/ 1977
1839. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Mais un abandon entier à son impression, une continuelle impétuosité de sentiment, une irritabilité si délicate et si vive, ont produit ce pathétique, cet entraînement irrésistible, cette verve d’éloquence ou de plaisanterie, cette grâce continuelle qui découle d’une facilité sans bornes. […] Mais les sentiments délicats, la douce et vraie sensibilité, les mouvements généreux lui inspirent une sorte de chaleur, sans déclamation, sans affectation, qui parvient à émouvoir dans ce genre, le seul où il ait réussi : il est loin de Térence et de sa touchante simplicité, mais pourtant il le rappelle quelquefois. […] On doit même remarquer que, n’ayant aucune défiance de lui-même, sûr de sa propre croyance, il s’est plus franchement livré à faire une large part à la nature physique ; et précisément parce qu’il ne songeait pas à douter de l’essence divine de l’âme, sa métaphysique semble toucher davantage au matérialisme ; si bien que, dans un de ses derniers écrits, il a paru convenir que toutes ses recherches s’appliquaient, non pas à l’âme elle-même, mais à une certaine âme physique, formée d’une manière délicate, subtile et mystérieuse, par l’intermédiaire de laquelle l’âme, proprement dite, communique avec le corps. […] Il semble que la légère contrainte à laquelle on est soumis pour revêtir la pensée de la forme des vers, fixe l’attention plus particulièrement sur cette pensée, la fait pénétrer plus avant, lui donne une action plus vive et plus délicate sur le sentiment du poète, et conséquemment sur celui du lecteur.

1840. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Cette situation délicate a été, pour Prévost, l’occasion d’un éclatant triomphe. […] Un pareil rapprochement n’est pas invraisemblable, mais il ne peut manquer de blesser le lecteur le moins délicat. […] L’étude de l’antiquité est trop négligée pour qu’il soit permis d’attendre de la foule un jugement clairvoyant dans ces questions délicates.

1841. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Mais on ne sçauroit faire le même reproche à Adrien, qui d’ailleurs avoit le goût fort délicat ; et cependant il avoit le même mépris pour Homere ; il faut que le méchant homme ait bien jugé, ou que l’honnête homme ait jugé mal. […] Je sçai trop qu’elles ne peuvent rien contre une admiration invétérée ; qu’il n’y a pas moyen de convaincre un homme qu’une chose est froide, quand il a résolu de la trouver vive ; que même, plus il a d’esprit, mieux il élude les preuves délicates qu’on lui oppose ; et qu’enfin l’erreur est plus féconde en sophismes, que la vérité en bons raisonnemens. […] Nous ne jugeons point des expressions par analogie et par ressemblance, ce qui est très sujet à l’erreur ; car souvent ce qui paroîtroit se pouvoir dire, ne se dit pourtant pas : nous en jugeons par l’usage qui a ses caprices ; et c’est même par la connoissance délicate de cet usage, que nous distinguons ce qui est heureusement hazardé, des licences malheureuses et sans goût.

1842. (1932) Les idées politiques de la France

Le christianisme et les laïques Mais le rôle grandissant des laïques, de l’esprit laïque, de l’invention laïque dans la vie intellectuelle et spirituelle de l’Église de France ont fait tout de même une situation délicate à la hiérarchie cléricale. […] Le ministre doctrinaire le plus éminent qui ait gouverné l’Instruction publique, Léon Bourgeois, était un homme politique supérieur, l’esprit le plus libéral et le plus délicat, de climat girondin, comme M.  […] Il n’en illustre pas moins la situation délicate de la doctrine socialiste, lorsqu’elle veut distinguer entre la petite et la moyenne propriété, entre la propriété paysanne et la propriété commerciale et industrielle, conserver l’une et condamner l’autre.

1843. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Un seul poète dans le monde, c’est Hafiz en Perse, peut rivaliser de perfection avec le poète latin ; mais Hafiz est à la fois plus lyrique, plus voluptueux, plus délicat et plus coloriste dans ses odes, parce qu’Hafiz est l’Orient et qu’Horace est l’Occident.

1844. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Sa complexion faible et délicate ne pouvait résister à tant de maux réunis : depuis quelque temps, je m’apercevais que sa perte était inévitable, et tel était son triste sort, que j’étais forcé de la désirer.

1845. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Jamais Pascal n’abonde dans son sens, n’exagère ses preuves, ne force ses interprétations, ou ne se contente de voir à demi, comme il arrive au docteur que le zèle du mandat, l’esprit de la profession, l’habit, rendent moins délicat sur la qualité et la force des preuves.

1846. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

V J’ai été doué, comme tous les poètes, d’une fibre très sensible, qui doit par conséquent frissonner plus vite et vibrer plus profondément au toucher le plus délicat ou le plus rude des choses humaines.

1847. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Quoi qu’en ait écrit ce délicat, mes pages n’évoquent pas l’idée d’un charretier en colère ; elles visent d’ailleurs uniquement M.  […] Aussi me bornerai-je à lui emprunter quelques-uns des passages dont il s’est lui-même servi avec la plus heureuse finesse, et je commencerai par celui-ci qui est capital : le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. « (essai sur les données immédiates de la conscience, p. 99.) » M. 

1848. (1922) Gustave Flaubert

Toutes les fois qu’Emma est purement sensuelle, il en parle avec une émotion délicate et presque religieuse, comme Milton parle d’Ève ; il quitte le ton impassible ou ironique, il s’abandonne à cette musique par laquelle l’auteur assume son personnage et le prend pour son substitut. […] Que d’hommes aux nerfs délicats et trop sensibles — Flaubert peut-être — souhaiteraient que le destin leur eût donné ce caractère sans tendresse ni méchanceté, avec de l’indifférence, de la correction, de la dureté, un type de sous-officier de cavalerie ! […] De simples avocats commandaient à des généraux, des va-nu-pieds battaient des rois. » Cuistre et fanatique, avide de « partager » avec Frédéric sans lui garder plus de reconnaissance qu’à l’employé qui vous paye un mandat, il a cependant pour Frédéric le respect un peu étonné d’une nature sèche pour une nature plus délicate et capable de jouir. […] Ils me fatiguent. » Au contraire, le petit tableau de la mythologie latine, où Flaubert n’est pas écrasé par son sujet, forme un délicat et joli tableau. […] Voilà ce que Flaubert a mis en valeur de la façon la plus délicate et la plus subtile en faisant croiser l’histoire de Félicité par l’histoire tout court, en ménageant comme un peintre hollandais les plans de transition entre cette durée individuelle et une durée historique.

1849. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Elle a été cultivée par les plus grands esprits : moralistes, écrivains comiques ou satiriques, artistes, tous ont trouvé moyen de saisir les nuances les plus délicates du monde intérieur et de les fixer. […] Cependant par la volonté, nous pouvons détourner le regard de notre conscience du plaisir ou de la douleur, ou les rendre plus intenses en fixant sur eux notre attention ; nous pouvons trouver dans la douleur même des plaisirs très délicats : la mélancolie par exemple ; mais malgré ces différentes influences que nous avons sur ces sentiments, nous n’en sommes jamais maîtres absolus. […] En goûtant un mets délicat, le goût seul et non le moi tout entier éprouve un certain plaisir. […] Elle a été souvent remaniée et s’est élevée peu à peu de l’apologie des plaisirs les moins délicats jusqu’à l’appréciation des sentiments les plus élevés et les plus désintéressés. […] Les plaisirs du goût sont bien plus vifs que ceux de la vue, et nous trouvons pourtant le plaisir de contempler une œuvre d’art supérieur à celui de manger des mets délicats.

1850. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Mais à qui s’adresser pour cette question délicate ?

1851. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Je ne sais en ce genre-là de vraiment délicat que le petit conte : Point de Lendemain, de Denon, qu’on peut citer sans danger, puisqu’on ne trouvera nulle part à le lire173.

1852. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

La cour de Turin se souvenait trop de sa conduite compromettante dans l’affaire de Savary et de Napoléon pour lui confier le maniement très délicat d’une politique qui ne pouvait vivre que de ménagements et de prudence envers la France, l’Angleterre et l’Autriche.

/ 1977