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736. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

… « La forme qui touche », voilà ce que le vrai poète, le poète créateur, doit trouver lui aussi et ce qu’a trouvé bien des fois Sully-Prudhomme ; si « la petite ligne de la bouche fait les grands amours », c’est qu’elle est l’expression spontanée de l’âme, sans étude et sans effort ; telle est aussi la poésie où la pensée même ne fait que se prolonger et se rendre visible dans les lignes et les formes des vers : elle seule fait les grands amours. […] L’immense effort, conscient ou non, est-il en nous, est-il en tout, et s’achèvera-t-il en une immense aurore ? […] La vie est toujours un effort ; il est doux de sentir par moment cet effort se suspendre, de s’évanouir à soi-même, de se dissoudre comme un rêve.

737. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Nous aimerions mieux rêver, imaginer ou croire que cette même liberté qui le fit déchoir peut le faire remonter laborieusement à son apogée de créature, non plus innocente, mais pardonnée et réhabilitée ; que les ténèbres, le travail, les efforts, les misères, les souffrances, la mort, sont les conditions de l’état présent de l’humanité, et la voie de cette réhabilitation dans la lumière, dans le bonheur et dans l’immortalité. […] L’éternel effort de nos arts modernes est de remonter à ces types du beau dans l’architecture et dans la sculpture ; et comme les arts prennent ordinairement leur niveau dans une même époque, tout fait conjecturer que les arts de l’esprit égalaient en perfection ceux dont la matière plus solide nous a conservé les chefs-d’œuvre. […] L’acharnement même des peuples européens à chercher des formes meilleures de gouvernement ou de société atteste le travail et l’inquiétude d’esprit, qui s’agite dans un perpétuel effort. […] Vain effort !

738. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

De telles puissances et de tels génies artificiels supposent, dans ces acteurs indispensables à la scène, des miracles d’efforts, d’études, d’éducation spéciale à cette profession, des sentiments fantastiques qui ne se produisent que dans un état très lettré, très oisif et très opulent des nations. […] Elles avaient donné à la France tout ce que peut donner le despotisme : la concentration et la règle de toutes ses forces intellectuelles et matérielles dans un effort universel des intelligences disciplinées sous l’Église et sous le roi. […] Son premier mouvement fut de prendre une bougie pour éclairer le lecteur ; elle fit ensuite réflexion qu’il était plus convenable de s’asseoir, et de faire tous ses efforts pour paraître attentive à la lecture. […] La nature, qui se révoltait souvent en lui contre cette abstention de la scène ; son talent, qui avait mûri et qui ne demandait qu’à porter des fruits plus consommés dans la maturité de ses années ; la passion de complaire au roi, qui était sa dernière et sa plus grande faiblesse ; le désir de mériter la faveur de Mme de Maintenon, dont il estimait l’esprit et dont il vénérait la piété ; sa fortune à consolider à la cour par des triomphes poétiques qui retentiraient plus loin que Saint-Cyr ; enfin la satisfaction de conscience qu’il éprouvait à mettre son génie dans sa foi, sa foi dans son génie, et à faire son salut pour le ciel en faisant sa grandeur pour ce monde : tous ces motifs combinés tendaient son âme jusqu’à l’exaltation et concentraient toutes ses facultés déjà si puissantes en un de ces efforts suprêmes qui produisent les miracles de la volonté et du génie.

739. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Mais c’est de l’histoire amplifiée, de l’histoire « héroïsée », si l’on risquer ce barbarisme ; et, à la faveur de cette amplification, qui n’est qu’un effort du poète pour égaler son langage à la grandeur des événements qu’il chante, s’insinue déjà dans l’histoire un commencement d’exagération, et bientôt un élément merveilleux ou fabuleux. […] L’explication s’en trouve : en partie, dans la persistance et la continuité de la tradition latine ; en partie dans l’effort de nos légistes pour faire triompher sur l’esprit germanique ou féodal l’esprit du droit romain ; et enfin dans l’encouragement que nos rois donnent à un effort qui fait les affaires de leur plus noble ambition, puisque aussi bien il fait celles de l’unification des volontés et de la formation de la patrie française. […] Bédier pour la négative]. — Qu’il se peut qu’en effet quelques fabliaux nous soient venus de l’Inde ; — mais qu’en général on a de notre temps beaucoup abusé des « origines orientales » ; — et que la plupart de nos fabliaux, comme Brunain, La Vache au Prêtre, ou Le Vilain Mire, ou La Bourgeoise d’Orléans, ne supposent pas un effort d’invention qui passe la capacité de l’expérience la plus vulgaire. — Grossièreté des fabliaux ; — et difficulté d’en transcrire seulement les titres ; — pour cause d’obscénité. — De la portée satirique des fabliaux ; — et, à ce propos, qu’ils semblent avoir évité d’attaquer les puissants du monde. — Comment, en revanche, ils traitent le prêtre, le « curé de village », non le moine, ni l’évêque ; — et comment ils traitent la femme. — De la valeur « documentaire » des fabliaux ; — et s’ils nous apprennent quelque chose de plus que les Dits, par exemple ; — ou tant d’autres « documents » de tout ordre. — Fortune européenne des fabliaux ; — et, au cas que l’origine n’en soit pas française, — du peu de gré qu’il faut savoir à nos trouvères de la forme d’esprit que les fabliaux ont propagée dans le monde.

740. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Ici comme plus haut, et à toutes les époques de ses travaux historiques, c’est toujours le pamphlétaire rétrospectif contre l’histoire de France, et principalement contre les hommes qui honorent plus que leur pays, en honorant, par leur effort de volonté ou de génie, ces choses que les âmes basses méprisent : le Pouvoir, le Gouvernement, l’Autorité. […] Il est en effet translucide, ce génie ferme et français de Richelieu, qui a toujours voulu la même chose : refaire, coûte que coûte, sur un plan nouveau, la France qu’on lui avait brisée ; guérir de son énorme plaie un État qu’il avait reçu déchiré, et dont l’effort de toute sa vie fut d’en rapprocher, comme il put, et d’en ressouder les morceaux. […] Partout, à chaque page de son histoire, c’est le même langage, c’est la même idée fixe, car l’idée fixe, on peut la retrouver aussi bien dans l’ivresse que dans la folie, c’est la même peur du Dieu personnel et vivant du catholicisme, de ce splendide revenant qui hante la raison de l’historien malgré lui, et qui, aperçu incessamment à travers le pâle fantôme du dieu philosophique, réduit toujours le même visionnaire au même effort et à la même convulsion de raisonnement pour le repousser. […] que les portraits tracés par lui accuseraient sinon l’éclat d’un talent… bien fatigué maintenant, au moins l’effort d’une œuvre nouvelle.

741. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Aussi ce qu’on sent dans ces premières Histoires, c’est encore plus l’effort que la force, l’acharnement de la volonté que le souffle facile de l’inspiration. […] Nous l’avons dit, il se fourvoya, avec l’effort qui ferait monter un homme aux astres. […] Il se donna des efforts pour obtenir des effets semblables presque à des attaques d’épilepsie. […] Son historien nous a fait le compte de ses efforts ; il nous a étalé les détails angoissants de cette incomparable misère.

742. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

L’effort par lequel il incline sa raison devant les lois essentielles en religion, en philosophie, en politique, est un acte éminemment raisonnable. […] On comprend quelle impression produisit sur les esprits, après 1793, l’étrange et douloureux dénoûment de tant d’efforts et de tant d’espoirs. […] Le dix-huitième siècle avait été un long effort pour détrôner le christianisme dans les cœurs et dans les esprits. […] Il y eut entre ces deux hommes éminents une amitié intellectuelle fondée sur l’identité des convictions et sur la communauté des efforts. […] Trois efforts successifs avaient été faits par la Constituante, la Législative et la Convention pour réorganiser l’instruction publique, trois efforts inutiles ; les grandes eaux qui montaient toujours emportaient ces commencements prématurés d’une reconstruction encore impossible.

743. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Quoi qu’il en soit, en nous décrivant le tour d’esprit des convives, Marivaux va nous définir en perfection le genre qu’il préfère : Ce ne fut point, dit Marianne, à force de leur trouver de l’esprit que j’appris à les distinguer : pourtant il est certain qu’ils en avaient plus que d’autres et que je leur entendais dire d’excellentes choses ; mais ils les disaient avec si peu d’effort, ils y cherchaient si peu de façon, c’était d’un ton de conversation si aisé et si uni, qu’il ne tenait qu’à moi de croire qu’ils disaient les choses les plus communes. […] Marianne, comme le plus avisé des disciples féminins de La Rochefoucauld, nous expose le pourquoi de l’infidélité et son secret mobile, et aussi le remède : On ne le croirait pas, dit-elle, mais les âmes tendres et délicates ont volontiers le défaut de se relâcher dans leur tendresse, quand elles ont obtenu toute la vôtre : l’envie de vous plaire leur fournit des grâces infinies, leur fait faire des efforts qui sont délicieux pour elles ; mais, dès qu’elles ont plu, les voilà désœuvrées.

744. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

En un mot, et pour marquer son effort aussi brièvement que possible, je dirai qu’il travaillait à la fois sur Henri IV pour le disposer d’avance à consentir à une longue trêve dont ce monarque rejetait l’idée, et sur les Hollandais pour les contenir à n’accepter une paix que moyennant les conditions essentielles et sans y courir à bride abattue. […] Le président Jeannin, qui prévoyait qu’on n’aboutirait point par cette voie, fit en juin un voyage en France, dans lequel il se fixa avec Henri IV sur la conduite à tenir ; il avait amené le roi à son idée de conclure une longue trêve au lieu d’une paix, et de retour en Hollande, trouvant le projet de paix rompu, il y substitua heureusement et à temps sa proposition moyenne pour laquelle, avec un peu d’effort de son côté, tout le monde bientôt s’accorda.

745. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Ces tableaux de Léopold Robert résultaient d’études d’hommes et de femmes vus sur place, rendus avec sagacité et conscience dans leur physionomie, dans leur caractère intime et leur génie natif, et groupés ensuite par l’artiste dans une composition longuement méditée et savamment réfléchie : ce sont de grandes idylles de Théocrite en peinture, reconstruites avec l’effort heureux et le sentiment plus rassis qui préside à une scène des Géorgiques. […] Il prétend toutefois n’y pas mettre précisément du sien : il veut arriver au beau, et il le veut non en l’inventant, mais en le retrouvant avec effort, en le déchiffrant pour ainsi direu, sous les altérations et les ombres qui le défigurent et le recouvrent dans la réalité : Pour trouver le beau d’une chose, ne faut-il pas la voir, la retourner sous toutes ses faces ?

746. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — II » pp. 76-92

Il a très bien montré que c’était une grande nouveauté alors en France de lire Homère en grec, que dans l’Université même, et parmi ceux qui passaient pour doctes, on ne s’en avisait que depuis peu, et il en a fait un mérite à notre poète, qui, non content de l’étudier sans cesse, voulait encore l’imiter, le reproduire, et doter son siècle et son pays d’un poème épique : vain effort, mais noble pensée ! […] Racine plus heureux (il le doit à Lancelot) le lit couramment, et il y puiserait sans effort, s’il ne préférait Euripide.

747. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Michelet, sa vie de travail, son effort constant, ses fouilles érudites et ses ingénieuses mises en scène, cette faculté de couleur voulue et acquise où il a l’air de se jouer désormais en maître, mais quand je considère de quelle manière il a jugé et dépeint des événements et des personnages historiques à notre portée, et dont nous possédons tous autant que lui les éléments ; quand je le vois toujours ambitieux de pousser à l’effet, à l’étonnement, j’avoue que je serais bien étonné moi-même qu’il eût deviné et jugé les choses et les hommes de l’histoire romaine plus sûrement que Tite-Live. […] Maine de Biran si singulièrement présenté, si bouffonnement même, et par ses propres phrases, on voudrait que le jeune adversaire eût moins chargé le profil, qu’il y eût mis plus de ménagements et d’égards, et qu’il eût tenu compte au chercheur en peine, des difficultés, de l’effort, du fond de l’idée : on en tient bien compte aux philosophes allemands ; pourquoi pas aux nôtres ?

748. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Né sous le beau ciel du Midi, d’une ancienne famille noble et pauvre, Maurice de Guérin, rêveur dès l’enfance, fut tourné de bonne heure vers les idées religieuses et inclina, sans effort, à la pensée de l’état ecclésiastique. […] Vain effort !

749. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Entré à l’École normale au sortir d’études brillantes et où le tour bien français de son talent se marquait déjà, moins latin d’abord et bien moins grec que d’autres, il en vint sans trop d’effort, au bout d’un an, à être le premier de sa volée, comme on disait autrefois, et l’un des princes, unanimement reconnus, de sa génération de jeunesse. […] Prevost-Paradol lance le sien sans effort, le cou penché et comme nonchalamment.

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