. — Mais Racine ? —Racine ?
Racine plus heureux (il le doit à Lancelot) le lit couramment, et il y puiserait sans effort, s’il ne préférait Euripide.
On sera donc peu étonné que le maréchal sût lui-même par cœur quantité de vers de Racine, de Corneille, et jusqu’à des vers d’opéra, et qu’il les citât à tout propos.
Qui a fait de ces vers-là n’a jamais dû rien entendre à ceux de Molière ni de Racine.
C’est joli, mais il me semble que la vraie mesure n’est pas où la met cet homme d’esprit, et de doctrine un peu trop idéale : Racine, par exemple, était un génie religieux et croyant, et nul n’a été plus que lui sensible et susceptible ; il était un amour-propre plus vulnérable que Molière ou Shakespeare.
Je n’ai pas tout dit de cette éducation inventive et agréable où « la conversation, les amusements, la table, tout, par les soins et l’habileté du maître, devenait leçon pour l’élève, et rien ne paraissait l’être. » Je n’ai rien dit du Télémaque, ce cours de thèmes comme il n’y en a jamais eu, qui n’est, a le bien voir, que la plus longue des fables de Fénelon, l’allégorie développée, devenue épique, et où l’auteur, abordant par les douces pentes de l’Odyssée la grandeur d’Homère, de cet Homère qui, « d’un seul trait met la nature toute nue devant les yeux », n’a fait, en le réduisant un peu, que lui donner la mesure et comme la modulation virgilienne, et le ramener en même temps aux convenances françaises, telles crue les entendaient les lecteurs de Racine.
Il y a des paradoxes vrais et des paradoxes fous : Mercier en avait des deux sortes ; il avait fini par proscrire indifféremment Raphaël, Racine, Newton et le rossignol.
Toutefois, Français de la tradition grecque et latine rajeunie, mais non brisée, ami surtout de la culture polie, studieuse, élaborée et perfectionnée, de la poésie des siècles d’Auguste, et, à leur défaut, des époques de Renaissance, le lendemain matin qui suit le jour de cette lecture, je reprends (tombant dans l’excès contraire sans doute) une ode latine en vers saphiques de Gray à son ami West, une dissertation d’Andrieux sur quelques points de la diction de Corneille, voire même les remarques grammaticales de d’Olivet sur Racine ; et aussi je me mets à goûter à loisir, et à retourner en tous sens, au plus pur rayon de l’aurore. le plus cristallin des sonnets de Pétrarque.
Sarcey a gardé l’intelligence et le culte de Racine, de Corneille, de Molière : il a fermé ses oreilles aux abominations russes ou Scandinaves.
Cette manière d’admirer Rabelais est celle de Montaigne, qui le range parmi les livres simplement plaisants ; c’est celle du xviie siècle tout entier, de Racine et de La Fontaine, lequel demandait naïvement à un docteur qui lui parlait de saint Augustin, si ce grand saint avait bien autant d’esprit que Rabelais.
Au xviie siècle, la Grèce ne fut pas aussi bien comprise ni aussi fidèlement retracée qu’on se le figure : Boileau qui, à la rigueur, entendait Homère et Longin, est cependant bien plus latin que grec ; Racine, dans ses imitations de génie et en s’inspirant de son propre cœur, n’a reproduit des anciens chefs-d’œuvre tragiques que les beautés pathétiques et sentimentales, si l’on peut dire, et il les a voulu concilier aussitôt avec les élégances françaises.
Il nous les a montrés misant sur le succès de tous les noms nouveaux, sur celui de Racine remplaçant Corneille dans l’admiration de la cour et de nos jours sur ceux de Tolstoï, d’Ibsen ou de Nietzsche.
À la vérité, Racine dans les Plaideurs, Corneille, parfois même Boileau, s’étaient laissés aller de temps à autre à ce déplacement de la césure, mais sans se rendre compte de l’avantage et de l’utilité d’une telle licence.
Corneille et Racine ont fait des discours admirables, et n’ont pas créé un seul personnage tout à fait vivant.