument pas s’adapter dans toute sa pureté, et qu’il lui fallut toutefois saisir le plus possible pour s’exprimer par elle dans une grande littérature. […] Tout cela, c’était, au fond, le retour de l’esprit bourgeois : d’abord comme submergé par l’aristocratique civilisation où avaient fleuri l’élégance de Marot et la splendeur de Ronsard, il reparaissait, mais affermi, étendu, ayant pris conscience de sa force et de sa fonction, avide enfin et capable de toutes les vérités.

492. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Le fond anglais subsiste toujours : mais il s’accommode de son mieux aux principes de l’art français. […] Galiani594 a plus de fond et une forme plus « réveillante ». […] Un fond de très sérieuse philosophie, une pensée libre, active, pénétrante, font de tous ses écrits, mais surtout de sa vaste correspondance une des plus intéressantes lectures que le xviiie  siècle puisse fournir, même en négligeant l’intérêt historique.

493. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Chaque soir espérant des lendemains épiques, L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ; Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles, Ils regardaient monter dans un ciel ignoré Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. […] Et tout ce que le sel ou l’iode colore, Mousse, algue chevelue, anémones, oursins, Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins, Le fond vermiculé du pâle madrépore. […] Et il y a bien du courage, au fond, dans cette allégresse d’artiste trompant la vie par l’adoration du beau.

494. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Wolff, Blavet et Millaud, voilà le vrai fond du Figaro. […] Rochefort (La Gloire à Paris) : 1° « L’action très grande de Rochefort est dans cette belle gaieté qui est le fond de son tempérament vraiment français »   2° « Rochefort est un des rares Parisiens de l’ancien temps qui ait conservé dans l’âge mûr cette belle insouciance et cette bonne humeur qui furent autrefois les qualités maîtresses de la race française. » (Je pense qu’il faut entendre : « Rochefort est un Parisien le l’ancien temps, un des rares Parisiens qui aient conservé », etc. )   3° « Chacun dans sa sphère plisse le front… Je ne vois plus guère que Rochefort qui ait conservé la gaieté de la vieille race française »   4° « Après avoir exaspéré beaucoup de ses contemporains par la violence excessive de ses écrits, il les ramène aussitôt à lui par les éclats de sa gaieté si française. » Pour Offenbach, le refrain est : « Quel artiste !  […] Il a le don de saisir avec prestesse les traits fugitifs de la comédie contemporaine, de s’en amuser et d’en amuser les autres : pas l’ombre de prétention, une bienveillance très philosophique, au fond une indifférence absolue.

495. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Ce par quoi elles étaient, au fond, des bêtes de joie  et de tristesse, — nous était discrètement dérobé. […] Car je me sens pour vous un fond de haine et de colère. […] Vaniteux, ivrogne, plein de vices, naïf et pervers, il estime que sa vie de crapule contient déjà, au fond, les premiers linéaments de la vie évangélique selon le bon saint François.

496. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Sa soumission aux pouvoirs établis, dérisoire au fond, était complète dans la forme. […] Ne connaissant pas la force de l’empire romain, il pouvait, avec le fond d’enthousiasme qu’il y avait en Judée et qui aboutit bientôt après à une si terrible résistance militaire, il pouvait, dis-je, espérer de fonder un royaume par l’audace et le nombre de ses partisans. […] Au fond, l’idéal est toujours une utopie.

497. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

* * * — Au fond, il n’y a au monde que deux mondes : celui où l’on baille, et celui où l’on vous emprunte vingt francs. […] » * * * — Nos soirées, presque toutes les soirées, où nous ne travaillons pas, nous les passons dans le fond de la boutique d’un singulier marchand de tableaux, dans la boutique de X…, qui, sous le prétexte d’occuper l’oisiveté de sa vie, va encore manger une cinquantaine de mille francs à son père. […] Pouthier, après des aventures à défrayer un roman picaresque, et qui, sans attribution bien fixe dans la maison, est à la fois commis, restaurateur de tableaux, et surtout le patito de la jeune femme, remplit le fond du magasin de lazzis et de tours de force.

498. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] Toute œuvre littéraire vraiment belle doit avoir pour fond « certaines vérités générales exprimées dans un langage parfait ». […] La réunion de ces deux ordres de vérités est le fond de toute grande littérature.

499. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Là elle toucha à Chateaubriand et à Sainte-Beuve et s’en mit une goutte dans son verre d’eau claire, où depuis tombèrent des larmes qui firent reprendre au verre d’eau sa limpidité et sa clarté premières… Mme Swetchine, sans sa piété vraie et avec son éducation pédantesque, aurait été un bas-bleu de forte espèce, parfaitement caractérisé, et Mme de Blocqueville tient beaucoup plus d’elle que d’Eugénie de Guérin, sous le charme de laquelle elle se débat un peu, comme elle se débat, mais plus convulsivement, sous la puissance magique de cet enchanteur à poison qui s’appelle Henri Heine, et qui est le péché mignon de la haute Dévote de son livre, — la duchesse Eltha, qui pourrait bien, au fond, n’être qu’une marquise… Mme de Blocqueville a beau assurer dans sa préface, avec des airs oraculaires et mystérieux, qu’Eltha et Lucio, qui se font l’amour tout le temps du livre, ne sont pas des amants et qu’elle ne peut pas en dire davantage. […] Elle ne sait pas, comme elle désirerait le savoir, les liens d’entre elle et les comètes ; mais, sentant au fond d’elle-même son identité de comète, elle est curieuse de les savoir, cette curieuse comète. […] Combien cela ramène délicieusement sur la terre du fond du monde stellaire, des météores et des comètes, et dans les détails intimes et négligés des chambres à coucher !

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