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38. (1767) Salon de 1767 « Sculpture — Allegrain » p. 322

Comment a-t-il imaginé ce pli au bras gauche ? Il ne l’a point imaginé, il l’a vu : mais comment l’a-t-il rendu si juste ?

39. (1763) Salon de 1763 « Sculptures et gravures — Falconet » pp. 250-251

Toute belle que soit la figure du Pigmalion, on pouvait la trouver avec du talent ; mais on n’imagine point la tête de la statue sans génie. […] En méditant ce sujet, j’en ai imaginé une autre composition que voici.

40. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Ils doivent même, j’imagine, faire aux mystiques le grand honneur de les mépriser. […] Arrivé à la dernière limite que les sensations puissent atteindre, et toujours affamé de sensations nouvelles, il s’imagine que de prendre la vie à rebours c’est le seul parti qui lui reste pour y trouver quelque goût et quelque saveur, et il le prend, ce parti de la vie à rebours, et il décrit tous les vains efforts qu’il fait pour l’y mettre. […] Eux seuls, ces esprits blasés et tombés dans l’enfance des vieilles civilisations, s’intéresseraient aux efforts et aux rétorsions de ce misérable Des Esseintes, corrompu par l’ennui, qui engendre toutes les autres corruptions, et qui s’imagine qu’on peut prendre à rebours la vie, — cette difficulté de la vie ! 

41. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Se représenter le néant consiste ou à l’imaginer ou à le concevoir. […] On nous accordera que nous n’imaginons pas une abolition de tout, mais on prétendra que nous pouvons la concevoir. […] On s’imagine que la négation, comme l’affirmation, se suffit à elle-même. […] Imaginons encore un esprit qui se replace le long du devenir et qui en adopte le mouvement. […] Ayant imité le Tout par un travail de mosaïque, il s’imagine en avoir retracé le dessin et fait la genèse.

42. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

Horace, dans son Art poétique, trouve qu’il est trop difficile d’imaginer de nouveaux caractères après Homère, et conseille aux poètes tragiques de les emprunter plutôt à l’Iliade ( Rectiùs iliacum carmen deducis in actus, Quàm si… ). Il n’en est pas de même pour la comédie : les caractères de la nouvelle comédie à Athènes furent tous imaginés par les poètes du temps, auxquels une loi défendait de jouer des personnages réels, et ils le furent avec tant de bonheur, que les Latins, avec tout leur orgueil, reconnaissent la supériorité des Grecs dans la comédie.

43. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Or, si l’on se reporte aux origines de la vie phénoménale, telles qu’elles ont été montrées ici, si l’on est bien convaincu de l’évidence de cette proposition, qu’aucun état de connaissance n’est possible que d’un objet pour ira. sujet, en sorte que toute entité vivante ne prend conscience d’elle-même qu’au moyen d’une falsification de soi, il apparaît que la vérité n’a pas de place dans la vie phénoménale, qu’on ne peut imaginer et situer l’idée de vérité qu’en un état d’identité absolue entre toutes les choses où toutes les choses se confondraient et s’évanouiraient et où cesserait, avec toute différence et tout reflet, toute conscience. […] Elle consiste à appliquer aux modes de la vie phénoménale une conception qui exclut la vie phénoménale, la loi d’un autre état que nous ne pouvons imaginer et décrire qu’en niant à son sujet faut ce que nous savons de la vie ordinaire, — en niant qu’il soit soumis aux conditions du temps, de l’espace, de la cause et que la diversité y ait place.

44. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Pour le coup, je n’en revenais pas ; je faisais les plus folles hypothèses pour imaginer comment une femme peut ressembler à un pistolet. […] Je me souviendrai toujours du bon fou Brian qui s’imaginait être prêtre, passait une partie du jour à l’église, imitant les cérémonies de la messe. […] Elle le voyait, s’imaginait être avec lui, l’entourant de soins, gouvernant sa maison, baisant le bas de sa robe. […] Or, dans sa pensée, ce linge était destiné à la maison qu’elle imaginait, à ce nid en commun où elle eût passé sa vie aux pieds de celui qu’elle adorait. […] Voici ce qu’elle imagina.

45. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Imaginons qu’automatiquement l’horloge du boulet et celle de B soient remises au zéro, et que les autres horloges liées à la Terre se trouvent synchronisées avec celle de B. […] On reconnaîtrait que les formules de Lorentz expriment tout simplement ce que doivent être les mesures attribuées à S′ pour que le physicien en S voie le physicien imaginé par lui en S′ trouver la même vitesse que lui à la lumière. […] Nous disions : 1° que la théorie de la Relativité est obligée de mettre sur le même plan la « vision réelle » et la « vision virtuelle », la mesure effectivement prise par un physicien existant et celle qui est censée avoir été prise par un physicien simplement imaginé ; 2° que la forme donnée à cette théorie depuis Minkowski a précisément pour effet de dissimuler la différence entre le réel et le virtuel, entre ce qui est perçu ou perceptible et ce qui ne l’est pas. […] Le système de référence réellement adopté est S″, et le système S est non pas un système de référence réel, mais le système de référence supposé qu’adopterait l’observateur simplement imaginé. […] On oublie que ce système était celui du physicien réel, que les autres sont seulement ceux de physiciens imaginés, qu’on avait cherché un mode de représentation convenant en même temps à ceux-ci et à celui-là, et que l’expression équation avait précisément été le résultat de cette recherche : on commettrait donc une véritable pétition de principe en s’autorisant de cette expression commune pour mettre tous les systèmes au même rang et pour déclarer que tous leurs Temps se valent, puisqu’on n’avait obtenu cette communauté d’expression qu’en négligeant la différence entre le Temps de l’un d’eux — seul Temps constaté ou constatable, seul Temps réel — et les Temps de tous les autres, simplement imaginés et fictifs.

46. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Il lui représentait avec force et douceur les inconvénients de cette versatilité, et il faisait tout pour l’en guérir : « Une honnête personne qui a tant fait que d’aimer et de le dire, ne doit pas imaginer qu’elle puisse jamais cesser d’aimer ; vous ne m’aimez point assez, et, à mesure que mon goût augmente pour vous, il me semble que le vôtre diminue. » Mlle de Châteaubriant paraît avoir été une personne romanesque qui voyait avant tout dans la passion la difficulté à vaincre, et dont la pensée était toujours ailleurs, en avant : Présentement que cet obstacle est levé, lui disait Lassay, vous en imaginerez d’autres… Vous n’aimez qu’à penser et à imaginer… Notre plus grand ennemi est votre esprit… — Il y a, lui disait-il encore en lui faisant voir son caractère à elle comme dans un miroir, il y a une bizarrerie dans votre humeur, à laquelle il est impossible de résister ; je comptais de passer des jours heureux avec une personne qui m’aimait, et que j’aimais plus que ma vie : vous me forcez à perdre cette espérance ; je ne sais plus comme vous êtes faite, mais je sais bien que vous trouvez moyen de faire que c’est un malheur d’aimer et d’être aimé de la personne du monde la plus aimable ; il y a bien de l’art à cela. […] Quand sa fureur l’agite, ceux qui ne le connaissent point et qui l’entendent parler croient qu’il va tout renverser, mais ceux qui le connaissent savent que ses menaces n’ont point de suite, et que l’on n’a à appréhender que les premiers mouvements de cette fureur ; ce n’est pas qu’il ne soit assez méchant pour faire beaucoup de mal de sang-froid, mais c’est qu’il est trop faible et trop timide, et on ne doit craindre que le mal qu’il peut espérer de faire par des voies détournées, et jamais celui qui se fait à force ouverte… Il est avare, injuste, défiant au-dessus de tout ce qu’on peut dire ; sa plus grande dépense a toujours été en espions ; il ne peut pas souffrir que deux personnes parlent bas ensemble, il s’imagine que c’est de lui et contre lui qu’on parle… Dans les affaires qu’il a, il se sert tantôt de discours captieux et tantôt de discours embarrassés pour cacher le but où il veut aller, croyant être bien fin… Jamais il ne va au bien de l’affaire, soit qu’il soit question de l’État, de sa famille ou d’autres gens ; il est toujours conduit par quelque sorte d’intérêt prochain ou éloigné, et, au défaut de l’intérêt, par la haine, par l’envie ou par une basse politique. […] Dans les affaires, chacun pense et imagine pour eux, ils n’ont qu’à prendre le bon parti ; et, dans toutes les choses qu’on leur présente et qu’on leur dit, ils n’ont qu’à tâcher à démêler la vérité et à ne plus changer quand ils l’ont une fois saisie. […] Les cabales de leurs petites cours et de leurs domestiques qui s’imaginent qu’on leur veut ôter des choses qui leur paraissent grandes, parce qu’elles le sont à leur égard, et dont cependant de certaines gens n’ont aucune envie ; les mauvais offices qu’ils tâchent à vous rendre dans cette vue ; l’insolence de leurs valets avec lesquels il ne faut jamais se commettre et dont il est bien plus sage de souffrir, tout devient insupportable ; on est même honteux de se trouver au milieu de choses si petites ; on veut jouir de l’indépendance et de la liberté dont le désir augmente en vieillissant, et qu’un honnête homme ne peut plus sacrifier avec honneur qu’au service de sa patrie : encore faut-il qu’elle ait besoin de lui.

47. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Mais Emma Bovary entend que l’amour absolu, tel qu’elle imagine l’éprouver, tel qu’elle imagine l’inspirer, produise ses derniers effets ; elle veut s’enfuir avec son amant dont la passion vulgaire ne comporte pas de telles conséquences. […] Mis aux prises avec cette nouvelle réalité, son pouvoir de s’imaginer autre qu’elle n’est trahit encore son impuissance à modifier le monde extérieur ; aucune image adverse ne peut empêcher que les effets souscrits ne soient présentés à leur échéance, qu’impayés ils ne soient protestés. […] Si toutefois après avoir idéalisé son être véritable, après en avoir fait un signe, elle eût su ne le mettre aux prises qu’avec d’autres signes également imaginés par elle, si elle se fût gardée de le commettre avec la réalité commune, Mme Bovary eût pu être quelque grande mystique, à la façon d’une sainte Thérèse ou, avec un don d’exécution, une artiste. […] Aussitôt, et poussée par la fatalité qui la domine, Emma Bovary se conçoit différente de ce que la voici, elle imagine un nouveau personnage aux exigences duquel elle immolera le désir immédiat et instinctif qui menace de se réaliser. […] Il imagine donc l’Être avec ses lois, selon le vœu de sa présomption et voici l’éclosion fantastique des religions et des métaphysiques.

48. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

Regardant maintenant le système au repos, imaginons qu’il se meuve avec une vitesse v. […] Et c’est justement parce que la durée psychologique subsiste, inchangée, au cours de toutes les imaginations successives de l’observateur, qu’il peut considérer comme équivalents tous les Temps conventionnels par lui imaginés. […] N’empêche que d’un côté il y a de l’imaginé, du pur possible, tandis que de l’autre côté c’est du perçu et du réel. […] Mais alors, puisque la ligne de lumière s’allonge, tout en restant elle-même, quand on imagine en mouvement et qu’on laisse pourtant au repos le système où elle s’observe, nous aurons des Temps multiples, équivalents ; et l’hypothèse de la pluralité des Temps, caractéristique de la théorie de la Relativité, nous apparaîtra comme conditionnant aussi bien l’évolution de la physique en général.

49. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Il imagine un peintre qui cessa de peindre pour une raison noble et subtile : la couleur, pense ce pauvre homme, est dans l’univers en quantité limitée ; celle qu’on perd à fabriquer de l’artificiel, on la vole à la nature que nos larcins condamnent à créer une vie plus pâle. […] « S’imagine-t-on — s’écrie-t-il avec des larmes dans la voix — s’imagine-t-on Victor Hugo prenant des mouchettes pour couper la mèche d’une lampe qui charbonne ? 

50. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Julliart » pp. 176-177

Et vous ne songez pas que ces arbres doivent être touchés fortement, qu’il y a une certaine poésie à les imaginer selon la nature du sujet, sveltes et élégans, ou brisés, rompus, gercés, caducs, hideux ; qu’ici pressés et touffus, il faut que la masse en soit grande et belle ; que là rares et séparés, il faut que l’air et la lumière circulent entre leurs branches et leurs troncs ; que cette terrasse veut être chaudement peinte ; que ces eaux imitant la limpidité des eaux naturelles, doivent me montrer comme dans une glace l’image affaiblie de la scène environnante ; que la lumière doit trembler à leur surface ; qu’elles doivent écumer et blanchir à la rencontre des obstacles ; qu’il faut savoir rendre cette écume ; donner aux montagnes un aspect imposant ; les entr’ouvrir, en suspendre la cime ruineuse au-dessus de ma tête, y creuser des cavernes, les dépouiller dans cet endroit, dans cet autre les revêtir de mousse, hérisser leur sommet d’arbustes, y pratiquer des inégalités poétiques ; me rappeller par elles les ravages du temps, l’instabilité des choses, et la vétusté du monde ; que l’effet de vos lumières doit être piquant ; que les campagnes non bornées doivent, en se dégradant, s’étendre jusqu’où l’horizon confine avec le ciel, et l’horizon s’enfoncer à une distance infinie ; que les campagnes bornées ont aussi leur magie ; que les ruines doivent être solennelles, les fabriques déceler une imagination pittoresque et féconde ; les figures intéresser, les animaux être vrais ; et que chacune de ces choses n’est rien, si l’ensemble n’est enchanteur ; si composé de plusieurs sites épars et charmans dans la nature, il ne m’offre une vue romanesque telle qu’il y en a peut-être une possible sur la terre. Vous ne savez pas qu’un paysage est plat ou sublime ; qu’un paysage où l’intelligence de la lumière n’est pas supérieure est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage faible de couleur, et par conséquent sans effet, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage qui ne dit rien à mon âme, qui n’est pas dans les détails de la plus grande force, d’une vérité surprenante, est un très-mauvais tableau ; qu’un paysage où les animaux et les autres figures sont maltraités, est un très-mauvais tableau, si le reste poussé au plus haut degré de perfection, ne rachète ces défauts ; qu’il faut y avoir égard pour la lumière, la couleur, les objets, les ciels, au moment du jour, au temps de la saison ; qu’il faut s’entendre à peindre des ciels, à charger ces ciels de nuages tantôt épais, tantôt légers ; à couvrir l’atmosphère de brouillards, à y perdre les objets, à teindre sa masse de la lumière du soleil ; à rendre tous les incidens de la nature, toutes les scènes champêtres, à susciter un orage, à inonder une campagne, à déraciner les arbres, à montrer la chaumière, le troupeau, et le berger entraînés par les eaux ; à imaginer les scènes de commisération analogues à ce ravage ; à montrer les pertes, les périls, les secours sous des formes intéressantes et pathétiques.

51. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

Qui n’a point entendu parler de cette fameuse contrée qu’on imagine avoir été durant un tems le sejour des habitans les plus heureux qu’aucune terre ait jamais portez ? […] On s’imagine entendre les reflexions de ces jeunes personnes sur la mort qui n’épargne ni l’âge, ni la beauté, et contre laquelle les plus heureux climats n’ont point d’azile.

52. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la comédie chez les Anciens. » pp. 25-29

C’est, par exemple, un fils amoureux de la personne que son père veut épouser, et qui imagine des ruses pour arriver à son but ; c’est une fille qui, étant destinée à un homme dont elle ne veut point, fait agir un amant, une soubrette ou un valet, pour détourner ses parents de l’alliance qu’ils lui proposent, et parvenir à celle qui fait l’objet de ses désirs. […] Mais c’est en traitant de la Comédie chez les Modernes, que l’on donnera une connaissance plus étendue des principes de ce bel art, et des moyens imaginés pour varier l’instruction et les amusements que la bonne comédie doit offrir à la société chez une nation policée.

53. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 39, en quel sens on peut dire que la nature se soit enrichie depuis Raphaël » pp. 387-392

Il faudroit connoître le monde presqu’aussi-bien que l’intelligence qui l’a créé, et qui a décidé de son arrangement, pour imaginer la perfection où la nature est capable d’arriver à la faveur d’une combinaison de hazards favorables à ses productions, et de circonstances heureuses dans leur nutrition. Les lumieres des hommes sur la conformation de l’univers étant aussi bornées qu’elles le sont, ils ne peuvent en prêtant à la nature les beautez qu’ils imaginent, l’annoblir dans leurs inventions, autant qu’elle sçait s’annoblir elle-même à la faveur de certaines conjonctures.

54. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

A l’intensité se rattache, quant la parole intérieure nous paraît la nôtre, la présence du tactum buccal, plus ou moins nettement imaginé, selon que le son intérieur est plus ou moins fort, plus ou moins semblable à un son extérieur. […] Quand la poésie est personnelle et que le poète n’imagine pas parler à autrui, mais se parler à lui-même, — ce qui est rare, — l’inspiration est un cas particulier de la parole intérieure passionnée ; partout ailleurs, elle est un cas particulier de la parole intérieure dramatique. […] Si c’est un de mes semblables, je m’imagine lui parler, et il est difficile que je le suppose à la fois attentif et silencieux, que je n’imagine pas une réponse conforme à ses idées et à son caractère, réponse à laquelle je m’empresse de répliquer. […] Plus d’un avocat, sans doute, ne peut bien préparer une cause dans son cabinet sans imaginer le tribunal auquel sa plaidoirie doit s’adresser. […] Et si vous songez que fichtre est ici un équivalent, vous imaginez aisément la stupeur du public. » (Sarcey, feuilleton dramatique du 8 mars 1880.) — Stupeur est le mot juste : Monvel, emporté par la passion, n’était pas ridicule.

55. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Seconde partie. Émancipation de la pensée » pp. 300-314

Il a voulu, par exemple, appliquer à l’étude de la langue des Mexicains le même génie d’observation qui lui a fait imaginer sa grande échelle des hauteurs atmosphériques, d’après la végétation des plantes spontanées. […] Beaucoup de philosophes qui, dans leurs méditations, sont partis de ces termes, se sont imaginé créer ce que l’âme humaine y avait placé sans le savoir, et en cédant à une espèce d’instinct de vérité ; tandis que, dans la réalité, ils n’ont fait que découvrir ce qui reposait dans les langues, et révéler aux yeux de l’âme surprise les trésors qu’elle-même y avait cachés !  […] C’est ainsi qu’on a été graduellement amené à penser que tout était d’invention humaine ; c’est ainsi que, ne pouvant expliquer les prodiges de l’harmonie ancienne, on a trouvé plus simple de les nier, ou de les attribuer à des causes indépendantes de l’essence même de la musique primitive ; c’est ainsi qu’on a imaginé d’établir en théorie que l’homme avait pu fonder la société et parvenir à instituer le langage, sans savoir toutefois ce qu’il faisait.

56. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Il va donc imaginer un autre grief pour le combiner habilement avec le premier et se fortifier dans ses explications malveillantes. […] « Ayant imaginé, Monsieur, qu’après avoir demeuré quelque temps où vous êtes, vous seriez peut-être bien aise de voir l’Angleterre et même de vous y établir, j’ai écrit à des gens propres à vous en rendre le séjour agréable, et particulièrement à M.  […] On a beau être sage et se dire que l’homme est fou, on ne se l’imagine jamais aussi fou et d’une manière aussi singulière et aussi imprévue qu’il peut l’être. […] Imaginez l’émotion et le coup de théâtre. […] Je ne crois pas avoir à m’excuser auprès de mes lecteurs pour leur avoir donné ici tant de pages qui ne sont pas de moi et qui sont de meilleurs que moi ; comme la plupart étaient inédites ou peu connues, j’imagine qu’on aura pris, à les lire, quelque chose du plaisir que j’ai eu moi-même à les rassembler.

57. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Imaginez M. et madame Denis transportés dans l’alcôve de l’adultère : mêmes bâillements et mêmes ronflements. […] On n’imaginerait pas autrement un convulsionnaire amoureux. […] Imaginez la Laure de Pétrarque invitant à des sonnets platoniques un condottiere sanguin et crépu. […] Madame Aubray a eu vent de cette amourette, et, pour sauver Jeannine, pour la réhabiliter en bonne et due forme, elle imagine de la marier à ce cocodès, lequel expiera, par cette œuvre pie, ses péchés galants. […] Vous imaginez-vous un fils de famille épousant une fille-mère, et reconnaissant un fils anonyme, pour faire pénitence des fredaines de sa vie de garçon ?

58. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

N’imaginez point qu’il s’agisse d’entretiens mystiques, M.  […] Un philosophe explicateur dirait : un fait divers est un moment d’infini et d’éternité, fonction de toute réalité dans l’infini spatial et temporel, fonction de toute pensée dans l’échelle illimitée des compréhensions ; notre conception d’un fait divers est un échelon entre une infinité d’autres conceptions, symbolisations psychologiques (dont on peut imaginer la hiérarchie) supérieure ou inférieure d’un même concret ; le rêve est l’effort vers les traductions symboliques les plus hautes. […] Un ironiste imaginait une fable, dont l’idée était : « Le jour de fête, les jeunes artisans de vers, les poètes, vont visiter le Poète. […] On imagine une série de petits poèmes gracieux, précieux, ouvragés « comme les coupes que Théocrite donnait en prix à ses bergers », dit Sainte-Beuve.

59. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Doyen  » pp. 153-155

Ce peintre sait ordonner, et imaginer. […] Imaginez qu’Apollon fait en quatre pas le tour de l’horizon, enjambant de montagne en montagne.

60. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Ignorants comme ils étaient, ils appliquèrent mal cette idée, mais l’effroi que leur inspirait la divinité telle qu’ils l’imaginèrent, commença à ramener l’ordre parmi eux. […] Dès que les hommes ont laissé surprendre leur âme par une superstition pleine de terreurs, ils y rapportent tout ce qu’ils peuvent imaginer, voir, ou faire eux-mêmes. […] Le premier nous montre le penchant naturel du vulgaire à imaginer des fables et à les imaginer avec convenance. — Le second nous fait voir que les premiers hommes qui représentaient l’enfance de l’humanité, étant incapables d’abstraire et de généraliser, furent contraints de créer les caractères poétiques, pour y ramener, comme à autant de modèles, toutes les espèces particulières qui auraient avec eux quelque ressemblance. […] Les fables imaginées par les premiers hommes furent sévères comme leurs farouches inventeurs, qui étaient à peine sortis de l’indépendance bestiale pour commencer la société. […] Ces concessions de terres constituèrent la première loi agraire qui ait existé, et la nature ne permet pas d’en imaginer, ni d’en comprendre une qui puisse offrir plus de précision.

61. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

Il n’y a point de conte de fée, qui réduit à peu de termes, ne presente une vérité ; et je ne crois pas qu’il soit possible d’imaginer une action, qui malgré qu’on en ait, ne soit susceptible d’une bonne refléxion. […] L’intérêt est suffisamment établi ; et il n’étoit gueres possible d’en imaginer un plus considérable. […] Il étoit le maître d’imaginer les circonstances pour les assortir au fait principal qu’il avoit à raconter. […] On s’imagine d’ordinaire que la fleur de l’esprit et de l’imagination n’y ont point de part, et qu’il n’y a presque d’autre mérite que la connoissance de deux langues. […] J’ai donc imaginé un bouclier qui n’eût point ces défauts.

62. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Pour se faire une idée de cette foule qui occupe le côté gauche du tableau, imaginez vue par le dos, accroupie sur les dernières marches, une femme en admiration les deux bras tendus vers le saint. […] Et voilà pourquoi on accuse Raphaël d’être froid, lorsqu’il est vraiment sublime ; lorsqu’en homme de génie, il proportionne les expressions, le mouvement, les passions, à la nature qu’il a imaginée et choisie. […] Cependant il n’est personne qui sur leur caractère tranquille, ferme, immobile, grave, froid et composé, ne les imagine beaucoup plus grands. […] Peut-être même celle-cy est-elle plus difficile à imaginer, et imaginée, plus difficile à rendre.

63. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Tout est bien imaginé, bien ordonné, les figures bien placées, les objets bien distribués, les effets de lumière tout prêts à se produire ; mais point de peinture, point de magie ; il faut que l’artiste soit faible ou paresseux, et qu’il lui soit pénible de finir. […] … voyez, Monsieur Le Prince, quand on est obscur combien on fait imaginer et dire des sotises. […] Au contraire l’habillement des orientaux, des asiatiques, des grecs, des romains dévelope le talent du peintre habile et augmente celui du peintre médiocre. à la place de cette figure de tartare qui est à la droite dans le tableau de la bonne aventure, et qui est si richement, si noblement vêtue, imaginez un de nos cent-suisses, et vous sentirez tout le plat, tout le ridicule de ce dernier personnage. […] Une diète de ces marionnettes-là ferait à merveille la parade d’une assemblée consulaire ; on n’imaginerait jamais un grain de cervelle dans toutes ces têtes-là. […] Imaginez en un tas à vos pieds toute la dépouille d’un européen, ces bas, ces souliers, cette culotte, cette veste, cet habit, ce chapeau, ce col, ces jarretières, cette chemise ; c’est une friperie ; la dépouille d’une femme serait une boutique entière.

64. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Loutherbourg » pp. 258-274

Si l’on ne s’en tenait point à des actions communes, (et j’appelle actions communes toutes celles où un homme en menace ou en tue un autre) mais qu’on imaginât quelque trait de générosité, quelque sacrifice de la vie à la conservation d’un autre, on élèverait mon âme, on la serrerait, peut-être même m’arracherait-on des larmes. […] La fabrique à droite bien variée, bien imaginée, de Bel effet. […] Voilà qui est bien imaginé. […] Voilà les scènes qu’il faut savoir imaginer quand on se mêle d’être un paysagiste. […] Imaginez à gauche une grande arcade ; sous cette arcade, des eaux ; entre des nuages, le disque de la lune dont la lumière faible et pâle frappe la partie supérieure de la voûte ou arcade, et éclaire la scène.

65. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Il faut, je pense, une virgule après change, un point après étrange, une virgule après eux, une après tribu, un point après mélange, un point d’exclamation après grief, une virgule après s’orne, une après obscur  et, j’imagine, un point final. […] Stéphane Mallarmé, il s’imagine qu’il en est de même pour nous, que nous rétablissons sans peine ce lien, et que nous remontons sans hésitation des signes aux choses signifiées.

66. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Sa seconde pensée est de le concevoir, de l’imaginer et de le définir dans les termes les plus sublimes que la force de son désir et la faiblesse de son intelligence, comparées à l’infini, puissent prêter à l’homme pour se représenter son Créateur. […] Dans ces matières sans autre solution que la foi, et où tout est livré aux conjectures, le vraisemblable est la seule approximation du vrai ; quand on ne peut pas prouver, on imagine. […] Nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme fut plus doué et plus accompli dans sa jeunesse que dans sa caducité ; nous aimerions mieux rêver, imaginer et croire que l’homme, encore tout chaud sorti de la main de Dieu d’où il venait de tomber, encore tout imprégné des rayons de son aurore, instruit par la révélation de ses instincts intellectuels, pourvu d’une science innée plus nécessaire et plus vaste, d’un langage plus expressif du vrai sens des choses, vivait dans la plénitude de vie, de beauté, de vertu, de bonheur, Apollon de la nature devant lequel toute autre créature s’inclinait d’admiration et d’amour. […] Nous aimerions mieux rêver, imaginer ou croire que cette même liberté qui le fit déchoir peut le faire remonter laborieusement à son apogée de créature, non plus innocente, mais pardonnée et réhabilitée ; que les ténèbres, le travail, les efforts, les misères, les souffrances, la mort, sont les conditions de l’état présent de l’humanité, et la voie de cette réhabilitation dans la lumière, dans le bonheur et dans l’immortalité. […] Il pense, il conjecture, il imagine, et il conclut.

67. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

À tout autre moment, la tranche est analogue ; il n’est donc rien d’autre ni de plus Que maintenant on classe ces divers événements, sensations, images, idées, résolutions ; qu’à chaque classe on impose un nom, sensibilité, imagination, entendement, volonté ; qu’on attribue au moi divers pouvoirs, celui de sentir, celui d’imaginer, celui de penser, celui de vouloir ; cela est permis et utile. Mais on doit ne jamais oublier ce que l’on met sous des mots pareils ; on veut dire simplement que cet être sent, imagine, pense, veut, et que, si les choses restent les mêmes, il sentira, imaginera, pensera, voudra. […] Il n’y en a plus que deux aujourd’hui, le moi et la matière ; mais jadis il y en avait une légion ; alors, pendant l’empire avoué ou dissimulé de la philosophie scolastique, on imaginait, sous les événements, une quantité d’êtres chimériques, principe vital, âme végétative, formes substantielles, qualités occultes, forces plastiques, vertus spécifiques, affinités, appétits, énergies, archées, bref un peuple d’agents mystérieux, distincts de la matière, liés à la matière, et que l’on croyait indispensables pour expliquer ses transformations.

68. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Et sans comprendre la dégradation que la souffrance inflige aux misérables et qui supprime ironiquement ainsi la classe des infortunés digues de commisération, — songeant à la fois à un dehors qu’il a seul aperçu et à une âme qu’il imagine, il montre en Sonia souillée, simple et calme en sa religion, l’extrême cruauté du contraste cuire le viol de toute sa chair et les pimpances de toilette auxquelles l’astreint ce supplice lucratif. […] De même encore, une intelligence peu développée en tant qu’intelligence, à qui les sens portent sans cesse des impressions discontinues, sera en peine d’imaginer l’idée de développement, soit dans un récit, soit dans un caractère, et concevra de préférence le suspens d’une histoire et la stabilité d’une âme. Ces âmes mêmes seront non pas observées, car les sens seuls apprennent peu de chose en psychologie réelle, mais imaginées, et imaginées à l’image de leur auteur.

69. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XII. MM. Doublet et Taine »

Doublet s’est imaginé que l’histoire de l’intelligence était écrite en nous, dans quelque repli de notre être, et il s’est dévoué à rendre visible ce palimpseste et à le déchiffrer. […] Oui, cela est curieux, car nous n’imaginons pas que, pour un esprit comme celui de M.  […] Timide dans sa conception de la vie comme tous les philosophes qu’il accuse justement de pusillanimité, il s’imagine, — idée vulgaire ! 

70. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

C’étoit un de ces hommes infatués d’Aristote, qui discutent tout & ne sentent rien, qui n’imaginent pas qu’on puisse laisser jamais les règles & les sentiers battus. […] Ce poëte, devenu fou de sa qualité de gentilhomme, s’imagina qu’il étoit déshonoré pour avoir composé des vers.

71. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les romanciers du même temps s’imaginaient écrire des histoires véritables, et le Boiardo, l’Arioste, nés dans un siècle éclairé par la philosophie, tirèrent les sujets de leur poème de la chronique de l’archevêque Turpin. […] Chez les Latins, mémoire est synonyme d’imagination (memorabile, imaginable, dans Térence) ; ils disent comminisci pour feindre, imaginer ; commentum pour une fiction, et en italien fantasia se prend de même pour ingegno.

72. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Le coeur n’est point esclave des regles que l’esprit a imaginées sans son aveu, et il ne lui coûte rien de se faire toutes les illusions nécessaires à son plaisir. […] Qu’on ne s’imagine pas aux réflexions que je fais sur ces regles, que je les juge absolument inutiles. […] C’est de là qu’il part ; et il imagine ensuite ce qui doit être dit ou fait pour parvenir à son but. […] Eh quelle étoit l’idée des anciens d’imaginer dans les actions humaines des crimes indépendans de la volonté ! […] Quelques-uns ont employé la rime ; d’autres ne l’ont pas imaginée, où l’ont dédaignée.

73. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

S’il imagine, il laisse voir qu’il imagine, s’il se souvient, il indique qu’il se souvient.

74. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Deshays  » pp. 134-138

Il imagine des choses frappantes. […] Imaginons d’après ces vers la figure du fanatique qui les prononce, et nous verrons le St Victor de Deshays.

75. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Le Napoléon de Béranger a gardé plus de croyants que je ne l’eusse imaginé. […] J’imagine pourtant qu’il dut subir, dans une certaine mesure, les influences extérieures et les idées ambiantes ; qu’il dut se développer, se modifier et, qui sait ? […] Vous ne pouvez imaginer d’autres conditions de vie que celles qui vous ont été faites ici-bas par une puissance inconnue. […] Ce monde vous paraît mauvais ; et cependant vous ne sauriez l’imaginer autre qu’il n’est, à moins de l’arrêter dans sa marche et de lui retirer tous ses ferments de vie et de progrès. […] Il ne pouvait en imaginer un autre et n’en avait nulle envie.

76. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Ceux qui ont pris parti pour l’ode, et qui lui donnent le premier rang dans la poësie, s’imaginent qu’elle ne doit chanter que les loüanges des dieux et des héros ; et ils tirent de ces sujets mêmes à quoi ils la bornent, une preuve de sa dignité. […] Pour moi, je n’imagine qu’une raison de la différence dont il s’agit ; c’est que le poëme étant un ouvrage de longue haleine, il est dangereux de commencer d’un ton difficile à soutenir ; au lieu que l’ode étant resserrée dans d’étroites bornes, on ne court aucun risque à échauffer d’abord le lecteur, qui n’aura pas le tems de se refroidir par la longueur de l’ouvrage. […] Qu’on ne dise pas qu’il n’y a plus de pensées nouvelles, et que depuis que l’on pense, l’esprit humain a imaginé tout ce qui se peut dire. […] J’ai mieux aimé, pour faire au moins quelque chose de nouveau, imaginer quelques fictions du genre de celles d’Anacréon, les traiter à sa maniére, et chercher selon mes forces, cette douceur et cette facilité de style, qui sont un de ses plus grands charmes. […] Par exemple, il souhaite dans une des siennes de devenir tout ce qui sert à sa maitresse : j’en fais une, où je souhaite d’être tout ce qui plaît à une maitresse que j’imagine exprès pour cela ; car sans maitresse, le moyen d’imiter Anacréon ?

77. (1901) Figures et caractères

J’entends par là que les poètes sont plus propres à imaginer qu’à quoique ce soit d’autre. […] Je lisais un peu et j’imaginais beaucoup. […] C’était le cas d’imaginer quelque commémoration grandiose. […] On n’existe qu’autant qu’on s’imagine et c’est en nous que réside notre éternité. […] Il imagine peu.

78. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Il sent vivre et s’éveiller en lui des pensées poétiques et philosophiques ; il les a bues avec l’air qui l’entoure, mais il s’imagine qu’elles lui appartiennent, et il les exprime comme siennes. […] Imaginez-vous maintenant une ville comme Paris où les meilleures têtes d’un grand empire sont toutes réunies dans un même espace, et par des relations, des luttes, par l’émulation de chaque jour, s’instruisent et s’élèvent mutuellement ; où ce que tous les règnes de la nature, ce que l’art de toutes les parties de la terre peuvent offrir de plus remarquable est accessible chaque jour à l’étude : imaginez-vous cette ville universelle, où chaque pas sur un pont, sur une place, rappelle un grand passé, où à chaque coin de rue s’est déroulé un fragment d’histoire. Et encore ne vous imaginez pas le Paris d’un siècle borné et fade, mais le Paris du xixe  siècle, dans lequel, depuis trois âges d’hommes, des êtres comme Molière, Voltaire, Diderot et leurs pareils ont mis en circulation une abondance d’idées que nulle part ailleurs sur la terre on ne peut trouver ainsi réunies, et alors vous concevrez comment une tête bien faite, grandissant au milieu de cette richesse, peut être quelque chose à vingt-quatre ans. » Certes, de tels témoignages rendus avec cette magnificence, et venant de quelqu’un qui s’est toujours passé de Paris, ne sont pas humiliants pour cette noble tête de la France !

79. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Joseph Scaliger, et Scioppius. » pp. 139-147

Tout ce que l’orgueil en délire peut imaginer d’extravagant & de chimérique en fait de généalogie, est rassemblé dans cet écrit. […] Le plus grand service qu’il ait rendu à la littérature, est d’avoir imaginé le premier une chronologie complette & méthodique, & d’avoir cherché des principes sûrs pour ranger l’histoire en un ordre exact & fondé sur des règles.

80. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Voilà, mes amis, ce qu’il faut savoir imaginer et exécuter, quand on se propose un pareil sujet. […] Mais je n’ai parlé que de l’ordonnance du tableau, que du site, que du paysage, que du local ; mais qui est-ce qui imaginera le caractère et la tête de Paris ?

81. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VI. De la politique poétique » pp. 186-220

Ce qui le prouve, c’est que les poètes n’imaginèrent pas autrement Jupiter, le roi des hommes et des dieux. […] Du moment qu’il est établi (nous l’avons démontré et nous le démontrerons mieux encore) que les gouvernements ne sont point nés de la fraude, ni de la violence d’un seul, peut-on, en embrassant tous les cas humainement possibles, imaginer d’une autre manière comment le pouvoir civil se forma par la réunion du pouvoir domestique des pères de famille, et comment le domaine éminent des gouvernements résulta de l’ensemble des domaines naturels, que nous avons déjà indiqués comme ayant été ex jure optimo, c’est-à-dire libres de toute charge publique ou particulière ? […] Lorsque les philosophes ou les historiens parlent des premiers temps, ils prennent le mot peuple dans un sens moderne, parce qu’ils n’ont pu imaginer les sévères aristocraties des âges antiques ; de là deux erreurs dans l’acception des mots rois et liberté. […] Corollaire relatif à l’héroïsme des premiers peuples D’après les principes de la politique héroïque établis ci-dessus, l’héroïsme des premiers peuples, dont nous sommes obligés de traiter ici, fut bien différent de celui qu’ont imaginé les philosophes, imbus de leurs préjugés sur la sagesse merveilleuse des anciens, et trompés par les philologues sur le sens de ces trois mots, peuple, roi et liberté. […] Le héros digne de ce nom, caractère bien différent de celui des temps héroïques, est appelé par les souhaits des peuples affligés ; les philosophes en raisonnent, les poètes l’imaginent, mais la nature des sociétés ne permet pas d’espérer un tel bienfait du ciel.

82. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

On ne saurait imaginer plus exacte correspondance entre la réalité précise vue par de certains yeux et la sensation du poète qui fixe cette réalité. […] Par-delà cet épisode, on ne saurait rien imaginer qui demeurât du domaine littéraire. […] Un instant, imaginons par contraste que se trouve restreint à la littérature personnelle le domaine de la création littéraire… qu’est-ce alors qu’on en supprimerait ? […] Il faut souligner cette épithète : vivantes. — Car il ne s’agit pas ici d’êtres abstraits, imaginés pour mettre une thèse en valeur. […] Pourtant je l’imagine, je la restitue assez bien, et même j’accepterais difficilement que des documents authentiques vinssent contredire l’idée que je m’en fais.

83. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Ont-elles été imaginées en rêve ? […] En dehors d’elle, que pouvons-nous imaginer qui ne soit discordant, banal et faux ? […] Certains artistes ont une aptitude spéciale à imaginer des physionomies. […] Plus riche sera ce trésor d’observations, plus il leur sera facile d’imaginer une beauté accomplie. […] Que peut-il imaginer de nouveau ?

84. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Elles sont en effet ce que nous pouvons, dans de telles conditions cérébrales, imaginer de plus beau. […] Telles que nous les imaginons, valent-elles l’admiration qu’elles nous inspirent ? […] Croyons-nous voir ce que nous ne faisons qu’imaginer, croyons-nous imaginer ce que nous percevons vraiment ? […] Jusque-là, on pensait, on imaginait volontairement. […] Lire un poète, c’est faire œuvre de poésie ; c’est imaginer des tableaux conformément aux indications parfois très brèves qui nous sont fournies.

85. (1923) Paul Valéry

Mais ce qu’il avait à dire on l’imagine aussi bien déployé sur d’autres registres, tels que la prose, le roman, la philosophie, même certaine algèbre. […] J’imagine fort bien un admirable journal de sport, ou bien de cuisine, ou bien aussi de modes, écrit par Valéry. […] Nous imaginons le reste de la famille et nous voyons la figure qui s’est réalisée en abandonnant sur sa route, comme dit le Socrate d’Eupalinos, les autres en tant qu’idées. […] Le thème, en sa racine originelle, est celui de toute poésie ; on n’en saurait imaginer de plus banalisé par tout le lyrisme romantique. […] Mais je n’imagine pas que Hugo ni Valéry, quand ils ont écrit leurs deux poèmes, aient vu devant eux la moindre idée à réaliser.

86. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Jeune homme sous la Restauration, il l’a traversée, il l’a vue tout entière comme on est le mieux placé peut-être pour voir les choses en observateur artiste, c’est-à-dire d’en bas, dans la foule, dans la souffrance et les luttes, avec ces convoitises immenses du talent et de la nature qui font que les objets défendus ont été mille fois devinés, imaginés, pénétrés, avant d’être possédés enfin et connus ; il a senti la Restauration en amant. […] Il y a eu un moment où, à Venise, par exemple, la société qui s’y trouvait réunie imagina de prendre les noms de ses principaux personnages, et de jouer leur jeu. […] M. de Balzac se piquait d’être physiologiste, et il l’était certainement, bien qu’avec moins de rigueur et d’exactitude qu’il ne se l’imaginait ; mais la nature physique, la sienne et celle des autres, joue un grand rôle et se fait sentir continuellement dans ses descriptions morales. […] Un autre point sur lequel j’arrête en M. de Balzac le physiologiste et l’anatomiste, c’est qu’en ce genre il a pour le moins autant imaginé qu’observé.

87. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Après la mort de cette dame et pendant les premiers temps de la retraite que fit Rancé à sa terre de Veretz, il se développe un peu plus et laisse entrevoir à son digne précepteur quelque chose de l’état de son âme : « Les marques de votre souvenir m’étant infiniment chères, lui écrit-il à la date du 17 juillet 1658, j’ai lu vos deux lettres avec tous les sentiments que je devois, quoique je me sois vu si éloigné de ce que vous imaginez que je suis, qu’assurément j’y ai trouvé beaucoup de confusion. […] Je ne suis vu que de très-peu de gens, et toute mon application est pour mes livres et pour ce que j’imagine qui est de ma profession. […] Il en est résulté qu’il n’a pas toujours dit assez ; le lecteur a besoin d’être guidé à chaque pas plus qu’on n’imagine.

88. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

On n’imaginait pas qu’elle pût jamais changer dans le poète, et, pourtant, ce rare phénomène s’est accompli ! […] Banville s’imagine donc avoir fait parfois autre chose ? […] Voyageur des contrées qui sont par-delà l’histoire, soudain transporté ici et qui, à peine dépaysé, exempt d’étonnements, continue d’apercevoir, à travers les choses présentes, l’enchantement de la patrie primitive, toujours ouverte à son souvenir… Venu comme pour clore une époque, alors qu’on s’imaginait assister à la disparition progressive du romantisme, il en concentra les suprêmes lueurs défaillantes, plus intenses de leur sûre agonie, et nous laissa ce spectacle imprévu d’un trophée d’artifice merveilleux.

89. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

quoi, ces poètes, qui portent au front le divin signe, qu’on imagine toujours — ô jeunes filles !  […] Imaginons un poème merveilleux, qu’un admirateur enthousiaste se ferait réciter chaque jour. […] On n’imagine pas, en effet, en plein xxe  siècle, un homme de valeur véritable s’appliquant à traiter en vers un sujet donné, ou à nous raconter ses petits ravissements ou ses petits déboires avec des rimes dans la voix.

90. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Aussi, nous l’avons déjà dit, on comprend à peine aujourd’hui, mais on ne peut imaginer comment pensaient les premiers hommes qui fondèrent la civilisation païenne.   C’est ainsi que les premiers poètes théologiens inventèrent la première fable divine, la plus sublime de toutes celles qu’on imagina ; c’est ce Jupiter roi et père des hommes et des dieux, dont la main lance la foudre ; image si populaire, si capable d’émouvoir les esprits, et d’exercer sur eux une influence morale, que les inventeurs eux-mêmes crurent à sa réalité, la redoutèrent et l’honorèrent avec des rites affreux. Par un effet de ce caractère de l’esprit humain que nous avons remarqué d’après Tacite ( mobiles ad superstitionem perculsæ semel mentes , axiome 23), dans tout ce qu’ils apercevaient, imaginaient, ou faisaient eux-mêmes, ils ne virent que Jupiter, animant ainsi l’univers dans toute l’étendue qu’ils pouvaient concevoir.

91. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Walewski est dans le cas de nous tous, journalistes et littérateurs par goût, par convenances (qu’il le sache bien, car en bonne compagnie les nécessités mêmes s’appellent des convenances), littérateurs à nos moments perdus (et nous en perdons beaucoup) ; il ne faut pas qu’il s’imagine que nous soyons plus contraints au métier que lui ; nous sommes tous des amateurs, et il est étrangement venu à nous dire : « La presse qui semblait devoir, au moins par générosité, accueillir avec indulgence un homme du monde et lui faire les honneurs de la république des lettres, la presse, c’est-à-dire une partie de la presse, s’est montrée peu courtoise. » La presse ne devait et ne doit rien à M.  […] Imaginez que j’ai, il y a plus de vingt ans, dans le Revue de Buloz, critiqué — oui, critiqué de ma plume sa comédie de l’École du Monde !

92. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries. […] Le drame se joue entre ces trois entités, grandiose, hallucinant, mais sans autre complexité essentielle que celle qu’on imagine de suite à la seule énonciation des personnages.

93. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Imaginez un Lamartine persan. […] Jamblique, et j’imagine que plus d’un aurait saisi dans ces vers des sens symboliques et métaphysiques.

94. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Il est aussi hors d’état de discerner le mérite que de jouir de la beauté… Ne vous imaginez-vous pas entendre discourir une marionette, à laquelle Brioché suggère des paroles… ? […] Point d’horreurs qu’ils n’aient rimées contre lui, de sottise qu’ils n’aient imaginée.

95. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

La vrai-semblance poëtique consiste enfin à donner aux personnages d’un tableau leur tête, et leur caractere connu, quand ils en ont un, soit que ce caractere ait été pris sur des portraits, soit qu’il ait été imaginé. […] Enfin la vrai-semblance poëtique demande que le peintre donne à ses personnages leur air de tête connu, soit que cet air de tête nous ait été transmis par des médailles, des statuës ou par des portraits, soit qu’une tradition dont on ne connoît pas la source nous l’ait conservé, soit même qu’il soit imaginé.

96. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

Lorsque la qualité du sang est jointe avec l’heureuse disposition des organes, ce concours favorable forme, à ce que je m’imagine, le génie poëtique ou pittoresque ; car je me défie des explications physiques, attendu l’imperfection de cette science dans laquelle il faut presque toûjours déviner. […] J’imagine donc que cet assemblage heureux est, physiquement parlant, cette divinité que les poëtes disent être dans leur sein pour les animer.

97. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

Tant que j’imaginais secrètement, sans parler et sans agir, cela ne les regardait pas. […] Elles avaient imaginé un jeu, dont la vue me terrifia. […] À son aversion pour moi se mêlait à ce que j’imaginais, une certaine crainte. […] Nous cherchions à imaginer son histoire. […] La gracieuse enfant s’imaginait faire de la peinture.

98. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Les auteurs commencent par imaginer une suite et une confusion d’incidents singuliers : c’est là l’invention. […] Je m’imagine qu’il n’eût pas reconnu Hercule dans cette statuette de Lysippe, dont parle Stace, si petite à l’œil, mais si grande par l’air de grandeur divine que lui avait imprimé l’artiste43. […] Que, pour échapper à un mariage pour lequel son père a donné parole, il imagine de dire qu’il est marié, à trois mois d’être père, et qu’il fasse ce charmant conte des deux amants surpris dans l’alcôve ; son mensonge s’explique encore ; il est utile, il est dans l’action. […] Imaginez un travers plus sérieux, un vice, une peine proportionnée à la faute, voilà un caractère, voilà la vie. […] Son travers est d’avoir peur de sa femme et de s’imaginer qu’il ne la craint pas.

99. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre II. Lois de la renaissance et de l’effacement des images » pp. 129-161

On monte l’escalier obscur, on sait où mettre la main pour trouver le bouton de la serrure, on s’imagine soi-même à table, à la place accoutumée, on revoit à droite la carafe et à gauche la salière, on savoure intérieurement le goût d’un certain plat du dimanche, on s’étonne, en levant les yeux, de ne pas voir, au même endroit du mur, une vieille gravure que, tout enfant, on a regardée. […] Quand, à la couleur et à la forme, nous prévoyons le goût d’une gelée de groseille, ou quand, les yeux fermés, sentant le goût de cette gelée, nous imaginons sa teinte rouge et le lustre de sa tranche vacillante, nous avons en nous des images avivées par la répétition. […] Par exemple, quand, après avoir revu la ligne serpentine du sentier, je m’imagine tournant la tête à gauche, je revois le lac ardoisé et sa broderie de paillettes luisantes, au-delà les montagnes en pyramides qui descendent toutes vertes jusque dans l’eau ; en effet, le bord extrême de la côte confine au lac, la surface uniforme est rayée de franges brillantes, l’autre côté de l’eau rejoint les verdures et les coteaux qui montent ; ainsi, la fin de chaque image coïncide avec le commencement de l’autre, et partant l’autre entre en résurrection quand la première disparaît. […] Quand j’imagine le monument, je retrouve bien les lignes qui toutes les fois sont demeurées les mêmes ; mais les coupures d’ombre et de lumière, les valeurs changeantes des tons, l’aspect du pavé grisâtre ou noirci, la bande du ciel au-dessus ; bleuâtre et vaporeuse dans un cas, charbonneuse et ternie dans un autre, tantôt d’un blanc enflammé, tantôt d’une pourpre sombre, bref, toutes les diversités qui, selon les moments divers, sont venues se joindre à la forme permanente, s’effacent mutuellement. […] Ses différents souvenirs se recouvrent ; les différences qui distinguaient les deux cents peupliers ou les cent cinquante poules s’effacent l’une par l’autre ; il garde une image bien plus exacte et bien plus intacte, s’il a vu un seul peuplier debout dans une prairie, ou une seule poule juchée sur un hangar. — Toutes nos images subissent un émoussement semblable ; que le lecteur essaye d’imaginer un lapin, une carpe, un brochet, un bœuf, une rose, une tulipe, un bouleau, ou tout autre objet d’espèce très répandue dont il a vu beaucoup d’individus, et d’autre part un éléphant, un hippopotame, un magnolia, un grand aloès, ou tout autre objet d’espèce rare dont il a rencontré seulement un ou deux échantillons ; dans le premier cas, l’image est vague, et tous ses alentours ont disparu ; dans le second, elle est précisé, et on peut indiquer l’endroit du jardin des plantes, la serre parisienne, la villa italienne où l’objet a été vu. — La multiplication de l’expérience est donc une cause d’effacement, et les images, s’annulant l’une l’autre, retombent l’une par l’autre à l’état de tendances sourdes que leur contrariété et leur égalité empêchent de prendre l’ascendant.

100. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

« Je m’imagine que les malheureux qui lisent ce chapitre le parcourent avec cette avidité inquiète que j’ai souvent portée moi-même dans la lecture des moralistes, à l’article des misères humaines, croyant y trouver quelque soulagement. Je m’imagine encore que, trompés comme moi, ils me disent : « Vous ne nous apprenez rien ; vous ne nous donnez aucun moyen d’adoucir nos peines : au contraire, vous prouvez trop qu’il n’en existe point. » Ô mes compagnons d’infortune ! […] La chute d’une onde, la susurration du vent solitaire, toute cette musique qui s’exhale de la nature, et qui fait qu’on s’imagine entendre les germes sourdre dans la terre et les feuilles croître et se développer, lui parut tenir à cette cause cachée. […] Ce fut sans doute l’Amitié en pleurs sur un monument qui imagina le dogme de l’immortalité de l’âme et la religion des tombeaux.

101. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Paul Bourget a imaginé un genre de critique presque nouveau. […] Et c’est bien là, en effet, le bilan complet des sentiments, des inquiétudes et des tourments imaginés et subis par l’âme moderne. […] Le dilettantisme, ce don d’imaginer avec précision et sympathie les vies morales les plus diverses, implique l’impossibilité de se reposer dans aucune. […] Je me disais : Quel faible roué que cet homme qui s’imagine être si fort !

102. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. Ve et VIe volumes. »

Sans doute, en le lisant, il est bien vrai qu’on sent naître en soi une idée de nécessité qui subjugue ; dans l’entraînement du récit on a peine à concevoir que les événements aient pu tourner d’une autre façon, et à leur imaginer un cours plus vraisemblable, ou même des catastrophes mieux motivées ; la nature humaine, ce semble, voulait que les choses se passassent dans cet ordre, que les partis se succédassent dans cette génération ; étant donnée chaque crise nouvelle, on dirait qu’on en déduit presque irrésistiblement la suivante, et qu’on procède à chaque instant par voie de conclusion, du présent à l’avenir : non pas, au moins, que dans sa manière purement narrative ; M.  […] Et qu’on ne dise pas que c’est là imaginer un pur système, et soumettre la nature humaine à des calculs auxquels elle ne se plie pas.

103. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Il imagina l’histoire d’une famille sous le second Empire. […] Ce qui demeure, c’est, à travers tous les âges de la littérature, un courant réaliste : des artistes plus épris de la réalité vivante que du rêve imaginé.

104. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

Quoique les paroles qui viennent de nous échapper sentent un peu l’irrévérence, qu’on ne s’imagine pas que nous voulions le troubler dans l’exercice de sa domination. […] Pour nous, qui connoissons & la nature de la planete dont il dirige les mouvemens, & les besoins de la République dont il est le Dictateur, bien loin de blâmer sa conduite, nous conviendrons qu’elle est plus sage qu’on ne l’imagine.

105. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1851 » pp. 1-9

., c’est bien comme cela que je vous imaginais !  […] » Il nous quitte, bat les usuriers, imagine un frontispice où la foudre tombait sur l’Institut, avec les noms de Hugo, de Musset, de Sand dans les zigzags de l’éclair, achète un almanach Bottin, fait des bandes, et, le dernier coup de fusil du 2 décembre parti, le journal L’Éclair paraît.

106. (1767) Salon de 1767 « De la manière » pp. 336-339

Un sauvage maniéré, un paysan, un pâtre, un artisan maniérés, sont des espèces de monstres qu’on n’imagine pas en nature ; cependant ils peuvent l’être en imitation. […] On écrit des poétiques ; on imagine de nouveaux genres ; on devient singulier, bizarre, maniéré ; d’où il paraît que la manière est un vice d’une société policée, où le bon goût tend à la décadence.

107. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

La profession d’instruire les gladiateurs étoit devenuë un art : le goût que les romains avoient pour ces combats leur avoit fait rechercher de la délicatesse et introduire des agrémens dans un spectacle que nous ne sçaurions imaginer aujourd’hui sans horreur. […] Qu’on s’imagine ce que les grecs, toujours ingenieux à se vanter, comme à rabaisser les barbares, purent dire sur la ferocité des autres nations ; Antiochus ne se rebuta point.

108. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

Je m’imagine qu’ils sont attendris par la nouvelle qu’il leur annonce, et le sentiment qu’il leur prête fait naître dans mon coeur un sentiment approchant du leur. […] Le conseil d’un ami peut bien nous faire supprimer quelques figures impropres ou mal imaginées ; mais il ne peut nous inspirer le genie necessaire pour inventer celles dont il conviendroit de se servir.

109. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « III »

Si c’est avec cela qu’on s’imagine remplacer notre enseignement, je crois qu’il faudra du temps pour en venir à bout.‌ […] La Bruyère donne l’exemple trop souvent imité des théories imaginées par les écrivains pour se mettre en paix sur leurs défauts.

110. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — III »

Le jeune Ernest Renan, quand il acceptait l’idée d’une vie ecclésiastique, n’imaginait rien d’autre que l’état d’un Malebranche qui fût prêtre et hardi penseur. […] Ils n’imaginent même point une objection.

111. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Imaginez, si vous le pouvez sans épouvante, un homme au sortir du seizième siècle, après tant d’esprits qui viennent de recueillir toutes les traditions de l’esprit humain, et dont les plus hardis n’ont pensé qu’à la suite des deux antiquités ; un homme qui se sépare de toutes ces traditions, des deux antiquités, du présent, de l’humanité tout entière, regardant comme provisoires toutes les notions qui ont fait la croyance des temps écoulés jusqu’à lui, n’en voulant croire aucune définitivement qu’après l’avoir reconnue vraie par une opération de son libre jugement ; un homme qui, sans autre contrôle ni témoignage que sa raison, soutenu par le seul amour de la vérité dans ce laborieux affranchissement de sa pensée, se pose hardiment le triple problème de Dieu, de l’homme et des rapports qui lient l’homme à Dieu, du monde extérieur et de ses rapports avec l’homme ! […] « Je me sentais vivre, dit-il, — il avait alors quarante ans, — et, me tâtant avec autant de soin qu’un riche vieillard, je m’imaginais presque être plus loin de la mort que je n’avais été en ma jeunesse. » Il mourait pourtant-moins de quinze ans après, ne causant pas moins de surprise que de deuil à ses amis, qui ne pouvaient comprendre qu’il fût mort sans l’avoir prédit. […] Il marche seul, et d’un pas si hardi, qu’on s’imagine qu’il crée ce que le plus souvent il ne fait que restaurer. […] Je n’imagine pas que Pascal eût été ravi d’apprendre d’un auteur par quoi cet auteur différait de lui, ni de le voir estimer ces différences au point d’en entretenir la postérité. […] Ce qui ne veut pas dire, on le comprend de reste, l’homme qui raisonne ou enseigne, mais l’homme qui sent, imagine, s’émeut, se passionne dans une mesure telle, que tout lecteur se reconnaît dans ses écrits, et que nous tenons pour nôtres ses sentiments, ses passions et sa raison.

112. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Celui qu’un vrai démon presse, enflamme, domine, Ignore un tel supplice : il pense, il imagine ; Un langage imprévu, dans son âme produit, Naît avec sa pensée, et l’embrasse et la suit. […] Il veut y corrompre d’avance tout germe vivant, éteindre à son aurore toute forme d’idéal qui pourrait éclairer ou consoler la planète maudite ; il imagine tous les supplices, la vie, qu’il rend plus sensible pour en faire une proie plus vulnérable à la douleur, l’amour, avec la mort pour en détruire toutes les joies, la Beauté souillée, la Vérité se montrant à l’homme pour l’égarer dans une vaine poursuite, la Liberté ignorante et profanée par ses propres œuvres. […] Si l’homme n’était qu’une ombre impalpable, il n’aurait imaginé rien de pareil, et le nom même de justice serait inconnu. […] Le talent peut-il imaginer à plaisir de plus pénibles entraves et tenir contre lui-même une gageure plus singulière ? […] Cela était possible avec les ressources abondantes que lui offrait l’humanité telle que l’imaginent les naturalistes de cette école, l’histoire avant l’histoire.

113. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

J’en suis venu à imaginer que, pour ces poètes, le symbolisme consiste dans la simple substitution d’une idée à une autre. […] Impossible d’imaginer une étrangeté plus naturelle, plus exempte de pose et d’apprêt. […] Oubliez Castruccio Castracani et imaginez plutôt M.  […] J’imagine que M.  […] Après cela, j’imagine que sur Jésus lui-même M. 

114. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

De bons jeunes gens, de plus de prétention que de littérature, qui auraient pu faire d’excellents notaires ou des commerçants habiles, s’imaginent (ô candeur !) […] Son esprit étant comme une abeille qui butine la fleur des choses et tout ce que cet univers offre de meilleur, vous imaginez aisément sur quoi il s’arrête de préférence. […] Dans le domaine de la pensée, la modération même de la solution où l’on a voulu s’arrêter suppose qu’on a passé en revue toutes les autres et qu’on s’est imaginé les divers états d’esprit auxquels elles correspondent, ce qui est un grand plaisir.

115. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Ils s’imaginaient qu’une eau divine sortait du flanc de Jésus pour les rafraîchir. […] à nous deux nous imaginerons, nous vivrons une vie affinée, grandiose, non vécue jusqu’ici… Elle ne t’attire donc pas, cette existence surhumaine ? […] » Et encore : « J’avais fait pour toi un beau rêve : j’aurais réalisé pour toi toutes les jouissances que peut imaginer un artiste tout-puissant ; j’aurais accumulé les voluptés, les fêtes ! 

116. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

En l’an 1576, au moment où allaient s’ouvrir les États généraux de Blois, quatre ans après la Saint-Barthélemy, Henri III, qui appréhendait la réunion de cette grande assemblée, n’imagina rien de mieux, soit pour l’adoucir, soit pour la distraire, que de mander d’Italie la plus fameuse troupe d’acteurs de la commedia dell’arte qu’il y eût alors : les Gelosi (Jaloux de plaire), à la tête desquels venait de se mettre un homme distingué par sa naissance et par ses talents, Flaminio Scala, dit Flavio au théâtre. […] On peut imaginer les équivoques. […] Il imagina de faire un livre, de l’imprimer et de l’adresser au roi.

117. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

On s’imagina que tous les saints personnages avaient eu leurs jours de pénitence, de vie agreste, d’austérités 276. […] On s’imaginait que les chefs de sectes devaient être des solitaires, ayant leurs règles et leurs instituts propres, comme des fondateurs d’ordres religieux. […] Le peuple le tenait pour un prophète 295, et plusieurs s’imaginaient que c’était Élie ressuscité 296.

118. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Pareillement encore, une personne chatouilleuse que l’on menace de chatouiller, et qui voit la main s’approcher d’elle, imagine si fortement sa sensation prochaine, qu’elle en a des attaques de nerfs, les mêmes attaques que si la sensation avait eu lieu. […] Et cependant leur raison les convainc qu’ils ne courent pas plus de risque que s’ils étaient à terre sur leurs pieds. » En effet, quand le regard plonge tout d’un coup jusqu’au sol, nous nous imaginons subitement transportés et précipités jusqu’en bas, et cette seule image nous glace, parce que, pour un instant imperceptible, elle est croyance ; nous nous rejetons instinctivement en arrière, comme si nous nous sentions tomber en effet. […] Quand le joueur d’échecs imagine à deux pas, en face de lui, un échiquier noir et blanc, et qu’un instant après ses yeux ouverts lui donnent à la même distance et dans la même direction la sensation d’un mur gris ou jaune, la sensation et l’image ne peuvent subsister ensemble. Quand le romancier imaginait dans sa bouche le crépitement de l’arsenic mâché et « cet affreux goût d’encre » que laisse le poison, si, un instant après, il avait sur la langue une gorgée de vin ou un morceau de sucre, la sensation réelle et la sensation imaginée s’excluaient l’une l’autre, et l’illusion momentanée causée par l’image disparaissait sous l’ascendant de la sensation. […] L’abcès mental commence par une image terrible accompagnée d’une émotion extrême. — L’image renaît incessamment et devient obsédante. — Elle s’accroche à l’idée du moi, et S… imagine un cas où il pourrait bien être lui-même en danger. — Cet accroc devient définitif, et, en rêve, il se voit conduit à la guillotine.

119. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

« On imagine facilement dans quelle consternation nous jeta un pareil message. […] « Le dîner fut court, et on s’imagine que je n’en goûtai jamais un plus amer. […] Fesch avait un caractère fort soupçonneux, et il s’imaginait presque toujours voir en réalité ce qui n’existait pas même en rêve. […] Les convenances leur imposèrent cette réserve, et l’on s’imaginera facilement qu’ils eurent alors le cœur tourné vers d’autres pensées. […] On peut imaginer les émotions qu’éprouvèrent les treize, tant par leur expulsion qu’à cause de ce qu’on leur rapportait des faits et des gestes de l’Empereur.

120. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Il est vrai que Perrault ne l’avoit imaginé que pour faire revenir de la grande admiration pour les Grecs & les Latins. […] Cependant, lorsqu’on presse les admirateurs de Virgile, les plus jaloux de sa gloire, & qu’on leur demande s’ils imaginent qu’il eût jamais existé un Virgile, s’il n’y avoit eu auparavant un Homère, ils demeurent interdits. […] Tout ce qu’on peut imaginer de plus fort contre cette sorte d’ouvrage, l’orateur le dit avec son éloquence & son esprit ordinaire. […] On regrette que nous n’ayons pas des romans, non sur le modèle des siens, mais sur le modèle de ceux qu’il imagine. […] Tom Jones est un des plus beaux qu’on puisse imaginer.

121. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Si le poète, en outre, a eu particulièrement à souffrir de la vie et des hommes, que ce soit sa faute ou celle de son étoile, si plus qu’un autre il a été humilié par la destinée, je n’imagine rien de plus propre que ces novissima verba, que ces paroles suprêmes, à attirer enfin l’intérêt sur sa personne, et à touchez en sa faveur les plus distraits et les plus froids. […] Celui-ci a donc découvert et imaginé que toute la veine satirique, railleuse, irrévérente et sensuelle de Villon lui venait de son père, et que la veine tendre et religieuse qu’on lui suppose par moments, ses velléités du moins et ses retours de mélancolie venaient de sa mère. […] Qu’on s’imagine sur la tête d’un homme l’effet de cinq années d’un exil aggravé par la misère et suivi d’une longue et dure prison. […] Campaux, on aura pour tout le reste un commentaire aussi ample qu’utile, et conçu dans un esprit mieux encore que littéraire, je veux dire sympathique et presque filial. — Il a dû y avoir, je m’imagine, du temps de Villon, quelque écolier un peu plus jeune que lui, aussi laborieux, aussi bon sujet que l’autre était mauvais et dérangé, mais grand admirateur du poète, sachant ses premières chansons, récitant à tous venants ses plus jolies ballades, en étant amoureux comme on l’est à cet âge de ce qu’on admire.

122. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

La littérature et la poésie d’alors étaient peu personnelles ; les auteurs n’entretenaient guère le public de leurs propres sentiments ni de leurs propres affaires ; les biographes s’étaient imaginé, je ne sais pourquoi, que l’histoire d’un écrivain était tout entière dans ses écrits, et leur critique superficielle ne poussait pas jusqu’à l’homme au fond du poëte. […] Lorsqu’on ne commence à connaître un grand homme que dans le fort de sa gloire, on ne s’imagine pas qu’il ait jamais pu s’en passer, et la chose nous paraît si simple, que souvent on ne s’inquiète pas le moins du monde de s’expliquer comment cela est advenu ; de même que, lorsqu’on le connaît dès l’abord et avant son éclat, on ne soupçonne pas d’ordinaire ce qu’il devra être un jour : on vit auprès de lui sans songer à le regarder, et l’on néglige sur son compte ce qu’il importerait le plus d’en savoir. […] Corneille s’était imaginé, en 1653, qu’il renonçait à la scène. […] Quand il y avait pourtant nécessité absolue que l’action se passât en deux lieux différents, voici l’expédient qu’imaginait Corneille pour éluder la règle : « C’étoit que ces deux lieux n’eussent point besoin de diverses décorations, et qu’aucun des deux ne fût jamais nommé, mais seulement le lieu général où tous les deux sont compris, comme Paris, Rome ; Lyon, Constantinople, etc.

123. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Sans doute les marquis et les comtesses ont remplacé tes princes d’Arménie et les reines de Trébizonde ; sans doute l’amour parle chez lui une langue moins diffuse, et les aventures qu’il imagine sont moins invraisemblables et plus intéressantes ; sans doute aussi ses amoureux et ses amoureuses ont plus de chair, plus de sang et surtout beaucoup plus de nerfs, que ceux des romans d’autrefois. […] Octave Feuillet apparaissent alors comme de ravissants mensonges, et peut-être comme les plus gracieux qu’on ait imaginés en ce siècle pour bercer les âmes jeunes et enchanter les esprits innocents. […] Cette pédante homicide a été imaginée pour nous faire peur ; mais qui veut trop prouver… Il serait ingénu de penser que l’incroyance, même radicale, conduit nécessairement au crime une créature humaine, même affamée de jouissances. […] Imaginez que Sibylle ne meure point et épouse Raoul : ce sera un peu le mariage de Vaudricourt ; et Vaudricourt est proche parent de M. de Camors.

124. (1911) La valeur de la science « Troisième partie : La valeur objective de la science — Chapitre X. La Science est-elle artificielle ? »

Quand je dis : il fait noir, cela exprime bien les impressions que j’éprouve en assistant à une éclipse ; mais dans l’obscurité même, on pourrait imaginer une foule de nuances, et si au lieu de celle qui s’est réalisée effectivement, c’eût été une nuance peu différente qui se fût produite, j’aurais cependant encore énoncé cet autre fait en disant : il fait noir. […] Imaginons maintenant que, par impossible, la loi que nous croyions vraie, ne le soit pas et que l’effet chimique n’ait pas existé dans ce cas. […] S’imagine-t-on à quelles complications de langage il aurait fallu se résigner si on avait voulu comprendre dans un même énoncé le déplacement du solide, sa dilatation et sa flexion ? […] On peut imaginer des êtres plus étranges encore, et la partie commune entre les deux systèmes d’énoncés se rétrécira de plus en plus.

125. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Que resserré plus ou moins étroitement entre ces diverses digues mentales, l’esprit soif en mesure d’atteindre à la pensée et de la rendre avec un égal mérite, cela ne se pourrait imaginer. […] Comment imaginerait-on pareillement M.  […] France, en même temps qu’un imaginatif mitigé, mais dont l’intelligence du rapport domine le système, par cela même est un intellectuel d’envergure et de rare souplesse, — comment l’imaginerait-on mal armé pour l’attaque de l’idée, pour son observation intime, pour son enveloppement, mais, par contre, suffisamment doté du pouvoir de faire corps avec elle, en en endossant les sympathies multiples, et du pouvoir aussi de ne pas s’attarder au soin de pétrir, au tamisage de ses formules, soit qu’il en veuille émailler l’éclat, soit qu’il en adoucisse les saillies, ne se sentant ni assez visionnaire pour bien parfaire son ouvrage, ni tellement professionnel pour se contenter de butiner ? […] Nous aboutirons là, au sujet de l’auteur de La Rôtisserie de la reine Pédauque : il est spirituel ; il a, à un degré supérieur, le sens de l’idée conséquente, — ce mur mitoyen entre la raison et le sentiment, — de cela qui n’est pas vraisemblable, mais qu’on imagine, qui ne se prouve pas, mais se vérifie, qui ne s’adapte pas, mais se superpose ; de cela qui plaît, parce que, largement, il a l’intention, le vouloir de plaire ; et rien ne conquiert comme ce vouloir, quand tout le bénéfice qu’on en attend est inactif.

126. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Qu’on imagine à plaisir tout ce qu’il y a de plus pur dans l’amour, de plus chaste dans l’hymen, de plus sacré dans l’union des âmes sous l’œil de Dieu ; qu’on rêve, en un mot, la volupté ravie au ciel sur l’aile de la prière, et l’on n’aura rien imaginé que ne réalise et n’efface encore M. 

127. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Au moment d’écrire, vous vous dites : Soyons naturels, et vous vous imaginez l’être quand vous vous abstenez de réfléchir et que vous faites courir la plume sur le papier. […] Il arrive souvent que les jeunes gens s’imaginent que les démonstrations prolixes de sentiments, les abondantes confidences sont le devoir et le signe de l’amitié.

128. (1879) Balzac, sa méthode de travail

« Imaginez quatre ou cinq cents arabesques de ce genre, s’enlaçant, se nouant, grimpant et glissant d’une marge à l’autre, et du sud au septentrion. Imaginez douze cartes de géographie enchevêtrant à la fois villes, fleuves et montagnes.

129. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Michel Ange était grand dessinateur lorsqu’il conçut le plan de la façade et du dôme de Saint Pierre de Rome, et notre Perrault dessinait supérieurement, lorsqu’il imagina la colonnade du Louvre. […] C’est-à-dire, vous imaginerez, vous peindrez, célèbre Rubens, tout ce qu’il vous plaira ; mais à condition que je ne verrai point dans l’appartement d’une accouchée le zodiaque, le sagittaire, etc.

130. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

Il s’imagine qu’elle ne donne pas que la joie de ses beautés aux yeux qui la contemplent et la pureté de ses voluptés à, nos âmes, mais, de plus, encore, la force à nos esprits et à nos cœurs pour vivre non plus tête à tête et cœur à, cœur avec elle, mais pour vivre mieux avec les hommes et être plus dispos et plus prompt à toutes les charges du devoir ! […] Croire que la contemplation des choses naturelles, que la solitude dans les bois ou sur les rivages a cette puissance de retremper la volonté, viciée en son principe, dans l’homme, et de le rendre un être moral plus fort et plus profond qu’avant de se promener sur ce rivage et dans ces bois, s’imaginer qu’on devient vertueux par l’influence du paysage, c’est la rêverie et l’illusion de quelqu’un qui aime mieux la nature qu’il ne comprend l’humanité.

131. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

En traitant de ce sujet, nous ne pouvons omettre une observation importante qui jette beaucoup de jour sur celle que nous avons faite dans la Méthode (il nous est aujourd’hui difficile de comprendre, impossible d’imaginer la manière de penser des premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne 80). […] L’héroïsme galant des modernes a été imaginé par les poètes qui vinrent bien longtemps après Homère, soit que l’invention des fables nouvelles leur appartienne, soit que les mœurs devenant efféminées avec le temps, ils aient altéré, et enfin corrompu entièrement les premières fables graves et sévères, comme il convenait aux fondateurs des sociétés.

132. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Quel est celui de vos artistes, me disait mon cicerone, qui eût imaginé de rompre la continuité de cette chaussée rocailleuse par une touffe d’arbres ? […] Il est inouï, l’espace qu’on imagine au-delà de ce pont, l’objet le plus éloigné qu’on voie. […] Ce pêcheur qui a jetté son filet vers la gauche, à l’endroit où les eaux prennent toute leur étendue, tu le laisseras tel qu’il est ; tu n’imaginerais rien de mieux ; vois son attitude ; comme elle est vraie ! […] Imaginez à droite la cime d’un rocher qui se perd dans la nue. […] Imaginez au devant de ce rocher, et beaucoup plus voisine, une fabrique de vieilles arcades, sur le ceintre de ces arcades une plate-forme qui conduisait à une espèce de phare.

133. (1925) Comment on devient écrivain

Les femmes s’imaginent avoir la vocation parce qu’elles écrivent plus naturellement que les hommes, quand elles écrivent pour elles. […] On n’imagine pas la quantité de romans ultrapassionnés que ces sentimentales bas-bleus viennent proposer aux grands journaux. […] On doit ou las prendre tels qu’ils sont, ou les imaginer d’après ceux que l’on connaît. […] » On aurait tort de s’imaginer que tout est mensonge dans le roman romanesque. […] Il ne faut pas même s’imaginer qu’elles peuvent remplacer des cours.

134. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Si les animaux sentent, imaginent, se souviennent, raisonnent, agissent spontanément et volontairement, s’associent, parlent comme l’homme, où trouver les véritables caractères distinctifs de la nature humaine, sinon dans les faits qui sont reconnus lui être absolument propres ? […] Comment l’homme sent, imagine, pense, veut, agit, c’est-à-dire quel est le phénomène organique ou psychique qui sert de condition à chacun de ces phénomènes de la vie morale, voilà ce que cette école cherche à expliquer en s’appuyant sur un genre d’observation qu’il ne faut pas confondre avec l’observation immédiate et directe, telle que la pratiquent Maine de Biran, Jouffroy et les psychologues de leur école. […] Nous sommes accoutumés à voir une chose succéder à une autre, quant au temps, et nous nous imaginons que celle qui suit dépend de celle qui précède. […] L’idée d’une liaison de ce genre est le fruit de l’habitude17. » C’est une thèse démontrée pour tous les philosophes anglais de cette école ; ils n’imaginent pas qu’on puisse scientifiquement expliquer la notion de cause et le principe de causalité par une autre loi que celle de l’habitude. […] « Il importe bien de remarquer ici que, dans le point de vue de l’observateur de la nature extérieure, la cause qui produit ou amène une série de faits analogues, ne peut jamais être donnée a priori, ni conçue en elle-même, encore moins imaginée dans le comment de la production des phénomènes qui s’y rattachent ; aussi la langue des sciences naturelles manque-t-elle toujours du terme propre qui signifie précisément l’activité productive, l’énergie essentielle de toute cause efficiente, manifestée actuellement par les phénomènes sensibles qu’elle produit, mais non constituée par eux, puisqu’elle est connue comme étant nécessairement avant, pendant et après ces phénomènes26. » Ainsi, comme le remarque ici judicieusement un philosophe : « Dans ce que nous appelons, par exemple, force d’attraction, d’affinité, ou même d’impulsion, la seule chose connue (c’est-à-dire représentée à l’imagination et aux sens), c’est l’effet opéré, savoir, le rapprochement des deux corps attirés et attirant.

135. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Victor Hugo au-delà de ses premières Odes et ballades, et qui se sont imaginé qu’il faisait moins bien depuis le jour qu’il fit autrement. […] Il imagine un cosmos plus clair et plus à la française que celui de M. de Humboldt : « Donnez ce livre à un poète, dit-il, à un homme familiarisé avec les ressources du langage, avec la valeur des mots, avec la science des effets, et il vous fera trois volumes plus amusants que tous les romans, plus intéressants que toutes les chroniques, plus instructifs que toutes les encyclopédies. » Cet agréable idéal que M. du Camp réclame, je crois voir qu’un de nos savants des plus lettrés, M.  […] Nous comprenons toutes choses de mieux en mieux, nous n’imaginons plus rien.

136. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Imaginez un observateur exact et patient qui, habitant une contrée sujette à de grandes variations de température, consulte deux ou trois fois dans les vingt-quatre heures le baromètre, le thermomètre, l’hygromètre ; qui, pendant plus de vingt ans, note et mesure la quantité d’eau qui tombe chaque semaine, chaque mois ; qui dresse de tout cela des tables météorologiques sur les chiffres desquelles on peut compter : il aura rendu service au savant futur qui en tirera des inductions, des résultats peut-être et des lois. […] Étant à la chasse avec le feu roi dans la forêt de Marly, il imagina, pour lui faire sa cour, de lui demander la permission de le suivre à la chasse à tirer ; mais étant fort embarrassé de demander une si grande grâce au roi (M. de Nangis n’avait alors que vingt-cinq ou vingt-six ans), le roi lui dit qu’il était bien jeune pour lui demander une pareille grâce, et qu’il verrait. […] Colbert comment il imaginait pouvoir trouver cette somme.

137. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

« Comme il insistait vivement, j’imaginai de lui proposer de garder moi-même en dépôt la tabatière, jusqu’à ce que M.  […] Quand on réconcilia l’abbé Delille et Rivarol à Hambourg dans l’émigration, ils n’imaginèrent rien de mieux que d’échanger leurs tabatières. […] Quand on réconcilia l’abbé Delille et Rivarol à Hambourg dans l’émigration, ils n’imaginèrent rien de mieux que d’échanger leurs tabatières.

138. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Si cet homme écrit, j’imagine que ce sera comme M.  […] Les circonstances et l’habitude nous pétrissent et nous façonnent plus qu’on ne peut l’imaginer. […] VI Quel que soit d’ailleurs le degré de sa sincérité, j’imagine que (sauf les heures inévitables de lassitude et de dégoût) il doit plutôt éprouver de singuliers plaisirs à soutenir son personnage.

139. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Est-il besoin d’imaginer ici un mode de liaison spécifiquement distinct des lois nécessaires de similarité ou de contiguïté ? […] Ces faits prouvent que l’imagination n’est ni entièrement esclave ni entièrement indépendante des excitants extérieurs, et qu’il se fait une combinaison de ce qu’on voit avec ce qu’on imagine ; mais cette combinaison a toujours lieu par des points de contact, qui sont des points de contiguïté.

140. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Mais toutes les satisfactions qu’il imagina pour s’acquitter envers l’auteur du Temple du goût & de la tragédie de la Mort de César, n’appaisèrent point l’offensé, peut-être trop sensible. […] On peut bien s’imaginer que ses cendres ne furent guères respectées.

141. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Par exemple, quand Homere composa son iliade, il n’écrivoit pas une fable inventée à plaisir, qui lui laissât la liberté de forger à son gré les caracteres de ses heros, de donner aux évenemens le succès qu’il lui plairoit, et d’embellir certains faits par toutes les circonstances nobles qu’il auroit pu imaginer. […] Mais supposé que cela fut vrai, imaginer un jardin merveilleux, c’est la tâche de l’architecte.

142. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Mais les petits, ils ont pullulé de toutes parts… Et à ce point que les esprits qui ont le sentiment de la convenance des choses et de leur harmonie ont dû souvent être importunés jusqu’à l’impatience de toute cette quantité de traîne-fétus historiques qui s’imaginent être des colosses parce qu’ils remuent leur activité d’insecte dans les cendres du colosse du xixe  siècle, et tracassent sa grandiose histoire. […] Elle s’imaginait que l’Empire et l’Empereur étaient un accident, quelques coups de canon, un passage, la grande aventure des temps modernes, et rien de plus.

143. (1881) Le naturalisme au théatre

Je me méfiais beaucoup des acteurs italiens, je me les imaginais d’une exubérance folle. […] Imaginez une rose pour barrer le chemin à un torrent. […] Elle doit être la liberté en personne, j’imagine. […] On ne peut imaginer les étranges phrases qui tombent là dedans. […] Il aurait fallu, j’imagine, le montrer plus actif dans le dénoûment.

144. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

" … mon cher Apé, tout ce que tu dis là est fort beau, mais crois que tu vas parce que tu ne peux pas rester, tu surabondes en énergie, et tu décores cette force secrète qui te meut, tandis que tes camarades dorment, du nom le plus noble que tu peux imaginer. […] … et dans l’indignation que je ressens encore du petit esprit superstitieux de cet auteur, vous me permettrez, s’il vous plaît d’ajouter : dom Richard, est-ce que tu t’imagines que ce tas d’impertinences qui forment ta mythologie obtiendra des hommes une croyance éternelle ? […] Imaginez sur deux grandes arches cintrées un pont de bois d’une hauteur et d’une longueur prodigieuses ; il touche d’un bout à l’autre de la composition et occupe la partie la plus élevée de la scène. […] Imaginez à gauche une longue suite d’arcades qui s’en vont en s’enfonçant dans la toile parallèlement au côté droit, et en diminuant de hauteur selon les lois de la perspective ; imaginez à droite une autre enfilade d’arcades qui s’en vont du côté gauche, sur le devant, diminuant pareillement de hauteur, en sorte que ces deux enfilades ont l’air de deux grands triangles rectangles posés sur leurs moyens côtés et s’entrecoupant par leurs petits côtés : effet le plus ingrat à l’œil ; effet dont il était si aisé de déranger la symmétrie. […] Des peuples avec ces usages, ces vêtements, ces cérémonies, ces lois, ces coutumes ne pouvaient guère avoir d’autre ton ; mais il y est ce ton qu’on n’imagine pas, et il faut l’aller puiser là, pour le transporter à nos temps qui très-corrompus ou plutôt très-maniérés, n’en aiment pas moins la simplicité.

145. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

J’imagine ce bout de dialogue auquel il ne manque que l’esprit et le tour de main de Voltaire : « … Ce mandarin parle si bien, reprit Kou-Tu-Fong, qu’il fait courir à ses leçons toutes les dames de Pékin  Ce qu’il dit est donc bien neuf ? […] J’imagine un temps, encore lointain, où, toutes les littératures ayant parcouru leur cycle naturel, le critique, accablé sous la masse énorme des choses écrites, serait obligé de ne retenir que les œuvres clairement caractéristiques des différents génies nationaux aux diverses époques : il me semble que l’œuvre de Racine aurait alors une autre importance et un autre intérêt que celle de son grand rival. […] L’homme de lettres, l’artiste, celui qui, par métier, observe, analyse et exprime ses propres sentiments et par là développe sa capacité de sentir, reçoit de tout ce qui le touche et, en général, du spectacle de la vie des impressions plus fortes et plus fines que le vulgaire : ce n’est pas là, j’imagine, une infériorité pour l’artiste, même en admettant que cette impressionnabilité excessive ne soit qu’un jeu divin, une duperie volontaire et intermittente et qui ne serve qu’à l’art. […] Deschanel, et même ne l’est pas du tout, c’est que, dans une page fort intéressante, il essaye d’imaginer ce que deviendrait le même sujet traité dans la forme romantique : on assisterait aux expériences de Locuste, au banquet où Britannicus est empoisonné. […] Remarquez que Joad est ou se croit profondément désintéressé, qu’il s’imagine travailler pour Dieu et agir sous son inspiration, que, si j’entends bien la magnifique scène de la prophétie, il sacrifie à ce Dieu la vie de son propre enfant et que la vision du meurtre de Zacharie ne l’empêche point de faire ce qu’il croit être son devoir dans le présent  Les fanatiques sont gens fort curieux, surtout dans un drame, où l’on n’a rien à craindre de leur manie.

146. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

Prenez Platon, Socrate, Alcibiade, Aspasie ; imaginez-les vivant, agissant d’après les ravissants tableaux que nous a laissés l’antiquité, Platon surtout. […] On s’imagine souvent que des mœurs démocratiques sont des mœurs de cabaret, et c’est un peu la faute de ceux qui ont confisqué ce nom à leur profit. […] Il ne faut donc pas craindre d’y mettre tout ce qu’on peut imaginer de bonté et de beauté. […] Étrange non-sens, car, les formules n’ayant de valeur que par le sens qu’elles renferment, il n’avance à rien de dire : « Je me repose sur le pape ; il sait, lui, ce qu’il faut croire, et je crois comme lui. » On s’imagine que la foi est comme un talisman qui sauve par sa vertu propre ; qu’on sera sauvé si l’on croit telle proposition inintelligible, sans s’embarrasser de la comprendre ; on ne sent pas que ces choses ne valent que par le bien qu’elles font à l’âme, par leur application personnelle au croyant. […] J’imagine qu’un dialogue de Platon nous représente réellement une conversation d’Athènes, bien différent des compositions analogues de Cicéron, de Lucien et de tant d’autres, qui ne prennent le dialogue que comme une forme factice pour revêtir leurs idées, sans aspirer à rendre aucune scène de la vie réelle.

147. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Quelquefois je vous croyais malade ; quelquefois j’imaginais que la distance qui est entre nous, et le temps qui s’est écoulé depuis mon absence, vous avaient refroidi sur notre correspondance. […] Elle m’a écrit une lettre si honnête sur mon retour dans ma patrie, que je crois qu’elle imagine de me tourner la tête de toutes les manières possibles. […] Si vous pouviez me faire passer de Pétersbourg par l’occasion des vaisseaux quelque pacotille soit en lits de fer ou ce que vous jugerez plus convenable, j’imagine que j’aurais bientôt acquitté mes dettes. […] J’imagine pour vous que vous devez être heureux, dans quelque événement que vous puissiez vous trouver. […] Je ne forme plus de projet, mais j’ai souvent désiré d’avoir une bonne femme comme j’imagine la vôtre, une petite terre agréable et la liberté de m’occuper, dans le voisinage d’un ami comme vous, de l’étude de la nature.

148. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

On n’en tolère pas d’autre, on n’en imagine pas d’autre, et si, dans ce cercle fermé, un étranger parvient à s’introduire, c’est à la condition d’employer l’idiome oratoire que la raison raisonnante impose à tous ses hôtes, Grecs, Anglais, barbares, paysans et sauvages, si différents qu’ils soient entre eux, et si différents qu’ils soient d’elle-même. […] Les enfants qui ont actuellement dix ans se trouveront alors des hommes préparés pour l’État, affectionnés à leur pays, soumis, non par crainte, mais par raison, à l’autorité, secourables envers leurs concitoyens, accoutumés à reconnaître et à respecter la justice. » — Au mois de janvier 1789434, Necker, à qui M. de Bouillé montrait le danger imminent et les entreprises immanquables du Tiers, « répondait froidement et en levant les yeux au ciel qu’il fallait bien compter sur les vertus morales des hommes »  Au fond, quand on voulait se représenter la fondation d’une société humaine, on imaginait vaguement une scène demi-bucolique, demi-théâtrale, à peu près semblable à celle qu’on voyait sur le frontispice des livres illustrés de morale et de politique. […] Au lieu de lui opposer des digues nouvelles, ils ont songé à détruire les vieux restes de digues qui le gênaient encore. « Dans un gouvernement, disent Quesnay et ses disciples, le système des contre-forces est une idée funeste… Les spéculations d’après lesquelles on a imaginé le système des contrepoids sont chimériques… Que l’État comprenne bien ses devoirs, et alors qu’on le laisse libre… Il faut que l’État gouverne selon les règles de l’ordre essentiel, et, quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout-puissant. » — Aux approches de la Révolution, la même doctrine reparaît, sauf un nom remplacé par un autre. […] M. de Barante, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, 318. « On s’imaginait que la civilisation et les lumières avaient amorti toutes les passions, adouci tous les caractères.

149. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

J’ai été tenté de croire qu’il nous viendrait de l’Allemagne ; non que j’imagine que ce soit un individu, ce sera un esprit ; et quand nous disons Jésus-Christ, nous entendons, sans doute, désigner plutôt un certain esprit qu’un individu : c’est l’Évangile. […] J’imagine que l’une des suites du mouvement d’instruction et d’étude qui a lieu en France dans le clergé, sera de nous rationaliser un peu. […] Elle m’a été une grande joie et un grand secours durant ces tristes vacances que le passe dans le plus pénible isolement qui se puisse imaginer. […] J’imagine que vous avez dû éprouver ceci : il se passe en nous, relativement au bonheur, une espèce de délibération, où du reste nous sommes fatalement déterminés, par laquelle nous décidons sur quel tour nous prendrons telle ou telle chose ; car il n’est personne qui ne doive reconnaître qu’il porte en lui mille causes actuelles qui pourraient le rendre le plus malheureux des hommes.

150. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet »

On parle tout bas, il s’imagine que c’est contre lui. […] Il s’imagine souvent que tous ceux qui lui parlent sont emportés, et que c’est lui qui se modère ; comme un homme qui a la jaunisse croit que tous ceux qu’il voit sont jaunes, quoique le jaune ne soit que dans ses yeux… » Je ne puis tout citer ; la fin encore est à lire, et ceci ne peut s’omettre : « Mais attendez un moment, voici une autre scène. […] Pourvu qu’il dorme, qu’il rie, qu’il adoucisse son tempérament, qu’il aime les jeux de la société, qu’il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d’eux, toutes les grâces de l’esprit et du corps viendront en foule pour l’orner. » Mais après les avertissements et les réprimandes, voici les satisfecit aussi bien imaginés, aussi bien tournés dans leur genre, et de la plus fine louange.

151. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

On interprète « les harmonies de la Nature » comme des attentions délicates de la Providence ; en instituant l’amour filial, le Créateur a « daigné nous choisir pour première vertu notre plus doux plaisir314 »  À l’idylle qu’on imagine au ciel, correspond l’idylle qu’on pratique sur la terre. […] Enfermés dans leurs châteaux et leurs hôtels, ils n’y voient que les gens de leur monde, ils n’entendent que l’écho de leurs propres idées, ils n’imaginent rien au-delà ; deux cents personnes leur semblent le public  D’ailleurs, dans un salon, les vérités désagréables ne sont point admises, surtout quand elles sont personnelles, et une chimère y devient un dogme parce qu’elle y devient une convention. […] Ils finissent par s’imaginer que le mieux est de laisser l’écroulement s’achever, que l’édifice se reconstruira pour eux de lui-même, qu’ils vont rentrer dans leur salon rebâti exprès et redoré à neuf, pour y recommencer l’aimable causerie qu’un accident, un tumulte de rue vient d’interrompre319.

152. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Chacun a son idéal dans le passé, et la nature, la vocation de chaque esprit ne se déclarerait jamais mieux, j’imagine, que par le choix du personnage qu’on irait d’abord chercher si l’on revenait dans un temps antérieur. […] Ces chapitres xxiii et xxiv du premier livre sont vraiment admirables, et nous offrent le plus sain et le plus vaste système d’éducation qui se puisse imaginer, un système mieux ménagé que celui de l’Émile, à la Montaigne, tout pratique, tourné à l’utilité, au développement de tout l’homme, tant des facultés du corps que de celles de l’esprit. […] Je m’imagine que, quand on essaie de le tirer ainsi à soi, Rabelais se laisse faire et qu’il y va, mais pour en rire.

153. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

L’assurance, où on les voit, d’être semblables à ce qu’ils imaginent, achève de les rendre ridicules et fait d’eux, en même temps, des dupes faciles entre les mains de qui sait flatter leur manie. […] L’Avare nous montre avec son mal une hypertrophie du pouvoir de préférer aux jouissances positives des jouissances irréelles, apprêtées par l’esprit, et Le Malade imaginaire nous fait voir la physiologie même asservie à ce pouvoir d’imaginer. […] À côté de ces cas que chacun imagine et qui relèvent chez l’individu d’une présomption quant à la valeur de son intelligence de son adresse ou de sa force physique on ne va retenir ici, comme exemples de ce Bovarysme tragique, que ces fausses conceptions que, sous l’empire du milieu, mœurs et coutumes, l’individu se forme de sa sensibilité.

154. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Condillac imaginait une statue dont il animait successivement les organes ; Hartley et Priestley expliquaient la pensée par les vibrations cérébrales ; le pieux Bonnet lui-même, dans son Essai analytique des facultés de l’âme, avait également imaginé sa statue et essayait aussi d’expliquer la pensée par la mécanique. […] Elle imaginait en outre les causes intérieures sur le modèle des causes externes, et, appliquant la méthode baconienne à la psychologie, elle ne voyait dans les facultés de l’âme et dans l’esprit lui-même que des noms abstraits représentant des causes inconnues.

155. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Les Allemands sont assurément les plus admirables travailleurs classiques que l’on puisse imaginer ; depuis qu’ils se sont mis à défricher le champ de l’antiquité, ils ont laissé bien peu à faire pour le détail et le positif des recherches ; ils ont exploré, commenté, élucidé les grandes œuvres ; ils en sont maintenant aux bribes et aux fragments, et ils portent là-dedans un esprit de précision et d’analyse qu’on serait plutôt tenté de leur refuser lorsqu’ils parlent et pensent en leur propre nom. […] Et je me demandais (toujours dans mon songe), par un retour sur nos époques paisibles et sûres d’elles-mêmes, si de telles vicissitudes étaient à jamais loin de nous ; si, en accordant un laps suffisant d’années, les révolutions inévitables des mœurs et du goût, sans parler des autres chances plus funestes, n’infligeraient pas aux littératures modernes quelque chose au fond de plus semblable qu’on n’ose de près se l’imaginer.

156. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

La fable n’est autre chose qu’un raisonnement de ce genre, un fait particulier imaginé pour démontrer une vérité générale où il rentre, ou un autre fait particulier auquel il est, en somme, identique. […] Je conseillerai donc, si l’on veut apporter quelque récit à l’appui d’un conseil ou pour preuve d’une thèse, de n’entreprendre point de faire parler les animaux et les arbres, et de n’imaginer rien qui soit hors des conditions de la vie commune : que la fable soit un conte, une anecdote, enfin une petite scène du monde réel ; cela aura plus d’intérêt et un tour plus moderne.

157. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Si l’on n’imagine pas dans la dernière précision, avec tout le détail et les moindres parties, aussi nettement que s’il était sur le papier et sous nos yeux, le dessin complet de l’œuvre qu’on doit exécuter, on se résignera à n’être pas un génie supérieur ; et l’on suppléera à l’intuition par la réflexion qui combine et note un plan mûrement, patiemment, longuement. […] Je ne sais pas si la confusion et la mauvaise distribution n’ont pas fait tomber plus d’ouvrages que la pauvreté d’invention, le manque d’esprit, le mauvais style, et tous les défauts ensemble qu’on peut imaginer.

158. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Guy de Maupassant »

Il me dit cela avec beaucoup de simplicité ; mais moi, je songeais : « Voilà un garçon évidemment très satisfait d’avoir imaginé cette antithèse. […] Les psychologues de profession s’évertuent à percer ces dessous, mais ne leur arrive-t-il pas d’inventer, d’imaginer des nuances de sentiment et de secrets mobiles d’action ?

159. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Il enchérit sur tout ce qu’on avoit imaginé pour la réformer. […] On détermina où devoient être le grave & l’aigu : le circonflexe fut imaginé alors, afin de constater la suppression de quelques lettres.

160. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

Imaginez-vous qu’on eût découvert le Journal de Périclès par Périclès ; le Journal d’Auguste, écrit de la main d’Auguste ! […]Imaginerait-on jamais que l’impératrice Marie-Thérèse, sa belle-mère, à lui, meurt, et qu’il note sa mort sans autre souci que des révérences, qu’il compte, ce jour-là, comme un maître à danser : 314 d’hommes et 256 de femmes ?

161. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « De Cormenin (Timon) » pp. 179-190

On s’imagine trouver des orateurs dès les premières pages de ces volumes, et on se trouve nez à nez avec des théories oratoires ! On s’imagine avoir affaire à de la vie, et on se cogne à de la rhétorique !

162. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Il y a une foule de scènes que Voltaire n’était capable ni d’imaginer ni d’écrire, et dans la conduite on remarque un artifice théâtral et des combinaisons qui ne pouvaient partir que de la tête de Corneille. […] Quand on supposerait Noradin et Orosmane les plus tolérants des hommes, il n’y a pas moyen d’imaginer que dans le palais du soudan une esclave musulmane porte à son cou le signe de la foi des chrétiens. […] On dut être alors étonné que ce Vendôme, si défiant, s’imagine, sans aucun fondement, que son frère n’a pu voir ni connaître Adélaïde tandis qu’il soupçonne plus légèrement encore le vieux Coucy. […] Telles étaient les princesses que Voltaire imaginait à soixante ans. […] On peut imaginer ce qu’ont dû lui conter le sénat et les deux consuls, c’est-à-dire, dix-huit comédiens, revêtus de toges de toile d’argent, par-dessus des tuniques de toile d’or, enrichies de diamants.

163. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Drouais, fils »

Imaginez des visages, des cheveux de crème fouettée, de vieilles étoffes raides, retournées et remises à la calandre, un chien d’ébène avec des yeux de jais, et vous aurez un de ses meilleurs morceaux.

164. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 443

Il ne faut pas s’imaginer que la Bibliotheque du Roi fût alors ce qu’elle est aujourd’hui.

165. (1759) Salon de 1759 « Salon de 1759 — Nattier »

Nattier Voici une Vestale de Natier ; et vous allez imaginer de la jeunesse, de l’innocence, de la candeur, des cheveux épars, une draperie à grands plis, ramenée sur la tête et dérobant une partie du front ; un peu de pâleur ; car la pâleur sied bien à la piété (et à la tendresse).

166. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

La première représentation de Cosima a eu lieu devant le public le plus nombreux, le plus choisi et le plus divers, le plus littéraire et le plus mondain qui se puisse imaginer. […] Je m’imagine que c’est la haine de tout lieu commun qui a détourné du théâtre un des talents les plus foncièrement dramatiques et les plus réels à la fois, M. 

167. (1890) L’avenir de la science « I »

La fin de l’homme n’est pas de savoir, de sentir, d’imaginer, mais d’être parfait, c’est-à-dire d’être homme dans toute l’acception du mot ; c’est d’offrir dans un type individuel le tableau abrégé de l’humanité complète et de montrer réunies dans une puissante unité toutes les faces de la vie que l’humanité a esquissées dans des temps et des lieux divers. On s’imagine trop souvent que la moralité seule fait la perfection, que la poursuite du vrai et du beau ne constitue qu’une jouissance, que l’homme parfait, c’est l’honnête homme, le frère morave par exemple.

168. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Françoise. » pp. 159-174

La connoissance profonde qu’il avoit des auteurs Grecs & Latins, & l’usage qu’il en faisoit pour extraire les beautés originales & les faire passer dans notre langue, lui ont fait imaginer qu’il falloit tenir la même route. […] Il est affreux d’imaginer qu’il faudra qu’un jour des François étudient la langue de Despréaux, de la Fontaine, & de Racine.

169. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Baudouin » pp. 198-202

Le pauvre homme, que celui qui n’imagine dans cette circonstance qu’un troupeau de femmes de chambre ! […] Quant aux mœurs du tableau de Baudouin et de celui que j’imagine, c’est la différence des bonnes et des mauvaises.

170. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 9, des obstacles qui retardent le progrès des jeunes artisans » pp. 93-109

Il ne suffit pas aux peintres de concevoir des idées nobles, d’imaginer les compositions les plus élegantes, et de trouver les expressions les plus pathétiques, il faut encore que leur main ait été renduë docile à se fléchir avec précision en cent manieres differentes, pour se trouver capable de tirer avec justesse la ligne que l’imagination lui demande. […] S’il veut faire de bons tableaux ; qu’après les avoir imaginez, il les fasse peindre par un autre.

171. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Crétineau-Joly n’a pas, d’ailleurs, seulement contre lui le mordant du verbe, si désagréable aux Philintes caressants des partis, qui s’imaginaient étouffer l’Empire en s’embrassant, mais il a, de plus, tout ce qui peut choquer le courage de ce fier héros qui s’appelle monsieur Tout-le-Monde. […] Aux yeux de ceux qui lisent attentivement et fréquemment l’Histoire, les hommes, qu’on imagine si complexes, sont, au contraire, plus simples qu’on ne croit.

172. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

» Et, de leur côté, les royalistes à transaction, qui s’imaginent que toute la politique est de s’entendre avec la révolution au profit de la royauté, s’écrieront : « Vous nous perdez avec une imprudence !  […] Après de tels exemples, quoi d’étonnant à ce que le comte de Chambord, qui n’est pas roi, mais qui veut le devenir, s’imagine que les batailles politiques entre des principes différents peuvent finir, comme de vulgaires procès, par des transactions, et qu’il puisse en accepter une, lui, le roi de France !

173. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

. — Incapables de se créer par l’intelligence des formes abstraites, ils en imaginèrent de corporelles, et les supposèrent animées d’après leur propre nature. […] Elle faisait consister tout son mérite à trouver des fables assez heureusement imaginées pour sauver la gravité de la loi, et appliquer le droit au fait.

174. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Drouais  »

Il était impossible d’imaginer une mine où il y eût plus de gentillesse, et de malice ; comme ce chapeau est fait ?

175. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article »

Ses Lettres, écrites avec légéreté, fourmillent d’une quantité de fausses anecdotes adoptées au hasard, ou imaginées tout exprès pour l’amusement du Lecteur.

/ 1798