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814. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Ceux-ci à leur tour, aisément restrictifs et négatifs dans leur prudence, n’hésitant pas au besoin, dans leur système complexe, à limiter, à entamer le droit par la raison d’État, le rendent bien en inimitié aux esprits de nature girondine, que tantôt ils ont l’air de mépriser comme de pauvres politiques, et que tantôt ils confondent en une commune injure avec la secte jacobine pour les montrer dangereux. […] Nous la voyons, dédaignant les jeux du théâtre et les distractions du goût, courir droit à l’Assemblée, la trouver faible, puis corrompue, l’envisager avec sévérité d’abord, bientôt avec indignation et colère : 89 et les impartiaux, elle le déclare net, sont devenus les plus dangereux ennemis de la Révolution. […] Divisés entre eux sur les mesures les plus immédiates, palpitants et au dépourvu devant ces autres théories inflexibles qui s’avançaient droit contre leur regard comme un étroit et rigide acier, leur résistance fut toute d’instinct, d’humanité, de cœur. […] Il y avait lieu entre eux à des discussions sur l’étendue du droit, à des dissidences sur la mesure de la liberté ; mais l’incompatibilité radicale de principes, comme de mœurs, comme de tempérament, un abîme enfin, qui se déchira au 2 septembre sous les pas de la Gironde, les séparait eux tous d’avec les hommes une fois engagés dans les partis extrêmes et sanglants, dans les systèmes farouches.

815. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Quant à Voltaire, meneur infatigable, d’une aptitude d’action si merveilleuse, et philosophe pratique en ce sens, il s’inquiéta peu de construire ou même d’embrasser toute la théorie métaphysique d’alors ; il se tenait au plus clair, il courait au plus pressé, il visait au plus droit, ne perdant aucun de ses coups, harcelant de loin les hommes et les dieux, comme un Parthe, sous ses flèches sifflantes. […] Clément de Ris, son compatriote, pour y étudier le droit et les lois, ce qui l’ennuya bien vite. […] Je sais d’ailleurs quels reproches sévères et réversibles sur tout le siècle doivent tempérer ces éloges, et j’y souscris entièrement ; mais l’esprit antireligieux qui présida à l’Encyclopédie et à toute la philosophie d’alors ne saurait être exclusivement jugé de notre point de vue d’aujourd’hui, sans presque autant d’injustice qu’on a droit de lui en reprocher. […] Il y en a seulement un très-petit nombre de sages qui cherchent avec soin ce sentier, et qui, l’ayant découvert, y marchent avec grande circonspection, et, trouvant ainsi le moyen de passer le torrent, arrivent enfin à un lieu de sûreté et de repos. » L’image de Nicole n’est pas consolante ; au chapitre V du traité de la Crainte de Dieu, on peut chercher une autre scène de carnage spirituel, dans laquelle n’éclate pas moins ce qu’on a droit d’appeler le terrorisme de la Grâce : on conçoit que Diderot ait trouvé ces doctrines funestes à l’humanité, et qu’il ait voulu faire à son tour, sous image d’île et d’océan, une contre-partie au tableau de Nicole. — Il y a aussi dans Pascal une comparaison du monde avec une île déserte, et les hommes y sont également de misérables égarés.

816. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Ils nous refuseraient volontiers le droit dont ils usent, et ne consentiraient point à dire qu’après tout chaque peuple a des sentiments qui lui sont propres, sa manière de concevoir le beau et de reconnaître la nature. […] Pour acquérir le droit de dessiner d’admirables caractères, de composer d’immortels monologues, de hasarder des scènes sublimes, des situations et des catastrophes véritablement tragiques, il a fallu qu’il consentît à les entremêler d’inepties populaires. […] laissons aux poètes le droit d’oser tout ce qui doit nous émouvoir et nous instruire, de trouver dans leur imagination, dans leur génie, ce qui achèvera l’histoire par une parfaite représentation des mœurs. […] L’unique donnée est la catastrophe, et les spectateurs ont droit de la redemander telle qu’elle est dans leurs souvenirs : puisque le poète l’a choisie, c’est qu’il l’a jugée immédiatement tragique.

817. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Professeur à la Faculté de Droit Colin, Ambroise (1862-1929) I. — Voici plus de vingt ans que je me trouve en rapport avec des milliers d’étudiants, soit dans les examens (si nombreux à Paris !), soit dans les conférences et travaux pratiques que j’ai dirigés à la Faculté de Droit. […] Est-ce qu’un idiome qui a exprimé des civilisations aussi différentes que celle de la République romaine et celle du moyen âge, qui a fourni au droit, a la théologie, à bien d’autres sciences encore, pendant des siècles, leur unique instrument d’élaboration et de diffusion, n’a pas donné les preuves les plus convaincantes de sa souplesse et de ses facultés d’adaptation à toutes les idées et à tous les faits ? […] L’avenir ne perdrait pas ses droits.

818. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Cette sagesse, au lieu d’être dogmatique, est douce et sereine ; elle paraît plutôt la volupté d’un esprit excellent et d’un cœur droit, qu’une conquête inquiète de la raison sur les mauvais penchants. […] Il l’est par cet esprit sensé qui proportionne ses émotions à leur cause, droit, sincère, aimant la liberté pour soi et pour autrui ; s’arrêtant en beaucoup de choses au doute, à cause de la douceur de cet état ; plus vif que passionné ; hors de toute grimace comme de tout sentiment excessif ; sensible sans transports ; tenant le milieu en tout dans la spéculation et dans la conduite ; un second Montaigne, mais plus doux, plus aimable, plus naïf que le premier. […] Or tandis que ce grand homme, toujours généreux, vantait, dans l’Amour médecin, « les airs et les symphonies de l’incomparable Lulli », celui-ci travaillait sous main à déposséder la troupe de Molière du droit de jouer des pièces mêlées de chant et de musique. Il y réussissait, il se faisait donner en 1672 un privilège exclusif sur toute la musique du royaume, à la trop juste indignation de Molière, qui réclamait auprès de Louis XIV, et qui en obtenait d’être maintenu dans son droit.

819. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

Après soixante ans de vie sérieuse, on a le droit de sourire, et où trouver une source de rire plus abondante, plus à portée, plus inoffensive qu’en soi-même ? […] Je serais assez aise d’avoir le droit de vie et de mort, pour ne pas en user, et j’aimerais fort à posséder des esclaves, pour être extrêmement doux avec eux et m’en faire adorer. […] Tout pesé, si j’avais à recommencer ma vie, avec le droit d’y faire des ratures, je n’y changerais rien. […] J’ai tant joui dans cette vie, que je n’ai vraiment pas le droit de réclamer une compensation d’outre-tombe ; c’est pour d’autres raisons que je me fâche parfois contre la mort ; elle est égalitaire à un degré qui m’irrite ; c’est une démocrate qui nous traite à coups de dynamite ; elle devrait au moins attendre, prendre notre heure, se mettre à notre disposition.

820. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Quand on ignoreroit que le choix des représentations dépend des Comédiens, & non du Public, on seroit encore en droit de leur répondre, que les Pieces de Corneille & de Racine ne paroissent si rarement, que parce qu'elles ont occupé la Scene pendant près d'un Siecle, qu'il est peu de personnes qui ne les sache par cœur, & que l'amour de la nouveauté fait souvent courir après des beautés frivoles, sans affoiblir le tribut d'admiration qu'on doit aux beautés solides. […] Qu'on en revienne donc à son pinceau séducteur, qui peut être regardé, entre ses mains, comme une baguette magique ; & qu'à ce titre on lui donne le premier rang parmi les Poëtes tragiques de ce Siecle, en réservant toutefois à Crébillon le droit de réclamer contre cette décision, parce qu'il a fait Electre, Atrée & Rhadamiste, qui annoncent le vrai génie de la Tragédie. […] L'Indiscret, la Femme qui a raison, la Prude, le Droit du Seigneur, l'Ecueil du Sage, la Comtesse de Givry, le Dépositaire, &c. sont autant de fruits malheureux de l'ambition qu'il a toujours eue de se distinguer dans toutes les parties de la Poésie. […]   En qualité d’Ecrivain Moraliste & de Philosophe, il eût pu acquérir des droits sur la reconnoissance des hommes, si les vérités utiles qui percent de temps en temps dans ses Ouvrages, n’étoient éclipsées par les erreurs nuisibles qui y sont répandues.

821. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

La paix de 1648 assura aux protestants l’exercice de leur culte, et aux petits souverains de l’Allemagne la jouissance et l’accroissement de leurs droits. […] Il voulut enfin s’assurer, de droit, l’indépendance dont il jouissait de fait ; et s’il échoua dans son entreprise, il ne faut pas attribuer sa chute à l’insuffisance des moyens dont il disposait, mais aux fautes que lui fit commettre un mélange bizarre de superstition et d’incertitude. […] Il me semble néanmoins facile de concevoir, malgré nos habitudes contraires, que ce trait, emprunté de la vie commune, est plus propre que la description la plus pathétique à faire ressortir la situation du héros de la pièce, d’un vieux guerrier couvert de gloire, fier de ses droits héréditaires et de son opulence antique, chef naguère de vassaux nombreux, maintenant renfermé dans un dernier asile, et luttant avec quelques amis intrépides et fidèles contre les horreurs de la disette et la vengeance de l’empereur. […] Thécla n’est point une jeune fille ordinaire, partagée entre l’inclination qu’elle ressent pour un jeune homme et sa soumission envers son père ; déguisant ou contenant le sentiment qui la domine, jusqu’à ce qu’elle ait obtenu le consentement de celui qui a le droit de disposer de sa main ; effrayée des obstacles qui menacent son bonheur ; enfin, éprouvant elle-même et donnant au spectateur une impression d’incertitude sur le résultat de son amour, et sur le parti qu’elle prendra si elle est trompée dans ses espérances.

822. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Non seulement elle passe de bien haut dans l’histoire par-dessus la tête vautrée de Henri VIII et de son Établissement, mais elle traite, avec une voix dont nous connaissons l’accent, nous, catholiques et romains, toute intervention de l’État dans l’Église, d’usurpation et de violation de droit. […] Nous voulons parler de l’affaire Hampden, en 1836, quand les anglo-catholiques revendiquèrent les droits de l’Église contre l’État. […] D’ailleurs, Oxford avait pour elle plus que la nécessité même : elle avait le double droit de sa tradition et de son institution. […] De terreur, l’Université dépassait son droit.

823. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

J’imagine que là même le talent personnel gardera quelques droits. […] Mais c’est notre droit de critique d’interroger ceux qui le suivent et se réclament de lui, qu’il encourage et protège, pour juger ce que valent ses théories, pour montrer ce qu’elles préconisent, d’où elles partent, où elles conduisent. […] L’amour-propre des vaincus a le droit d’être un peu susceptible ; le seul bien qui leur reste, c’est leur réputation : elle ne saurait leur être trop précieuse. […] Je conviens que les classes populaires ont leur droit de cité tout comme les autres dans la république de l’art.

824. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

C’est donc avec les réserves les plus prudentes que j’esquisse quelques étapes : l’homme primitif, loin d’être libre, était totalement asservi aux lois les plus dures de la nature physique, au droit du plus fort ; par l’invention des armes et des outils, première application de son intelligence, il commence son émancipation ; par la religion, il essaie de vaincre les instincts de la bête ; puis il conquiert peu à peu, sous des formes très diverses et toujours relatives, la liberté de la personne, de la conscience, les droits politiques, l’indépendance économique… C’est-à-dire : tandis que les groupes vont grandissant peu à peu dans l’espace, les principes s’en vont à une conception toujours plus vaste de la liberté. […] alors que la démocratie a fait la Révolution, comment croire encore à la monarchie de droit divin ? Tous ces retards ne sont pas le fait d’une masse inerte ; ils sont le fait de systèmes surannés, exploités par des politiciens de tout genre dont la triste habileté et le sale égoïsme s’opposent aux intérêts suprêmes de la communauté ; ce sont des crimes de lèse-humanité, des provocations à la violence. — Il y a des violences bestiales, inutiles : elles sont étroitement circonscrites dans l’espace et passagères ; il y a des violences nécessaires, provoquées par la négation des droits, qui réparent tant bien que mal, en quelques années, les retards séculaires de l’égoïsme inintelligent.

825. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

Daudet a usé d’un droit très incontestable. […] Il a ainsi le droit de prendre des allures de vieux marin, tonnerre de Brest. […] C’était son droit. […] Il demande sa part de dollars dans les droits d’auteur. […] Nous n’aurions pas alors le droit de nous dire : Mais non !

826. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 111-112

Rarement on respecte les droits de la société privée, quand on manque ainsi de respect à la société générale.

827. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 293

A l’âge de près de soixante ans, il commença à se douter qu’il pouvoit devenir Auteur ; exemple rare dans un siecle, où l’on n’attend pas si long-temps à se croire en droit d’assommer le Public par ses Ecrits.

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