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637. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Il appartient au temps où la statuaire n’exprimait que des types surhumains et des pensées éternelles. […] Vivante image de la Beauté idéale, l’homme peut souiller ses formes éphémères, il n’atteint pas son type éternel. […] La plus petite, la plus fugitive goutte de vie, fixée par une atmosphère d’aromates, se cristallise, devient éternelle. […] Te voilà prise dans le cercle de l’immobile serpent qui se mord la queue autour de l’éternel cadran ! […] Le mystère inhérent à ce peuple étrange enveloppe ses éternels voyages.

638. (1887) Essais sur l’école romantique

        Chanter les lyres éternelles. […]        Sa pensée, orage éternel. […] Hugo pour être complet, sinon qu’il s’épure, qu’il prouve, en se châtiant par lui et par ses amis, que ce n’est pas l’éternelle condition de son talent d’être inégal et imparfait. […] C’est assez d’accomplir le voyage éternel. […] La partie matérielle, les descriptions des lieux et des costumes, les images excessives obstruent et étouffent ces lueurs trop rares de vérité éternelle qui nous apparaissent isolées dans le souvenir d’une lecture lointaine.

639. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Il nous représente l’éternel amant. […] C’est quand il est bon qu’il veut que la vertu corresponde à un ordre éternel. […] Si toute activité humaine n’est qu’un moment de l’Être éternel, n’est-ce pas s’associer à cet Être que de la comprendre ? […] Dans leur renoncement à chercher ce principe et cette fin, qui nous fuient d’une fuite éternelle, ils le sentent aussi, il y a une mutilation et ils s’efforcent de ne pas la sentir. […] Au nom de quoi la pureté, si Cunégonde, Pâquette et la Vieille incarnent l’éternel féminin ?

640. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

C’est à Dante poëte, à Dante, surtout citoyen et patriote qu’il s’adresse et qu’il demande assistance et recours dans cet abaissement du présent : « O père illustre du mètre toscan, si à vos sacrés rivages il parvient quelque nouvelle encore des choses de la terre et de cette patrie que tu as placée si haut, je sais bien que tu ne ressens point. de joie pour toi-même, car moins solides que la cire et que le sable sont les bronzes et les marbres au prix du renom que tu as laissé de toi ; et si tu as jamais pu, si tu pouvais un jour tomber de notre mémoire, que croisse notre malheur s’il peut croître encore, et que ta race inconnue de l’univers soit vouée à d’éternels gémissements ! […] Puis, comme aussi le vent Fait bruit dans le feuillage, à mon gré, je ramène Ce lointain de silence à cette voix prochaine : Le grand âge éternel m’apparaît, avec lui Tant de mortes saisons, et celle d’aujourd’hui, Vague écho. […] Nous aurions pu choisir d’autres pièces encore dans ce même caractère plaintif et passionné ; ce sont les sujets familiers et chers à tout poëte, premier amour, fuite du temps, perte de la jeunesse, réveil du cœur (il Risorgimento), mais relevés ici par une manière particulière de sentir, variations originales sur le thème lyrique éternel. […] Et souvent, aux accents de la cloche dernière, Aux funèbres échos de l’hymne qui conduit Les morts sans souvenir à l’éternelle nuit, Avec d’ardents soupirs et d’un élan sincère Il envia celui que le sépulcre enserre.

641. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

La diplomatie de chaque nation est l’expression de son caractère : Égoïste, superbe, religieuse, humanitaire et philosophique, en Angleterre ; Héroïque, généreuse et versatile, en France ; Immorale, cauteleuse et improbe, en Prusse ; Modeste, honnête et intéressée, en Hollande ; Ombrageuse et amphibie, en Belgique ; Persévérante, longanime, sans scrupule, mais non sans honnêteté, en Autriche ; Vaine, chevaleresque et loyale, en Espagne ; Grecque, habile, à petits manèges et à grandes vues, en Russie ; Consommée, universelle, sachant toutes les langues des cabinets, à Rome, Rome, la grande école de la diplomatie moderne, puissance qui ne vit que de politique sur la terre, d’empire sur les consciences, de ménagements avec les cours, de résistance derrière ce qui résiste, d’abandon de ce qui tombe, d’acquiescement aux faits accomplis ; Dépendante et adulatrice, dans les petites cours d’Allemagne et d’Italie, clientes de la force et de la victoire ; Hardie, inquiète, insatiable, en Piémont ; prompte à tout recevoir, quelle que soit la main qui donne ; prête à tout prendre, quelle que soit la main qui laisse envahir ; Alpestre, rude, pastorale, probe, mais intéressée, en Suisse ; non dépourvue d’une sorte d’habileté villageoise, se faisant appuyer par tout le monde, mais n’appuyant elle-même personne contre la fortune ; Enfin, simple et franche en Turquie, jouissance arriérée dans la voie de la corruption des cabinets européens ; puissance de bonne foi, dont la candeur est à la fois la vertu et la faiblesse ; puissance naïve qui n’a jamais eu de diplomatie que la ligne droite ; puissance qui a toujours cru à toutes les paroles, et qui n’a jamais manqué à la sienne ; puissance, enfin, destinée à être la grande et éternelle dupe de tous les cabinets, dupeurs de son ignorance et de sa loyauté. […] Les seuls complices de ce meurtre furent les exécuteurs ; et ce sont précisément ces exécuteurs qui en ont accusé sa main pour masquer leur main : mais ce sang, qu’on s’efforce vainement de laver sur leurs noms, s’y attachera comme une éternelle vengeance. […] XXIX Nous venons de voir que le système de M. de Talleyrand était la pacification de l’Europe, la réconciliation avec l’Autriche, l’armistice éternel avec l’Angleterre, les ménagements avec la Russie dans une perspective plus ou moins lointaine. […] Le traité de Fontainebleau était précisément le moyen d’allier indissolublement la France à la monarchie espagnole, sans porter atteinte au trône de la maison de Bourbon, et sans jeter entre l’Espagne et nous l’éternelle antipathie dynastique.

642. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

Il parla sur les lois éternelles d’aspiration et de respiration de la terre, sur la possibilité d’un déluge, au cas d’une affirmation d’humidité constante. […] Goethe dit qu’en général un sujet purement poétique était aussi préférable à un sujet politique que l’éternelle vérité de la nature l’est à une opinion de parti. […] … De montagne en montagne Flotte l’esprit éternel Qui pressent l’éternelle vie…… Nous nous assîmes de façon à avoir devant nous, pendant notre déjeuner, la vue libre sur la moitié de la Thuringe. — Nous mangeâmes une couple de perdrix rôties, avec du pain blanc tendre, et nous bûmes une bouteille de très bon vin, en nous servant d’une coupe d’or, qui se replie sur elle-même et que Goethe emporte dans ces excursions, enfermée dans un étui de cuir jaune.

643. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Il y a de lui trois paroles fameuses, d’un très beau sens, et qui, continuellement citées, entretiennent sa mémoire dans un éternel renouveau. […] C’est, dans les Géorgiques, l’hymen de Jupiter et de Cybèle, l’ivresse sacrée du printemps, la fraternité des plantes, des animaux et des hommes, la sérénité et la bienfaisance de la vie rustique  et le désespoir de l’Orphée symbolique, de l’éternel Orphée pleurant l’éternelle Euridyce. […] Cela, à la lettre : « Pour créer le monde, un grain de matière a suffi… Cette masse qui nous effraye n’est rien qu’un grain que l’Éternel a créé et mis en œuvre.

644. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

» Le peuple, qui ne comprenait pas bien d’abord ce murmure, parce que l’esprit de conquête l’avait fauché comme un pré, finit par s’y associer sans le comprendre, par la puissance d’une éternelle répétition. […] Ajoutons qu’un poète pindarique ne s’attache, par l’instinct même de son génie, qu’à chanter des choses grandes, permanentes, éternelles s’il le peut, des choses supérieures aux lieux, aux temps, aux mobiles opinions des hommes, aux passions variables et fugitives des partis et des factions, des choses, en un mot, aussi intéressantes et aussi vraies dans la postérité la plus reculée qu’aujourd’hui. […] Le poète pindarique s’adresse, dans sa pensée et dans ses œuvres, à l’auditoire le plus vaste, le plus élevé de cœur et d’esprit, le plus universel et le plus éternel qu’il puisse concevoir. […] Le soleil voit, du haut des voûtes éternelles, Passer par des palais des familles nouvelles.

645. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Cela est éternel, parce que cela est constitutionnel de l’humanité. […] Et c’est bien pour cela qu’il ne sent point l’antiquité, qui, précisément, a, tour à tour, ouvert ces deux sources éternelles de poésie. […] Elle est, malgré eux et par elle-même. « La justice est éternelle et ne dépend point des conventions humaines. » Elle oblige les hommes de par soi, et ils doivent se défendre de croire qu’elle résulte de leurs contrats. […] Il ne la voit guère que comme l’essence des règles éternelles. […] Pour curieux, éternel et universel curieux, c’est la définition même de Voltaire.

646. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Beyle ne croit pas assez dans les lettres à ce qui ne vieillit pas, à l’éternelle jeunesse du génie, à cette immortalité des œuvres qui n’est pas un nom, et qui ressemble à celle que Minerve, chez Homère, après le retour dans Ithaque, a répandue tout d’un coup sur son héros. […] Je n’entre pas dans le point particulier du débat, et je n’examine point s’il entendait parfaitement l’idée de l’école saint-simonienne du Producteur qu’il avait en vue alors ; je note seulement qu’il revendiquait la part éternelle des sentiments dévoués, des belles choses réputées inutiles, de ce que les Italiens appellent la virtù.

647. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Vous êtes en petit la Sagesse éternelle qui se jouait en créant l’univers : vous l’imiterez sans doute en ne précipitant rien. […] C’est l’éternel refrain de la chanson : Les gueux, les gueux, sont des gens heureux, etc.

648. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Nous sommes dans les lazzis, dans les lardons, dans ce qui est éternel en France contre tout pouvoir qui y donne prise, Mazarinades, Satyre Mènippèe, Nain jaune. […] Voici ce que je veux dire : M. le premier président (de Harlay) et le Père de La Chaise se sont adressés au Père Gaillard pour le grand ouvrage ; le Père Gaillard a répondu qu’il y trouvait de grandes difficultés ; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d’éviter les [louanges et la satire, qui sont deux écueils bien dangereux ; tout le prélude des oraisons funèbres n’y sera point ; il se jettera sur les auditeurs pour les exhorter ; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort ; et puis, Dieu vous conduise à la vie éternelle ! 

649. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Souvent au sein des montagnes, quand les vents engouffrés dans leurs gorges pressaient les vagues de leurs lacs solitaires, je recevais du perpétuel roulement des ondes expirantes le sentiment profond de l’instabilité des choses et de l’éternel renouvellement du monde. […] Dans son pèlerinage à la Dent du Midi, assis sur le plateau de granit, au-dessus de la région des sapins, au niveau des neiges éternelles, plongeant du milieu des glacières rayonnantes au sein de l’éther indiscernable, vers le ciel des fixes, vers l’univers nocturne, Oberman me figure exactement ce sage de Lucrèce, qui habite  Edita doctrina sapientum templa serena ; temple, en effet, tout serein et glacé, éblouissant de blancheur et semblable à un sommet neigeux que la lumière embrase sans jamais le fondre ni l’échauffer.

650. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

L’âme, rayon du ciel, prisonnière invisible, Souffre dans son cachot de sanglantes douleurs ; Du fond de son exil elle cherche ses sœurs ; Et les pleurs et les chants sont les voix éternelles De ces filles de Dieu qui s’appellent entre elles. […] Le plus beau passage du volume, ces stances du milieu de Namouna, que nul ne se chantera sans larmes, ce Don Juan vraiment nouveau, réalisé d’après Mozart, qu’est-ce encore, je le demande, sinon l’amas de tous les dons et de tous les fléaux, de tous les vices et de toutes les grâces ; l’éternelle profusion de l’impossible ; terres et palais, naissance et beauté ; trois mille71 noms de femmes dans un seul cœur ; le paradis de l’enfer, l’amour dans le mal et pour le mal, un amour pieux, attendri, infini, comme celui du vieux Blondel pour son pauvre roi ?

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