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322. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

. — Nous n’allons pas si loin ; mais quand la pièce est très bonne et imite de très près la vie contemporaine, aujourd’hui encore, dans une première représentation, les exclamations supprimées, les rires involontaires, cent vivacités montrent l’émotion du public. […] Il croit une minute, puis il cesse de croire, puis recommence à croire, puis cesse encore de croire ; chacun des actes de foi finit par un démenti, et chacun des élans de sympathie aboutit à un avortement ; cela fait une série de croyances enrayées et d’émotions atténuées : on se dit tour à tour : « Pauvre femme, comme elle est malheureuse !  […] Mais, dans ce silence, l’image du fracas retentissant persiste, disparaît, reparaît, jusqu’à ce qu’une autre préoccupation ou une autre émotion vive la chasse de la scène pour y installer un nouvel acteur. — Or, à chacune de ses rentrées, l’image se trouve en conflit avec le groupe des sensations qui sont alors présentes. […] Quand je pense à la vieille pendule qui est dans l’autre chambre, quand, au moyen de paroles mentales, je suis dans ma tête un long raisonnement, quand je me développe ce qui pourrait bien arriver si je faisais telle démarche, non seulement j’ai dans l’esprit l’image de la pendule, l’image des sons et des mouvements vocaux que comporterait mon raisonnement prononcé à haute voix, l’image des gestes, émotions, événements que provoquerait en moi et hors de moi ma démarche, mais encore je sais que toutes ces images sont de simples images actuelles.

323. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Il s’établissait, par ce jugement, une correspondance morale entre la scène et le parterre, et ce dernier devait trouver quelque jouissance à voir décrites et définies, dans un langage harmonieux, les émotions qu’il éprouvait. […] Ce genre d’effet tient à la disposition du cœur de l’homme, qui, dans toutes ses émotions de frayeur, d’attendrissement ou de pitié, est toujours ramené à ce que nous appelons la superstition, par une force mystérieuse dont il ne peut s’affranchir. […] Il n’y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux vers le firmament parsemé d’étoiles, n’ait éprouvé une sorte d’émotion qu’il lui était impossible d’analyser ou de définir. […] Sa voix si douce, à travers le bruit des armes ; sa forme délicate, au milieu de ces hommes tout couverts de fer ; la pureté de son âme, opposée à leurs calculs avides ; son calme céleste qui contraste avec leurs agitations, remplissent le spectateur d’une émotion constante et mélancolique, telle que ne la fait ressentir nulle tragédie ordinaire.

324. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Le chef-d’œuvre devait énumérer le décor obligatoire des petits ruisseaux et des petits oiseaux, des fleurs en satin et des délicieuses mièvreries, des soleils immuables et des clairs de lune mélancoliques, où s’élève un chant de guitare qui fait fondre le cœur d’émotion. […] Il n’a jamais goûté la profondeur de la vie, il n’a accumulé aucune de ces sources d’émotion purement personnelle d’où les grands artistes ont tiré le fluide précieux qui fait le sang éclatant et vivant de leurs créations. […] Saint-Georges de Bouhélier, Zola ait « ressenti l’émotion de Pan » ; et c’est justement là ce qui manque à son œuvre de n’avoir point été traversée par cette émotion.

325. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier après les funérailles »

La mort de Charles Nodier n’a pas semblé moins prématurée que celle de Casimir Delavigne ; et quoiqu’il eût passé le terme de soixante ans, ce qui est toujours un long âge pour une vie si remplie de pensées et d’émotions, on ne peut, quand on l’a connu, c’est-à-dire aimé, s’ôter de l’idée qu’il est mort jeune. […] Sa jeunesse donc essaya de tout, et risqua toutes les aventures, politique et sentimentale tour à tour, passant de la conspiration à l’idylle, de l’étude innocente et austère au délire romanesque, mais arrêtant, coupant le tout assez à temps pour n’en recueillir que l’émotion et n’en posséder que le rêve.

326. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — II »

Cette émotion ne ressemble à nulle autre ; ce n’est pas une émotion de colère, de haine, d’espérance, ni rien de pareil.

327. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

La vie de société ne laisse pas aux émotions profondes de l’individu le droit de s’exprimer, et élimine de plus en plus rigoureusement par la tyrannie des formes les réalités de sentiment et d’action qui pourraient servir de modèle à la tragédie. […] L’histoire des mœurs peut enregistrer la superficielle émotion patriotique qui se manifeste à propos du Siège de Calais (1763) : mais De Belloy en lui-même n’intéresse pas l’histoire littéraire.

328. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXII. Machinations des ennemis de Jésus. »

L’émotion qu’éprouva Jésus près du tombeau de son ami, qu’il croyait mort 1014, put être prise par les assistants pour ce trouble, ce frémissement 1015 qui accompagnaient les miracles ; l’opinion populaire voulant que la vertu divine fût dans l’homme comme un principe épileptique et convulsif. […] Pensant que le dernier mot du gouvernement est d’empêcher les émotions populaires, il croit faire acte de patriotisme en prévenant par le meurtre juridique l’effusion tumultueuse du sang.

329. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Nous n’avons qu’à continuer ainsi : quand nous arrivons au groupe des sensations, émotions et appétitions qui nous constituent, il ne nous est pas difficile de concevoir autre chose que notre moi, comme nous concevons autre chose que la couleur, ou le son, ou l’odeur. […] Je puis me figurer très aisément des sensations, des émotions, des appétitions comme les miennes ; l’imagination n’a pas pour unique objet des phénomènes dans l’espace : elle roule aussi sur les phénomènes dans le temps et sur les sujets conscients de ces phénomènes.

330. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Il n’y a rien de plus dans ces misérables lettres, qui sont pour nous ce que pour elle est la vie, — un bal dont la musique et l’âme et l’émotion ont cessé ! […] Inaliénable à son siècle et à sa mère qui firent d’elle, de cet être d’émotion et de vérité, un philosophe et un bas-bleu ; car, il faut bien l’avouer, et c’est mon désespoir, elle avait l’horrible teinte bleue littéraire qui est la gangrène, mortelle au sexe, chez les femmes.

331. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Parisot ne nous donne aucun détail, ce qui est regrettable, — car si le poème n’est rien moins qu’un chef-d’œuvre, s’il intéresse assez peu la Critique littéraire, qui cherche des émotions et des modèles, il intéresse au moins l’Archéologie et l’Histoire, il est une date, un jalon, et il pourrait être un phare dans les brillantes ténèbres de la civilisation asiatique ; — le Ramayâna est un poème mythologique vaste et confus, très digne enfin de la société tour à tour hallucinée et endormie dont il est l’expression à la fois ivre et rêveuse. […] de passage pareil, pour l’émotion, la main plongée au cœur, le secret de la passion, l’empire enfin sur la sensibilité humaine, vous n’en trouverez pas dans tout le long poème de Valmiki, lequel peut bien être un mystagogue, un fakir, un thériaki, tout ce qu’il y a de plus prisé et de plus estimé aux Indes, mais qui n’est pas un poète, du moins dans le sens inspiré que les hommes, depuis qu’on chante leur bonheur, leur gloire et leur misère, ont donné à ce titre-là.

332. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Mais j’ai été doucement payé de mes émotions violentes, car le traître est puni par où il a péché. […] Il ne lui manque ni les banales élégances, ni l’émotion larmoyante. […] Elle a la fantaisie imprévue et elle vibre, merveilleux paquet de nerfs, à toutes les émotions. […] Comme le poète, elle aura tort devant la réflexion équitable, raison devant notre émotion. […] Mais la femme dira mieux que nous les émotions de l’enfant, et ses propres émotions, et aussi ce qu’il y a de commun à son cœur et au nôtre.

333. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Et puis, ne sens-tu pas qu’un voyageur, longtemps absent et longtemps seul, retrouve avec une joie d’enfant un langage qui répond aux secrètes émotions de son cœur ? […] si elle est trop pleine et anéantie par des émotions qu’elle n’exprime pas, à qui songe-t-elle pour n’en garder que la moitié ? […] je l’ai pourtant remplie à moitié ; car l’émotion paraissait très vive de part et d’autre. […] J’avais dit d’abord, d’après une fausse indication, que, sous le contrecoup des émotions qui ébranlèrent dès lors la Ville éternelle, il était arrivé à Gandar de faire sa harangue au peuple romain. […] Un jour qu’il avait convié un de ses amis, professeur distingué de littérature, à venir l’entendre, il lui dit, la leçon faite, en descendant de sa chaire et en se frottant les mains : « Et voilà, mon cher ami, comment je m’en tire sans me fouler la rate et en allant mon petit bonhomme de chemin. » Cette méthode peut être bonne, appliquée à l’archéologie ; mais celui-là ne sera jamais éloquent dans une chaire littéraire qui n’aura pas connu ce que vient de nous offrir Gandar, l’agonie des premières leçons, la fièvre et l’émotion de toutes.

334. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cantacuzène, Charles-Adolphe (1874-1949) »

Celui-ci, en effet, sans autre labeur que de suivre son naturel, atteint aussitôt l’étrange et le compliqué ; les mots s’assemblent pour lui en couples imprévus et extravagants et, jusque dans le titre de ses livres, il consent même au calembour, si bien qu’il est assez difficile de distinguer en son œuvre où finit la farce et où commence l’émotion.

335. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1822 »

Il a semblé à l’auteur que les émotions d’une âme n’étaient pas moins fécondes pour la poésie que les révolutions d’un empire.

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