Je ne m’attacherai qu’aux circonstances principales où il se dessine avec toute son originalité et son caractère. […] Ceci nous amène à parler avec quelque étendue de l’acte militaire, peut-être unique en son genre par les circonstances, et qui fait à jamais sa gloire, de l’admirable défense de Sienne.
Il y a longtemps que si les hommes écrivaient aussi bien qu’ils parlent, ou que si l’on écrivait pour eux ce qu’ils disent dans les circonstances décisives où ils se trouvent, il y aurait quantité d’écrivains qui n’en seraient que plus mémorables pour ne pas être du métier : mais, parmi ceux qui ont songé à écrire ou à dicter après coup ce qu’ils avaient dit ou ce qu’ils avaient fait, la plupart ont perdu, en se mettant dans cette position et comme dans cette attitude nouvelle, une partie de leurs facultés, de leurs ressources ; s’imaginant que c’était une grande affaire qu’ils entreprenaient, et préoccupés de leur effort, ils ont laissé fuir mille détails qui animent et qui donnent du charme ; ils se sont ressouvenus froidement, ou du moins incomplètement ; on n’a eu que l’ombre de leur action ou de leur verve première. […] Aux époques cultivées, où les hommes d’État et de guerre sont instruits aux lettres et ont aisément la plume à la mainp, un autre écueil tout opposé, c’est qu’ils fassent trop les écrivains en se ressouvenant, et qu’ils ajoutent par la phrase aux circonstances de l’action.
Peu après cette querelle de parti et cette polémique, la seule au reste qu’il eut dorénavant à soutenir, Ronsard publia en 1565 un recueil intitulé : Élégies, mascarades et bergerie ; ce sont pour la plupart des pièces de circonstance, des divertissements de cour qui furent représentés à des fêtes, et qui sont pour nous purement ennuyeux et sans intérêt ; mais j’y trouve en tête, sous le titre d’élégie, un discours en vers à la reine d’Angleterre Élisabeth, nouvellement en paix avec la France. […] [NdA] M. de Falloux dans son Histoire de saint Pie V, a rendu cette circonstance en des termes assez singuliers : « Pie V, dit-il, ne dédaigna pas non plus d’adresser des encouragements aux hommes lettrés qui prenaient un rang honorable dans la mêlée des intelligences, Ronsard ayant armé les muses au secours de la religion, le pape l’en remercia hautement par un bref. » M. de Falloux est certainement un homme poli : on vient de voir ce que c’était que cette mêlée des intelligences.
La guerre de Sept Ans exposa le prince Guillaume à de pénibles épreuves : mis à la tête d’une armée en juin 1757, dans les circonstances les plus difficiles, il ne sut point s’élever à la hauteur voulue ; il hésita, il manqua de résolution, et n’eut de manœuvres que pour faire retraite sur retraite ; il mérita que Frédéric lui écrivît : « Si vous vous retirez toujours, vous serez acculé à Berlin entre ci et quatre semaines. […] Loudon me rend grognard et fâcheux ; je ne disconviens pas qu’il en pourrait être quelque chose, et que, si nous l’avions bien battu, je m’adoucirais pour le genre humain… Tout cela est spirituel et gaiement dit, pour être écrit dans un camp, et surtout si l’on se reporte aux circonstances.
L’adversité a cela de particulier, qu’elle donne à Frédéric le sentiment du droit, qu’il n’a pas toujours eu très présent et très vif en toutes les circonstances de sa vie : en cette crise d’alors, il se considère comme iniquement assailli et traqué, lui le champion d’une grande et juste cause, le soutien de la liberté de l’Allemagne et de l’indépendance protestante : « L’Allemagne est à présent dans une terrible crise : je suis obligé de défendre seul ses libertés, ses privilèges et sa religion ; si je succombe, pour le coup, c’en sera fait. » Il ajoute ces remarquables paroles, qui ont dans sa bouche une singulière autorité et dont il paraît s’être mal souvenu dans d’autres temps : A-t-on jamais vu que trois grands princes complotent ensemble pour en détruire un quatrième qui ne leur a rien fait ? […] On sait les circonstances imprévues de la bataille de Rosbach : une marche fausse, prolongée, devant un ennemi bien posté, qui avait eu le temps de se ranger en bataille, amena une défaite facile et prompte, mais dont l’effet moral fut immense. « C’était une bataille en douceur, dit Frédéric en l’annonçant à la margrave (5 novembre).
Toutes les circonstances, même les plus futiles, de cette mémorable et unique soirée, lui restent gravées dans le cœur et y travailleront sourdement : « Son voyage à la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu’un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes. » Quand le lendemain du bal, partis au matin de la Vaubyessard, et de retour chez eux à l’heure du dîner, M. et Mme Bovary se retrouvent dans leur petit ménage, devant leur table modeste où fume une soupe à l’oignon et un morceau de veau à l’oseille, Bovary est heureux, il se frotte les mains en disant : « Cela fait plaisir de se retrouver chez soi ! […] Il y a une scène très piquante et très bien tissée : tandis que, dans son discours, le conseiller de préfecture qui préside s’élève sur les tons les plus graves aux considérations économiques, industrielles, politiques et morales que suggère la circonstance, Rodolphe, dans l’embrasure d’une fenêtre de la mairie, glisse à l’oreille de Mme Bovary les éternels propos qui lui ont tant de fois réussi auprès d’autres filles d’Ève.
On l'a arrêté pour lui fermer la bouche. » M. de Girardin, à qui l'on a quelquefois reproché de l’orgueil, eut tout lieu vraiment d’en concevoir en cette circonstance ; on l’avait jugé un homme. […] C’est au milieu de ces luttes de chaque jour que M. de Girardin, obéissant à l’un des instincts et à l’une des lois de son esprit, s’est formé de plus en plus un système complet et radical de politique ou plutôt d’organisation de la société, qui est généralement peu compris, et qu’il ne cesse d’appliquer comme pierre de touche en toute circonstance.
Il était bien avec Mme de Pompadour ; il était au mieux de tout temps avec les frères Paris, ces gros bonnets financiers de l’époque et d’une intelligence qui allait au génie ; le maréchal de Noailles lui avait dans toutes les circonstances témoigné une affection tendre, et il se fit fort de le détacher de l’infante pour le convertir à l’alliance saxonne. […] En un mot, le comte Vitzthum ne laisse rien perdre de l’influence manifeste ou secrète du maréchal de Saxe ; mais certainement il exagère, au moins dans l’expression, lorsqu’il semble donner à entendre que Maurice, dans ces circonstances et dans les mois qui suivirent, parla en maître, que la paix et la guerre dépendaient de lui, qu’il gouvernait à cette heure la France, qu’il fit son coup d’État (les mots y sont).
Génie instinctif, insouciant, volage et toujours livré au courant des circonstances, on n’a qu’à rapprocher quelques traits de sa vie pour le connaître et le comprendre. […] Jeté jeune et sans éducation régulière au milieu d’une littérature compassée et d’une poésie sans âme, il a dû hésiter longtemps, s’essayer en secret, se décourager maintes fois et se reprendre, tenter du nouveau dans bien des voies, et, en un mot, brûler bien des vers avant d’entrer en plein dans le genre unique que les circonstances ouvrirent à son cœur de citoyen.
Dans ce chef-d’œuvre, une ironie amère, une vertueuse indignation, les plus hautes qualités de poésie, ressortent du cadre étroit et des circonstances les plus minutieusement décrites de la vie réelle. […] André Chénier avait beaucoup réfléchi sur l’amitié et y portait des idées sages, des principes sûrs, applicables en tous les temps de dissidences littéraires : « J’ai évité, dit-il, de me lier avec quantité de gens de bien et de mérite, dont il est honorable d’être l’ami et utile d’être l’auditeur, mais que d’autres circonstances ou d’autres idées ont fait agir et penser autrement que moi.
L’on se reconnaît, dans les grandes circonstances, aux sentiments du cœur ; mais dans les rapports détaillés de la société, on ne s’entend que par les manières ; et la vulgarité portée à un certain degré, fait éprouver à celui qui en est le témoin ou l’objet, un sentiment d’embarras, de honte même, tout à fait insupportable. […] Les convenances sont l’image de la morale ; elles la supposent dans toutes les circonstances qui ne donnent pas encore l’occasion de la prouver ; elles entretiennent les hommes dans l’habitude de respecter l’opinion des hommes.
Pareillement, et par une autre série d’expériences, la tendance qui produisait le mot ta, définitivement précisée, correspondra non seulement à la possession, mais encore à cette circonstance supplémentaire que la chose possédée appartient à quelqu’un à qui l’on parle. […] En d’autres termes, il suffit de ressemblances fort légères entre divers objets pour susciter en nous un nom ou désignation particulière ; un enfant y réussit sans effort, et le génie des races bien douées, comme celui des grands esprits et notamment des inventeurs, consiste à remarquer des ressemblances plus délicates ou nouvelles, c’est-à-dire à sentir s’éveiller en eux, à l’aspect des choses, de petites tendances fines et, par suite, des noms distincts qui correspondent à des nuances imperceptibles pour les esprits vulgaires, à des caractères très menus enfouis sous l’amas des grosses circonstances frappantes, les seules qui soient capables, quand l’esprit est vulgaire, de laisser en lui leur empreinte et d’avoir en lui leur contrecoup. — Cette aptitude uns fois posée, le reste suit.
Elle se fût aussi plus facilement détachée de l’histoire : telle qu’elle est, elle a besoin d’être encadrée dans les circonstances, rapportée aux actions et aux intérêts qui lui ont donné lieu. […] Les phrases retentissantes qu’on cite de lui n’y font rien : il n’a rien du révolutionnaire, que les circonstances qui le produisent ; c’est un homme du centre gauche, et il excelle à la politique de couloirs.
. — Quoique j’eusse choisi dans ses œuvres ce qu’il y a de plus général et ce qui sent le moins son œuvre de circonstance, l’effet a été médiocre. […] Pour nous borner et en revenir au fait présent, les lectures publiques existent à Paris, elles ont commencé dans des circonstances, ce semble, défavorables ; elles en ont triomphé.