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731. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « ??? » pp. 175-182

Supposez dans l’auteur du Blessé une intelligence plus mâle, un observateur plus profond, et le livre manqué, autant en esthétique qu’en morale, pouvait devenir une œuvre hardie d’effet, imposante d’enseignement et de conclusion. […] À cela on aurait gagné, non seulement le fond de son livre, mais la forme, — la forme, qui devient chaque jour dans le roman plus difficile, la forme, plus rare que ce qui est déjà si rare : les idées et les observations ! […] Mais, justement à cause de cette destinée, justement à cause du grand nombre de romans que nous avons déjà, et qui chaque jour vont se multipliant davantage, la forme du roman, sur laquelle on se blase, devient d’une prodigieuse difficulté.

732. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Ce que, par exemple, le Sonnet fut au xvie  siècle, ce que la Tragédie fut du xviie  siècle jusque dans les quinze premières du xixe 1, le Roman l’est devenu à cette heure. […] Ce genre d’ouvrage qui, en deux cent cinquante années, est devenu l’œuvre difficile et capitale que nous voyons, non-seulement n’a pas son pareil, mais n’a pas d’analogue dans les littératures antérieures. […] Elle ne tient pas à être savante, — et quand elle sent la nécessité de le devenir, soit qu’il s’agisse de l’esprit général d’un peuple ou du génie particulier d’un homme, c’est que le peuple ou cet homme ont déjà largement vécu.

733. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Que sont devenues ces autorités ? […] Né méfiant, il devint mystificateur. […] C’est à devenir fou. […] Bergeret devient luxurieux, sinon de corps, du moins de consentement. […] » L’élève Ségol, d’ailleurs, ne devint pas notaire.

734. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Shakespeare devint peu à peu ainsi directeur du théâtre et chef d’une troupe de comédiens. Il travaillait surtout pour le salaire ; il devint assez riche. […] Au retour Molière devint avocat, et s’associa aussi à quelques bourgeois amateurs de Paris pour jouer la comédie ; il y connut la Béjart, dont il devint amoureux. […] Ses farces renouvelées qu’il avait fait représenter dans ses courses en province devenaient des comédies à Paris. […] Sa belle-mère s’en irrita, la maison devint intenable ; on s’apaisa, mais l’affection que la Béjart avait eue pour lui s’éteignit.

735. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Dans la thèse française, qui est devenue la principale et pour laquelle il avait réservé ses plus grandes forces, M.  […] Rigault, même en le renfermant dans les termes de la seule littérature, est un des plus heureux et des plus féconds que l’on pût choisir, et son travail est devenu un livre qui offre le tableau complet d’un des épisodes les plus curieux de l’histoire de l’esprit. […] Ce sujet même de la querelle des anciens et des modernes, dès le premier moment où il s’est produit à l’état de question et où il est devenu un fait d’histoire littéraire, veut être exactement circonscrit. […] Il s’est flatté même en tous les points de surpasser les anciens ; il a voulu par le raisonnement réformer l’imagination, la poésie, comme le reste ; et ce qui était une révolution très légitime dans l’ordre de la pensée et de la science est devenu une insurrection contestée dans le domaine de la littérature.

736. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

Ce n’est plus un art seulement, c’est un moyen ; elle devient une arme pour l’esprit humain, qu’elle s’était contentée jusqu’alors d’instruire et d’amuser. […] Lorsque nous sommes émus, le son de la voix s’adoucit pour implorer la pitié, l’accent devient plus sévère pour exprimer une résolution généreuse ; il s’élève, il se précipite lorsqu’on veut entraîner à son opinion les auditeurs incertains qui nous entourent : le talent, c’est la faculté d’appeler à soi, quand on le veut, toutes les ressources, tous les effets des mouvements naturels ; c’est cette mobilité d’âme qui vous fait recevoir de l’imagination l’émotion que les autres hommes ne pourraient éprouver que par les événements de leur propre vie. […]  » Arie dit à Petus en lui remettant le poignard : « Tiens, cela ne fait point de mal. » Bossuet, en faisant l’éloge de Charles Ier dans l’Oraison funèbre de sa femme, s’arrête, et dit en montrant son cercueil : « Ce cœur, qui n’a jamais vécu que pour lui, se réveille, tout poudre qu’il est, et devient sensible, même sous ce drap mortuaire, au nom d’un époux si cher. » Émile, prêt à se venger de sa maîtresse, s’écrie : « Malheureux ! […] Lorsque la pensée ne peut jamais conduire à l’amélioration du sort des hommes, elle devient, pour ainsi dire, une occupation efféminée ou pédantesque.

737. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 10, continuation des preuves qui montrent que les anciens écrivoient en notes la déclamation » pp. 154-173

En quelques païs le souverain a été obligé d’exciter par des actes publics le peuple devenu protestant, à prendre les mêmes divertissemens les jours de dimanche après le service, qu’il prenoit bien avant que le culte religieux y eut été changé avec la confession de foi, sans qu’on l’y exhortât. […] Enfin il est devenu necessaire que le joüeur d’instrument qui doit donner des tons si difficiles à prendre, passât souvent d’un endroit de la scéne à l’autre, afin que les tons qu’il donneroit fussent mieux entendus des acteurs quand il seroit plus proche d’eux. […] Il est comme impossible que le geste des personnes qui parlent une langue dont la prononciation est devenue plus vive et plus accentuée, ne devienne pas aussi et plus vif et plus fréquent.

738. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

Car voilà ce qu’est devenue Mme Augustus Craven, l’inconsolable fille et sœur des Laferronnais ! Ce n’était pas assez pour elle d’être devenue un bas-bleu comme Mme Zénaïde Fleuriot, il fallait encore qu’elle fût une rosière d’académie, comme le fut Collet Attendrie au Récit d’une sœur comme une personne naturelle et comme si elle comprenait quelque chose à ce qu’il y a de plus beau en ce récit, c’est-à-dire à l’ardeur du catholicisme qu’on y respire, l’Académie, ce Sanhédrin de vieux voltairiens, de sceptiques, d’éclectiques, et dont les évêques se sauvent épouvantés depuis qu’il y entre des athées, Pavait flétrie de sa couronne, — de cette couronne dont les feuilles de laurier sont des pièces de cent sous. […] Mme Craven est devenue une tête à couronnes comme on est une tête à perruques. […] Que sont devenus les romans de Mme de Flahaut, de Mme de Genlis, de Mme Sophie Gay, de Mme de Duras, l’auteur d’Ourika et d’Édouard, de petits Livres d’or, disait Sainte-Beuve, ce critique-femme des femmes ; de Mme Desbordes-Valmore, qu’on reconnaissait poëte encore quand elle écrivait des romans ?

739. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

C’est ainsi qu’elles deviennent les trois furies sous le fouet desquelles va tourner ce nouvel Oreste. […] Reçu par les hautes classes de son temps, comme elles recevaient, ces folles, à la veille de périr, tous ces hommes qui allaient devenir leurs bourreaux, il dut porter jusque parmi elles ces rages de déclassé vexé qu’on retrouve encore dans son livre. […] Le conseil que nous avons donné à tout bâtard, qui, ne pouvant être un descendant, peut du moins devenir un ancêtre, — en fuyant les mœurs dont il est la première victime, — n’a point révolté leur intelligente fierté. […] IX « Il y a plus bête que les préjugés, — disait un homme d’esprit, — ce sont ceux-là qui les attaquent. » Le mot n’est que gai, dans sa forme concise et légère, mais creusez-le, il deviendra sérieux.

740. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Toujours est-il que nous devînmes Allemands de pied en cap, et que nous mîmes à nous faire lourds cette souplesse d’Alcibiade qui nous distingue. […] qui travaillait son souffle comme un flûtiste travaille le sien pour le faire passer dans le petit trou de sa flûte, est devenu plus qu’un homme et plus que Shakespeare. Il est devenu une grande chose ! […] Sainte-Beuve vieillissant le devint, — car, jeune, il écrivait Joseph Delorme, et il était vivant (malsain, sentant le carabin et l’hôpital, mais vivant !).

741. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Oscar de Vallée » pp. 275-289

Grâce à Fréron et à Grimm, l’un dans son Année littéraire, l’autre dans sa Correspondance, le journalisme était né en littérature ; mais pour qu’il devînt le journalisme politique, le journalisme tel que le conçoit et l’a réalisé l’esprit moderne, il fallait que la Révolution éclatât. […] Le poète qui, jusque-là, n’avait chanté que l’amour, l’amitié, tous ses sentiments personnels, et qui forçait son génie à tenir archaïquement dans des vers que par le contour, la grâce et la perfection grecque, on pouvait croire du pays de sa mère, devint un prosateur à la phrase carrée du xviie  siècle, balancée dans le mouvement, continu et contenu, de l’orateur. […] André Chénier, le tendre Chénier, le pur et juste Chénier, qui devint l’héroïque et intrépide Chénier, ne fut pas plus chrétien que tout son siècle. […] Certes, Chénier n’eût pas été plus intrépide contre les bourreaux de la France, qui devinrent les siens, quand il aurait été chrétien.

742. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

… » La beauté de Madame Récamier est insaisissable, et les récits qu’on en a faits à ceux qui ne l’ont pas vue sont comme les portraits qu’on en voit… C’est le camée des beautés du temps, commun à en devenir vulgaire : le camée de Pauline Borghèse, de Madame de Rovigo, de Madame de Custine, de Mademoiselle Georges, de Mademoiselle Mars. […] Elle lui dit qu’il n’était plus Benjamin Constant, qu’il se dissolvait, qu’il tombait par morceaux, qu’il était changé à faire peur, qu’il perdait son talent, qu’il n’avait plus d’esprit, qu’il devenait bête et idiot, lui, le Voltaire du temps ! […] Et, dans la rage de l’amour exaspéré auquel cette Image accomplie de femme ne donnait rien, le mendiant ne devint pas voleur, quand l’honneur d’un pareil amour et d’un pareil désespoir était peut-être de le devenir !

743. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Perdu dans l’abstraction où ils se perdent tous, il a dédaigné de regarder cette tête de l’homme, qui s’est déformé en tombant et dont les facultés, devenues inaptes à saisir la vérité d’une prise souveraine, ne font plus pour la prendre que de gauches mouvements. […] Diderot, qui était presque un Allemand du dix-neuvième siècle parmi les Français du dix-huitième, écrivait avec le même aplomb qu’Hegel : « On ne sait pas plus ce que les animaux étaient autrefois qu’on ne sait ce qu’ils deviendront. — L’homme est un clavecin, doué de sensibilité et de mémoire… Que ce clavecin animé et sensible soit doué aussi de la faculté de se nourrir et de se reproduire, et il produira de petits clavecins. » Il disait : « Même substance, différemment organisée, la serinette est de bois, l’homme de chair. » Et encore : « Nos organes ne sont que des animaux distincts que la loi de continuité tient dans une identité générale », et il concluait comme s’il l’avait vu : « Quand on a vu la matière inerte passer à l’état sensible, rien ne doit plus étonner !  […] Mais, au fond, dans toutes ces stupides et éloquentes matérialités de Diderot, il n’y avait pas plus d’audace et de niaiserie que dans la théorie idéaliste d’Hegel, cette théorie qui croit aller du néant au devenir, de l’être à la notion, du sujet à l’objet, du fini à l’infini, de la connaissance à la volonté, bref, de l’Idée à la Nature, et qui n’y va pas ! […] Seulement, il y a deux manières d’aimer la philosophie : — comme sa maîtresse, on lui passe tout ; comme sa fille, on devient exigeant pour elle.

744. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Nulle idéale lourdeur ne pourrait y avoir, en effet, un succès plus grand que cette mince chose transparente, à travers laquelle on voit si bien… ce qui n’y est pas, et qui nous donnerait presque à croire que les Allemands, à force de sauter par les fenêtres pour se faire vifs, ont enfin réussi à devenir légers. […] elle y est, mais il faut la faire jaillir ; il faut savoir la dégager des innocences qui l’entourent [et l’éteignent : « Persuadez-vous que votre santé est bonne — dit l’auteur de l’Hygiène de l’âme, qui a l’air de se moquer de vous, mais qui ne s’en moque point ; — persuadez-vous que votre santé est bonne, et elle pourra le devenir. » Voilà l’innocence. […] M. le docteur de Feuchtersleben, c’est le Platon du spiritualisme multiplié par Jocrisse, mais par Jocrisse qui aurait passé de France en Allemagne, qui y aurait pris des lettres de naturalité, puis y aurait gagné des lettres de noblesse, et y serait enfin devenu M. le baron de Feuchtersleben. […] Pour combattre l’hypocondrie, une maladie qui fut toujours la tête de Méduse pour sa perruque de médecin, il n’y avait qu’à méditer « l’idée de Dieu et ses lois éternelles », et il les avait méditées, et s’il eût pu devenir brahmane, il n’eût plus eu même une colique ; car on sait que jamais les brahmanes ne meurent du choléra-morbus !

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