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941. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Au sortir d’Oxford, les ministres lui font une pension de trois cents guinées pour achever son éducation et le préparer au service du public. […] Il ne pousse à bout aucun principe ; il les accepte tous, tels qu’on les trouve dans le domaine public, d’après leur bonté visible, ne tirant que leurs premières conséquences, évitant la puissante pression logique qui gâte tout, parce qu’elle exprime trop. […] Addison persuade le public, parce qu’il puise aux sources publiques de croyance. […] Elle emploie pour arguments l’utilité publique, l’exemple des grands hommes, la grosse logique, l’interprétation littérale et les textes palpables ; quel meilleur moyen de gouverner la foule que de rabaisser les preuves jusqu’à la vulgarité de son intelligence et de ses besoins ! […] Il fait comprendre au public les images sublimes, les gigantesques passions, la profonde religion du Paradis perdu.

942. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Tout ce qui pouvait le mieux charmer l’âme enfantine du public, et aussi tout ce qui était le plus propre à arracher du cœur soulagé des « honnêtes gens » le fameux : « Ouf !  […] Mais le public, lui, veut savoir. […] et cette façon-là n’a-t-elle pas un je ne sais quoi qui s’accommode mal avec la mission publique d’un ministre de Dieu ? […] Comment se piquer d’être auprès des autres l’interprète de la parole divine, d’être leur guide public et reconnu, quand on est embarrassé soi-même des nécessités où se débat le commun des hommes ? […] Puis c’est une pièce qui nous montre « l’étoile » dans toutes les postures où le public a coutume de l’admirer.

943. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Chez des auteurs moins classiques, la voix devient un cri ; il y a le cri de l’innocence, le cri de la nature, le cri de l’amour, le cri du remords, le cri de l’honneur, et même le cri du besoin public. […] Tout autre est l’attitude de l’homme passionné : en public, nulle exubérance de gestes ; sa physionomie peu mobile garde longtemps la même expression. […] Tentative malheureuse d’évasion ; rétractation publique à Rouen. […] Pour le cri du besoin public, que nous avons cité, pour d’autres que nous omettons, on peut se demander s’il s’agit d’un cri intérieur ou extérieur. […] Et si vous songez que fichtre est ici un équivalent, vous imaginez aisément la stupeur du public. » (Sarcey, feuilleton dramatique du 8 mars 1880.) — Stupeur est le mot juste : Monvel, emporté par la passion, n’était pas ridicule.

944. (1887) George Sand

Mais déjà elle avait fait l’essai dangereux de la célébrité littéraire par des œuvres qui avaient surpris l’attention publique. […] Les plus beaux jours du talent étaient revenus, l’émotion publique les reconnaissait et les saluait. […] Et tout cela elle l’a livré au public, comme attirée par un charme secret et le répandant à son tour. […] Vous êtes arrivé à savoir ce que vous faites et à imposer votre volonté au public. […] Le public, à qui l’on dit tant qu’il est bête, se fâche et n’en devient que plus bête.

945. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

Ne serait-ce pas que l’esprit des Romains, exclusivement absorbé jusque-là par le rude exercice de la liberté, qui est un travail, par le jeu des factions populaires, par les guerres civiles, n’avait ni le loisir ni le goût des choses d’esprit, mais qu’au moment où des hommes comme César et Auguste font taire le sénat, les tribuns, la place publique, sous leur éclatante servitude, les esprits se détendent des affaires politiques et se précipitent avec une énergie impatiente de repos dans l’occupation et dans la gloire des lettres ? […] Il ne craignit pas qu’on lui reprochât un jour de n’avoir fait tant de dépenses que pour que je fusse un crieur public, ou, ce qu’il avait été lui-même, un collecteur d’impôts à faibles appointements. […] De plus il était pauvre, il avait le goût du luxe et du plaisir ; il lui fallait grossir (il l’avoue lui-même) son modique revenu par le prix de ses vers ; le public de Rome, comme celui de Paris, achetait avec plus de faveur les livres d’opposition que les livres dictés par les triumvirs ; l’ami de Mécène et d’Auguste commença donc par être le poète badin de l’opposition républicaine. […] Horace n’était que l’exécuteur du mépris public. […] Si jeune encore et si loin de la grondeuse vieillesse, ne dédaigne pas les danses et les amours ; montre-toi sans honte au champ de Mars ou dans ces promenades publiques où l’on entend, aux heures convenues, les doux chuchotements des mystérieux entretiens ; épie cet éclat de rire folâtre qui trahit l’asile où la jeune fille s’est cachée dans ses jeux, et ravis-lui, après une feinte lutte, son bracelet ou son anneau. » XXII Tout portait l’âme d’Horace, en ce temps-là, à la sérénité, à l’insouciance des affaires publiques et aux plaisirs de la ville ou des champs.

946. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Voilà pourquoi aussi le public goûte tant ces petits livres intitulés les Souvenirs : c’est qu’ils sont en littérature une protestation de notre fugitivité contre la mobilité du temps, contre la brièveté de notre existence et contre la pire des morts, la mort de notre nom, la sépulture de l’oubli. […] Malgré mon extrême timidité, qui ne m’a jamais permis de me mettre en avant que dans les grandes circonstances publiques, je vivais dans son intimité la plus journalière. […] Jamais première répétition d’une pièce attendue comme un événement sur la scène ne fut aussi briguée que la faveur d’assister à ces répétitions de la gloire devant les représentants présumés de la postérité ; les femmes y étaient en plus grand nombre que les hommes, car les femmes étaient le véritable public de M. de Chateaubriand : il avait joui du cœur, de l’imagination, de l’oreille et de la piété des femmes pendant un demi-siècle, les femmes devaient l’en récompenser dans sa vieillesse. […] On se précipitait confusément, sans acception de rang ou d’opinions, dans les salles de spectacles, de concerts, de danses, et dans les jardins publics, trop étroits pour les fêtes qui s’y renouvelaient. […] Les conventionnels complices du comité de Salut public, pardonnés par l’opinion pour avoir guillotiné le dictateur-émissaire, les Barrère, les Fréron, les Tallien, les Barras, les Legendre, les Sieyès, mêlés aux victimes sorties des cachots ou rentrées de l’exil, ne formaient plus dans le monde révolutionnaire ou contre-révolutionnaire qu’un seul groupe de prescripteurs repentants ou de proscrits reconnaissants.

947. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Le public aura, certainement, de la tenue ; sans doute, il voudra comprendre ; donc, il comprendra. […] On a pu en voir déjà des signes caractéristiques aux concerts du dimanche, particulièrement aux concerts Lamoureux, où le public, de plus en plus assidu, a réellement progressé. […] Et avec quel sentiment de profonde reconnaissance ne faut-il pas envisager cet avenir, fût-il encore lointain, puisque ces œuvres sublimes ne seront, ne pourront jamais être données au grand opéra ; car de telles représentations n’auront lieu qu’avec une interprétation digne d’elles ; devant un public enfin éclairé ; dans une salle et dans un cadre vraiment à leur hauteur. […] Quand on considère l’attitude du public envers lui, envers Berlioz, envers tous les grands artistes enfin, il est difficile de ne pas lui donner raison sur ce point. […] IV — 8 MAI 1° Chronique (Richard Wagner et le public ; l’œuvre de Bayreuth ; l’Association Wagnérienne).

948. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Enfin, il est positif que le ministère a envoyé des agents aux représentations, pour étudier la salle, et se rendre compte, si d’après les dispositions du public, on pouvait supprimer la pièce. […] Il a assisté à six ou sept représentations, a étudié le public, et me donne quelques renseignements curieux. […] C’est surprenant qu’il ait été fait à l’étranger une traduction de ce livre de style et de dissection psychologique, de ce livre si peu intéressant pour le gros public français. […] J’ai touché ces temps-ci 12 000 francs, pour droits théâtraux de Germinie Lacerteux, et je me suis souvenu que l’œuvre de ton père de Maherault, avait été acheté en vente publique par Roederer, 12 000 francs. […] Je n’ai jamais rien vu de ma vie d’aussi impudique que ce témoignage public d’amour paternel.

949. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Les virtuoses raffinés sont malhabiles à l’action privée et publique. […] Mais, s’il continue à offrir au public des livres ingénieux et solides, il aura, en somme, touché son but et mérité nos remerciements. […] Le métier qui consiste à « faire la roue devant le public » lui a toujours semblé un exercice aussi puéril que roturier. […] Ils aimaient les récitations publiques, les séances des académies, les cours et les conférences. […] Ils sont, d’ailleurs, assez connus pour n’avoir pas besoin d’être présentés au public.

950. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Mais, dans le moment même, d’autres sentiments publics, d’autres pensées que celle de la reconnaissance prévalaient dans le cœur des vaincus. […] Mais on peut juger de l’impression des amis sur cet acte d’adhésion publique et presque de dévouement à la politique impériale. […] Il s’y trouve tout à côté peut-être de quelque orthodoxe calviniste qui croit à la doctrine de la prédestination, ou de quelque socinien et rationaliste qui ne voit dans le christianisme que le travail successif des hommes les plus vertueux et les plus éclairés de tous les âges, et dans la morale que l’héritage et le perfectionnement des siècles : « Tous deux se disent chrétiens, et je le crois, écrivait-il à une amie digne de le comprendre, je les reçois comme frères, et j’ai du plaisir à m’associer à eux dans un hommage public de reconnaissance et d’amour à l’Être qui nous a donné l’existence et qui l’a douée de tant de biens. » Qu’on la partage ou non, cette façon d’entendre le christianisme, et qui se rapproche de celle d’Abauzit ou de Channing, est élevée et bien pure. […] Le premier acte de sa vie publique à Genève (1814) fut une brochure « assez âcre, où il tournait la Constitution en ridicule », et que son ami De Candolle, voyant l’exaspération qu’elle excitait, lui fit aussitôt retirer. Quelques-uns des derniers actes publics de sa carrière lui valurent aussi de l’impopularité.

951. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Cet incomparable succès, au début, conféra à M. de Chateaubriand un caractère public, comme écrivain ; sa triple influence, religieuse, poétique et monarchique, commença dès lors. […] Et puis, d’époque en époque, on rencontre dans la vie publique de M. de Chateaubriand de ces actes d’honneur désintéressé et de généreuse indignation qui font du bien au cœur parmi tant d’égoïsmes prudents et d’habiles indifférences. […] Il y a surtout, avant cette gloire publique, avant ce rôle d’apologiste religieux, de publiciste bourbonnien, de poète qui a chanté sa tristesse et qui s’est revêtu devant tous de sa rêverie, il y a, avant cela, trente longues années d’études, de travaux, de secrètes douleurs, de voyages et de misères ; trente années essentielles et formatrices, dont les trente  suivantes ne sont que le développement ostensible et la conséquence, j’oserai dire facile. […] peut-être en recueillerez-vous plus de profit que de toute l’enflure d’un discours stoïque. » Et suivent alors les conseils appropriés : fuir les jardins publics, le fracas, le grand jour ; le plus souvent même ne sortir que de nuit ; voir de loin le réverbère à la porte d’un hôtel, et se dire : « Là, on ignore que je souffre ; » mais ramenant ses regards sur quelque petit rayon tremblant dans une pauvre maison écartée du faubourg, se dire : « Là, j’ai des frères. » Voilà ce qu’on trouve, après tant d’autres pages révélatrices, dans l’Essai. […] Par le seul fait que l’époque antérieure à la vie publique est terminée jusqu’en 1800, que l’époque postérieure à la retraite politique est tout près d’être terminée d’une façon non moins définitive, nous tenons donc dès à présent un monument sans exemple, et dont l’aspect, même dans cet état inachevé, simule quelque chose d’accompli.

952. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Les anciens ne racontent que les événements publics, la vie publique, soit au pied de la tribune, soit sur les champs de bataille. […] Quant à l’histoire des événements publics, des campagnes militaires, par exemple, il y est embarrassé et éteint. […] Deux situations seulement pour les personnes publiques : la faveur du prince ou sa disgrâce ; dès lors une seule émulation, la flatterie. […] Saint-Simon ne pense pas toujours au public.

953. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Ce n’est pas assez d’écrire pour apprendre à écrire, il faut encore interroger le public. […] Et ce n’est pas seulement sur la bataille des défilés de la Hache qu’il a des informations si complètes ; cette Carthage dont les historiens romains parlent trop peu, ce sénat de marchands praticiens, cette religion monstrueuse et subtile, ces temples hideux, ces divinités infâmes, les mœurs publiques, les mœurs privées, tout enfin lui a été révélé avec la plus minutieuse exactitude. […] Je trouve peu intéressant de savoir si Moloch était servi par des prêtres en manteau rouge, s’il était célébré en d’horribles concerts où « grinçaient, sifflaient, tonnaient les scheminith à huit cordes, les kinnor, qui en avaient dix, et les nebal, qui en avaient douze » ; mais je sais, toujours d’après les preuves établies par nos maîtres, que le dieu d’airain, à de certains jours, se nourrissait de la chair des enfants, que les plus puissantes familles étaient obligées de lui apporter leur tribut, que le feu de ses entrailles rugissait sur la place publique, et que le monstre, agitant ses longs bras, précipitait lui-même dans le gouffre ses innocentes victimes. […] Quelquefois, aux jours de fêtes publiques, on dresse les murailles de carton pour masquer les vides des monuments inachevés ; ici la ligne de ces murailles s’étend d’un bout de Carthage à l’autre. […] Cet homme qui, sur la place publique, raidit ses bras, tend ses muscles et soulève des poids énormes, les passants l’admirent pour sa vigueur.

954. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Est-on bien avancé au sujet du génie d’un Balzac, par exemple, quand on connaît la lutte qu’il a soutenue contre ses créanciers, contre la misère, les résistances du public ? […] Taine, mais en subordonnant les nations aux génies, en considérant les peuples par leurs artistes, le public par ses idoles, la masse par ses chefs. […] Dès lors, dans le monde particulier de l’art comme dans le monde social tout entier, il y a deux classes d’hommes à considérer : les novateurs et les répétiteurs, c’est-à-dire les génies et le public, qui répète en lui-même par sympathie les états d’esprit, sentiments, émotions, pensées, que le génie a le premier inventés ou auxquels il a donné une forme nouvelle. D’ailleurs, selon nous, l’instinct imitateur et l’instinct novateur se retrouvent encore dans le public même, dans la masse des hommes comme dans les génies, avec cette différenceque l’instinct imitateur domine chez la masse, l’instinct novateur chez les génies. […] A Paris, l’hétérogénéité sociale atteint un tel degré que personne ne se trouve empêché de manifester son originalité ; et, comme tout artiste est orgueilleux de ses facultés, il n’en est que fort peu, et des plus médiocres, qui consentent à se renier, et à flatter pour un plus prompt succès le goût de telle ou telle section du public. » Aussi, dans un milieu aussi défini socialement que le Paris de la fin du second empire et du commencement la troisième république, les esprits les plus divers ont trouvé place (voir M. 

955. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

L’occasion de ce portrait, grand comme un tableau, — car il devait renfermer plus que Virgile, il devait renfermer l’Énéide, — avait été un cours public, malheureusement interrompu. […] On a versé sur Sainte-Beuve et sur sa mémoire les tombereaux d’articles, de phrases, d’anecdotes et de détails de toute espèce qu’on a l’habitude de verser sur un homme célèbre fraîchement décédé, avant de l’oublier tout à fait… Des journaux, matassins d’enterrement, qui vivent de ces cérémonies, ont envoyé leurs commissionnaires en roulage et en publicité fureter la maison mortuaire, regarder sous le nez du défunt pour le photographier dans leurs feuilles, décrire son appartement et son ameublement, et pouvoir parler en connaissance de cause jusque de ses chattes et de ses oiseaux et plaire ainsi à la Curiosité publique, cette affreuse portière à laquelle nous faisons tous la cour… Nous en avons pour quelques jours encore de ce brocantage, et puis après ? […] C’est encore pour son article qu’il allait à l’Académie, et qu’il lâchait ses secrétaires, comme des rats furieux, dans les bibliothèques publiques pour y fureter dans les coins et recoins et rapporter à la maison de petites notes pour son article. […] Son amour-propre, qui a dégradé les derniers moments de sa vie, lui fit tendre la main aux gros sous de la popularité, ces gros sous qu’un mépris public immérité lui jeta un jour au visage ; mais j’abaisserai moi-même un voile sur ces abaissements. […] Mais des platitudes du nom de Sainte-Beuve, c’est, avec ce benêt de public, de l’écoulement et du placement encore !

956. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Aussi a-t-il été dès sa première œuvre le bébé du succès, et il en sera certainement un jour, car il est jeune encore, le barbon… Depuis le public qui le trouve charmant, jusqu’aux critiques eux-mêmes, lâches avec le public comme les tribuns avec le peuple, il est convenu que l’auteur de Dalila et du Cheveu blanc est un talent dont le caractère est la grâce, — la grâce décente. […] C’est à peu près tout le talent d’Octave Feuillet, esprit mince, flexible, bien élevé, qui plaît au public honnête comme les petits jeunes gens bien sages plaisent aux vieilles femmes. […] Mais il verra, si le public de ce soir-là n’est pas stupide, chose dont on peut toujours douter, ce que lui coûtera un pareil dénouement à sa première représentation ! […] ses livres ne sont pas des livres inachevés, négligés, indolemment conçus ou écrits ; des fatuités d’écrivain qui ne se gêne pas avec un public dont il est sûr… Non !

957. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Que s’il n’accorde pas cette permission publique, l’auteur a la ressource encore des permissions tacites. […] Ximénès concourt pour les prix de poésie, on ne le couronne pas, il imprime pour en appeler au public. […] Il suffit que, dans les relations de la vie publique, on ne le puisse pas accuser d’improbité. […] Vous allez répondre par la difficulté de la matière et le peu d’intérêt que le grand public pouvait prendre à ces discussions entre économistes. […] le voilà, l’initiateur du public français à la connaissance du beau !

958. (1927) Des romantiques à nous

C’est qu’en même temps qu’il coiffait en public M.  […] Il juge les hommes publics d’après un idéal héroïque et chevaleresque. […] Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo ont été à leur époque des hommes, je ne dirai pas plus célèbres, mais plus importants que Molière, Corneille et Racine ne l’avaient été à la leur, et sur qui le public avait les yeux beaucoup plus tournés, comme eux-mêmes provoquaient et retenaient sous plus de faces l’attention publique. […] Le public fut très partagé de sentiment. […] Chez nous, au contraire, Massenet, Gounod, Fauré ont toujours trouvé auprès du public plus de faveur que leur illustre émule.

959. (1864) Le roman contemporain

Sainte-Beuve, éprouvent le besoin « de se distribuer au public dans leur chair et dans leur sang ». […] Edmond About appartient à la grande famille des conteurs sans parti pris, qui cherchent leur plaisir d’abord et ensuite celui du public. […] L’effet d’un livre, quel qu’il soit, ne va pas plus loin que résumer certaines idées préexistantes dans le public. […] Feydeau vient-il parler d’idées au public ? […] Il y avait donc deux publics dans cette salle, deux publics différemment impressionnés.

960. (1888) Études sur le XIXe siècle

Nous sommes donc loin de l’époque où Leopardi n’était connu du public français que par quelques vers d’Alfred de Musset. […] B. fussent, contre l’usage, enlevées avant la fin de l’exposition, par respect pour le public ; et le public partageait ces sentiments. […] La plupart des « frères », nous l’avons vu, étaient obligés de songer au lendemain, et les trois lettres mystiques suffisaient à mettre le public en fureur. […] Après tout, quelque grand qu’il soit, quelques honneurs que la reconnaissance publique ait cru devoir lui décerner, il ne saurait échapper à la commune mesure. […] L’existence de Cavour comprend deux périodes bien distinctes l’une de l’autre : la vie privée et la vie publique.

961. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Thiers sera un jour ministre de l’intérieur ou des travaux publics, il saura mettre ordre à cela. […] Des plébéiens nés dans vos rangs auraient déclaré la guerre à leur patrie ; mais convenez aussi que des nobles nés dans nos rangs auraient pu être dans le Comité de salut public. […] Tandis que des hommes de l’opposition, en cela peu politiques (Benjamin Constant, par exemple), voulaient essayer, à la discussion, de faire réduire les services publics, M. […] — Mais je m’aperçois que je parle au public trop vivement peut-être de ce qu’il lui faut attendre quelques jours encore, et que j’irrite une impatience que je ne suis pas en mesure de satisfaire. […] « Il est jeune, favorisé de la fortune et de la gloire, entouré d’amis qui l’admirent, d’un public qui l’applaudit avec une complaisance toute particulière ; mais la vie ne saurait être si facile ; il faut un tourment à M.

962. (1813) Réflexions sur le suicide

Je n’avais jusqu’à ce jour dédié mes ouvrages qu’à la mémoire de mon Père ; je Vous ai demandé, Monseigneur, l’honneur de Vous rendre hommage, parce que Votre vie publique signale à tous les yeux les vertus réelles, qui seules méritent l’admiration des penseurs. […] L’influence de la vérité sur le public est telle qu’il suffit d’attendre pour être mis à sa place. […] Le public qui est à quelques égards une chose si différente de chaque individu, le public qui est un homme d’esprit quoiqu’il se compose de tant d’êtres stupides, le public qui a de la générosité quoique des platitudes sans nombre soient commises par ceux qui en font partie, le public finit toujours par se rallier à la justice dès que des circonstances prédominantes et momentanées ont disparu. […] On s’accoutume à se juger soi-même, comme si l’on était un autre : à placer sa conscience en tiers entre ses intérêts personnels et ceux de ses adversaires : on se calme sur son propre sort, certain qu’on ne peut le diriger : on se calme aussi sur son amour-propre, certain que ce n’est pas nous-mêmes, mais le Public qui nous fera notre part : on se calme enfin sur ce qu’il est le plus difficile de supporter, les torts de ses amis, soit en reconnaissant nos propres imperfections, soit en confiant à la tombe de l’être qui nous a le plus aimé, nos pensées les plus intimes : soit enfin en reportant vers le Ciel la sensibilité qu’il nous a donnée. […] Il n’en est pas ainsi de l’esprit exalté ou de l’imagination travaillée : ceux qui se tourmentent pour attirer l’attention du public, pour l’emporter sur leur semblables, croient avoir fait des découvertes dans des contrées inconnues du cœur humain.

963. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Les vainqueurs, disposant en maîtres de ces villes presque abandonnées, établissaient leurs magasins et leurs hôpitaux dans les églises et les lieux publics. […] L’écrivain monte et descend avec le sujet, jamais au-dessus, il est vrai, mais toujours au niveau de l’événement public ou familier qu’il retrace. […] En un mot, ce qu’on appelle vertu publique se sera-t-il accru d’un atome dans votre âme et dans l’âme des générations à venir ? […] Thiers, pour tous contre quelques-uns ; le sentiment du gouvernement est à nos yeux une des formes les plus saintes, non seulement du bon sens, mais de la vertu publique. […] Nous savons que ces saintes audaces qui portent un grand citoyen à s’emparer du gouvernement, pour sauver le peuple de lui-même, sont des coups d’État de la nécessité absous par le salut public.

964. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Les concerts du dimanche ne peuvent procéder que lentement ; ils doivent se faire leur public ; ils ne peuvent aborder qu’une à une les œuvres du maître : mais là, en un cercle privé, tout est permis. […] Le lieu ne devait être ni une capitale ayant un théâtre permanent, ni une ville d’eau qui, justement en été, m’eût donné un public tout à fait différent du public que je souhaite ; ce doit être une ville du centre de l’Allemagne ; et une ville de Bavière, puisque je veux y transférer mon domicile et que je ne puis choisir nul autre pays … … Quant au choix et à l’acquisition du terrain destiné au théâtre, il y a à considérer si la ville de Bayreuth, vu les avantages que mon entreprise pourrait lui procurer, serait disposée à me céder la place nécessaire à la construction de mon théâtre. […] Wilder est plutôt une fluctuation de langage (des vers tour à tour parnassiens, classiques, romantiques) ; mais le public comprend, et c’est le premier point. […] Mais, toujours aussi, qu’un texte soit, qui explique au public l’œuvre qu’il s’agit de propager hors son terroir, parmi de mœurs et des idées plus différentes que les langages mêmesad. […] Nous ne pourrons donc l’entendre que lorsqu’enfin le public comprendra que ce n’est qu’à Bayreuth, dans des représentations de fête, que peut être donné le Ring.

965. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Lus aujourd’hui, ils plaisent encore ; ils montrent surtout combien le goût public a changé, et comment on demande moins souvent qu’autrefois aux auteurs de ces vers qu’on appelait spirituels. […] Il y a un malheur public dans votre joie ; elle est un fléau pour votre pays ; une folie telle que la vôtre, parée d’une épée quand elle mériterait mieux un éventail, a fait, ce que jamais les ennemis n’eussent pu faire, que cette voûte de notre empire, inébranlée jusqu’à vous, n’est plus qu’un édifice mutilé qui menace ruine. […] Le second chant du poème est tout entier consacré aux malheurs publics ou plutôt encore aux calamités physiques et naturelles qui éclatèrent alors (1781-1783) par d’affreux ouragans, par des tremblements de terre soit à la Jamaïque et dans les îles adjacentes, soit plus tard en Sicile et autres lieux. […] Ces jolis tableaux achevés, et qui trouveraient chez Delille plus d’un pendant bien spirituel aussi, quoique d’une exécution moins sûre, ne sont pas ce que j’aime le mieux chez Cowper, et je le préfère lorsque ayant achevé l’énumération de tout ce qui s’agite de nouvelles publiques et privées entassées pêle-mêle dans le sac du facteur, il ajoute : « Maintenant attisez le feu et fermez bien les volets ; laissez tomber les rideaux, roulez et approchez le sopha ; et tandis que l’urne bouillonnante et sifflante fait monter sa colonne de vapeur, et que les coupes qui réjouissent, mais n’enivrent pas, sont là préparées pour chacun, donnons ainsi la bienvenue et l’accueil au soir paisible qui descend. » Dans l’emploi de la soirée qu’il va suivre en ses plus menus détails et dont il fait luire chaque instant à nos yeux, il se souvient d’Horace : « Ô soirées et soupers dignes des dieux !

966. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Si l’on cherche la raison de cet oubli bizarre, de cette inadvertance ironique de la renommée, on la trouvera en partie dans le caractère des débuts de M. de Sénancour, dans cette pensée trop continue à celle du xviiie siècle, quand tout poussait à une brusque réaction, dans ce style trop franc, trop réel, d’un pittoresque simple et prématuré, à une époque encore académique de descriptions et de périphrases ; de sorte que, pour le fond comme pour la forme, la mode et lui ne se rencontrèrent jamais ; — on la trouvera dans la censure impériale qui étouffa dès lors sa parole indépendante et suspecte d’idéologie, dans l’absence d’un public jeune, viril, enthousiaste ; ce public était occupé sur les champs de bataille, et, en fait de jeunesse, il n’y avait que les valétudinaires réformés, ou les fils de famille à quatre remplaçants, qui vécussent de régime littéraire. […] Stapfer, Franck Carré, Sautelet, Bastide, faisaient partie, et qui, durant le silence public de l’éloquent professeur, se nourrissait de sérieuses discussions familières, en vit naître de très-passionnées au sujet d’Oberman, qui était tombé entre les mains de l’un des jeunes métaphysiciens : M. […] Au moment où se publiaient obscurément les Rêveries, paraissaient aussi les premiers essais d’un talent plus jeune de dix ans que M. de Sénancour, d’un talent analogue au sien en inspirations, sujet à des vicissitudes non moindres, méconnu, oublié par le même public, et qui a finalement tourné, pour le succès comme pour la direction, d’une manière bien diverse.

967. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Le seigneur du Pradel, qui ne perdit jamais de vue l’intérêt national dans sa laborieuse activité de propriétaire rural, et dont le livre fut un bienfait public, a mérité des statues, plutôt qu’une place dans notre histoire littéraire. […] Il trouve dans la grande idée de la Providence le remède à l’accablante tristesse dont le spectacle des misères publiques frappe les cœurs honnêtes : par elle, sa raison voit clair, et dès qu’il comprend, il se redresse, il espère. […] Comme il n’y a pas encore de goût public, et qu’il n’y a plus de doctrine d’école, chacun suit en liberté la pente de sa pensée et va où les nécessités de sa vie intellectuelle et morale le poussent. […] Cf. p. 307-309. — Les traités de Du Vair sont : De la philosophie morale des stoïques ; le Manuel d’Épictète (traduction) ; Exhortation à la vie civile ; De la constance et consolation ès calamités publiques.

968. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Et pourtant leur orgueil inconscient aboutissait à dire au public : — Ce qui est bon, c’est ce que j’aime. — Si on leur eût demandé quel garant ils avaient de la justesse de leurs arrêts (car forcément ils en rendaient quand même, et souvent de très durs), ils n’auraient pu que répondre comme la Médée de Corneille : Moi, Moi, dis-je, et c’est assez. […] Le Timocrate de Thomas Corneille reçut du public un accueil enthousiaste qui n’empêche pas l’auteur de n’être pour nous que le frère du grand Corneille. […] Les contemporains, d’abord, opèrent, dans la quantité croissante des œuvres jetées en pâture au public, une première sélection, dont les résultats ne sont pas négligeables. […] Il s’ensuit, d’autre part, que pour pénétrer jusqu’au public, ce qui est sa fin sociale, le style doit être à la portée de ceux auxquels il s’adresse.

969. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Le ministre, de même, semblait par son adresse faire un bon usage des malédictions publiques ; il s’en servait pour acquérir auprès de la reine le mérite de souffrir pour elle… On sent, dans ces passages et dans tout le courant du style de Mme de Motteville, une imagination naturelle et poétique, sans trop de saillie, et telle qu’il seyait à la nièce de l’aimable poète Bertaut. […] Mme de Sénecé, que le cardinal avait jusque-là maltraitée et qui faisait la haute, est choisie par lui pour garder ses nièces lorsqu’elles arrivent d’Italie, et la voilà tournée en un jour : Tel paraît vaillant contre le favori qui, au moindre adoucissement de sa part, devient poltron ; et d’ordinaire cette hauteur se termine à une véritable bassesse que la rage d’en avoir été méprisé lui a fait colorer de générosité, de vertu et d’amour du bien public. […] La première journée des Barricades se passe presque toute en plaisanteries contre elle : « Comme j’étais la moins vaillante de la compagnie, toute la honte de cette journée tomba sur moi. » Pour une personne de cet intérieur, elle comprend très bien du premier coup la nature de la révolte dans la ville, et ce désordre si vite et si bien ordonné : Les bourgeois, dit-elle, qui avaient pris les armes fort volontiers pour sauver la ville du pillage, n’étaient guère plus sages que le peuple, et demandaient Broussel d’aussi bon cœur que le crocheteur ; car, outre qu’ils étaient tous infectés de l’amour du bien public, qu’ils estimaient être le leur en particulier… ils étaient remplis de joie de penser qu’ils étaient nécessaires à quelque chose. Cette parole, infectés de l’amour du bien public, a souvent été citée ; mais il n’y faudrait pas voir une naïveté de Mme de Motteville : elle savait ce qu’elle disait en parlant ainsi, et en qualifiant de maladie et de peste le faux amour dont cette population séditieuse était éprise en ce moment.

970. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

J’ai le public pour moi, et c’est ce que je voulais. […] Plus on me persécutera, plus j’aurai l’estime publique ». […] À peine établi à Sainte-Pélagie, il y reçut visites et félicitations, plus qu’il n’en voulait : Tout le monde est pour moi, écrivait-il à sa femme avec une sorte d’épanouissement ; je peux dire que je suis bien avec le public. […] N’oublions jamais toutefois que c’est par ce dernier côté qu’il a eu prise sur son temps, qu’il a fait son service public à certain jour, et qu’il est entré dans la pleine possession de lui-même.

971. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Cazalès y est touché avec distinction, et avec plus de légèreté que la plume d’Arnault n’en aura d’ordinaire : Les cas exceptés, dit-il, où la conversation roulait sur des questions d’intérêt public, Cazalès ne commandait pas à beaucoup près, dans un salon, l’attention qu’on ne pouvait lui refuser à la tribune. […] Après le 18 Brumaire, Arnault fut attaché à Lucien, alors ministre de l’Intérieur, et placé par lui à la direction des Beaux-Arts et de l’Instruction publique ; bientôt il suivit ce frère du consul dans son ambassade de Madrid, et revint après quelques mois reprendre sa place de directeur sous Chaptal, ministre. […] Une tragédie de lui, Don Pèdre, ou Le Roi et le Laboureur, représentée en 1802, réussit peu devant le public et n’agréa pas davantage à Saint-Cloud. […] Destitué en février 1815, il rentra pendant les Cent-Jours au ministère de l’Instruction publique, dont il tint même le portefeuille en attendant qu’on eût trouvé un dignitaire pour grand maître.

972. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Courtisan du goût public, il a, en un sens, raison de l’être : son talent ingénieux s’étend ainsi le plus possible, et il en tire le plus grand parti. […] Quel scandale pour la morale publique !

973. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Le malheur est que cette fausse vue, cette erreur d’observation et de jugement, combinée chez beaucoup d’hommes publics avec les intérêts et l’amour-propre, peut avoir pour conséquences pratiques d’entraver le libre et prompt développement des principes émis en lumière en juillet. […] Quand la société est morale, avancée, et se tient volontiers dans le bon sens et le travail, quand les passions et les haines publiques n’ont plus d’objet, les théories absolues et les prestiges quelconques peu de séduction, les conséquences les plus nombreuses et les plus vraies de la liberté n’ont aucun péril ; car elles garantissent ce travail, exercent et développent ce bon sens, préviennent le retour des passions politiques, ou en dirigent le cours vers le bien général, et ferment la bouche aux théories des rêveurs.

974. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Moins que tous autres, nous voudrions poser des limites à l’indépendance de ceux que le public veut bien accepter comme juges en matière de goût : nous-mêmes, nous avons été des premiers à discuter, avec une sévérité peut-être minutieuse, le système de versification adopté par notre collaborateur. […] Sainte-Beuve, qui ne parle ordinairement que des œuvres importantes, n’a pas souvent occasion de blesser personnellement les écrivains qui l’attaquent aujourd’hui, le public en sera réduit à se demander si la sympathie acquise à notre collaborateur ne serait pas, pour ceux qui ne se servent du feuilleton que dans l’intérêt de leurs passions, une critique permanente dont ils ont besoin de se venger. »

975. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

Les Anglais sont retirés dans leurs familles, ou réunis dans des assemblées publiques pour les discussions nationales. […] Quand le gouvernement est fondé sur la force, il peut ne pas craindre le penchant de la nation à la plaisanterie : mais lorsque l’autorité dépend de la confiance générale, lorsque l’esprit public en est le principal ressort, le talent et la gaieté qui font découvrir le ridicule et se plaire dans la moquerie, sont excessivement dangereux pour la liberté et l’égalité politique.

976. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

À chaque instant Shakspeare fait de la rhétorique, c’est qu’il avait besoin de faire comprendre telle situation de son drame, à un public grossier et qui avait plus de courage que de finesse. […] Picard, qui n’aurait besoin que d’être écrite par Beaumarchais ou par Sheridan, pour être délicieuse, a donné au public la bonne habitude de s’apercevoir qu’il est des sujets charmants pour lesquels les changements de décorations sont absolument nécessaires.

977. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Si quelque industriel hardi et insinuant décidait, par son éloquence ou par des cachets sérieux, nos principales « illustrations » à venir passer tous les jours une demi-heure dans quelque salle entièrement vitrée, sur le boulevard, et admettait le public à les voir  pour de l’argent  ne pensez-vous pas qu’il ferait plus rapidement fortune qu’un directeur de ménagerie ou de musée anthropologique ? […] Même quand l’artiste qui pourtraicturait les comédiens a prétendu peindre ou crayonner leur tête à eux, leur tête d’homme et de chrétien, il a eu beau faire, il s’est souvenu de tel ou tel de leurs masques publics, et c’est cela qu’il a reproduit, peut-être à son insu.

978. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Écrivain savant, il eût pu, par des histoires sur le cœur des femmes adultères, se saisir de la faveur publique, de l’argent, de la renommée. […] Il accepta qu’elles écartassent de lui, pour toujours, le public qui achète les livres.

979. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Disons-le franchement : une telle excuse n’était bonne que pour un public devant lequel Molière, approuvé par la cour et autorisé par la licence générale des mœurs, n’avait pas besoin d’excuse. Molière devenu nécessaire au roi pour mes fêtes de Versailles et du Louvre, poète de tous les divertissements de la cour, était absous d’avance de toutes les libertés qu’il prenait avec le public.

980. (1888) La critique scientifique « Appendice — Plan d’une étude complète d’esthopsychologie »

Vente énorme : persistante pour les Misérables dans le peuple, pour l’Homme qui rit dans le public lettré. […] Pour leurs admirateurs : Verbalisme, les caractères absolus et bornés du mot ; irréalisme général du public des théâtres et des auteurs-poètes dramatiques ; préférence des décors aux âmes.

981. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Il y eut des factums, pour lui prouver qu’il étoit un perturbateur du repos public. […] Un nommé le Gras, avocat sans occupation & qui se croyoit un écrivain du premier ordre, pour avoir donné au public une mauvaise rhétorique Françoise, déclama contre la réforme projettée.

982. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

La seule chose qu’on puisse raisonnablement demander au public, c’est de juger avec indulgence. […] Mais, si tel qu’il est, il parvient à révéler des noms nouveaux à nos lecteurs, à piquer la curiosité du public, à l’inciter à connaître mieux cette Nouvelle littérature dont on lui parle tant et qu’il ignore, nous serons largement payés de nos peines.

983. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Il y a là de quoi désespérer tous les grands artistes et leur inspirer le plus parfait mépris pour le jugement du public. […] Je n’ai jamais entendu faire autant d’éloges d’aucun tableau de Van Loo, de Vernet, de Chardin que de ce maudit tableau de famille de Lépicié, ou d’un autre tableau de famille, plus maudit encore, de Voiriot ; ces indignes croûtes ont entraîné le suffrage public et j’avais les oreilles rompues des exclamations qu’elles excitaient.

984. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XI »

Albalat sont un danger public », dit M. van Oennep (Revue générale de bibliographie, novembre 1903). Un danger public !

985. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

Des œuvres posthumes comme celle de Maurice et d’Eugénie de Guérin, ces esprits enchanteurs dont j’ai appris le premier les noms au public, n’appartiennent pas davantage à la génération actuelle. […] aux œuvres qui, minces de talent, n’avaient pas, pour passionner le public, la ressource de la monstrueuse visée de Renan.

986. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Devons-nous au Piémont le sacrifice de tout ce qui a constitué jusqu’ici, parmi les sociétés civilisées, ce qu’on appelle le droit public, le droit des gens : le respect des traités, la sainteté des limites, la légitimité des possessions traditionnelles, l’inviolabilité des peuples avec lesquels on n’est pas en guerre ? […] Garibaldi, lui, avait le droit, à ses risques et périls, de l’insurrection ; car sa tête répondait de son audace, et il ne répondait à aucun allié, à aucun droit public, à aucun principe diplomatique, de ses exploits tout individuels. […] Mais le roi de Piémont était un roi, roi par le droit public respecté en lui, et qui devait être respecté par lui chez les autres ; roi allié de la France, roi défendu dans deux batailles par la France, roi responsable devant la France, roi dont la France était en quelque sorte elle-même responsable, depuis qu’elle lui avait prêté sa force pour défendre son royaume et pour l’agrandir contre ces mêmes envahissements qu’il pratique aujourd’hui chez les autres. […] C’est le cas, ou jamais, de conférer avec l’Europe ou de déchirer pour toujours le droit public, cette charte des peuples, des États, des trônes, de jouer le monde au jeu des insurrections royales, et de ne plus mettre dans les balances que des ambitions et des boulets, au lieu de droit public ! […] Nous devons, dans la limite du droit public, respecter, honorer, au besoin favoriser ce droit, s’il était nié ou attaqué dans son exercice par des puissances étrangères à l’Italie.

987. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Elle ne lui gardait pas de haine dans sa chute ; mais elle haïssait l’autorité de ses exemples, la corruption funeste qu’ils avaient répandue, et cette doctrine de la fatalité, du mensonge et de la force qu’elle sentait et qu’elle prévoyait survivante après lui ; avec quelle admiration curieuse nous l’avions encore entendue remuer tant de questions naguère interdites et comme inconnues en France, les principes de l’ancien droit public de l’Europe, les causes populaires de la victoire actuelle des droits coalisés, le travail tardif et la solidarité pour longtemps indissoluble de la coalition, les instincts différents et pourtant compatibles des monarques héréditaires et des parvenus au trône, d’Alexandre et de Bernadotte ; enfin le génie collectif et pourtant inépuisable de l’Angleterre pouvant au besoin se passer du hasard d’un grand homme pour faire de grandes choses, et, forte d’une institution qui lui fournit toujours à temps des hommes résolus et capables, achevant, par la ténacité de lord Liverpool et de lord Castelreagh, ce qui avait consumé le génie et l’espérance de Pitt ! […] Un intérêt intime se mêlait alors en elle à l’anxiété publique ; quelques jours auparavant son âme était tout entière à des soins de famille, à l’union la plus digne préparée pour sa fille, à la pensée du jeune homme de si noble nom et de si grandes espérances que sa fille et elle avaient choisi, et maintenant c’était des apprêts d’une fuite nouvelle, l’attente d’un nouvel ébranlement de l’Europe, d’une ruine publique où pouvait s’abîmer tout bonheur privé, qui de toutes parts obsédaient cette âme active, que les incertitudes ordinaires de la vie suffisaient à troubler parfois jusqu’à la souffrance. […] Cela est affreux. » D’autres paroles, plus abandonnées, exprimaient, dit-on, avec une lucidité étonnante dans un pareil trouble public et privé, toutes les conditions de mécontentement intraitables, de secrètes hostilités, de défections cachées sous l’alliance dont Napoléon allait être entraîné de toutes parts à l’intérieur avec les périls et les démonstrations implacables du dehors. […] Le retour à main armée de l’île d’Elbe était incontestablement le plus grand attentat de Napoléon contre la conscience publique, contre la paix du monde, et contre la fortune de la France. […] Il rappelle qu’il y a eu une vertu publique, et que si le peuple en a perdu la formule, la langue du moins en a conservé le retentissement.

988. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Le seul plaisir qu’on y pût prendre, celui d’y retrouver l’imitation des formes du théâtre ancien, ne pouvait guère toucher le public. […] L’instinct du public en jugeait mieux que l’enthousiasme des érudits. […] Le public d’un jour jugea comme la postérité. Le mérite en est à Corneille, qui, en créant l’art, avait créé un public pour le goûter. […] Mais la faveur populaire est assurée aux gouvernements héroïques qui ont fait de grandes choses, au prix du sang des générations, du deuil des mères, de la ruine publique.

989. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Gounod, avec une école d’exécutants aussi parfaitement modelés que possible au caractère des ouvrages à la mode, et plus généralement, dans un monde artistique encore possède de romantisme (oublieux de la tradition du réalisme racinien, curieux uniquement des contrastes à la Hugo et à la Berlioz), c’est une œuvre sérieuse que d’introduire Parsifal, Tristan, ces retours au poème psychologique et réaliste, que de constituer des musiciens pour les interpréter, un public pour les comprendre. […] Je puis dire sans crainte que malgré les efforts de beaucoup d’apôtres dévoués et de grand talent, l’idée Wagnérienne n’est toujours qu’à demi comprise par le public anglais et même par les musiciens anglais. […] Le grand public anglais ne connaît l’Opéra que sous la forme introduite par Offenbach, traduite en anglais et rendue bien plus décente et bien moins amusante par Sullivan. […] J’étais présent au premier cycle, et je pus constater l’effet extraordinaire produit par cette œuvre, surtout quand on se rappelle que ce public n’était pas initié aux mystères Wagnériens. […] Aussi ce final est-il un de ceux qui saisissent le public irrésistiblement, et que la salle entière applaudit dans un commun accord d’admiration !

990. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Le public lettré est tout préparé. […] La pensée scientifique est mûre pour faire éclore une poésie spéciale, l’instrument est admirablement préparé ; le public attend, quand viendra le poète ? […] Quel que soit le sort de cette tentative auprès du grand public, qui n’est pas toujours en goût de faire des efforts pour comprendre, elle mérite d’être signalée à deux points de vue, comme l’essai hardi d’un talent personnel et comme un symptôme des temps. […] C’est le devoir de la critique de faire l’examen de conscience du public, le nôtre et celui du poète, et de chercher les raisons de cette hésitation ou de cette froideur qui semblent injustes. — Il ne servirait de rien d’accuser le public, son incompétence, sa frivolité, son peu de goût pour les matières abstraites, son visible ennui « dès que le sujet traité cesse d’être aisément accessible aux esprits de moyenne culture ». Le public même incompétent se laisse volontiers émouvoir, persuader par l’opinion de l’élite ; il s’associe à l’enthousiasme des connaisseurs ; il ne comprend pas toujours, mais avec un instinct qui ne se trompe guère et qui ne demande qu’à être averti, il conçoit, il sent qu’il y a ici ou là une œuvre irrésistible, entraînante ; de confiance il applaudit, et il devient l’ouvrier d’un succès, même quand il n’en connaît pas bien les hautes et délicates raisons.

991. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Singulier impôt que celui qu’il prélève en admiration sur un public hostile, mais qu’il prend et soulève par l’envie et la haine et tous les mauvais sentiments ! […] Aristophane de ce public pulvérisé qui le maudit peut-être en l’applaudissant, Proudhon, ce conquérant d’une minute des planches de la publicité, souffre impatiemment la concurrence, et il nous débarrasse de ses amis, qu’il balaye. […] Proudhon, qui se raconte, se pavane, s’étale, et traite le public comme ce valet de chambre pour lequel il n’y a pas de grand homme, Proudhon pourrait se dispenser de prendre tant de soin et de se raconter. […] Et, en effet, pour l’éditeur comme pour le public, c’est indubitablement une fortune. […] Il met dans ses livres le même masque grossissant que l’acteur comique de l’Antiquité plaquait sur son visage pour faire plus d’effet au public… Proudhon ne met pas le masque de l’hyperbole.

992. (1905) Pour qu’on lise Platon pp. 1-398

Or ceci est très grave, parce qu’ils sont les éducateurs de la jeunesse et les maîtres de l’esprit public et parce que les Athéniens n’ont que trop de tendance à faire entrer peu de préoccupations morales dans leur conduite tant privée que publique. […] De même le joueur de lyre dans les fêtes publiques. […] Il dit au public : Vous voulez rire. […] Le poème épique étant un poème sérieux, le public exige de lui la beauté morale. […] Mais qu’est-ce que c’est que la connaissance des affaires publiques ?

993. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

La mode est aujourd’hui de transmettre au public ses moindres idées, les songes les plus fugitifs. […] L’idéal qu’il décrit de l’épouse qui lui conviendrait est à peu près le portrait d’une fille publique. […] Vous serez bien heureux s’il ne passe pas pour un ennemi public et s’il n’est pas traité comme tel. […] Mais le public veut le bourgeois bête et encrassé, et c’est comme cela qu’il faut le lui servir. […] lui répondis-je ; le public, maintenant indulgent, se vengera un jour.

994. (1901) Figures et caractères

Privée ou publique, on la sait. […] Ce temps d’orgie publique eût amusé un instant son âme voluptueuse. […] Une œuvre nombreuse et diverse déconcerte le public. […] Il se délivra ainsi de ses devoirs héréditaires et de ses charges publiques. […] Les nouveaux venus avaient un public, des journaux, des revues.

995. (1927) Les écrivains. Deuxième série (1895-1910)

… Moi… je respecte le public… j’enveloppe ! […] … La tête du public, monsieur ! […] Dur à Cuir, inspecteur primaire à Lille, et membre du conseil supérieur de l’Instruction publique… nous avons beaucoup mieux. […] Georges Leygues et au ministre de l’Instruction publique par aucune hiérarchie descendante, et qui répond au nom plus euphonique de André Hélie. […] Jules Lemaître, comme je regretterais d’avoir si vainement échangé mon fauteuil d’orchestre contre la chaise de paille des réunions publiques !

996. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Comte et Dunoyer à la fin de l’Empire, avec cette différence qu’il ne réussit jamais à prendre sur aucune classe du public ; cela tenait à sa forme et à son mode d’exposition ; mais, comme eux, il ne voyait exclusivement qu’un côté de la question : en revanche, il le voyait à perte de vue et dans toute sa longueur. […] Il y portait à la fois un sentiment dont plus d’un se targue en paroles, mais qui, sincère chez lui et profond, était de plus constant et fixe jusqu’à la manie, le désir d’en faire profiter les autres et d’être utile au public. […] L’abbé de Saint-Pierre l’oubliait ; il ne s’était jamais brouillé avec l’agrément et le charme, par la bonne raison qu’il ne les avait jamais connus ; il faut bien lâcher le mot, il était dans une impossibilité malheureuse, — malheureuse pour lui et surtout pour les autres —, de comprendre tout ce qu’enferme de triste et de fâcheux ce mot qui est mortel au public français l’ennui.

997. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Parny poète élégiaque. » pp. 285-300

Un tel poème, qui n’aurait pas eu d’inconvénient lu entre incrédules, aux derniers soupers du grand Frédéric, et qui aurait fait sourire de spirituels mécréants, prit un tout autre caractère en tombant dans le public : il fit du mal ; il alla blesser des consciences tendres, des croyances respectables, et desquelles la société avait encore à vivre. […] Oui, en France, dans ce qu’on déprime ou ce qu’on arbore en public, on ne pense guère le plus souvent au fond des choses ; on pense à l’effet, à l’honneur qu’on se fera en défendant telle ou telle opinion, en prononçant tel ou tel jugement. […] Le plus rébarbatif de tous, M. de Bonald, a dit : « Je crois que la poésie érotique est finie chez nous, et que, dans une société avancée, on sentira le ridicule d’entretenir le public de faiblesses qu’un homme en âge de raison ne confie pas même à son ami.

998. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La vanité règne quelquefois à l’insu même du caractère qu’elle gouverne ; jamais du moins sa puissance n’est publiquement reconnue par celui qui s’y soumet : il voudrait qu’on le crût supérieur aux succès qu’il obtient, comme à ceux qui lui sont refusés ; mais le public, dédaignant son but, et remarquant ses efforts, déprise la possession, en rendant amère la perte. […] La vanité des hommes supérieurs les fait prétendre aux succès auxquels ils ont le moins de droit ; cette petitesse des grands génies se retrouve sans cesse dans l’histoire ; on voit des écrivains célèbres ne mettre de prix qu’à leurs faibles succès dans les affaires publiques ; des guerriers, des ministres courageux et fermes, être avant tous flattés de la louange accordée à leurs médiocres écrits ; des hommes, qui ont de grandes qualités, ambitionner de petits avantages : enfin, comme il faut que l’imagination allume toutes les passions, la vanité est bien plus active sur les succès dont on doute, sur les facultés dont on ne se croit pas sûr ; l’émulation excite nos qualités véritables ; la vanité se place en avant de tout ce qui nous manque ; la vanité souvent ne détruit pas la fierté ; et comme rien n’est si esclave que la vanité, et si indépendant, au contraire, que la véritable fierté, il n’est pas de supplice plus cruel, que la réunion de ces deux sentiments dans le même caractère. […] La vanité est l’ennemie de l’ambition ; elle aime à renverser ce qu’elle ne peut obtenir ; la vanité fait naître une sorte de prétentions disséminées dans toutes les classes, dans tous les individus, qui arrête la puissance de la gloire, comme les brins de paille repoussent la mer des côtes de la Hollande : enfin, la vanité de tous sème de tels obstacles, de telles peines dans la carrière publique de chacun, qu’au bout d’un certain temps le grand inconvénient des républiques, le besoin qu’elles donnent de jouer un rôle n’existera, peut-être, plus en France : la haine, l’envie, les soupçons, tout ce qu’enfante la vanité, dégoûtera pour jamais l’ambition des places et des affaires ; on ne s’en approchera plus que par amour pour la patrie, par dévouement à l’humanité, et ces sentiments généreux et philosophiques rendent les hommes impassibles, comme les lois qu’ils sont chargé d’exécuter.

999. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

On ne s’avisait pas que, dans cette peu saisissante ouverture, le public apprenait les sentiments réciproques des deux jeunes gens et l’accord certain des deux pères pour les marier. […] Je ne parle point ici de l’obligation où l’on peut être de répéter plusieurs fois de suite, en un même passage, la même idée, sous des formes diverses, pour la faire mieux saisir du public et l’enfoncer dans les esprits. […] Il a ramené à Rome nombre de captifs, dont les rançons ont rempli les coffres publics : est-ce là ce qui a paru ambitieux dans César ?

1000. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Si sa critique n’est pas plus technique, n’est-ce pas que le public ne l’aurait pas suivi ? […] Ces œuvres étaient toutes pleines d’intentions littéraires ; elles voulaient agir sur le public par les sujets et par les idées que les sujets suggéraient, idées polissonnes chez Boucher ou Fragonard, idées voluptueuses ou morales chez Greuze, idées philosophiques chez Bouchardon. […] Au public enfermé jusqu’ici dans le goût littéraire, il ouvre des fenêtres sur l’art ; à travers toutes ses expansions sentimentales et ses dissertations de penseur, il fait l’éducation des sens de ses lecteurs ; il leur apprend à voir et à jouir, à saisir la vérité d’une attitude, la délicatesse d’un ton.

1001. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Les deux maîtres étaient jeunes ; ils avaient beaucoup d’idées communes ; ils s’aimèrent et luttèrent devant le public de prévenances réciproques. […] Elle avait été mariée, probablement malgré elle, à son oncle Hérode, fils de Mariamne 322, qu’Hérode le Grand avait déshérité 323 et qui n’eut jamais de rôle public. […] Les synoptiques font venir Jésus vers Jean, avant qu’il eût joué de rôle public.

1002. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — I. La Poësie en elle-même. » pp. 234-256

Il prétend que les premiers philosophes hermétiques, c’est-à-dire, ceux qui travaillèrent au grand-œuvre & à faire de l’or, sont les pères de la mythologie ; qu’elle leur étoit un langage particulier ; qu’ils l’avoient imaginé, pour dérober au public la connoissance de leurs secrets ; que la poësie représentoit la théorie de leur art ; qu’il leur servoit à parler énigmatiquement pour les autres, & très-intelligiblement pour les adeptes, à peu près comme les francs-maçons, qui se reconnoissent à certains mots & à certains signes. […] Le roi lui demanda, pour le mortifier, s’il sçavoit le droit public. […] Le jeune Baratier y travailla si fort, renonçant à toute autre étude, qu’il soutint sa thèse de droit public au bout de quinze mois : mais il mourut, peu de temps après, de l’excès du travail.

1003. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Il s’est dit peut-être que le raisonnement n’a pas de prise sur le public. […] Au contraire, proclamez bien haut que si l’on continue à croire vos adversaires, Dieu, la vérité, la morale publique sont en danger ; aussitôt l’auditoire dressera les oreilles ; les propriétaires s’inquiéteront pour leur bien, et les fonctionnaires pour leur place ; on regardera les philosophes dénoncés avec défiance ; par provision on ôtera leur livre des mains des enfants ; le père de famille ne laissera plus manier à son fils un poison probable. […] La science n’a pas coutume d’avoir tant d’aisance, ni la psychologie tant de grâce ; et ce qui ajoute à leur prix, c’est qu’elles ne font point sortir le public du terrain où il a coutume de se tenir ; elles semblent le complément d’un cours de langue ou de littérature ; l’auteur décompose une fable de La Fontaine pour faire le catalogue des opérations de l’esprit ; une phrase de Buffon, pour prouver que tout raisonnement est un composé de propositions identiques.

1004. (1936) Réflexions sur la littérature « 1. Une thèse sur le symbolisme » pp. 7-17

Tout cela, bon ou mauvais, eut sur le goût public une influence précise. […] Et le contraste est curieux avec les poètes de la génération parnassienne qui (sauf Leconte De Lisle) ne portèrent leur vers au théâtre que pour l’y galvauder et fausser l’oreille du public. […] Si la poésie née du symbolisme donne les fruits que nous devons en attendre encore, si un théâtre de poésie neuve forme l’oreille du public, si les essais critiques qui se poursuivent actuellement sur l’essence et le rythme du vers français continuent eux aussi à assurer et à affiner le sens poétique, jamais plus riche matière n’aura été offerte à l’exercice du goût conscient et aux délicatesses de l’analyse.

1005. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Et le prestige sur les âmes est fait à peu près chez Baudelaire des mêmes éléments que chez Vigny : il n’a pas eu le même public, jusqu’à ces derniers temps du moins, mais il a agi sur son public de même façon. […] Comment concilier en une nature unique cette impuissance de rien dire au public, cette puissance illimitée de tout dire sur soi et à soi ? […] Mais écrire pour être lu, s’adresser à des étudiants, parler à un public, cela mettait en jeu des mécanismes tout différents, des mécanismes rouillés qui, au moindre essai, résistaient et grinçaient. […] Car alors, il aurait dû inévitablement récrire pour le public, avoir devant lui un autre horizon que celui de la page immédiate, de la page blanche, de la page nue. […] En revanche le Journal intime a trouvé un public fervent en pays anglo-saxon, germanique, scandinave.

1006. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Ainsi enfermée dans les vérités reconnues, votre satire deviendra plus âpre, et ajoutera le poids de la croyance publique à la pression de la logique et à la force du ressentiment. […] Simplement par amour de la vérité et par devoir public. […] Il avait essayé trois fois de me faire assassiner dans le cours de la négociation ; mais naturellement nous étions amis en public, et nous échangions des saluts de la façon la plus cordiale et la plus charmante. […] Cet homme public, d’une probité inflexible, est dans son salon un vaniteux insupportable. […] Not in the least out of malice ; not at all from envy ; merely from a sense of truth and public duty.

1007. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Je n’ai point attendu ces circonstances pour exprimer les sentiments de déférence et de respect que m’a toujours inspirés l’auteur ; mais je profiterai du moment favorable pour parler de lui avec l’étendue qu’il mérite, pour caractériser quelques-uns de ses travaux, et le présenter au public tel que je l’ai vu constamment et que me le peignent les hommes qui l’ont le plus cultivé et qui l’ont suivi de plus près. […] Quant au Dictionnaire historique de l’Académie, il n’est encore connu du public que par un premier fascicule qui a été bien accueilli, mais qui n’a guère été pris qu’à titre de gage et d’arrhes. […] Au lieu d’opposer l’un à l’autre, au lieu d’instituer entre les auteurs ou les œuvres un parallèle et un contraste désormais inévitable, et dont le public sera un juge peu indulgent, j’aurais voulu réunir et fondre, combiner les avantages sans les défauts. […] Dans quatre ou cinq ans au plus, le public possédera l’ouvrage tout entier. […] Cousin, ministre de l’Instruction publique, le fit presser par M. 

1008. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Je suis tout prêt, pour mon compte, à trouver l’excuse bonne ; car elle met à la charge du public une partie du mal que font les mauvais livres, et elle l’avertit d’avoir le goût honnête, s’il veut qu’on écrive pour lui des livres où il soit respecté. […] Rollin semble avoir reçu, comme un legs du dix-septième siècle, la tâche d’exprimer, dans la langue qu’on y parlait, ce qu’ont pensé tous ses grands esprits sur le meilleur régime d’éducation publique dans une société civilisée et chrétienne. […] Le moyen de l’éducation païenne est d’inspirer à l’enfant de la hardiesse, d’allumer son orgueil, de le préparer aux combats de la vie publique ; le moyen de l’éducation chrétienne est de le rendre défiant de lui-même, de faire de l’émulation une rivalité de bons offices, de préparer l’homme à vivre en paix avec ses semblables. […] Il n’y a dans son livre rien de spéculatif : c’est l’explication de ce qui se faisait, avec plus ou moins de lacunes, dans les écoles publiques de son temps. […] Il y en a une autre plus directe, qui s’applique à tous les devoirs particuliers de l’éducation publique.

1009. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Le comble de l’illusion, pour la comédie, c’est de faire croire au public qu’il est chez lui. […] Aussi, vers le milieu du siècle, le public demandait-il du nouveau. […] que d’actions publiques ou domestiques ! […] Tout en se parlant entre eux, ils sont tournés à demi vers le public, et ils lui donnent le mot. […] La préface de sa pièce rendit publique sa jalousie que le succès n’avait pas désarmée.

1010. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

La question de la réforme gouvernementale n’est donc plus politique ; elle est morale et religieuse ; le ministère de l’Instruction publique est le plus sérieux, ou, pour mieux dire, le seul sérieux des ministères. […] Ce qu’il donne aux religions n’est qu’une aumône ; elles doivent rougir en le recevant, et je comprends bien l’indignation des ultramontains ardents, quand ils voient Dieu figurer sur le budget de l’État comme un fonctionnaire public. […] Ainsi s’explique la mauvaise humeur que le peuple a montrée de tout temps contre les philosophes, surtout quand ils ont eu la maladresse de se mêler des affaires publiques. […] Mais quand tous seront sages, ou quand la raison publique sera assez forte pour faire justice des insensés, nulle restriction ne sera nécessaire. […] La liberté de tout dire ne pourra avoir lieu que lorsque tous auront le discernement nécessaire et que la meilleure punition des fous sera le mépris du public.

1011. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Il y a des gens, presque aussi inconnus de nous que du public, qui disent nous admirer. […] * * * — Un critique juge toujours un peu avec le public : il accepte l’opinion plutôt qu’il ne la donne. […] Prévost-Paradol à la séance publique annuelle et solennelle de l’Institut. […] Comment ose-t-il, en plein Institut, jeter l’injure à la conscience de l’art, à l’amour unique et désintéressé des lettres, aux derniers écrivains qui méprisent l’à-propos, le savoir-faire, tous les succès qu’un talent, comme le sien, a ramassés dans la flatterie des passions et du public d’un jour ! […] Nous avions assez de cette douche écossaise d’imbécile, mélangée de chaud et de froid, d’insolence inconsciente et de compliments grossiers, assez de cet entrepreneur routinier, faisant dans sa détresse un coup de tête, et voulant jouer un va-tout sur notre nom, mais tout ahuri, mais tout dépaysé de ne pas rencontrer son Bouchardy, son Dennery, dans une pièce de nous ; et nous trouvions vraiment ironique d’entendre cet homme, si près de sa faillite, parler de son public, ce public qui siffle au Châtelet, tout ce que cet animal de directeur « intelligent » s’échigne à lui choisir.

1012. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Alphonse dans l’imagination publique. […] Coquelin, quand il reparaît pour jeter au public le nom de M.  […] Il a montré, en plus d’une circonstance publique, une incontestable bravoure. […] Mais le public est conquis à Maud. […] le public aime cela ; il le montre assez tous les jours ; et l’évidence de ce goût du public excuse peut-être les écrivains qui ont la faiblesse de s’y plier.

1013. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Le public ne les connut pas. […] Les femmes, encore sauvages, déchiraient sur la place publique les messagers des désastres. […] L’accusateur public, Fouquier-Tinville, s’en alarma. […] Il est possible que l’indifférence publique nous ait aidés dans cette tâche. […] « Le public, dit-il, et les poètes ne suivent guère le même chemin.

1014. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Sarcey, deux choses très dures à faire avaler au public. […] M.Sarcey ne sait pas plus que moi pourquoi le public s’amuse. […] M.Sarcey, — contre ses habitudes, — croit ici le public plus malin qu’il n’est. […] Des gens se promènent et causent dans un jardin public. […] C’est, je crois, ce qui a déconcerté le public çà et là.

1015. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — I. » pp. 88-109

Et semble que ce moyen de nous entravertir apporterait non légère commodité au commerce public ; car à tout coup il y a des conditions qui s’entrecherchent, et, pour ne s’entr’entendre, laissent les hommes en extrême nécessité. » Renaudot, qui savait sort Montaigne et qui s’en autorise, résolut d’établir ce centre commun d’annonces, d’adresses et de renseignements ; il eut l’idée de plus, soit par un sentiment d’humanité, soit pour mieux achalander son entreprise, de donner des consultations gratuites, et de se faire le commissaire officieux, mais qualifié et breveté, des pauvres et des malades, de ceux qui ne voulaient pas entrer dans les hôpitaux, et qui désiraient être traités à domicile : il se chargeait de leur procurer gratis médecins et médicaments. […] La Faculté, au contraire, protestait contre toute idée d’imitation et soutenait que, dans cet essai de bonne œuvre publique, elle n’avait eu à s’inspirer que d’elle-même et de son amour du bien. […] Gui Patin en triomphe, et avec une sorte de joie cruelle ; ses lettres de 1644 sont toutes pleines de ses bulletins de victoire : Je vous dirai, écrit-il à Spon (8 mars), qu’enfin le Gazetier, après avoir été condamné au Châtelet, l’a été aussi à la Cour, mais fort solennellement, par un arrêt d’audience publique prononcé par M. le premier président (1er mars). […] Un des pamphlets que s’attira Gui Patin dans sa querelle avec Renaudot, en 1644, est censé écrit, ou du moins porgé à la connaissance du public par Machurat, compagnon imprimeur, lequel traite Gui Patin en ancien camarade et lui rappelle le jour où il fut reçu compagnon.

1016. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

Par dédain pour les qualités tempérées qui suffisent aux conditions d’une société vieillie, il disait : « Mêlez un peu d’orgueil qui empêche d’oublier ce qu’on se doit, de sensibilité qui empêche d’oublier ce qu’on doit aux autres, et vous ferez de la vertu dans les temps modernes. » Mais pour les anciens, tout en sachant en quoi nous les surpassons, il les montre bien supérieurs en énergie, en déploiement de facultés de tout genre : forcés par la forme de leur gouvernement de s’occuper de la chose publique d’en remplir presque indifféremment tous les emplois de paix et de guerre, de s’y rendre propres et de s’y tenir prêts à tout instant, de parler devant des multitudes vives, spirituelles, mobiles et passionnées : Quelle devait être, dit-il, l’explosion des talents animés, stimulés par d’aussi puissants motifs ! […] M. de Meilhan, qu’on a vu apprécier les anciens et regretter que la vie publique fût trop rétrécie et trop étouffée chez les modernes, se demande si la Révolution dont il est témoin va rouvrir en effet toutes les sources généreuses. […] Cette brochure de M. de Meilhan est aujourd’hui pour nous plus intéressante à lire qu’elle ne le parut de son temps, où elle se perdit au milieu du bruit et de l’inflammation des passions publiques. […] Le duc de Richelieu, fils du maréchal, écrivait à Sénac de Meilhan, en septembre 1790, une lettre imprimée à la suite de la préface dans le Prospectus, et qui avait pour objet de le rassurer ainsi que le public contre la ressemblance des deux publications.

1017. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Mais il y a un écrit de lui, le dernier imprimé de son vivant, et sa dernière production peut-être, que je regrettais de n’avoir pu me procurer, et qui me semblait devoir contenir le dernier mot de son esprit et de son expérience : L’Émigré, roman en quatre volumes, imprimé en 1797 à Brunswick, ne se trouve à Paris dans aucune bibliothèque publique ; je ne connaissais personne qui l’eût jamais lu ni vu, lorsqu’un ami a eu la bonne fortune de le rencontrer à Berlin et l’obligeance de me l’envoyer. […] Pour nous, ce qui nous attire et ce qui nous en plaît aujourd’hui, ce n’est pas tant ce canevas sentimental aisé à imaginer, et qui est traité d’ailleurs avec grâce et délicatesse, comme aurait pu le faire Mme de Souza ; ce sont moins les personnages amoureux que des personnages au premier abord accessoires, mais qui sont en réalité les principaux : c’est un président de Longueil, forte tête, à idées politiques, à vues étendues, une sorte de Montesquieu consultatif en 89, et qui, en écrivant à Saint-Alban, lui communique ses appréciations supérieures et son pronostic chaque fois vérifié ; — c’est aussi le père du jeune Saint-Alban, espèce de Pétrone ou d’Aristippe, qui, pour se livrer à ses goûts d’observation philosophique et de voyages, a renoncé dès longtemps aux affaires, aux intérêts publics, même aux soins et aux droits de la puissance paternelle, et s’en est déchargé sur son ami le président de Longueil. […] C’est une chose remarquable dans la Révolution que le courage passif et la résignation, tandis que rien n’est plus rare qu’un courage actif et entreprenant… Et comme il y a cependant, au milieu de cette apathie publique, d’admirables exemples de ce premier genre de courage, comme on voit des vieillards, des femmes, des jeunes gens à peine sortis de l’enfance, qui marchent à la mort de sang-froid : Beaucoup de gens ressemblent, pour le courage, à ces avares qui gémissent à chaque petite somme qu’ils sont forcés de dépenser, et qui sont capables d’en donner une très grosse sans en être affectés. […] Ce qui est assez particulier, c’est que ce comte de Saint-Alban, dessiné de la sorte, nous est donné de son propre aveu comme ayant été à l’origine, et presque dès le collège, un libéral sans préjugés et un ambitieux de la belle gloire, de celle qui s’acquérait dans les luttes de la parole publique et de l’antique forum ; ce serait un grand citoyen manqué, un Chatam venu trop tard ou trop tôt, désœuvré dans le pays de Mme de Pompadour, et qui, voyant le noble but impossible, en aurait dédaigné de moindres, et se serait jeté, de dégoui et de pitié, dans les délices : Les plaisirs sont la seule ressource de l’homme ardent et passionné dont l’ambition est contrariée !

1018. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Dès l’instant où il hérita du sceptre, de ce sceptre de saint Louis, et où il reçut les serments de la noblesse près du lit ensanglanté de Henri III, Henri IV avait dû, par une déclaration expresse (3 août 1589), donner à la religion catholique toutes les promesses rassurantes pour le maintien de sa prédominance à titre de religion, du royaume, en même temps qu’il garantissait aux calvinistes une pleine liberté de conscience, et l’exercice public de leur culte dans de justes limites : il ne pouvait faire moins. […] Tout s’y vient ranger successivement dans les cadres et sous les titres de « Justice », « Ordre public », « Finances », « Agriculture », « Manufactures », « Routes et canaux », « Colonies », « Littérature », « Beaux-Arts », etc., etc. […] Non, la conscience publique ne s’est point trompée, la reconnaissance nationale et populaire n’a point salué à faux le roi longtemps guerrier qui devint celui des laboureurs et des gens du plat pays, qui les releva de la ruine, réprima les brigandages, permit à tout gentilhomme ou paysan « de demeurer en sûreté publique sous son figuier, cultivant sa terre ».

1019. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Ces copies, incomplètement imprimées, arrivaient ainsi peu à peu, et par bribes, dans le public lettré ; un extrait venait, tant bien que mal, s’ajouter à l’autre, jusqu’à ce que Brunck, à Strasbourg, en 1772, avec l’initiative et la décision qui le caractérisent, publia un texte complet, un peu travaillé à sa manière, et dans un cadre arbitrairement distribué ; mais enfin, on put jouir, grâce à lui, de cette récolte exquise de tous les miels de la Grèce. […] Maintenant ce sera un jardin public, et peut-être, au lieu des fleurs, n’y trouvera-t-on plus que de la jonchée… Et pourquoi tout donner d’un coup ? […] Le public est partout, il veut tout ; il faut lui obéir et le servir. […] Il savait, Aristocratès, tenir d’agréables discours en public, et, vertueux, ne pas froncer un sourcil sévère.

1020. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Il décerne à François Ier tous les éloges qui lui sont dus à cet égard, pour avoir commencé à restituer le langage français en sa dignité, et en avoir fait l’interprète public de la loi et de l’enseignement, au moins au Collège de France. […] Tant qu’on a été classique en France, que le goût du public a été tel, et d’un classique moyen, on a aimé la traduction en vers des poètes. […] Si les rois et les pouvoirs publics s’y prêtaient, il aimerait à voir tenter derechef la comédie et la tragédie, à l’exclusion des farces et moralités qui occupent et usurpent les tréteaux. […] Bien qu’il ait annoncé précédemment qu’il ne tracerait pas l’idée complète et exemplaire du poète, il va pourtant le dépeindre et le présenter dans les conditions qu’il estime les plus favorables pour entreprendre une telle œuvre, c’est-à-dire doué d’une excellente félicité de nature, instruit dès l’enfance de tous les bons arts et sciences, versé dans les meilleurs auteurs de l’Antiquité, nullement ignorant avec cela des offices et devoirs de la vie humaine et civile, pas de trop haute naissance surtout ni appelé au régime public, ni non plus de lieu abject et pauvre, afin d’être exempt des embarras et des soucis domestiques, mais tranquille et serein d’esprit par tempérament et aussi par bonne conduite : il est touchant de lui voir définir cette heureuse médiocrité de condition et de circonstances, qui permet mieux en effet toute sa franchise de vocation et tout son essor au génie.

1021. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

A cette quantité d’autres écrits de circonstance et de combat, une idée morale, une apparence de patriotisme, un drapeau donnait une sorte de noblesse et recouvrait aux yeux du public, aux yeux des auteurs et compilateurs eux-mêmes, le mobile plus secret. […] On eut beau vouloir séparer dans le journal ce qui restait consciencieux et libre, de ce qui devenait public et vénal : la limite du filet fut bientôt franchie. […] On a tant abusé du public, tant mis de papier blanc sous des volumes enflés et surfaits, tant réimprimé du vieux pour du neuf, tant vanté sur tous les tons l’insipide et le plat, que le public est devenu à la lettre comme un cadavre.

1022. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

En écoutant ces souvenirs encore fervents, et dont chaque coin de haie gardait l’écho, l’idée lui venait d’en faire part un jour au public, de mettre du moins sa plume au service d’une pieuse et honorable confidence. […] Il ne voulait, en effet, qu’autoriser auprès du public l’imprévu de son essai, et l’essai, dans ces limites précises, a complètement réussi. […] Un critique historique distingué et modeste17, qui a pu, dans le Globe, entretenir le public jusqu’à six fois, et toujours avec intérêt, des livraisons successives des Ducs de Bourgogne, s’est appliqué à faire ressortir ce qui résultait des divers tableaux en conséquences politiques et en déductions morales sur le caractère des hommes et des temps ; il s’est plu à ajouter au fur et à mesure cette pointe de conclusion que le narrateur précisément se retranchait. […] Toutes les fois qu’il a dû prendre la parole dans des solennités publiques (et il l’a fait récemment en plusieurs occasions), on a retrouvé avec plaisir son esprit ingénieux et grave ; l’idée morale, la disposition religieuse, qu’il a témoignée de tout temps, semble même prévaloir en lui avec les années, et rien n’altère cette sorte d’autorité légitime qu’on accorde volontiers, en l’écoutant, à l’écrivain éclairé, à l’homme de goût et à l’homme de bien.

1023. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

La littérature et la poésie d’alors étaient peu personnelles ; les auteurs n’entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires ; les biographes s’étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l’histoire d’un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu’à l’homme au fond du poëte. […] Mais toutes ces réputations à peine naissantes, qui faisaient l’entretien précieux des ruelles à la mode, cette foule de beaux esprits de second et de troisième ordre, qui fourmillaient autour de Malherbe, au-dessous de Maynard et de Racan, étaient perdus pour le jeune Corneille, qui vivait à Rouen, et de là n’entendait que les grands éclats de la rumeur publique. […] Dans les diverses pièces qu’il composa en cet espace de cinq années, Corneille s’attacha à connaître à fond les habitudes du théâtre et à consulter le goût du public ; nous n’essaierons pas de le suivre dans ces tâtonnements. […] » Corneille sentait son public français.

1024. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Pour un public léger, égoïste, il ne fallait pas trop de sérieux ni de douleurs : railler et rire, c’était le mieux. […] Sa nature ne le poussait pas à sortir des sujets et du ton qui plaisaient à son public. […] De plus, écrivant pour un public d’élite, asservissant son inspiration au goût de ses lecteurs, il ouvre l’ère de la littérature mondaine, il fait prédominer les qualités sociables sur la puissance intime de la personnalité ; avec lui commence le règne — salutaire ou désastreux comme on voudra, ou mêlé de bien et de mal — d’une société polie. […] Mellin de Saint-Gelais172, qui fut après lui le plus en vue des poètes de cour, était son aîné : mais homme du monde, plus qu’écrivain, il ne recherchait pas la gloire littéraire ; il ne s’exposait pas volontiers au public.

1025. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Quand il disait plaisamment « qu’on marche bien plus à son aise dans une carrière où l’on a pour rivaux Chapelain, Lamotte ou Saint-Didier, que dans celle où il faut tâcher d’égaler Racine et Corneille », la médiocrité du goût public lui donnait de sérieux motifs de sécurité. […] S’il refuse à la Henriade l’invention et lui accorde la beauté des vers, n’est-ce pas pour préparer le public à une transaction du même genre au profit de ses tragédies ? […] Pour en revenir à Gilbert, il prouve combien il est difficile à qui s’est défendu de l’illusion publique sur les écrivains contemporains, de se défendre de leurs défauts, et de sauver à la fois de la contagion ses sentiments et son goût. […] Quand il vint à Paris, en 1782, Parny et Bertin y jouissaient de la faveur publique.

1026. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

C’est dans les feuilles publiques qu’à peine débarqué de sa province, il avait pris ce mot de décadent, alors à la mode. […] Son instinct le poussait vers de plus vastes entreprises ; il se préoccupait de l’évolution sociale ; il aimait l’atmosphère orageuse des réunions publiques ; il brûlait d’y prendre la parole et de conquérir les foules. […] Ce n’était pas assez que, vivant, ce vieillard cupide ait corrompu le goût public avec ses extravagances littéraires. […] Pour répondre à la curiosité du public et rendre notre doctrine plus saisissable, nous avions tenté d’incarner en Arthur Rimbaud le type idéal du Décadent.

1027. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

En ces cent années il s’est fait une assez grande révolution dans l’ordre et le gouvernement de la société, dans l’ensemble des mœurs publiques, pour que l’existence et la vie que menait cette petite reine fantasque nous semble presque comme un conte des Mille et Une Nuits, et pour qu’on se dise sérieusement : « Était-ce donc possible ? » La Bruyère présageait et voyait déjà quelque chose de ce changement profond qui a éclaté depuis, quand il disait : Pendant que les grands négligent de rien connaître, je ne dis pas seulement aux intérêts des princes et aux affaires publiques, mais à leurs propres affaires ; qu’ils ignorent l’économie et la science d’un père de famille, et qu’ils se louent eux-mêmes de cette ignorance…, des citoyens s’instruisent du dedans et du dehors d’un royaume, étudient le gouvernement, deviennent fins et politiques, savent le fort et le faible de tout un État, songent à se mieux placer, se placent, s’élèvent, deviennent puissants, soulagent le prince d’une partie des soins publics. […] quelque chose de très singulier et de très amusant, je vous assure, le moins solennel des académiciens français (car il était l’un des Quarante), le plus difficile à célébrer en séance publique.

1028. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

On peut croire qu’il choisit bien ses points d’attaque ; les vers les plus étranges ne lui échappent pas ; il décrit spirituellement, et avec une verve railleuse assez légère, ce public des premières représentations d’Hernani, dont nous étions nous-même, public fervent, plein d’espérance et de désir, et qui mettait toute sa force en ce moment à tenter une révolution non pas précisément dans l’État, mais dans l’art. […] Des circonstances de sa vie intérieure que chacun savait alors, et que ses amis arrivés au pouvoir auraient dû apprécier, le détournaient impérieusement d’accepter des fonctions publiques en province. […] Il demande de la patience et du temps pour ceux qui gouvernent : Un ministère, quel qu’il soit, ne peut guère être aujourd’hui (6 septembre 1830) que l’inactif spectateur de cette sorte de refonte de l’esprit public.

1029. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

Adressons nos remerciements en second lieu à M. le comte Jules de Cosnac, de l’illustre famille du prélat, et qui, en préparant l’édition du manuscrit qu’il possédait, en y adjoignant dans une introduction étendue tous les éclaircissements et toutes les notices désirables sur l’auteur, n’a reculé en rien devant certaines parties de ces Mémoires qu’une plume moins vouée à la vérité aurait pu rayer discrètement et vouloir dérober à la connaissance du public. M. le comte Jules de Cosnac a été un éditeur tel qu’il convenait de l’être à notre date, comptant les intérêts du public lettré avant ceux même qui ne touchaient qu’à la gloire de son ancêtre et à l’amour-propre de sa maison. […] Je n’avais aucune part ni dans les affaires publiques, ni dans les secrets de mon maître : cela ne convenait ni à mes vues ni à mon caractère. […] Les conseils qu’il lui donna en cette occasion et depuis étaient de ceux qui auraient formé un prince estimable, un digne frère de Louis XIV, soumis mais respecté, et forçant la considération de son frère et celle du public par son mérite.

1030. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1881 » pp. 132-169

Le public de l’Ambigu est bonhomme, mais en veine d’égayement. Je fais une visite, après le troisième tableau à Mme Zola, qui a des larmes dans les yeux — ce que je ne vois pas tout d’abord, en l’obscurité de la baignoire — et comme je me permets de lui dire, que je ne trouve pas le public si méchant, elle me jette, dans une phrase sifflante : « de Goncourt, vous trouvez ce public bon, vous ! […] En revanche les chapitres que je méprise un peu, les chapitres de pure imagination, empoignent le petit public.

1031. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il y a de certaines choses dont la médiocrité est insupportable : la poésie, la musique, la peinture, le discours public. […] Ils disent alors qu’ils ont les premiers approuvé cet ouvrage, et que le public est de leur avis. […] Damis cède à la multitude, et dit ingénument avec le public que Capys est froid écrivain. […] Les connaisseurs ou ceux qui se croient tels, se donnent voix délibérative et décisive sur les spectacles, se cantonnent aussi, et se divisent en des partis contraires, dont chacun, poussé par un tout autre intérêt que par celui du public ou de l’équité, admire un certain poème ou une certaine musique, et siffle tout autre.

1032. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Le libre prince, des fantaisies venait, en effet, d’être immobilisé quelques journées durant par le bon plaisir de ces procureurs qui, généralement chargés de convoitises, de dols et de stupres infiniment plus vastes que ceux de leurs adversaires, se plaisent à venger la Morale Publique. […] Car au lieu de me heurter à des apparences verbales et de m’étonner du Poète qui, affreusement atteint par la guerre, la peignait « fraîche et joyeuse » j’aurais dû me concentrer sur une réalité plus profonde, sur ce trou béant par où, sous les bandages, s’écoulait goutte à goutte une vie encore jeune, si précieuse à tous les amoureux des Lettres… Vers un sujet très personnel, je détournai les fureurs publiques que déchaînaient l’actualité et son admirable interprète. […] Pierre Benoit, rédacteur au ministère de l’Instruction publique à partir de 1910, fait la connaissance avant la guerre de Francis Carco et rencontre Guillaume Apollinaire. […] Ce duel n’aurait finalement pas eu lieu, Apollinaire se contentant d’une rétractation publique de Cravan parue dans Les Soirées de Paris et le Mercure de France le 15 mars 1914 (ibid.

1033. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Pourquoi avait-elle jusqu’ici tant attristé et angoissé le public ? […] le public de l’autre soir était si intelligent, ou si respectueux, qu’il s’en est parfaitement passé. […] que le public avait raison ! […] Je dois reconnaître que ce comique de tréteaux a visiblement réjoui une partie du public. […] Le public a ri ; il se peut même qu’il ait pleuré.

1034. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

Elle a donc eu lieu cette séance tant attendue, tant désirée, et qui devait être la plus curieuse de toutes les fêtes que l’Académie française a offertes jusqu’ici à son brillant public : car c’est proprement un bal de beaux esprits qu’une séance de réception. […] Molé avait déjà dit autrefois à M. de Tocqueville entrant dans la vie publique, il a paru croire que l’expérience seule avait manqué à ce dernier, pour le rendre plus équitable et plus indulgent envers le pouvoir, et que M. de Tocqueville, après en avoir tâté lui-même, après en avoir senti le poids, aurait été moins rigide pour ceux qu’un abîme ne séparait pas de lui.

1035. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

La tyrannie, comme tous les grands malheurs publics, peut servir au développement de la philosophie ; mais elle porte une atteinte funeste à la littérature, en étouffant l’émulation et en dépravant le goût. […] Sous la tyrannie des empereurs, il n’était ni permis ni possible de remuer le peuple par l’éloquence ; les ouvrages philosophiques et littéraires n’avaient point d’influence sur les événements publics.

1036. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Il ne faut point comparer les vertus des modernes avec celles des anciens, comme hommes publics ; ce n’est que dans les pays libres qu’il existe de généreux rapports et de constants devoirs entre les citoyens et la patrie. Les habitudes ou les préjugés, dans les pays gouvernés despotiquement, peuvent encore souvent inspirer des actes brillants de courage militaire ; mais le pénible et continuel dévouement des emplois civils et des vertus législatives, le sacrifice désintéressé de toute sa vie à la chose publique, n’appartient qu’à la passion profonde de la liberté.

1037. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVIII. Pourquoi la nation française était-elle la nation de l’Europe qui avait le plus de grâce, de goût et de gaieté » pp. 366-378

Il fallait qu’il appuyât sa puissance sur une sorte d’assentiment public, dont sa volonté sans doute était le premier mobile, mais qui se montrait souvent indépendamment de sa volonté. […] Le point le plus élevé, la source de toutes les faveurs, est l’objet de l’attention générale ; et comme dans les pays libres le gouvernement donne l’impulsion des vertus publiques, dans les monarchies la cour influe sur le genre d’esprit de la nation, parce qu’on veut imiter généralement ce qui distingue la classe la plus élevée.

1038. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Sophocle renouveler le goût poétique du public qui lit. […] En acquérant Plutarque, notre public acquiert d’un coup un riche fonds de philosophie pratique.

1039. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

Et, sauf ce dernier type que le progrès de la décence publique fit supprimer définitivement, tous ces personnages jeunes ou vieux, maîtres ou valets, furent transmis par Molière à ses successeurs et se perpétuèrent sur notre scène classique. […] Scaramouche étant resté absent l’espace de trois années, de 1667 à 1670, sa rentrée attira un tel concours de monde que, les jours où Molière jouait, la salle était déserte ; et ce n’est que Le Bourgeois gentilhomme qui ramena le public.

1040. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Feuilles d’automne » (1831) »

Sans doute, en un pareil moment, au milieu d’un si orageux conflit de toutes les choses et de tous les hommes, en présence de ce concile tumultueux de toutes les idées, de toutes les croyances, de toutes les erreurs, occupées à rédiger et à débattre en discussion publique la formule de l’humanité au dix-neuvième siècle, c’est folie de publier un volume de pauvres vers désintéressés. […] Il est donc tout simple, quel que soit le tumulte de la place publique, que l’art persiste, que l’art s’entête, que l’art se reste fidèle à lui-même, tenax propositi.

1041. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Eh bien, mon ami, comptez que les temples et les chaumières et les dieux resteront dans cet état misérable jusqu’à ce qu’il arrive quelque grande calamité publique, une guerre, une famine, une peste, un vœu public, en conséquence duquel vous voyiez un arc de triomphe élevé au vainqueur, une grande fabrique de pierre consacrée au dieu.

1042. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Suivant l’idée que les anciens avoient de la dignité de l’orateur, cet accompagnement dont on ne pouvoit point se passer en déclamant comme on recitoit sur le theatre lui convenoit si peu, que Ciceron ne lui veut pas même souffrir d’avoir jamais derriere lui lorsqu’il parle en public, un joueur d’instrument pour lui donner ses tons, quoique cette précaution fut autorisée à Rome par l’exemple de C. […] Enfin c’étoit la mode que les souverains parlassent souvent en public.

1043. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

Autrement, l’auteur aurait beau s’écrier : J’étais là, telle chose m’advint, ce langage de pigeon voyageur pourrait intéresser la femelle restée au logis et faire un succès de famille, mais ne passionnerait pas — si pigeons fussent-ils — les autres pigeons qui sont le public. […] Quant à nous, nous ne l’acceptons que comme une carte mise chez le public par un jeune homme qui reviendra bientôt de ses erreurs et de ses voyages, et dont la prochaine visite sera plus intéressante et plus grave.

1044. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Attiré, entraîné par le besoin chaque jour plus vif des améliorations matérielles, l’esprit public, perdu de sensations, se détacherait-il des travaux purement intellectuels pour appliquer son effort aux choses de la science utile et de l’industrie ? […] Aux yeux du penseur qui nous donne aujourd’hui, dans un écrit fortement condensé, le droit public d’une quatrième race, la révolution française a deux côtés que l’on a toujours trop confondus.

1045. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Le succès de L’Illustre Docteur Mathéus a mis en verve Erckmann-Chatrian ; car Erckmann-Chatrian a eu du succès chez ce public qui aime mieux les lithographies que les gravures.  Quand on venait de nous donner les mordantes eaux-fortes qui s’intitulent les Contes arabesques d’Edgar Poe, faites pour la substance dure de l’organisme américain, mais réellement trop fortes pour le public qui crée le succès en France, les lithographies d’Erckmann-Chatrian devaient réussir, et cela n’a pas manqué.

1046. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

Simonide est un précurseur de Pindare, dans ce culte de la gloire publique si bien assortie à l’imagination des cités libres de la Grèce ; il est le chantre des jeux guerriers et des athlètes vainqueurs ; il écrit en vers l’épitaphe de Léonidas et des siens. […] » Simonide aussi donna l’exemple de cette poésie domestique qui célébrait des victoires dans les jeux publics, ou des joies et des douleurs de famille.

1047. (1896) Hokousaï. L’art japonais au XVIIIe siècle pp. 5-298

Et ce fut grâce à ses pinceaux spirituels et précis que les contes populaires et les romans commencèrent à se répandre dans le public. […] Des nombreux élèves qu’eut Hokousaï, ceux dont les noms furent inscrits dans les chronologies, et connus du public, montent à seize ou dix-sept. […] Toutefois, si vous trouvez l’ouvrage présentable au public, je vous serais obligé de le faire graver. […] Et même, pour aider à l’antithèse des sujets qu’il offre au public, il arrive à Hokousaï de recourir parfois à la scatologie. […] Et c’est alors que son élève Bokousen et ses amis lui vinrent en aide pour exécuter en public une formidable peinture, — un Darma d’une bien autre proportion que celui déjà peint en 1804.

1048. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

Les livres de jadis n’ont plus de public, si par public il faut entendre les hommes désintéressés qui lisent uniquement pour leur plaisir, et goûtent ce qu’un livre contient d’art et de pensée, mais ils ont des lecteurs encore, et ils en ont tous. […] Assurément, le public des théâtres était, en 1677, bien supérieur comme intelligence, instruction et goût, au public moyen d’aujourd’hui ; et cependant on le voit s’éprendre de pièces décidément médiocres et dédaigner les plus belles. […] La prière même doit être publique et sa manifestation la plus saine est le don et l’ex-voto. […] très peu, — les obscurités et dévoilent au public distrait les secrets de la magique Lanterne. […] C’est que l’écrivain se croit le droit de tout dire qui n’a plus qu’un public d’hommes.

1049. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Fille de l’individualisme, qui a tout envahi, et de ces mauvaises mœurs, que la Comédie corrige en riant, disent les niais qui aiment le spectacle, la littérature de ce temps, — et il ne faut pas biaiser avec une chose si grave, — a fait une haute position à l’adultère dans l’imagination publique. […] c’est cette haute position de l’adultère dans l’imagination publique que M.  […] Feydeau n’avait pas besoin de présentation pour être agréé du public. […] Mais, s’il est immérité, par hasard, et qu’un second, plus vrai, plus justifié, n’en vienne pas couvrir la chance menteuse, on fait pis que de tomber, on sombre… Le Public, désabusé, de taupe devenu lynx, et furieux d’avoir été taupe, prend une revanche cruelle, et on paie en même temps pour la réalité nouvelle et pour la vieille illusion. […] Dans une déclaration publique et solennelle, il s’est fait son parrain littéraire.

1050. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Ducros a rendu là au public. […] Ce sont des traits séduisants, des prestiges, des fascinations qui entraînent, pour un temps, la faveur du public. […] Eh bien, c’est contre cette, conclusion que le public, même féminin, se rebiffa. […] Promet de grands succès dans l’enseignement, surtout dans l’enseignement public. […] Gréard le désigna nommément comme y manquant et fut applaudi unanimement par la compagnie et par le public.

1051. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

Avant de songer à contenter le public, il jouissait de son œuvre comme il eût joui de l’œuvre d’autrui. […] ou bien le public serait-il ingrat ? […] Or, à notre avis, la puérilité de l’œuvre du poète a trouvé dans la puérilité du goût public un puissant auxiliaire. […] Hugo veut tirer tout de lui-même, il sera bientôt condamné à subir le dédain public. […] Il traite le public avec respect, et la critique doit lui tenir compte de sa persévérance et de la sincérité de ses efforts.

1052. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

C’est un des hommes de ce siècle qui m’a inspiré le plus d’éloignement ; sa popularité d’occasion ne fut jamais qu’un mensonge convenu de parti, car il n’y eut jamais de popularité juste et vraie sans vertu publique. […] Au moment de rendre cette transaction publique, Murat, extrêmement ému, vint chez la reine sa femme ; il y trouva madame Récamier ; il s’approcha d’elle, et, espérant sans doute qu’elle lui conseillerait le parti qu’il venait de prendre, il lui demanda ce qu’à son avis il devrait faire. […] À une certaine heure du milieu du jour, réservée pour M. de Chateaubriand seul, pour les mystères de son talent, de son ambition, de son intimité, on fermait les portes au public ; on les rouvrait vers quatre heures, et la foule des privilégiés entrait ; et l’y retrouvait encore. […] Villemain, la lumière, la force et la grâce des entretiens ; Benjamin Constant, Machiavel des salons, incapable de crime comme de vertu ; M. de Tocqueville, jeune esprit mûr avant l’âge, que toutes les situations ont trouvé égal à ses devoirs, et qui vient d’emporter en mourant l’immortalité modeste de l’estime publique ; M.  […] Le bruit public qui traversait le détroit pouvait déjà donner quelque ombrage à la recluse de l’Abbaye-aux-Bois.

1053. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Chaque année du siècle porte ses nécessités avec sa date : Louis XVIII et la charte valaient un peu mieux que le comité de salut public et la guillotine en permanence ! […] Fantine savait à peine lire et ne savait pas écrire ; on lui avait seulement appris dans son enfance à signer son nom ; elle avait fait écrire par un écrivain public une lettre à Tholomyès, puis une seconde, puis une troisième. […] Hugo va chercher pour son héros du bagne, en 1818, la considération publique où elle est, dans une addition bien faite, dans une fortune acquise sou par sou, en faisant, par charité, travailler une multitude d’ouvriers chastes et probes, à condition que la journée de chacun et de chacune lui rapporterait à lui-même un bon bénéfice ! […] Il s’adressa au public et demanda avec un accent qui fut compris de tous : « — Y a-t-il un médecin ici ? […] Et, secondement, où pouvait mourir une fille publique, née sans père ni mère, débauchée de mœurs d’abord, de misère ensuite ; où pouvait-elle mieux mourir que dans un hospice, providentiellement recueillie par la bienfaisance, et dans la couche préparée par de saintes filles sous les ailes de la religion ?

1054. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

» je ferai observer que c’est seulement de l’effet possible et probable du Don Juan sur le public que je m’occupe, et qu’examinant cet effet possible et probable, j’estime que Don Juan a été pour le public une pièce antiathéistique un peu, mais une pièce anticléricale beaucoup, et que le public a dû y puiser des sentiments peu sympathiques à la religion et au monde religieux, quelque intention, dessein ou tendance involontaire que, du reste, Molière ait pu y mettre. […] Si l’État a le droit et même le devoir d’interdire la profession de médecin à un non-diplômé parce que ceci est de salubrité publique ; il n’a aucunement le droit d’interdire l’enseignement à qui que ce soit. […] Voilà ce qui me fait appeler la liberté une mesure de salut public. […] Professeurs fatigués ou nonchalants, public rare et endormi, d’étudiants point. […] C’est une administration générale de la morale publique et ce n’est rien que cela… » Il aurait répondu : « Eh bien !

1055. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — II » pp. 263-279

Je sais des hommes d’étude et de lecture approfondie qui placent Fleury très haut, plus haut qu’on n’est accoutumé à le faire aujourd’hui, qui le mettent en tête du second 265 rang ; ils disent « que ce n’est sans doute qu’un écrivain estimable et du second ordre, mais que c’est un esprit de première qualité ; que ses Mœurs des israélites et des chrétiens sont un livre à peu près classique ; que son Traité du choix et de la méthode des études, dans un cadre resserré, est plein de vues originales, et très supérieur en cela à l’ouvrage plus volumineux de Rollin ; que son Histoire du droit français, son traité du Droit public de France, renferment tout ce qu’on sait de certain sur les origines féodales, et à peu près tout ce qu’il y a de vrai dans certains chapitres des plus célèbres historiens modernes, qui n’y ont mis en sus que leurs systèmes et se sont bien gardés de le citer ; que Fleury est un des écrivains français qui ont le mieux connu le Moyen Âge, bien que peut être, par amour de l’Antiquité, il l’ait un peu trop déprécié ; que cet ensemble d’écrits marqués au coin du bon sens et où tout est bien distribué, bien présenté, d’un style pur et irréprochable, sans une trace de mauvais goût, sans un seul paradoxe, atteste bien aussi la supériorité de celui qui les a conçus. » Pour moi, c’est plutôt la preuve d’un esprit très sain. […] Si le public avait nommé, c’eût été Bossuet qui eût été proclamé cardinal tout d’une voix. […] Chacun remarqua qu’en donnant la communion à Mme la duchesse de Bourgogne, le 6 mai 1703, « M. de Meaux n’était pas ferme sur ses pieds, et qu’il ne devrait plus faire de pareilles actions publiques. » Le jour de l’Assomption (15 août de la même année), en voulant assister à une procession de la Cour, il donna un spectacle qui affligea ses amis, et Madame, cette Madame mère du Régent, que nous connaissons tous, ne se faisait faute de lui dire tout haut le long du chemin durant la cérémonie : « Courage, monsieur de Meaux !

1056. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

Je ne doute pas que beaucoup de gens ne me condamnent de l’avoir donné au public ; on ne pardonne guère dans le monde cette espèce de présomption, mais j’espère de supporter avec patience le tort qu’elle pourra me faire, si on me devine. […] Vauvenargues ne saurait mieux marquer par quelle extrémité de fortune et, pour ainsi dire, par quelle contrainte du sort il est arrivé comme malgré lui à livrer au public les productions de sa plume, à se faire homme de lettres ; et quand Saint-Vincens, qui n’a pas lu encore l’ouvrage et qui en a entendu dire du bien, lui en renvoie par avance de flatteuses louanges, voyez de quel air il les accueille ; il en est presque humilié : Je suis bien touché de la part que vous voulez prendre aux suffrages que mon livre a obtenus ; mais vous estimez trop ce petit succès. […] Pour certaines natures sensibles et fières, la condition d’homme de lettres a cela de triste qu’elle est la seule chance d’être exposé à de certaines railleries publiques, à de certaines insultes contre lesquelles tout citoyen, autrement, est garanti et se sait inviolable.

1057. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Molé provoqua une fort belle réponse de cet homme d’État ; je la citerai ici tout entière, parce qu’en y faisant la part d’une certaine vivacité qui tenait aux circonstances et aussi à la délicatesse chatouilleuse des deux personnes, on y trouve une leçon gravement donnée, et d’un ton fort digne ; il y respire un sentiment fort élevé de la puissance publique que M.  […] J’estime que, dans nos circonstances publiques, le pays courrait quelque risque, si le pouvoir passait actuellement dans d’autres mains. […] Il souffrait de plus, et avec toute l’intensité morale qui lui était propre, de la marche des choses publiques, qui allaient à l’encontre de son rêve, de la fondation idéale de toute sa vie.

1058. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Je me trouvai de la Résistance ; j’aurais été tout aussi volontiers du Mouvement, et même plus volontiers. » Il méprisait en effet la bourgeoisie, tout en défendant l’ordre public ; il avait en pitié le pays légal tout en le servant. […] Veuillot, pour un tel acte accompli dans le secret de la conscience, n’a besoin d’aucun garant, et il a donné, ce me semble, assez de gages publics et fait assez de sacrifices à sa cause pour que personne ne mette en doute sa sincérité quand il dit : Je crois. […] C’est ici que ma querelle sérieuse avec lui commence, et qu’avant de louer l’écrivain, l’excellent prosateur, et d’admirer le peintre vigoureux de la réalité, j’ai besoin absolument de m’expliquer sur le fond des choses, de marquer mes réserves ; car tout ce qui n’est pas croyant et convaincu à sa manière, gallicans, protestants, à plus forte raison déistes, naturistes ou panthéistes, comme on dit, tout y passe ; il les raille, il les crible d’épigrammes flétrissantes (car il a la touche flétrissante) ; il les traite même, en ses heures d’indignation, comme des espèces de malfaiteurs publics.

1059. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Il suggéra à l’Académie française, dès qu’il y fut entré, d’ouvrir ses portes (ce qu’elle ne faisait point auparavant) au public pour les séances de réception, et on lui doit l’institution de cette solennité académique, si bien dans nos mœurs et florissante encore aujourd’hui. […] Quand le jardin des Tuileries eut été arrangé par Le Nôtre, la première pensée de ce grand et dur Colbert, en le visitant, fut de le fermer au public : Perrault conjura l’interdiction et obtint que cette promenade restât ouverte aux bourgeois de Paris et aux enfants. « Je suis persuadé, disait-il à Colbert au milieu de la grande allée, que les jardins des Rois ne sont si grands et si spacieux, qu’afin que tous leurs enfants puissent s’y promener. » Le sourcilleux ministre ne put s’empêcher de sourire […] — Retiré des affaires et vivant dans sa maison du faubourg Saint-Jacques, près des collèges, pour y mieux vaquer à l’éducation de ses enfants, Perrault fit un jour le poëme du Siècle de Louis-le-Grand, et il le lut dans une séance publique de l’Académie, assemblée exprès pour célébrer la convalescence du roi après la fameuse opération (27 janvier 1687).

1060. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Suspendu de ses fonctions et miné à ce moment par la maladie, Dagobert n’hésita pas à demander l’autorisation d’aller soumettre au Comité de salut public sa conduite politique et militaire ; ce qu’on n’osa lui refuser. […] La Convention, à la suite d’un débat public, apporta des restrictions aux pleins pouvoirs dont avaient été jusqu’alors investis ses commissaires aux armées. […] Demandant pour lui le grade de général de brigade, il écrivit au Comité de salut public ces propres mots : « Récompensez et avancez ce jeune homme, car, si on était ingrat envers lui, il s’avancerait tout seul.

1061. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Figurons-nous bien, car c’est le devoir de la critique de se déplacer ainsi à tout moment et de mettre chaque fois sa lorgnette au point, — figurons-nous donc, non pas seulement dans la salle de l’hôpital de la Trinité à Paris (cette salle me semble trop étroite), mais dans une des places publiques d’une de ces villes considérables, Angers ou Valenciennes, devant la cathédrale ou quelque autre église, un échafaud dressé, recouvert et orné de tapisseries et de tentures magnifiques, et tout alentour une foule avide et béante ; des centaines d’acteurs de la connaissance des spectateurs, jouant la plupart au vrai dans des rôles de leur métier ou de leur profession : des prêtres faisant ou Dieu le Père ou les Saints ; des charpentiers faisant saint Joseph ou saint Thomas ; des fils de famille dans les rôles plus distingués, et quelques-uns de ces acteurs sans nul doute décelant des qualités naturelles pour le théâtre ; figurons-nous dans ce sujet émouvant et populaire, cru et vénéré de tous, une suite de scènes comme celles que je ne puis qu’indiquer : — le dîner de saint Matthieu le financier, qui fait les honneurs de son hôtel à Jésus et à ses apôtres, dîner copieux et fin, où l’on ne s’assoit qu’après avoir dit tout haut le bénédicité, où les gais propos n’en circulent pas moins à la ronde, où l’un des apôtres loue la chère, et l’autre le vin ; — pendant ce temps-là, les murmures des Juifs et des Pharisiens dans la rue et à la porte ; — puis les noces de Cana chez Architriclin, espèce de traiteur en vogue, faisant noces et festins, une vraie noce du xve  siècle ; — oh ! […] Ils sont les premiers à reconnaître ; « Que l’imagination des auteurs, quand ils traitaient des sujets religieux dont les points fondamentaux étaient fixés par l’Ancien ou le Nouveau Testament, ne pouvait se donner carrière que dans quelques scènes épisodiques et dans le dialogue naïf, familier, souvent trivial, des personnages secondaires, tels que les bergers, les soldats, les démons ; que l’exactitude des tableaux, le langage plus ou moins vrai qu’on prêtait aux personnages, l’effet comique qui résultait des facéties de quelques-uns, constituaient le principal mérite de l’ouvrage aux yeux du public, et en faisaient tout le succès ; que toute espèce d’idée d’unité était absente de ces compositions et étrangère à la pensée des auteurs ; qu’on ne songeait nullement alors à disposer les faits de façon à les faire valoir par le contraste, à concentrer l’intérêt sur certaines scènes, à tenir en suspens l’esprit du spectateur et à l’amener de surprise en surprise, de péripétie en péripétie, jusqu’au dénouement. […] Elle a inspiré à de grands poètes tragiques, aux Shakespeare et aux Schiller eux-mêmes, des inventions odieuses ou absurdes ; elle a inspiré au plus bel esprit et à la plus vive imagination une parodie libertine qui est devenue une mauvaise action immortelle ; elle est en possession de faire naître, depuis Chapelain, des poèmes épiques qui sont synonymes d’ennui, et que rien ne décourage, qui recommencent de temps en temps et s’essayent encore çà et là, même de nos jours, sans arriver jusqu’au public : soyez bien sûrs qu’à l’heure où je vous parle il y a quelque part un poëme épique de Jeanne d’Arc sur le métier.

1062. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

— Notre Foucault, fils aîné de cet original, qui avait pourtant, au milieu de toutes, ses rugosités, des coins de tendresse, fut parfaitement élevé, en vue des offices publics et des bienfaits du roi. […] Un vol. in-4°, dans la Collection des documents inédits sur l’histoire de France, public par les soins du ministre de l’Instruction publique.

1063. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre X. La commedia dell’arte en France pendant la jeunesse de Molière » pp. 160-190

À l’époque où les Italiens offraient au public ces attrayants spectacles, une jeune troupe d’enfants de famille, la plupart Parisiens de naissance, s’étant associés pour jouer la comédie sous le titre de l’Illustre Théâtre, donnèrent, d’abord au Jeu de paume des Métayers, proche la tour de Nesle, puis au Jeu de paume de la Croix-Noire, sur le quai des Ormes, au port Saint-Paul, des représentations beaucoup moins fastueuses. […] Mis en liberté sous caution, ayant, à l’aide de ses amis, payé ses dettes, il se résolut de quitter Paris avec ses associés, laissant le champ libre aux troupes qui accaparaient la faveur publique. […] Loret, dans La Muse historique, raconte ou invente, sous la date du 14 février 1654, l’anecdote suivante dont le docteur Lolli et le Pantalon Turi sont les héros : Baloardo, comédien, Lequel encor qu’Italien N’est qu’un auteur mélancolique, L’autre jour, en place publique, Vivement attaquer osa Le Pantalon Bisognoza, Qui pour repousser l’incartade, Mit soudain la main à l’espade, Et se chatouillèrent longtemps Devant quantité d’assistants ; Qui, croyant leur combat tragique N’être que fiction comique, Laissèrent leurs grands coups tirer Sans nullement les séparer.

1064. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

On voit la marque d’un dandysme spécial qui veut séparer cette édition populaire, « ce petit recueil qui peut suffire au public » des sérieuses éditions dont à peine un tome a paru, et qu’il semble que jamais nous n’aurons complètes. […] On connaîtra le Florilège, et le public à qui Mallarmé fut un nom jeté il y a quelques années en risée viendra, avec sérieux, lire ces Morceaux choisis, comme il a fait ceux de Verlaine, l’an d’avant. Le public vient.

1065. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Il s’en référa à son enseignement, qui avait été public ; il déclara n’avoir jamais eu de doctrine secrète ; il engagea l’ex-grand-prêtre à interroger ceux qui l’avaient écouté. […] Dans ses meilleurs projets pour le bien du pays, notamment en tout ce qui tenait aux travaux publics, il avait rencontré la Loi comme un obstacle infranchissable. […] Il était naturel que l’historien latin crût que Pilate, en faisant mourir Jésus, avait obéi à des raisons de sûreté publique.

1066. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il y a encore en lui l’artiste amateur qui, dans les genres à la mode qui passent, en saisit un, l’essaie, s’y exerce, s’y déploie et y réunit peut-être plus qu’il n’ose croire : c’est ainsi que M. de Rémusat a fait, depuis près de trente ans, plusieurs drames historiques, philosophiques, qui enlevèrent les applaudissements du monde d’élite qui en entendit la lecture, et dont l’un au moins, le drame d’Abélard, obtiendrait, j’en suis certain, le suffrage du public des lecteurs, si l’auteur se décidait à le publier. […] Anselme, après avoir entrevu les périls qui l’allaient assaillir, avoir résisté aussi longtemps que possible au vœu public qui le proclamait, avoir pleuré au point que sa vue s’en affaiblit, accepta le fardeau à l’âge de cinquante-neuf ans ; M. de Rémusat nous a tracé de lui, à cette époque décisive où il passe du cloître au monde, ce beau portrait que je donnerai dans toute son étendue : Sa sincérité (dans ses refus de se laisser élire) est pour nous avérée. […] Didier, d’en avoir pu lire des feuilles avant le public (août 1852).

1067. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

Des hommes sans cesse entourés de malheurs publics et des leurs, des hommes qui n’entendent parler au-dehors que de batailles perdues, et qui, chez eux, ont le triste spectacle de la misère et de la faim, ne seraient pas disposés à louer le gouvernement même qui serait le plus sensible à leurs maux. […] La paix tarit le sang, et ne diminua point les charges publiques. […] Il faut, pour le bonheur d’un peuple, que l’industrie soit exercée et ne soit pas fatiguée ; il faut qu’il soit encouragé au travail par le travail même ; que chaque année ajoute à l’aisance de l’année qui la précède ; qu’il soit permis d’espérer quand il n’est pas encore permis de jouir ; que le laboureur, en guidant sa charrue, puisse voir au bout de ses sillons la douce image du repos et de la félicité de ses enfants ; que chaque portion qu’il cède à l’État, lui fasse naître l’idée de l’utilité publique ; que chaque portion qu’il garde, lui assure l’idée de son propre bonheur, que les trésors, par des canaux faciles, retournent à celui qui les donne ; que les dépenses et les victoires, tout, jusqu’au sang versé, porte intérêt à la nation qui paie et qui combat ; et que la justice même, en pesant les fardeaux et les devoirs des peuples, n’use pas de ses droits avec rigueur, et se laisse souvent attendrir par l’humanité, qui n’est elle-même qu’une justice.

1068. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

En même temps que le culte public des Romains essayait d’emprunter quelque chose à l’imagination hellénique, les mêmes arts pénétraient dans la vie privée, d’abord si rude et si simple. […] Ce jour-là, le sauveur de Rome contre Catilina était rappelé par la voix publique, avant le vote des comices populaires. […] Horace, qui ne s’en plaint pas, et qui reproche même aux bons aïeux des Romains leur indulgence pour les vers négligés et les saillies de Plaute, constate cependant avec un peu de dédain à quel degré les spectacles matériels, les marches, les revues, avaient envahi la scène et défrayaient aisément la curiosité du public :                           Migravit ab aure voluptas Omnis ad incertos oculos et gaudia vana170.

1069. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

Cela, sans doute, n’aurait pas dû absoudre la domination d’Auguste aux yeux du philosophe, et encore moins du partisan de l’ancienne république ; mais le poëte pouvait prendre cette joie ou cette ignorance publique pour une excuse des louanges qu’il prodiguait à l’ancien prescripteur, dont lui-même n’avait éprouvé que les bienfaits. […] Il le croit consul, sur la foi de César Auguste, le fondateur ou le restaurateur de tous les temples, qui, dans sa visite du temple de Jupiter Férétrius, dont il releva la ruine amenée par le temps, avait lu ce nom, disait-il, sur la cuirasse de lin formant partie du trophée élevé par le vainqueur : « Je me serais cru presque sacrilège187 », s’écrie l’historien flatteur, « de ne point laisser à Cossus, en preuve de ses glorieuses dépouilles, l’attestation de César, le fondateur du temple même. » De tels souvenirs, un tel langage, suffisent à nous montrer quel prestige de grandeur et de respect public pouvait encore, dans les mœurs romaines, s’attacher au zèle affecté d’Auguste pour effacer une des traces de la violence et de l’incurie destructive reprochées à la guerre civile. […] L’hymne commencé n’est plus qu’une chanson, et le poëte, un ami du repos et du plaisir qui rend grâce au protecteur de la paix publique.

1070. (1886) Le roman russe pp. -351

Aussi leur littérature a fait fortune, elle pénètre insensiblement le public européen. […] Mais le roman russe a trouvé son vrai public dans la jeunesse studieuse de toute condition. […] Le public est plus exigeant. […] En lisant les œuvres romanesques à ce point de vue, nous entrons dans les dispositions du public pour lequel elles sont écrites. […] Le public entend à demi-mot.

1071. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

j’ai fait une action honteuse quand j’ai vendu ma voix aux artisans des misères publiques, à ceux qui vivent des sueurs populaires et ne se soucient pas de remédier aux tortures que leur égoïsme enfante et perpétue ! […] Sa vie, quand on l’embrasse, est harmonieuse et belle, toute d’incroyable labeur et de sacrifices allègrement portés, les uns publics, les autres secrets et que ses lettres révèlent ou laissent deviner. […] Il a fait, de quelques-uns, de terribles silhouettes « publiques » : jamais il ne les a offensés dans leur vie privée. […] , vous ne le surprendrez jamais, je le répète, à se servir contre ses victimes d’autre chose que leurs paroles et leurs actes publics, d’autre chose que ce qui le blesse et l’outrage, lui, dans sa foi. […] Seulement, le public ne le croit pas ; beaucoup de chrétiens même s’en défient par avance.

1072. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Le public de Schopenhauer ; causes de sa popularité. […] Cet écrivain-là est un peintre ou un musicien : il écrit pour le charme de nos yeux ou de nos oreilles ; il s’adresse à un public délicat et par conséquent limité, à un public qu’une éducation spéciale et luxueuse a mis en état de le comprendre. […] Et cette disproportion même ne vous prouve-t-elle pas, comme je le disais tout à l’heure, que Scherer n’a en vue qu’un public spécial, limité, déterminé, qui pour lui est tout le public ? […] Il n’est pas moins radical en passant, comme il le fait dans ses derniers ouvrages, des mœurs publiques aux mœurs privées. […] Et voici s’élever d’un degré — d’un degré seulement — le niveau de la morale publique et de la morale privée.

1073. (1774) Correspondance générale

Faut-il que, pour deux misérables brochures, nous oubliions ce que nous nous devons à nous-mêmes et au public ? […] » Vous avez raison, ne nous plaignons pas encore du public. […] Je n’entends rien aux engagements qu’on vous suppose avec le public. […] C’est bien assez du risque de garder l’ouvrage en piles, si le public est mécontent. […] Quelle est la dette publique ?

1074. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Je ne veux pas dire que l’écrivain goûté et dévoré du public doive renoncer à des profits légitimes pour laisser un libraire s’enrichir à ses dépens. […] Le public, il est vrai, s’y prête avec une curiosité digne d’être mieux servie.

1075. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Et je ne craindrai pas d’en faire juge le public qui n’a pas eu sous les yeux la pièce incriminée ; car je ne considère pas comme un texte loyal et sincère le texte déchiqueté et entrecoupé, à chaque mot, de lazzis grossiers, qui lui a été présenté par cet étrange docteur. […] ce docteur qui tranche ignore tout ou fait semblant ; il paraît ne pas savoir que depuis 1800, depuis cette ère de renouvellement et de reconstruction sociale universelle, il y a eu quantité d’institutions ou d’administrations publiques à l’occasion desquelles on dit : « depuis la création. » On dit d’un ancien préfet, d’un ancien administrateur des Droits réunis, d’un ancien membre de l’Institut : « Il était préfet dès la création, — il appartenait à l’Institut dès la création, — il était dans la partie depuis la création, etc.

1076. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Rossel et Demangeot, viennent de nous donner une de ces déceptions que le public parisien ne pardonne pas volontiers… Une intervention gouvernementale de la dernière heure a provoqué l’ajournement illimité de leur exécution, qui n’était pas moins impatiemment attendue que celle de Lohengrin. […] Est-il défendu d’imaginer qu’une Puissance inconnue, ayant d’abord permis aux hommes d’établir entre les choses et les mots des rapports constants, universels et publics, a voulu enfouir en même temps dans les ténèbres des idiomes humains certains rapports secrets, absurdes et réjouissants des mots avec les objets ou des vocables entre eux, et en a réservé la découverte à quelques privilégiés du rire et de la fantaisie ?

1077. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XII. Lo Ipocrito et Le Tartuffe » pp. 209-224

Nous avons fait connaître, dans le précédent chapitre, le scénario fantasque du Convié de pierre, que Molière, en arrivant à Paris, trouva en possession de la faveur publique. […] Molière n’a point, comme l’Arétin, une sorte d’indulgence pour son hypocrite ; il lui impute forfait sur forfait, il le dénonce hautement à l’animadversion publique, il soulève contre lui autant de haine et de terreur que le théâtre en saurait faire naître.

1078. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Et supposons madame de Maintenon, malgré des alternatives fréquentes de dégoûts et de contentements, suivant que madame de Montespan exerçait de douces ou de malignes influences sur le roi, marchant néanmoins d’un pas lent, égal et ferme vers son but, qui était la considération du public par celle du roi, celle du roi par celle du public ; et vers un but plus éloigné qui se laissait entrevoir dans les nuages.

1079. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racine, et Pradon. » pp. 334-348

Que le public est souvent injuste & précipité dans ses décisions ! […] Mais il ne parut point sous son nom : on ne fit que le répandre dans le public, & mettre certaines personnes dans la confidence : celles qui n’y étoient point, & qui d’ailleurs voyoient souvent madame Deshoulières, se firent une fête de lui apporter les vers nouveaux.

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