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925. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

« L’idylle hébélienne — disait en 1847 un critique distingué, le professeur Rapp de Tübingen, — est dans la littérature allemande quelque chose de si complètement à part, que nous ne la comprenons pas nous-mêmes dans le cercle ordinaire de la littérature, À nous, Allemands du sud, à qui Hebel tient si fortement au cœur, cela fait déjà mal quand on nous dit que quelqu’un a cherché à traduire ces poésies en haut allemand ; car il y a pour nous comme une profanation de l’intimité avec laquelle nous honorons ces produits. » Et le mot produits est bien dit, il marque mieux qu’un autre l’autochtonie du talent de Hebel. […] Cela ne lui réussit pas toujours, mais, quand il réussit, son œuvre est parfaite. » Ôtez, pour les comprendre en français, toute cette phraséologie allemande d’abstractions et d’images, toutes ces bandelettes de momie dans lesquelles les Allemands cerclent leurs plus vivantes pensées, et vous trouverez, quand vous lirez Hebel, que Goethe et Jean-Paul ont dit vrai.

926. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

je comprends la misanthropie. Je comprends l’impiété, cette misanthropie contre Dieu !

927. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

A part toute opinion politique, et pour qui ne veut voir que les grands effets et la beauté des choses telle que les artistes et les poètes la comprennent, nulle période dans le monde moderne ne fut poétiquement supérieure à cette période de l’Empire dont nous, prosaïque et pacifique génération, sommes si rapprochés et si séparés en même temps, — car il est des moments dans l’Histoire où la longueur d’une lame d’épée semble quelque chose d’infini. […] Belmontet, qui l’a bien compris, nous dit dans la préface de son livre que la poésie des civilisations comme la nôtre ne doit plus être que sociale, et que les temps de la poésie individuelle sont révolus.

928. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Outre que j’avais le goût de comprendre tous les états d’âme, j’avais trop de sens esthétique pour flétrir ceux qui jouissent. […] Se pénétrer du sentiment des nécessités qui nous plient et qui nous traînent, se persuader que toute la sagesse consiste à les comprendre ou à les accepter, c’est le stoïcisme des anciens, et voilà qui est pour moi de qualité religieuse.‌

929. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

En traitant de ce sujet, nous ne pouvons omettre une observation importante qui jette beaucoup de jour sur celle que nous avons faite dans la Méthode (il nous est aujourd’hui difficile de comprendre, impossible d’imaginer la manière de penser des premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne 80). […] On doit comprendre d’après ce qui précède, pourquoi les descriptions héroïques, telles que celles d’Homère, ont tant d’éclat, et sont si frappantes, que tous les poètes des âges suivants n’ont pu les imiter, bien loin de les égaler.

930. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Est-ce que vous ne comprenez pas bien tout ceci, Sainte-Beuve ? […] Personne ne la comprend et nous avons beau essayer l’analyse logique, nous ne parvenons pas à éclairer nôtre lanterne. […] C’est qu’on aurait mal compris son caractère. […] Il le comprit, et le fit comprendra à ceux qui avaient combattu et vaincu avec lui : les mauvais Anges acceptèrent de passer pour les bons Anges enfouis aux éternelles ténèbres, tandis que Lucifer tenait lieu de Jéhovah déchu. […] Sachez comprendre le bienfait de la demi-solitude qui en est la loi.

931. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Tel était l’homme presque parfait avec lequel j’ai eu le bonheur d’être lié, depuis le jour où il répandit son nom dans le monde, jusqu’à aujourd’hui où je le pleure ; notre liaison n’a jamais eu ni une ivresse ni une déception, même aux jours les plus orageux de mon existence, parce qu’il a compris mes faiblesses comme j’ai compris sa raison. […] L’excellent esprit de M. de Vigny était de sa nature propre à comprendre cette vérité. […] Et la multitude ne l’entend pas ; elle répond : Je ne te comprends point ! […] « Car son langage choisi n’est compris que d’un très petit nombre d’hommes choisi lui-même. […] — Je ne puis comprendre comment j’ai écrit cela. 

932. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Il a compris ce que l’on attendait du plus grand pouvoir moral qui soit parmi les hommes, et le plus ancien. […] C’est un recueil de conférences prononcées il y a quelques années en Amérique ou en Angleterre, et dont l’intention générale, si je l’ai bien comprise, est d’établir qu’on ne trouve Dieu qu’en le cherchant en soi-même. […] Je comprends moins qu’il l’ait accepté ! […] Et finalement, un si beau banquet, à cent sous par tête, café, cognac et tabac compris ! […] C’est pourquoi je ne comprends rien aux paroles déclamatoires par lesquelles, dans la Justice, m’a répondu naguère le docteur Clémenceau.

933. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Ensuite, dans la parole intérieure, nous pouvons nous dispenser d’articuler correctement, ce qui prend du temps ; nous n’abrégeons pas les mots, mais parfois nous nous contentons de les esquisser, et cela nous suffit pour nous entendre ; c’est ainsi qu’un enfant qui a un défaut de langue est compris par lui-même et par ses parents, tandis que son langage est inintelligible à des étrangers. […] La parole extérieure est assujettie à certaines conditions, les unes physiologiques, les autres sociales : à parler trop vite, la langue s’embarrasse ; si l’on parvient, comme certains acteurs, à concilier une extrême volubilité avec l’articulation la plus nette, on est mal compris par des auditeurs dont on surmène l’attention ; pour parler distinctement, se faire bien entendre et bien comprendre, il faut parler lentement ; puis il y a la nécessité toute physique de reprendre haleine de temps en temps, la parole n’ayant lieu que pendant l’expiration, le larynx étant impropre à vibrer normalement durant l’aspiration. […] Analysant, réfléchissant, discutant des définitions, comparant des arguments, le psychologue-logicien se parle intérieurement ; il s’observe, — si tant est qu’il s’observe, — il s’étudie, du moins, avec la parole intérieure ; on pourrait dire qu’alors elle fait partie du sujet pensant ; mais elle n’est pas comprise dans l’objet étudié, car le sens commun l’ignore. […] De même, il faut voir de pures métaphores dans s’entendre soi-même (pour se comprendre) et entendement (pour pensée), locutions invoquées, avec s’entretenir avec soi-même, par Bonald (Dissertations, p. 249 ; Recherches, ch.  […] […]Comprendrait-on le pouvoir expressif ou plutôt suggestif de la musique, si l’on n’admettait pas que nous répétons intérieurement les sons entendus, de manière à nous replacer dans l’état psychologique d’où ils sont sortis, état original, qu’on ne saurait exprimer, mais que les mouvements adoptés par l’ensemble de notre corps nous suggèrent ? 

934. (1922) Gustave Flaubert

Il ne comprend absolument rien au droit et n’en saura jamais rien de rien. […] Mais en même temps qu’il écrivait, il étudiait les maîtres et il comprenait la grandeur de son art. […] Ce qui n’empêche pas Flaubert d’écrire, et comme nous le comprenons ! […] Les mercenaires le comprenaient ; aussi leur indignation éclatait en menaces et en débordements. […] On comprend qu’Antoine s’écrie : « Grâce !

935. (1902) La poésie nouvelle

Elle semble avoir eu le caractère précisément qu’il fallait pour ne pas comprendre du tout son aventurier de fils, — difficile à comprendre du reste, — et lui rendit insupportable son autorité d’abord, toute autorité bientôt. […] comprend-on ? […] Ses yeux disaient : « Comprenez-vous ‌ Pourquoi ne comprenez-vous pas ?  […] (Comprenez-vous ?) ‌ […] Elle l’est moins que ne l’ont dit des critiques un peu las ; ils ont plus vite fait de déclarer inintelligibles des poèmes que de les comprendre.

936. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Il en était venu à tout considérer et à tout comprendre. […] Il vit beaucoup, à cette époque, une femme connue par ses ouvrages, par l’agrément de son commerce et sa beauté78, s’imaginant qu’il en était épris, et tâchant, à force de soins, de le lui faire comprendre. […] Voici quelques vers commencés que nous trouvons dans ses papiers : Thérèse, que les Dieux firent en vain si belle, Vous que vos seuls dédains ont su trouver fidèle, Dont l’esprit s’éblouit à ses seules lueurs, Qui des combats du cœur n’aimez que la victoire, Et qui rêvez d’amour comme on rêve de gloire,  L’œil fier et non voilé de pleurs ; Vous qu’en secret jamais un nom ne vient distraire, Qui n’aimez qu’à compter, comme une reine altière, La foule des vassaux s’empressant sur vos pas ; Vous à qui leurs cent voix sont douces à comprendre, Mais qui n’eûtes jamais une âme pour entendre Des vœux qu’on murmure plus bas ; Thérèse, pour longtemps adieu ! […] La pensée de l’art noblement conçu le soutient et donne à ses travaux une dignité que n’avaient pas ses premiers essais, simples épanchements de son âme et de sa vie habituelle. — Il comprend tout, aspire à tout, et n’est maître de rien ni de lui-même. […] Il n’a pas pris assez de fierté et d’étendue pour dominer toute cette nature, pour l’écouter, la comprendre, la traduire dans ses grands spectacles.

937. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Elle a écouté et elle a compris… Et déjà ces enfants ont dépassé leurs pères et senti le vide de leurs doctrines. Une foi nouvelle s’est fait pressentir à eux : ils s’attachent à cette perspective ravissante avec enthousiasme, avec conviction, avec résolution… Supérieurs à tout ce qui les entoure, ils ne sauraient être dominés ni par le fanatisme renaissant, ni par l’égoïsme sans croyance qui couvre la société… Ils ont le sentiment de leur mission et l’intelligence de leur époque ; ils comprennent ce que leurs pères n’ont point compris, ce que leurs tyrans corrompus n’entendent pas ; ils savent ce que c’est qu’une révolution, et ils le savent parce qu’ils sont venus à propos. » Dans le morceau (Comment les Dogmes finissent) dont nous pourrions citer bien d’autres passages, dans ce manifeste le plus explicite et le plus général assurément qui ait formulé les espérances de la jeune élite persécutée, M.  […] Dans une génération où chacun presque possède à un haut degré la facilité de saisir et de comprendre ce qui s’offre, son caractère distinctif, à lui par-dessus tous, est encore la compréhension, l’intelligence. […] « Les événements, a-t-il dit quelque part, sont si absolument déterminés par les idées, et les idées se succèdent et s’enchaînent d’une manière si fatale, que la seule chose dont le philosophe puisse être tenté, c’est de se croiser les bras et de regarder s’accomplir des révolutions auxquelles les hommes peuvent si peu. » Voilà tout entier dans cet aveu notre philosophe-pasteur : voir, regarder, assister, comprendre, expliquer.

938. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Sans se parler jamais, la Jumelle et Didier finirent par comprendre qu’il y avait entre eux deux un secret, qu’aucun des deux n’osait tout à fait ni révéler ni comprendre. […] On en plaisantait à la table rustique ; on ne pouvait comprendre que la plus belle jeune fille de tout le pays, qui avait le choix entre les prétendants de tous les villages, eût choisi pour son fiancé un pauvre adolescent qu’on se figurait encore enfant à cause de la candeur de son esprit et de la docilité de son caractère. […] « Mais à la troisième il m’a dit : — « Je te comprends ; tu auras ma fille. […] Voilà la première ode que j’entendis ; voilà comment je compris que le besoin de chanter, quand l’âme est émue jusqu’à l’enthousiasme par la joie, est un instinct inné de l’homme chez le paysan comme chez le lettré.

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