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217. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

« Elle ne se repaît que de ses maux, elle ne s’abreuve que de ses larmes : mais le sommeil, ce doux consolateur des humains, qui leur apporte le repos et l’oubli de leurs peines, vient assoupir ses sens et ses douleurs et la couvre de ses ailes bienfaisantes. […] « Elle dit en pleurant : Arbres confidents de mes peines, conservez l’histoire de mes douleurs ! […] « Il allait mourir ; mais soudain il rappelle toutes ses forces autour de son cœur : étouffant la douleur qui le presse, il se hâte de rendre à son amante une vie immortelle pour celle qu’il lui a ôtée. […] « À cet aspect, les forces que Tancrède avait recueillies le quittent et l’abandonnent : il se remet tout entier sous la main de la douleur qui serre son cœur et le glace. […] « Le chef reconnaît le héros à ses armes : il accourt ; il reconnaît aussi Clorinde, et son cœur est percé de douleur.

218. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Cette armée de rudes croisés, qui ressemblent en leurs douleurs à une troupe de femmes en travail qui crient, c’est un trait énergique à joindre au tableau des pestes et épidémies célèbres6. […] Les hommes trop raffinés ou soi-disant philosophes n’ont plus de ces joies ni de ces douleurs ; mais replongez-les dans les épreuves naturelles, ils les retrouveront. […] Il y a des parties plus graves et qui font penser : par exemple, l’histoire de l’évêque Guillaume de Paris, interrogé par ce maître en théologie qui a des doutes sur le sacrement de l’autel et qui en pleure de douleur, et la réponse du prélat pour le consoler, son apologue des deux châteaux, l’un à la frontière et toujours menacé, qui a le mérite de résister, et l’autre, qui est le château de Montlhéry, paisible et en sûreté, mais sans gloire, au centre du royaume, la comparaison de ces deux châteaux avec les cœurs tentés ou tranquilles ; tout cela est spirituel, élevé et de tous les temps. […] [NdA] Ceci encore rappelle une des belles comparaisons d’Homère lorsqu’au chant XIme de l’Iliade, pour exprimer les douleurs d’Agamemnon blessé à la main ou à l’avant-bras et voulant continuer de combattre, il assimile les élancements qui le prennent tout d’un coup et ne lui laissent pas de répit à ceux d’une femme en couche.

219. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Elle y échoua, et ce fut pour elle une poignante douleur. […] La dévastation et les incendies célèbres qu’entraînèrent ces luttes d’ambition lui causèrent des peines inexprimables : « Quand je songe aux incendies, il me vient des frissons… Toutes les fois que je voulais m’endormir, je revoyais tout Heidelberg en feu ; cela me faisait lever en sursaut, de sorte que je faillis en tomber malade. » Elle en parle sans cesse, elle en saigne et en pleure après des années ; elle en garda à Louvois une haine éternelle : « J’éprouve une douleur amère, écrivait-elle trente ans après (3 novembre 1718), quand je pense à tout ce que M.  […] C’est ainsi qu’apprenant que cette princesse s’est évanouie de douleur à la nouvelle subite de la mort de l’électeur palatin, son père, Mme de Sévigné badine là-dessus : « Voilà Madame à crier, dit-elle, à pleurer, à faire un bruit étrange, on dit à s’évanouir, je n’en crois rien ; elle me paraît incapable de cette marque de faiblesse ; c’est tout ce que pourra faire la mort que de fixer tous ses esprits. » Fixer tous ses esprits, parce que ses esprits (dans la langue de la physique du temps) étaient toujours en mouvement et en grande agitation. […] Elle aida plus que personne à le consoler ou à le distraire de la mort de la duchesse de Bourgogne ; elle allait près de lui le soir, aux heures permises, et marquait qu’elle se plaisait dans sa compagnie : « Il n’y a que Madame qui ne me quitte pas, disait Louis XIV, je vois qu’elle est bien aise d’être avec moi. » Madame a ingénument exprimé le genre d’affection ouverte et sincère qu’elle se sentait pour Louis XIV, lorsqu’elle a dit : « Quand le roi eût été mon père, je n’aurais pu l’aimer plus que je ne l’ai aimé, et j’avais du plaisir à être avec lui. » Quand la santé du roi décline et qu’il approche de la dernière heure, on voit Madame dans ses lettres laisser éclater sa douleur à nu ; elle, dont le fils sera Régent, elle craint, plus que tout, le changement de règne : « Le roi n’est pas bien (15 août 1715) ; cela me tracasse au point que j’en suis à moitié malade ; j’en perds l’appétit et le sommeil.

220. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie de Maupertuis, par La Beaumelle. Ouvrage posthume » pp. 86-106

. — Maupertuis a une grande douleur, il vient de perdre son père. […] Je crains que cette lettre ne vous trouve dans le grand accablement de la douleur ; je vous prie de vous souvenir de ce que je vous ai dit à Potsdam, et songez que votre père, qui est mort à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, n’a jamais cru être immortel. […] Je crains que cette lettre ne vous trouve dans le grand accablement de la douleur. […] Il faut opposer à la douleur l’occupation et le plaisir.

221. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Mais, je le répète, je désirerais fort que vers la fin, au milieu des douleurs et de la sublimité de sentiments qui domine, il ne fût plus question de cette disposition insignifiante d’une si noble personne : la flamme de la lampe, en s’étendant, avait dû beaucoup user. […] » Ernest est parfait, mais il n’est pas idéal ; mais, après cette amère et religieuse douleur d’une amie morte pour lui, morte entre ses bras, après cette sanctifiante agonie au sortir de laquelle l’amant serait allé autrefois se jeter dans un cloître et prier éternellement pour l’âme de l’amante, lui, il rentre par degrés dans le monde ; il trouve moyen, avec le temps, d’obéir à l’ordre de celle qui est revenue à l’aimer comme une mère ; il finit par se marier et par être raisonnablement heureux. […] Il est des douleurs tellement irrémédiables à la fois et fécondes, que, malgré la fragilité de notre nature et le démenti de l’expérience, nous nous obstinons à les concevoir éternelles ; faibles, inconstants, médiocres nous-mêmes, nous vouons héroïquement au sacrifice les êtres qui ont inspiré de grandes préférences et causé de grandes infortunes ; nous nous les imaginons comme fixés désormais sur cette terre dans la situation sublime où l’élan d’une noble passion les a portés. — Mais nous n’en étions qu’au départ de Rome. […] Elle, ses gens, tout ce qu’elle possède, j’en dispose comme elle, et plus qu’elle ; elle se renferme chez moi toute seule et se prive de voir ses amis ; elle me sert sans m’approuver ni me désapprouver, c’est-à-dire elle m’a offert son carrosse pour envoyer chercher le Père Boursault, etc… » Ce qui ne touche pas moins que les sentiments de piété tendre dont Mlle Aïssé présente l’édifiant modèle, c’est l’inconsolable douleur du chevalier à ses derniers moments.

222. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

La tragédie appartient à des affections toujours les mêmes ; et comme elle peint la douleur, la source de ses effets est inépuisable. […] L’art dramatique, privé de toutes ces ressources factices, ne peut s’accroître que par la philosophie et la sensibilité : mais, dans ce genre, il n’a point de bornes ; car la douleur est un des plus puissants moyens de développement pour l’esprit humain. […] On ne croirait pas, dans la réalité, à la douleur d’un homme qui pourrait exprimer en vers ses regrets pour la mort d’un être qu’il aurait beaucoup aimé. […] Il y a donc nécessairement une profondeur de peine, un genre de vérité que l’expression poétique affaiblirait, et des situations simples dans la vie que la douleur rend terribles, mais que l’on ne peut soumettre à la rime, et revêtir des images qu’elle exige, sans y porter des idées étrangères à la suite naturelle des sentiments.

223. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

L’enfant est dévoré par la douleur. […] Ce malade a je ne sais quoi d’égaré dans les yeux, il sourit d’une manière effrayante, c’est sur son visage un mélange d’espérance, de douleur et de joie qui me confond. […] La tête de la mère qui implore pour son fils, bien coëffée, cheveux bien ajustés, est désagréable de physionomie, sa couleur n’a point assez de consistance, il n’y a point d’os sous cette peau, elle manque d’action, de mouvement, d’expression, elle a trop peu de douleur, en dépit de la larme que vous lui faites verser. […] Sa tête et son action font frémir, mais sa tête est belle, c’est une douleur terrible, mais qui n’a rien de hideux.

224. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Il est moral, l’effet même de cette passion coupable de Phèdre et de cette douleur vertueuse qui trouvait grâce et faveur devant Despréaux. […] À des degrés inférieurs, il est encore d’honorables places à saisir ; et, quoique le talent se laisse peu conseiller à l’avance, quoiqu’il appartienne à lui seul, dans ce fonds tant de fois remué, mais non pas épuisé, de l’observation naturelle et sociale, de découvrir de nouvelles formes et des aspects imprévus, qu’on nous permette d’exprimer ce seul vœu : c’est qu’il revienne enfin et qu’il s’attache désormais à étudier une nature humaine véritable, une nature saine et non corrompue, non raffinée ou viciée à plaisir, une nature ouverte aux vraies passions, aux vraies douleurs, sujette aux ridicules sincères, malade, quand elle l’est, des maladies générales, et naturelles encore, que tous comprennent, que tous reconnaissent et doivent éviter.

225. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

On objecta Werther, René, Byron, Adolphe, toutes les grandes douleurs philosophiques et aristocratiques, qui avaient su concilier la rêverie et la confidence avec un certain bon goût littéraire et un certain décorum de bonne compagnie. Mais ce pauvre diable de Joseph Delorme n’avait pas le choix des douleurs : ces nobles doléances ne lui allaient guère ; il n’aimait pas une dame polonaise, comme Adolphe ; il n’était pas pair du royaume, comme Byron ; il n’avait pas de château, d’aïeux en Bretagne comme René ; Werther était bien autrement philosophe que lui, bien plus avant que lui, plongé dans le sein de l’être et de la nature.

226. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Çà et là, dans l’arène, des cadavres. » À un endroit, le médecin Alexandre accourt « en levant des mains sanglantes » et en criant : Cher légat, le plus fort n’est pas maître De la douleur physique ; elle envahit tout l’être. […] Peut-être aussi y a-t-il un degré de douleur physique qui ne peut être dépassé, au-delà duquel la souffrance s’anéantit. […] … Pense Non pas à la douleur, mais à la récompense !

227. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Mais ce qui était en lui d’essentiel, c’était la puissance de sentir, l’accent communicatif de ses douleurs, ses audaces très sûres à la française et ces beautés tendres et déchirantes qui n’ont d’analogue que, dans un autre art, « l’Embarquement pour Cythère ». […] Seulement, comme c’est en même temps un poète inouï de douleur, d’ironie et de passion, je crois que je l’aime encore pour bien d’autres motifs que ses deux ancêtres, Jean de La Fontaine et Villon. […] Il est rejeté de la douleur vers le repentir, du plaisir vers l’expiation, de la joie vers la tristesse et la contrition.

228. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Baçon emprisonné sous la voûte d’un cachot, commandoit à son ame de franchir ces murs épais, elle méditoit l’ordre éternel de l’Univers, le mélange inévitable de bien & de mal, la succession nécessaire du plaisir & de la douleur. […] Chantre de Tancrede & d’Armide, je te suis dans tous les lieux où t’entraîne le destin le plus bizarre, je vois le charme de la Poësie, comme un baume vivifiant, ranimer ton ame flétrie par la douleur ; tu braves le sort & les ennemis en te jettant dans les bras des Muse ; la mort s’avance & tu ne l’apperçois pas ; ton œil ne se porte que vers l’immortalité. […] Il épanche sa douleur dans ses vers éloquens ; il se plaît dans ses plaintes, le succès de son esprit trompe son cœur, & il rend vaine la vengeance de son Tyran.

229. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Ainsi, pour nous charmer, la tragédie en pleurs D’Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs, D’Oreste parricide exprima les alarmes, Et pour nous divertir nous arracha des larmes. […] L’on y voit paraître tous les jours (outre l’indigence, la douleur et la mort) les désirs fougueux et les espérances trompées, les craintes désespérantes et les soucis dévorants. […] On a beau dire, la vue des misérables ne nous console point de l’être : sans compter que l’homme se porte avec soin à éviter, autant qu’il le peut, une si triste vue, pour jouir plus tranquillement des douceurs de la vie ; ou qu’il se rend dur et insensible sur les misères de ses pareils, oubliant qu’il est homme comme eux, et qu’il paiera chèrement de courtes joies par de longues douleurs.

230. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Emmerich, décloîtrée par les événements qui ruinèrent son couvent, dans les premières années de ce siècle, était retombée aux mains d’une famille à l’esprit étroit, peureux et abaissé ; et, par le fait, elle était plus durement cloîtrée entre les deux rideaux de son lit de douleur, qu’entre les murs d’un monastère. […] Dieu seul sait les efforts affreux de courage et d’abnégation que fit Brentano, pour tirer parfois ces deux malheureux rideaux et se pencher sur ce miraculeux lit de douleur où gisait la Visionnaire, pâmée sous la griffe de vautour de toutes les souffrances et la foudre de ses intuitions ! […] Il faut donc renvoyer à ces livres qu’il est impossible d’analyser, car ils tombèrent, émiettés par les douleurs qui la broyaient, des lèvres pâles de la Visionnaire sous la pieuse plume de Brentano !

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