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534. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Un jour (du moins voulons-nous l’espérer) l’éducation et la race sauront se r’emparer de cet esprit frémissant et échappé. […] Ferrari y ait échappé dans son intelligence et n’y ait pas entièrement perdu son talent ! […] Ferrari fait saillir avec des colorations si spécieuses et qui sont plutôt, sous sa plume, des identités d’évolution que des ressemblances, cependant il y a dans toute cette grande manœuvre des faits qui composent l’histoire universelle une régularité trop géométrique, une rapidité par trop militaire, pour que l’inquiétude ne prenne pas les esprits assez fermes d’ailleurs pour avoir échappé au vertige.

535. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

» — Le grand mouvement que les philosophes déchaînèrent sur la France n’échappe pas à sa sympathie : il aime la Révolution ; mais elle n’a pas porté tous ses fruits. […] Nous savons que la vivante matière impondérable, qu’il prétend manipuler librement, échappe à ses mains trop grossières. […] Sans échapper entièrement à ces trois influences, M.  […] La notion de l’impératif catégorique lui échappe : il n’en fait pas moins le bien, par tradition, par habitude et par éducation. […] Elle est la question qui se pose au-dessus des autres, à laquelle nul n’échappe, qui attire l’attention du psychologue et accapare l’activité du moraliste.

536. (1864) Études sur Shakespeare

Les représentations religieuses, origine du théâtre européen, n’avaient pas échappé à ce mélange. […] Cinq seulement des comédies de Shakespeare, la Tempête, les Joyeuses Bourgeoises de Windsor, Timon d’Athènes, Troïlus et Cressida, et le Marchand de Venise, ont échappé, en partie du moins, à l’influence du goût romanesque. […] Aussi, tandis que, dans ses tragédies, une situation morale, un caractère fortement conçu étreint et renferme l’action dans un nœud puissant, d’où s’échappent, pour y rentrer ensuite, les faits comme les sentiments, ses drames historiques offrent au contraire une multitude d’incidents et de scènes destinés moins à faire marcher l’action qu’à la remplir. […] L’unité d’action, indispensable à l’unité d’impression, ne pouvait échapper à la vue de Shakespeare. […] C’est le propre d’un tel système d’échapper, par son étendue, à la domination d’un génie spécial.

537. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Bientôt, une heure arrive, une heure suprême, le violon échappe à ces mains débiles, le souffle manque à cette poitrine en feu ; de cette extrême renommée, et de cette gloire idéale, à peine si la deuxième génération conserve un vague souvenir. […] À peine échappé à l’enseignement des jésuites, et déjà plein d’Aristophane et de Térence, voilà Molière qui se livre aux enchantements de la vie errante du comédien nomade. […] Il échappe à Turlupin, il échappe à Scaramouche, il échappe aux joies licencieuses des tréteaux de Tabarin, et cependant il n’en est pas encore si éloigné que, de temps à autre, il ne se rappelle quelques-uns des lazzis les plus vifs de ces illustres farceurs. […] Dans le fond de l’âme, le bon seigneur, qui veut à tout prix que le ciel le décharge de sa fille, est aussi sûr que l’est sa fille, que Sganarelle ne peut lui échapper. […] C’est un grand éloge pour vous, ma belle Éliante, d’avoir échappé à la mauvaise humeur du citoyen de Genève, et d’avoir été respectée par Fabre d’Églantine !

538. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Elle voudrait se mirer à la surface de l’eau, turbulente et qui s’échappe. […] La réalité, Flaubert l’utilise comme un refuge, quand il s’est échappé de lui-même. […] … Seulement, le héros, aux mains de Dieu, m’échappe. […] m’échappe tout à fait. […] D’ailleurs, vif esprit hellénique, il échappait au mysticisme final de l’anéantissement.

539. (1929) Dialogues critiques

Pierre Cela m’échappe. […] Pierre Il y a de beaux traits de grande amoureuse dans celles de Mme Staël qui ont par hasard échappé. […] Pierre Il laisse échapper des vérités imprudentes qu’il n’écrirait pas telles quelles. […] Mais on n’échappe à l’anarchie qu’en acceptant la loi générale.

540. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

XXXI À Venise, le secret de son amour lui échappe dans quelques-unes de ses lettres à son ami d’Argenteuil, M.  […] XXXV Mais à deux pas de l’adolescent sont sa mère et sa sœur ; le pathétique commence là avec la femme et l’enfant : la mère, vieillie par la maladie plus que par l’âge, est languissamment assise sur une des marches du quai des Esclavons, adossée au mur d’une masure qui est sans doute la sienne ; son bâton, qui échappe à sa main affaissée, atteste qu’elle est infirme et qu’elle s’est traînée avec effort jusque-là, pour voir une dernière fois l’embarquement de son mari et de ses jeunes enfants ; elle les recommande à Dieu de ses lèvres pâles et balbutiantes. […] Peut-être y eut-il un jour, une heure, une lettre de la princesse à Léopold, où cet aveu s’échappa, par devoir ou par nécessité, de sa plume. […] Il dit que son soleil, à lui, baisse aussi, que sa famille est établie et prospère, que ses champs sont riches de gerbes, que ses cheveux blancs, qui s’échappent de son chapeau sur ses tempes amaigries et pâles, lui annoncent la fin des labours et des moissons ici-bas, et que l’automne de la terre lui prédit sa propre automne.

541. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

» À ce mot Mireille laissa échapper la branche à moitié cueillie. « Oh ! […] Les mûriers sont pleins de jeunes filles que le beau temps rend gaies et rieuses, telles qu’un essaim de blondes abeilles qui dérobent leur miel dans les champs pierreux. » X Ici Vincent, dans des stances timides et indirectes, compare la beauté de sa sœur à celle de Mireille, et, à chaque compliment qui l’étonne et la flatte, laissant de nouveau échapper la branche de l’olivier : « Oh ! […] « Elle et lui tressaillirent ; leurs joues se colorèrent de la fleur vermeille d’amour, et tous deux à la fois, d’un feu inconnu, sentirent l’étincelle ardente s’échapper ; mais, comme celle-ci avec effroi retirait sa main de la feuille, lui par le trouble encore tout ému : — « Qu’avez-vous ? […] « “Oui, réplique Vincent ; mais il faut ajouter que cet espoir ne peut se fondre si, avant d’être en cage, s’échappent les petits.” — “Jésus, mon Dieu !

542. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Une nuit d’orage, pendant que les éléments se déchaînaient dans toute la fureur d’une véritable tourmente, le pauvre nègre s’échappa. […] Si l’on prend une de ces hirondelles et qu’on la mette par terre, elle fait de gauches efforts pour s’échapper et peut à peine se mouvoir. […] Il contemple attentivement toute l’étendue des eaux ; souvent son regard s’arrête sur le sol ; il observe, il attend ; tous les bruits qui se font entendre, il les écoute, il les recueille ; le daim, qui effleure à peine les feuillages, ne lui échappe pas. […] Le cygne voit son bourreau, abaisse son col, décrit un demi-cercle, et manœuvre, dans l’agonie de sa crainte, pour échapper à la mort.

543. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Ses peintures n’ont été vraies que pour ceux qui pouvaient les appliquer à des vivants ; ses allusions nous échappent. […] Il nous rappelle ce qui échappe à notre mémoire fragile ou subornée. […] Vauvenargues n’y a pas échappé. […] » C’est un chant qui lui échappe en contemplant l’idéal même de « la simplicité charmante. » Rien de plus vrai que ses vives esquisses de La Fontaine, de Montaigne, de Pascal, de La Bruyère, où, n’en déplaise à la Harpe, il a si fort raison de trouver du pathétique.

544. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Souvent lorsque des nuits l’ombre, que l’on voit croître, De piliers en piliers s’étend le long du cloître ; Quand, après l’Angélus et le repas du soir, Les lévites épars sur les bancs vont s’asseoir, Et que, chacun cherchant son ami dans le nombre, On épanche son cœur à voix basse et dans l’ombre, Moi, qui n’ai pas encore entre eux trouvé d’ami, Parce qu’un cœur trop plein n’aime rien à demi, Je m’échappe ; et, cherchant ce confident suprême Dont l’amour est toujours égal à ce qu’il aime, Par la porte secrète en son temple introduit, Je répands à ses pieds mon âme dans la nuit. […] VIII Mais tu ne me réponds que par des coups de foudre ; Tu ne fais que du vent, de l’écume et du bruit ; Ton flot semble pressé de se réduire en poudre Et d’échapper au vent dont l’aile te poursuit !              Cours donc où va le tonnerre,              Et le tremblement de terre,              Et l’aigle échappé de l’aire,              Et le coursier qui dit : Va !              Toutes choses insensées,              Par un vague instinct chassées,              Et qui semblent si pressées              D’échapper à Jéhovah !

545. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Alors, comme on ne voit pas l’intérêt qu’elle aurait à laisser échapper les connaissances qu’elle tient, vouée qu’elle serait à la connaissance pure, on ne comprend pas qu’elle renonce à éclairer ce qui n’est pas entièrement perdu pour elle. […] S’il faut, pour que ma volonté se manifeste sur un point donné de l’espace, que ma conscience franchisse un à un ces intermédiaires ou ces obstacles dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle la distance dans l’espace, en revanche il lui est utile, pour éclairer cette action, de sauter par-dessus l’intervalle de temps qui sépare la situation actuelle d’une situation antérieure analogue ; et comme elle s’y transporte ainsi d’un seul bond, toute la partie intermédiaire du passé échappe à ses prises. […] Mais la réflexion sur ces particularités, réflexion sans laquelle l’individualité des objets nous échapperait, suppose une faculté de remarquer les différences, et par là même une mémoire des images, qui est certainement le privilège de l’homme et des animaux supérieurs. […] Mais la vérité est que l’idée générale nous échappe dès que nous prétendons la figer à l’une ou l’autre de ces deux extrémités.

546. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gabrielle d’Estrées. Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, recueil publié avec notices par M. Niel. » pp. 394-412

Il s’était fait à Mantes comme une petite capitale, et de là il s’échappait quelquefois vers Mlle d’Estrées pour se distraire, ou bien il décidait son père à l’amener à Mantes. […] Quelques-uns toutefois se hasardèrent à lui faire entendre qu’au fond de cette perte il y avait une énorme difficulté politique de moins ; lui-même il sentait qu’il échappait à une faute.

547. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Ce n’était pas des fleurs étudiées, recherchées, affectées ; non : les fleurs naissaient sous ses pas sans qu’il les cherchât, presque sans qu’il les aperçut ; elles étaient si simples, si naturelles, qu’elles semblaient lui échapper contre son gré et n’entrer pour rien dans son action. […] Dans le Petit Carême, le royal enfant auquel il s’adresse, ce reste précieux de toute sa race, cet enfant miraculeux échappé à tant de débris et de ruines, rappelle à tout instant le Joas d’Athalie.

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