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819. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »

Personne ne peut le passer à cet endroit-là et jamais on n’a osé y risquer une pirogue.

820. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

A cette heure avancée de la nuit qui me hâte et dans la première minute de ce grand deuil, oserai-je reprendre, souligner, développer le mot « provisoire » dont je qualifiais tout à l’heure cette attitude constante chez M. 

821. (1927) André Gide pp. 8-126

Philoctète ou le Traité des trois morales est un drame philosophique, qui met en présence Ulysse, ou la raison d’Etat, Néoptolème, ou la pitié, Philoctète, ou la vertu esthétique et nietzschéenne, qui nous invite à nous dépasser nous-mêmes, sans souci d’utilité, sans considération du prochain, pour la beauté du fait et par amour de l’art, si l’on ose s’exprimer ainsi. […] La terreur qu’inspire la maçonnerie est telle que personne n’ose élever la voix et que toute insinuation de la vérité serait catégoriquement démentie par les personnages les plus autorisés. […] Osera-t-on insinuer qu’en pareil cas la bonté divine ne se manifeste que d’une façon relative, par des pis-aller, et que l’on comprend au moins aussi bien le Saunderson de Cheselden et de Diderot disant au révérend Holmes : « Voyez moi bien, Monsieur Holmes, je n’ai point d’yeux. […] » L’opinion du pasteur, qu’il ne donne pas à Gertrude, est que Beethoven peignait par ces harmonies ineffables « non pas le monde tel qu’il était, mais bien tel qu’il aurait pu être, qu’il pourrait être sans le mal et sans le péché. » Mais jamais encore il n’avait osé parler à Gertrude du mal, du péché, de la mort. […] Il n’est probablement pas le seul de cet avis, mais un homme de lettres n’ose guère l’avouer.

822. (1896) Études et portraits littéraires

Il a pris plaisir à les peindre ; il les a caressés, oserais-je dire, si le mot convenait aux brusqueries de sa brosse. […] Mais aussi quelle audace avait pris cet homme, qui n’était pas « né », d’oser parler de salons ? […] Mérimée est « un échassier qu’on a presque osé fourrer dans un nid d’aigle ». […] Loti, qui ose parfois des peintures si hardies, a observé cela, et il a mis cette pureté dans son œuvre. […] Oserons-nous ajouter que Lesage, lui, n’en a pas ?

823. (1911) Études pp. 9-261

Il semble qu’il n’ose les toucher. […] Je ne l’oserais pas si Claudel lui-même, dans l’Abrégé de toute la doctrine chrétienne, n’avait donné à sa pensée une forme déductive. […] Qui osera repousser le présent divin qui nous est fait ? […] Elle ne connaît que le trouble qu’ils font en elle ; au milieu de l’univers, elle sent un malaise qu’elle n’ose appeler délicieux. […] Je loue Gide d’avoir osé l’expression de cette joie.

824. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

J’oserai dire, quoique une telle affirmation prenne une singulière allure de paradoxe, que le talent ne peut pas mentir. […] J’ose répondre franchement que non. […] Et, de même que nous disons qu’elle est bien peinte, osons dire que la Comédie humaine est bien écrite, puisqu’elle est réellement ce que son auteur a voulu qu’elle fût : l’évocation vivante de tout un monde. […] Le cruel moqueur n’ose pas sourire devant cet adversaire tragique. […] Oserais-je dire que je trouve Barrès supérieur au célèbre duc par la maigreur musclée de sa phrase, et aussi par la justesse de sa vision ?

825. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

On n’ose l’avouer encore. […] Mais qui oserait prétendre qu’une semblable conception poétique tient plus de l’analyse que de la synthèse ! […] Oserai-je avouer avoir connu la poésie de Mithouard dans le même temps que celle de Vielé-Griffin et d’Henri de Régnier. […] Je n’ose pas vous reconnaître. […] quel poète, si génial soit-il, oserait se vanter à cette heure de remuer les fibres d’une nation, si cette nation manque d’âme, c’est-à-dire d’unité ?

826. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Coupiac, flatté, osa sourire. […] Le brave père se rend le soir même à la première représentation pour voir d’abord celle qui a osé rêver de devenir sa bru, puis pour lui adresser la semonce voulue. […] Je n’ose pas le croire ; il se pourrait même que là où il tend et agite son épée, il ne trouve aucun fer pour répondre au sien ; la polémique n’est pas du goût de tout le monde. […] Qui eût osé se présenter au quai Conti sans l’exequatur de cette chancellerie occulte ? […] Je connais depuis longtemps le commandant Cavaignac, et, si le ministre de la guerre m’accorde ma demande, j’accepte la responsabilité de ce choix, que j’ose me flatter de voir ratifié par votre approbation.

827. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Les petits anarchistes en smoking n’osent plus souffler mot depuis la décapitation d’Émile Henry. […] … Qui oserait se plaindre que M.  […] Léon Gautier, d’ailleurs si savant et si digne d’estime, semble croire (oserai-je le dire ?) […] Je n’ose pas me prononcer. […] Alfred de Musset n’osait pas remuer.

828. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Ceci devient piquant, et j’oserai tout révéler.

829. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Arnault, victime de ce procédé odieux, de le qualifier avec une sévérité de juge ; mais, osons le dire, le goût, dont il a tant été question dans cette séance, ne lui commandait-il pas plus de mesure et de brièveté dans une cause qui est personnellement la sienne ?

830. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

Les passions qui dégradent l’homme, en resserrant son égoïsme dans ses sensations, ne produisent pas, sans doute, ces bouleversements de l’âme où l’homme éprouve toutes les douleurs que ses facultés lui permettent de ressentir ; mais il ne reste aux peines, causées par des penchants méprisables, aucun genre de consolation ; le dégoût qu’elles inspirent aux autres, passe jusqu’à celui qui les éprouve ; il n’y a rien de plus amer dans l’adversité que de ne pas pouvoir s’intéresser à soi : l’on est malheureux sans trouver même de l’attendrissement dans son âme ; il y a quelque chose de desséché dans tout votre être, un sentiment d’isolement si profond, qu’aucune idée ne peut se joindre à l’impression de la douleur ; il n’y a rien dans le passé, il n’y a rien dans l’avenir, il n’y a rien autour de soi, on souffre à sa place, mais sans pouvoir s’aider de sa pensée, sans oser méditer sur les différentes causes de son infortune, sans se relever par de grands souvenirs où la douleur puisse s’attacher.

831. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Je massacrai l’albâtre, et la neige, et l’ivoire ; Je retirai le jais de la prunelle noire, Et j’ose dire au bras : sois blanc, tout simplement… J’ai de la périphrase écrasé les spirales ; Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel L’alphabet, sombre tour qui naquit de Babel ; Et je n’ignorais pas que la main courroucée Qui délivre le mot, délivre la pensée… Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses… Tel mot est un sourire et tel autre un regard… Ce qu’un mot ne sait pas, un autre le révèle.

832. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

Un peu de musique aidant, j’ose dire que nous sommes, à l’heure qu’il est, virtuellement très bons les uns pour les autres.

833. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Comte Robert de Montesquiou-Fezensac La vraie Valmore à édifier et déifier est une Valmore de vers, de ses vers groupés à l’entour de son nom en la délicate élite et la délicieuse prédilection d’une dédicace réversible… Telles pièces sont plus parfaites, plus délibérément réussies, mais qu’on n’oserait guère déclarer plus que d’autres adéquates à leur visée, mieux moulées sur nature.

834. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

» — Et Prométhée leur répond : — « Les trois Parques et les Érynnies à la mémoire fidèle. » — Héraclite, cité par Plutarque, disait que « si le Soleil s’avisait de franchir les bornes qui lui sont proscrites, les Érynnies, agents de la Justice, sauraient bien lui faire rebrousser chemin. » — Dans l’Iliade, Xanthos, un des chevaux divins d’Achille, prend une voix humaine pour prédire sa mort au héros rentrant dans la guerre de Troie : mais les Érynnies, indignées de cette violation des lois naturelles, accourent aussitôt, et font taire impérieusement l’animal qui ose usurper la parole réservée aux hommes.

835. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Sur près de deux mille mots purement latins en sion et tion, il n’y en a pas vingt qui puissent entrer dans une belle page de prose littéraire ; il y en a moins encore qu’un poète osât insérer dans un vers.

836. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Mais, d’un autre côté, Virgile a pour certains lecteurs un avantage sur Racine : sa voix, si nous osons nous exprimer ainsi, est plus gémissante et sa lyre plus plaintive.

837. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre VI. Harmonies morales. — Dévotions populaires. »

qu’il était étonnant d’oser trouver des conformités entre nos jours mortels et l’éternelle existence du Maître du monde !

838. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Et les plus hardis n’allaient qu’à chuchoter qu’après tout Zola n’était pas le naturalisme et qu’on n’inventait pas l’étude de la vie réelle après Balzac, Stendhal, Flaubert et les Goncourt ; mais personne n’osait l’écrire, cette hérésie.

839. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « V »

Cela est bien osé.‌

840. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Cet assassinat de la part d’un lâche qui veut faire périr l’objet de sa haine, et qui n’ose le faire ouvertement, était bien digne de la cour de Byzance, où de tout temps l’esprit général fut un mélange de cruauté et de faiblesse.

841. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Mais Oreste s’est fait connaître aux gardes, qui n’osent frapper. […] L’action s’y dénoue avec une adresse et une simplicité de moyens auxquelles nous osions à peine nous attendre. […] Osons le dire : il est un peu gringalet. — Eh bien ! […] Oserai-je dire que quelques-unes en ont même de crochus ? […] Ils ont tout ensemble l’air très jeune, — et l’air crevé, si j’ose m’exprimer ainsi.

842. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Catulle Mendès, tout en rendant hommage aux qualités du brillant écrivain, il ose plaider contre lui la cause de la chasteté. […] Lui qui ose nier que le mot progrès ait un sens, il en prête un au mot décadence et trouve un singulier plaisir à insister sur les symptômes de décadence qu’il note autour de lui. […] C’est là une disposition très heureuse pour un moraliste, et, j’ose dire, une disposition sans laquelle ses leçons seraient inefficaces. […] Mais je n’oserais : M.  […] J’ose croire que nos sœurs sont mieux inspirées quand, dans l’intervalle de leurs pénibles devoirs, elles se contentent de relire l’Évangile.

843. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

La ruche laborieuse, qui sait oser, essayer, explorer, agir par bandes, et toujours fructueusement, va commencer ses profits et ses voyages et bourdonner par tout l’univers. […] Ces saints que Michel-Ange dresse et tord dans le ciel au Jugement dernier sont une assemblée d’athlètes capables de bien combattre et de beaucoup oser. […] Encore ne le porte-t-il pas avec une entière aisance ; il a les yeux trop invariablement fixés sur ses modèles et n’ose se permettre les gestes francs et forts. […] Car, s’il voit quelqu’un qui ose le contredire,  Il regarde avec ces yeux. […] Il y a des éclats, des éclairs qu’on n’ose traduire, des éblouissements et des folies, comme dans le Cantique des Cantiques

844. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Ce qui le lui fait croire, c’est que, ne s’ignorant pas, il ose néanmoins s’aimer. […] Serait-ce quelque chose que ces personnes ne veulent pas voir, et que moi-même, je n’ose pas croire20 ? […] On les voyait si haut, si loin, qu’on n’osait pas écrire de peur d’écrire quelque chose qui ne fût pas digne d’eux. […] Même arrivé à une période de son travail où l’illusion ne semblait plus à craindre, il n’osait pas parler tout haut de certitudes ; à peine s’en parlait-il à lui-même tout bas. […] Les misérables, ils ont osé porter la main sur elle !

845. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Séparé de la terre avant le temps, il ne pouvait plus descendre jusqu’aux faiblesses de la nature ; il accusait nos vœux indiscrets et notre tendresse cruelle ; il n’osait point unir ses prières aux nôtres : il ne savait pas s’il était permis de désirer la guérison de l’ange. […] Sans doute qu’on n’ose pas mettre le peuple de mauvaise humeur dans ce moment, pour raison ; mais seriez-vous assez simples pour croire que, dès qu’on sera maître de lui, on ne vous chargera pas comme des mulets du Mont-Cenis ? […] Si l’on osait retourner contre l’illustre auteur ses armes d’ironie, ce serait le cas de se le permettre : A mon gré le De Maistre est joli quelquefois. […] Il est vrai que, sous le règne de rois sages et éclairés, les circonstances n’exigent pas de grands sacrifices, parce qu’on ne voit pas de grandes injustices ; mais il en est que les meilleurs souverains ne sauraient prévenir ; et si quelqu’un ose assurer qu’en remplissant ses devoirs avec une inflexibilité philosophique, on ne court jamais aucun danger, à coup sûr cet homme-là n’a jamais ouvert les yeux. […] Buchez a fait aussi de bonnes remarques, entre autres celle-ci, que jusqu’à présent on citait Bacon à tort et à travers, et qu’un résultat de l’ouvrage de M. de Maistre sera du moins qu’on n’osera plus invoquer l’oracle contesté qu’en pleine connaissance de cause.

846. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

Figurez-vous… » Longtemps Pierre refusa de le croire ; lorsque enfin il ne put plus douter de cette catastrophe, il resta tout un jour sans oser se montrer à Viéra. […] Les coqs mêmes n’osaient se battre en sa présence. […] Mais ils n’osaient se moquer ouvertement de Guérassime. […] Dès ce jour, les domestiques n’osèrent plus se permettre la moindre incartade envers Tatiana. […] Gabriel lui fit comprendre par un autre signe qu’il n’osait se fier à sa promesse.

847. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Et c’est là, si j’ose encore dire, ce qui peut donner un réel intérêt à notre rencontre. […] L’eussé-je fait, si peu que ce fût, je n’oserais plus me montrer. […] La fin de cette lettre désolée nous dit leur pauvre secret : cette peur du « bateau », si j’ose encore m’exprimer ainsi. […] Un poème a, en quelque sorte, deux sens, celui qu’il exprime directement, immédiatement, précisément, et qui est prose : -l’impur ; celui qu’il respire, si j’ose ainsi dire, et qui seul est poésie : — le pur. […] Comme la sainte-chapelle, la poésie est tout en fenêtres, si j’ose dire, sur l’infini, sur l’« informulable ».

848. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

Vacquerie, disciple en ceci de ce dernier, et d’ailleurs normand comme Corneille, qui ait osé de nos jours un provincialisme comme : J’aurais fini par supporter Un chœur d’Esther. […] Barbey d’Aurevilly a bien osé qualifier Leconte de Lisle de « jeune littérateur français qui essaie de petites inventions ou de petits renouvellements littéraires, et provoque le succès comme il peut. » — Leconte de Lisle est une des victimes de M.  […] Dès ce moment, d’aucuns ont brodé sur ce thème et, sous prétexte que je suis pauvre et que, dans ce temps-là particulièrement, j’ai vu plusieurs fois la misère en face, mais bien en face, ont osé parlé de l’homme que les fatalités de son temps, les circonstances de sa prime vie, enfin son tempérament, peut-être, avaient fait de notre vieux grand poète, et m’y comparer. […] leur grande figure et leur idéal, ces classiques-là osent se réclamer de Racine. […] De sots, autant que de faux admirateurs, jaloux de leur ridicule prestige en allé, n’osèrent-ils pas, dis-je, se réclamer, vers cet an de bataille 1830, d’elle et de lui ?

849. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Autrefois il existait deux sortes de notices littéraires : l’une toute sèche et positive, sans aucun effort de rhétorique et sans étincelle de talent, la notice à la façon de Goujet et de Niceron, aussi peu agréable que possible et purement utile ; elle gisait reléguée dans les répertoires, tout au fond des bibliothèques : et puis il y avait sur le devant de la scène et à l’usage du beau monde la notice élégante, académique et fleurie, l’éloge  ; ici les renseignements positifs étaient rares et discrets, les détails matériels se faisaient vagues et s’ennoblissaient à qui mieux mieux, les dates surtout osaient se montrer à peine : on aurait cru déroger. […] On en aimera la sincérité parfaite du ton, rien d’exagéré, une tristesse tempérée, si j’ose dire, de bonne humeur et de résignation : à vingt-six ans, cette tristesse-là compte plus que bien des violents désespoirs à vingt. […] Je n’oserais affirmer que toutes ces vues soient parfaitement exactes et conformes à la réalité : en général, on est tenté de s’exagérer les angoisses des philosophes qui se passent des croyances que nous avons ; on les plaint souvent bien plus qu’ils ne sont malheureux.

850. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Je m’étonne d’avoir osé l’écrire si sincère à quelques pas des Tuileries, où ce prince régnait en 1846, et si impartial au milieu de deux oppositions qui le défiguraient à plaisir, afin d’avoir le droit de le haïr. […] « Dumouriez, qui avait entrevu le jeune duc de Chartres à l’armée de Luckner, l’observa attentivement dans cette occasion, fut frappé de son sang-froid et de sa lucidité dans l’action, pressentit une force dans cette jeunesse, et résolut de se l’attacher. » XII La lutte des Girondins avec Marat s’ouvre par un portrait que j’ai copié sur l’image de Marat mort dans sa baignoire, peint par le peintre David, qui osa se déclarer l’ami de ce forcené. […] L’Europe aurait été désarmée du plus odieux grief qu’elle eût à reprocher à la république ; nul à l’intérieur n’aurait osé élever l’échafaud des vaincus de la Révolution, sur ce sol où la nation aurait abattu l’échafaud de Louis XVI.

851. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Elle prit, comme elle l’avait fait au 10 août, cette dictature que personne n’osait prendre encore dans la Convention. […] En présence du meurtre, l’histoire n’ose glorifier ; en présence de l’héroïsme, l’histoire n’ose flétrir.

852. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

Bernardo osait aspirer à la main de Ginevra. […] On n’osait aimer une beauté transfigurée en angélique apparition, au milieu d’une cour galante et souvent licencieuse d’Italie. […] Mais la jeunesse, l’amour et la passion de la gloire pour mériter l’amour, osent tout et triomphent de tout.

853. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXVe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 321-384

Et cependant l’air est si bon ici sur ces cimes où la mal’aria n’ose pas monter. […] Oserez-vous nier que le papier des juges me réserve en jouissance tout le bois, toutes les feuilles, toute l’ombre, tous les fruits de ce côté ? — Non, répondit l’homme de loi, je ne le conteste pas ; mais, de votre côté, oserez-vous nier que la propriété de l’arbre lui-même est au capitaine des sbires, et que, quand il aura fait de sa propriété ce qu’il a le droit d’en faire, votre droit tout conditionnel, à vous, ne subsistera plus ; car, puisqu’il est le propriétaire, il a le droit d’abattre l’arbre, et, le tronc une fois abattu, que deviennent les branches ?

854. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

On connaît la mystique invocation d’Hippolyte à Artémis, ce chant vraiment pieux et dont le ton rappelle celui des cantiques à la sainte Vierge : « … Ô ma souveraine, je t’offre cette couronne cueillie et tressée de mes mains dans une fraîche prairie, que jamais le pâtre et ses troupeaux ni le tranchant de fer n’ont osé toucher, où l’abeille seule au printemps voltige, et que la Pudeur arrose de ses eaux limpides, etc. » Cette image (la Pudeur et ses eaux limpides), M.  […] ……………………… Vous dépendez ici d’une main violente Que le sang le plus cher rarement épouvante, Et je n’ose vous dire à quelle cruauté Mithridate jaloux s’est souvent emporté65. […] Qui oserait le soutenir ?

855. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Chose inattendue, ce poète, que ses disciples regardent comme un artiste si consommé, écrit par moments (osons dire notre pensée) comme un élève des écoles professionnelles, un officier de santé ou un pharmacien de deuxième classe qui aurait des heures de lyrisme. […] Je tremble et n’ose. […] (5,5) Vous ne m’aimez pas |, l’affaire est conclue, Et, ne voulant pas | qu’on ose me plaindre, Je souffrirai | d’une âme résolue (4, 6).

856. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

… Et c’est ainsi que, sous le délicieux et pittoresque écrivain, sous le satirique osé, sous le moraliste inquiet et quelque peu divisé contre lui-même, sous l’observateur trop complaisant des « petites fêtes » de la chair triste, survit et se devine encore, — grandi et libéré, mais non point infidèle — le « bon petit enfant » à qui Mgr Dupanloup fut paternel autrefois. […] Je n’oserais dire qu’il ait toujours entièrement senti, à mon gré, les poètes, les romanciers, les dramatistes. […] Paul Deschanel cherche, travaille, progresse, apprend, ose de plus en plus.

857. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

L’angoisse est trop forte pour qu’elle ose adresser au Messager une question directe ; elle glisse cet homme dans une foule sur laquelle elle l’interroge craintivement. […] Ils croisent les bras, ils adorent, prosternés devant le suaire qui l’enveloppe, comme devant le rideau de pourpre qui le voilait, les jours d’audience, aux yeux de sa cour. — « Je crains de te regarder, je n’ose te parler, l’antique respect me retient. » — Darius les dispense du cérémonial, en roi d’outre-tombe qui sait ce que vaut la fumée des hommages terrestres. — « C’est à ta prière que je viens d’en bas ; parle donc, et brièvement ; laisse là le respect. » Mais les vieux serviteurs se replongent dans leur vénération et dans leur néant, ils n’osent regarder fixement ce soleil couché. — « Je crains de t’obéir, je crains de te parler.

858. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVII, l’Orestie. — les Euménides. »

Les Érynnies n’osent l’arracher de l’autel, la majesté de la Déesse couvrant le suppliant de son ombre. […] Les légendes indiennes parlent d’un hymne incendiaire, composé par la déesse Parbutea, une Érynnie brahmanique, qui réduisait en cendres ceux qui osaient le chanter, fussent-ils plongés jusqu’aux épaules dans les eaux d’un fleuve. […] Oses-tu renier son sang ? 

859. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Mais l’esprit de routine est si difficile à vaincre, que Petitot, dans sa collection, d’ailleurs estimable, des mémoires relatifs à l’histoire de France, entreprise vers 1819, n’osa se décider à mettre le bon texte de Joinville, qui était en lumière depuis 1761. […] Et ces choses vous montrai-je parce que celui-là est bien fol et hardi qui s’ose mettre en tel péril, avec le bien d’autrui sur la conscience ou en péché mortel ; car l’on s’endort le soir là où on ne sait si on ne se trouvera pas au fond de la mer.

860. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

La mère de Duclos, voyant ses dispositions précoces, prit sur elle de l’envoyer tout enfant à Paris pour y faire ses études, ce que bien des gens de qualité ne faisaient pas pour leurs fils et ce que nul bourgeois du pays n’osait alors se permettre. […] Si j’osais faire cette comparaison, je dirais qu’il y avait dans Duclos, tant pour les inconséquences honorables que pour la verdeur et le coup de dent, quelque chose de Gui Patin : un Gui Patin moins honnête, éclairé et corrompu par la vie de la société, tenant bon toutefois sur certains points et ne se laissant pas entamer.

861. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Le mérite de Bourdaloue s’annonça dès l’enfance : « Il était naturel, plein de feu et de bonté, dit Mme de Pringy ; il suça la vertu avec le lait, et ne sortit de l’enfance que pour entrer dans les routes laborieuses du christianisme. » Il n’eut dans sa vie qu’une seule aventure et qui fut décisive, ce fut, si j’ose dire, l’aventure de piété qui devint le point de départ de sa carrière. […] Ce dernier, dans sa conclusion, a dit avec un bon sens élevé qui l’honore : Enfin je ne puis lire les ouvrages de ce grand homme sans me dire à moi-même (en y désirant quelquefois, j’oserai l’avouer avec respect, plus d’élan à sa sensibilité, plus d’ardeur à son génie, plus de ce feu sacré qui embrasait l’âme de Bossuet, surtout plus d’éclat et de souplesse à son imagination) : Voilà donc, si l’on ajoute ce beau idéal, jusqu’où le génie de la chaire peut s’élever quand il est fécondé et soutenu par un travail immense !

862. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Dans les beaux temps de cette littérature, c’est à peine si La Bruyère, qui a parlé de toutes choses, ose dire un mot en passant de l’impression profonde qu’une vue comme celle de Pau ou de Cras en Dauphiné laisse dans certaines âmes. […] Lorsque M. de Balzac fit sur Beyle, à propos de La Chartreuse, l’article inséré dans les Lettres parisiennes, Beyle, à la fin de sa réponse datée de Civitavecchia (octobre 1840), et après des remerciements confus pour cette bombe outrageuse d’éloges à laquelle il s’attendait si peu, lui disait : Cet article étonnant, tel que jamais écrivain ne le reçut d’un autre, je l’ai lu, j’ose maintenant vous l’avouer, en éclatant de rire.

863. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Présenté au jeune roi, qui n’avait que six ans plus que lui, La Fare entrait dans le nouveau régime quand tout commençait et sous l’œil du maître ; il n’avait qu’à y tourner son esprit avec quelque suite pour se concilier la faveur : « J’oserais même dire que le roi eut plutôt de l’inclination que de l’éloignement pour moi ; mais j’ai reconnu dans la suite que cette impression était légère, bien que j’avoue sincèrement que j’ai contribué moi-même à l’effacer. » Doué d’un esprit fin et libre, d’un jugement élevé et pénétrant, il aima mieux être indépendant qu’attentif et flatteur, et ce n’est pas ce qu’on peut lui reprocher ; mais il devint évident par la suite qu’il prit souvent pour de l’indépendance ce qui n’était que le désir détourné de se retirer de la presse et de chercher ses aises. […] N’usons point tant de périphrases ; ne nous laissons point abuser par quelques jolis vers galants de La Fare à Mme de Caylus, qui nous donneraient le change sur son train de vie, et osons montrer le mal final tel qu’il n’y a pas lieu de le déguiser.

864. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

L’auteur, dans ce second chapitre, fait parler en un dialogue le médecin philosophe Bernier et Ninon de Lenclos : « J’avais besoin d’une femme d’esprit qui n’eût pas conservé cette retenue et cette dissimulation que les mœurs imposent à son sexe ; il me fallait une femme qui eût beaucoup pensé, beaucoup vu, et qui osât tout dire. » Et, en effet, il s’y dit froidement beaucoup de choses qui rappellent la conversation des dîners de Mlle Quinault. […] Vous, Tircis, Alexis (ou quel que soit le nom qui puisse le moins offenser une flamme si belle), bien que les sages conseils de l’ami le plus sincère sonnent rudement à des oreilles si délicates, et qu’un amant soit, de toutes les créatures sauvages ou apprivoisées, celle qui endure le moins un contrôle, même le plus doux ; souffrez cependant qu’un poète (la poésie désarme les animaux les plus féroces par ses charmes magiques), souffrez qu’un poète ose, par ses conseils, troubler votre rêverie, et qu’à son tour il vous courtise et vous conquière pour votre propre bien.

865. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Je n’oserais assurer qu’il ait trouvé cette expression et qu’elle lui soit venue aussi vive, aussi légèrement tendre qu’elle aurait pu l’être, le jour où, à peine âgé de vingt ans, il fit un matin à je ne sais quelle dame la déclaration suivante, qu’il a pris soin de nous conserver mot pour mot : Déclaration d’amour prononcée à une toilette le 25 juin 1714 : « Jusques à quand, madame (il débute tout comme Cicéron dans sa fameuse harangue : Jusques à quand, Catilina…), — jusques à quand, madame, prendra-t-on des marques d’amour pour des marques de mépris ? […] Je ne crois pas devoir demander grâce pour avoir osé conserver le grand chien de l’audience, qu’on a eu soin par décorum d’effacer dans l’imprimé, comme s’il n’y en avait pas un souvent aux pieds du maître dans les antiques portraits de famille.

866. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

mais en même temps, si on voulait nous faire plus de mal, ce serait lui qui retiendrait ; on n’oserait pas : il y aurait révolte générale. […] On l’invite à venir à Chanteloup ; on l’assure du plaisir qu’elle y fera, du bonheur qu’on aura à la posséder : elle n’ose y croire, elle manque de foi dans l’amitié comme dans le reste.

867. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

C’était dans cette guerre de 1667, entreprise contre l’Espagne pour soutenir les droits de la reine sur les Pays-bas espagnols, et qui fut marquée par une suite ininterrompue de succès et de sièges heureux : « Je ne trouvai dans mon chemin, dit-il, que mes bons, fidèles et anciens amis les Hollandais, qui, au lieu de s’intéresser à ma fortune comme à la base de leur État, voulurent m’imposer des lois et m’obliger à faire la paix, et osèrent même user de menaces en cas que je refusasse d’accepter leur médiation. […] A peine le prince de Condé se fut aperçu de l’absence de son fils et de celle du duc de Longueville, qu’oubliant pour ainsi dire, si l’on ose parler ainsi du plus grand homme du monde, son caractère de général, et s’abandonnant tout entier aux mouvements du sang et de l’amitié tendre qu’il portait à son fils et à son neveu, accourut ou pour les empêcher de s’engager légèrement, ou pour les retirer du mauvais pas où leur courage et leur peu d’expérience auraient pu les embarquer ; il les trouva avec tous les volontaires aux mains avec les ennemis, qui, se voyant pressés et profitant du terrain qui leur était favorable, avaient tourné brusquement… « Cette action fut fort vive et fort glorieuse ; mais la blessure du prince de Condé au poignet, la mort du duc de Longueville et les blessures des ducs de La Rochefoucauld, de Coislin et de Vivonne, du jeune La Salle, de Brouilly, aide-major de mes gardes du corps, etc., et de plusieurs autres gens de qualité, en diminuèrent fort le prix et me donnèrent une grande mortification, particulièrement la blessure de M. le Prince, tant à cause de sa naissance et de son mérite singulier que de la faiblesse de son tempérament, exténué par la goutte, que j’appréhendais ne pouvoir pas résister à la violence du mal.

868. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il comptait bien d’ailleurs, l’épicurien et le raffiné, ne parler que pour une élite ; il a lâché son mot dans une lettre à Thomas Moore ; il n’écrit, dit-il, que pour un petit nombre d’élus, « happy few très-fâché que le reste de la canaille humaine (c’est son mot) lise ses rêveries. » Depuis Siéyès et l’avénement de la démocratie, pensait-il encore, il n’y a plus que l’aristocratie littéraire qui ose aimer les phrases simples et les pensées naturelles : il entendait bien rester de cette aristocratie ; et il narguait le reste du monde qui se prend au bombast, au bouffi et au fardé en tout genre. […] Mais Ballanche, levant la tête et prenant un ton d’autorité : commença une diatribe fulminante en motivant, comme il l’entendait, les reproches qu’il faisait à Bossuet, et s’échauffant toujours davantage, il arriva enfin à sa péroraison en disant, comme s’il avait été hors de lui : « Qu’on ne me parle plus des vertus et des talents de Bossuet ; d’un homme qui a osé dire que Dieu n’a pas révélé le dogme de l’immortalité de l’âme aux Juifs, parce qu’ils n’étaient pas dignes de recevoir cette vérité !

869. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Vivant avec l’abandon des fleuves, respirant sans cesse Cybèle, soit dans le lit des vallées, soit à la cime des montagnes, je bondissais partout comme une vie aveugle et déchaînée… » Et vous oserez dire qu’un souffle de panthéisme n’a point passé sur de telles pages ! […] Elle a besoin d’aimer, elle n’ose dire d’être aimée.

870. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

On se souvient encore des acclamations qui accompagnèrent la promulgation de cet acte éminent en sociabilité autant que hardi de la part de celui qui osa le tenter : acclamations qui, interprètes sincères de l’opinion publique, étouffèrent les cris des mécontents et les fureurs concenirées que le rétablissement de la religion fit naître dans quelques cœurs. » La suite, on le sait trop, répondit mal à de si heureux débuts, et sans même que les événements politiques survenus peu après en Italie eussent besoin d’y mêler leur complication, il y avait dans la seule situation intérieure bien des germes de difficultés futures. […] Des hommes sages dans le Clergé le sentent comme nous et osent à peine le dire bien bas : ils auraient hâte de voir se rétablir un peu de distance entre Rome et ce qui n’est pas exclusivement romain.

871. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni (suite et fin.) »

Quand il revint en France, sur la fin de l’été de 1851, il était riche d’observations, plein de sujets, plus que jamais rompu à la science du dessinateur, capable d’oser et d’entreprendre en dehors même du champ aimable et si varié qu’on lui avait reconnu jusque là pour son domaine. […] On a là un Anatole, un Chérubin, un Antony, un Werther, un ci-devant Joconde, un M. le chevalier de Faublas vieilli, un autre de ces beaux d’autrefois, assis à table sans oser manger, faisant triste mine à son assiette, et se disant d’un air de Tantale : « Le cœur m’a ruiné l’estomac ! 

872. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Ma santé n’est pas assez bonne pour entreprendre un si long voyage, sans compter qu’outre que je suis malade je suis fort dépourvu d’argent, et, empereur pour empereur, et monarque pour monarque, j’ai à Naples le grand comte de Lemos qui, sans me parler de tous ces jolis petits titres de collèges et de rectorats, pourvoit à ma subsistance et me fait plus de grâces que je n’ose moi-même en demander. »10 Il annonçait, à son noble patron, en finissant, la prochaine publication d’un ouvrage auquel il était en train de mettre la dernière main, son roman de Persilès et Sigismonde, « qui doit être, disait-il, ou le plus mauvais ou le meilleur livre qui ait jamais été composé dans notre langue, j’entends de ceux de pur amusement. […] Très-peu d’hommes du moins osent la considérer en face et se dire : « Ce sera tel jour, sans faute. » Je ne sais si Cervantes se trompa de beaucoup sur la date de dimanche qu’il assignait comme probable ; il mourut un samedi.

873. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Une moins ingénue qu’elle aurait mieux trouvé en pareil cas et aurait agi plus humainement ; je n’ose dire, plus moralement. […] Dans les pages d’adieux intitulées Mes dernières Pensées, et qu’elle écrivit à un moment où elle avait pris le parti de ne point attendre l’échafaud et de se donner la mort, après une apostrophe à son mari, à sa fille, elle continuait ainsi, à l’adresse de Buzot fugitif et persécuté : « Et toi que je n’ose nommer !

874. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Plus heureux dans les camps, l’on nous croit : leur entrée Aux plaintes des proscrits n’a point été livrée… Ainsi ces Girondins, qui osaient combattre les Jacobins et mourir, n’osaient sortir de la phraséologie fade et plate en poésie.

875. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Exploration du Sahara. Les Touareg du Nord, par M. Henri Duveyrier. »

La géographie physique des lieux parcourus, la géologie, la météorologie, les productions minérales, la flore, si l’on ose parler ainsi, la faune, sont la matière d’autant de chapitres et de tableaux ; puis l’on passe au moral des peuples qui se meuvent dans ce cadre inflexible et sous ce climat impérieux : les centres commerciaux, les centres religieux, puis les mœurs des Touareg en particulier, leurs origines probables, leur histoire (si histoire il y a), leur constitution, leur vie politique et intérieure, tout vient par ordre et en son lieu. […] Mais qui osera aller sur la trace d’assassins, s’intéresser aux notes d’un infidèle, victime du fanatisme musulman ?

876. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Je n’oserais essayer de répondre à cette question par respect pour ces beaux génies22. […] « Le pape Léon XII, nous dit son biographe le pins autorisé, l’accueillit avec une telle bienveillance qu’encourage par la bonté vraiment paternelle du Saint-Père, il osa demander quelques reliques du patron de l’église de Nointel (dont il était maire).

877. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

On n’osait le croire aussi vrai qu’il était : on ose maintenant.

878. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Si j’osais, si j’en avais le temps, si c’était le lieu, j’aimerais à faire une petite dissertation là-dessus, qui tiendrait quelque peu de l’Addison et du Quintilien, qui ne serait qu’à demi pédante, qui ne sentirait pas trop l’école. […] Nous devons à MM. de Goncourt et à leur procédé, j’ai hâte enfin de le dire, bien des croquis, bien des esquisses franches, de petites eaux-fortes qu’eux seuls ont faites et que d’autres plus circonspects, plus soucieux du passé, n’auraient osé faire.

879. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « HISTOIRE de SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE par m. de montalembert  » pp. 423-443

Je n’y ai rien trouvé que de vrai je dois et je puis, il me semble, oser en toute simplicité vous le dire, monsieur ; mais cette impression ne diminue en rien celle que j’ai reçue de la bienveillance si bien sentie et si visible qui accompagne tout un portrait qui m’a été si doux à lire. […] J’avais cependant pu espérer, depuis, qu’il m’avait pardonné ce qui avait été de ma part un acte de conviction et, j’oserai dire, de sagesse, lorsque j’ai cru m’apercevoir que sa plume ardente avait bien envie en quelques occasions de m’atteindre, et quand je dis atteindre, il faudrait dire de me flétrir, car la plume de M. de Montalembert, en fait d’attaques, n’y va jamais à demi.

880. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

La forme en est enveloppée et comme empêchée, la pensée en reste souvent obscure ; le critique a bonne envie d’attaquer, et il ne veut pas avoir l’air d’être hostile ; il proteste de son respect, et il multiplie les restrictions à mesure qu’il aggrave les offenses ; on dirait que dans ce duel littéraire qu’il entreprend, il n’ose enfoncer sa pointe ni casser tout à fait le bouton de son fleuret. […] Il a même, dans ces dernières années, obtenu un redoublement de succès, imprévu, croissant, et que ses premiers admirateurs n’auraient osé lui présager. — » Mais il a fait faire bien de mauvais vers, » dites-vous. — Tous les poëtes qui réussissent en sont là ; et puis ces mauvais vers se seraient faits autrement sans lui, croyez-le bien ; sous un pavillon ou sous un autre, les mauvais vers trouvent toujours moyen de sortir.

881. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Émile Zola, l’Œuvre. »

Ici encore je n’ose pas dire que c’est dommage, et je ne fais que constater. […] Oserai-je dire que ce n’est pas précisément ce qu’a fait M. 

882. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Pour compléter le parallèle, un petit homme, « aux yeux creux et au teint échauffé », entre dans son salon. « Il marche doucement, il semble craindre de fouler la terre, il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. […] Maréchal, menacé dans son éloquence, pousse les cris d’un geai qui verrait s’envoler le paon dont il pillait le plumage : ses cris se changent en clameurs lorsqu’il apprend que ce bachelier sans son ni maille ose aimer sa fille.

883. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Le Champi lui-même ne s’avoue cette pensée et ne l’ose exprimer que quand la malveillance a déjà parlé par la bouche de la Sévère. […] Un talent fier comme celui-là a été mis au monde pour oser, tenter, se tromper souvent, pour se perdre comme le Rhône, et pour se retrouver aussi.

884. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Ce jeune prince, que Saint-Simon nous montre si hautain, si fougueux, si terriblement passionné à l’origine, si méprisant pour tous, et de qui il a pu dire : « De la hauteur des cieux il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n’avait aucune ressemblance, quels qu’ils fussent ; à peine Messieurs ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain » ; ce même prince, à une certaine heure, se modifie, se transforme, devient un tout autre homme, pieux, humain, charitable autant qu’éclairé, attentif à ses devoirs, tout entier à sa responsabilité de roi futur ; et cet héritier de Louis XIV ose proférer, jusque dans le salon de Marly, ce mot capable d’en faire crouler les voûtes, « qu’un roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui ». […] Mais tout à coup les malheurs viennent fondre : la duchesse de Bourgogne meurt le 12 février 1712 ; le duc de Bourgogne la suit le 18, six jours après, âgé de vingt-neuf ans ; et toutes les espérances, toutes les tendresses, oserons-nous dire les ambitions secrètes, du prélat s’évanouissent.

885. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Ce n’est guère que dans les souvenirs d’enfance que l’auteur a osé ou voulu dire un peu plus. […] dans cet épisode de Charlotte, il a osé dire, voulant faire honneur à cet amour de la jeune Anglaise : « Depuis cette époque, je n’ai rencontré qu’un attachement assez élevé pour m’inspirer la même confiance. » Cet attachement unique, pour lequel il fait exception, est celui de Mme Récamier.

886. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

L’allée entière avait disparu la nuit, sans bruit aucun, et comme par enchantement : « Sire, comment vouliez-vous qu’elle osât encore paraître devant Votre Majesté ? […] Mesdames, s’écria la duchesse de Bourgogne qui était présente, si le roi avait demandé nos têtes, M. d’Antin les aurait fait tomber de même. » Je n’oserais affirmer qu’un peu de légende ne se soit pas glissé dans ces deux histoires qui se répètent un peu, en renchérissant l’une sur l’autre.

887. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Le second roman de Mme Sophie Gay, qui parut avec les seules initiales de son nom, en 1813, est Léonie de Montbreuse, et, si j’osais avoir un avis en ces matières si changeantes, si fuyantes, et dans lesquelles il est si difficile d’établir une comparaison, je dirais que c’est son plus délicat ouvrage, celui qui mérite le mieux de rester dans une bibliothèque de choix, sur le rayon où se trouveraient La Princesse de Clèves, Adèle de Senange et Valérie. […] Il n’ose comprendre, il regarde encore, quand un second signe, toujours dans la langue des sourds-muets, vient lui dire : Je vous aime.

888. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

La péroraison par laquelle Mirabeau terminait sa brochure est restée célèbre dans le genre de l’invective : Pour vous, monsieur, qui, en calomniant mes intentions et mes motifs, m’avez forcé de vous traiter avec une dureté que la nature n’a mise ni dans mon esprit ni dans mon cœur ; vous, que je ne provoquai jamais, avec qui la guerre ne pouvait être ni utile ni honorable ; … croyez-moi, profitez de l’amère leçon que vous m’avez contraint de vous donner… Retirez vos éloges bien gratuits ; car, sous aucun rapport, je ne saurais vous les rendre ; retirez le pitoyable pardon que vous m’avez demandé ; reprenez jusqu’à l’insolente estime que vous osez me témoigner… Et il finit par ce conseil terrible et le plus incisif, entre hommes avides avant tout de la popularité : « Ne songez désormais qu’à mériter d’être oublié. » Beaumarchais, sous le coup de l’outrage, se tut : il avait rencontré un jouteur encore plus osé que lui, et à plus forte carrure ; il était dépassé et vaincu.

889. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Pour être utile, il faut être agréable, et j’ose espérer que le tribut que je devais à Dieu et aux hommes plaira à mon siècle. » Et en effet, les Études de la nature, qui furent publiées en décembre 1784, étaient faites exprès pour le siècle même et pour l’heure où elles parurent, pour cette époque brillante et paisible de Louis XVI, après la guerre d’Amérique, avant l’Assemblée des notables, quand une société molle et corrompue rêvait tous les perfectionnements et tous les rajeunissements faciles, sans vouloir renoncer à aucune de ses douceurs. […] Sur le soleil, entre autres énormités étonnantes, il vous dira sans sourciller, par exemple : S’il était permis à un être aussi borné que moi d’oser étendre ses spéculations sur un astre que je n’ai pas eu même le bonheur de voir dans le télescope, je dirais que sa matière doit être de l’or, d’abord parce que l’or est la plus pesante de toutes les matières que nous connaissons : ce qui convient au soleil placé au centre de notre univers… Cette lecture des Harmonies, si on la prolonge, est d’un effet singulier, et que je ne puis mieux rendre qu’en disant qu’il est efféminant et qu’il écœure.

890. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Boileau. » pp. 494-513

J’ai souvent pensé à ce qu’il était, en me reportant à ce qui nous avait manqué à l’heure propice, et j’en puis aujourd’hui parler, j’ose le dire, dans un sentiment très vif et très présent. […] On sera ridicule, et je n’oserai rire !

891. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Il y a soixante ans qu’aucun professeur de l’université de Paris n’osoit enseigner ce systême. […] Je comprens ici tant de professions differentes sous le nom de philosophie et de sciences, que je n’ose les nommer toutes.

892. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

— Après cela, je trouverais Hugo bien osé de ne pas faire relier les Fleurs du mal en cuir de Cordoue, gaufré et ornementé1. […] Qui osera dire que c’est là le cas de Murger ?

893. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Il y a donc une autre cause des succès de Saint Simon que l’enlèvement, par le talent, de l’imagination charmée ou par l’intérêt d’un récit qu’avant lui personne n’avait su faire encore, et qu’après lui personne n’oserait recommencer. […] — la première misère de sa vie, ose-t-il dire, l’avait avilie dans son cœur et dans son esprit.

894. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

Saint-Bonnet s’est contenté de la reprendre, mais ce qui lui appartient en propre, et j’oserais presque dire exclusivement, c’est la manière dont il l’a reprise. […] Le livre de Saint-Bonnet, que j’oserais critiquer dans l’architecture de sa composition s’il n’était pas bien moins un livre écrit pour le public que les Élévations solitaires d’un admirable penseur devant Dieu, ce livre de près de six cents pages étincelle de beautés de toute espèce, de rencontres heureuses, de détails charmants et de traits de génie, qui, comme des éclairs, vous entrouvrent un monde, où il n’y avait qu’un horizon !

895. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

A une époque aussi dépravée par les livres que l’est la nôtre, Les Fleurs du mal n’en feront pas beaucoup, nous osons l’affirmer. […] Telle est la moralité, inattendue, involontaire peut-être, mais certaine, qui sortira de ce livre, cruel et osé, dont l’idée a saisi l’imagination d’un artiste.

896. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Rappelez-vous les Contes drolatiques de Balzac, à coup sûr la plus étonnante de ses œuvres, mais que personne n’oserait appeler « une œuvre de génie », parce que l’inspiration première et la langue — une merveille d’archaïsme !  […] Malgré l’osé, le cru, et même le cynique, à quelques endroits, de sa peinture, ce n’est nullement un réaliste de nos jours.

897. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Les gens de Lettres pensent de même sur la critique littéraire ; ils n’osent pas proposer de la proscrire entièrement, mais leur délicatesse sur cet article est si grande, que, si l’on y avait tout l’égard qu’ils désirent, on réduirait la critique à rien. » — Il paraît que les auteurs du temps de Malesherbes avaient recours à la censure, quand ils voulaient se venger d’un critique.

898. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Enfin dans ce petit homme qui jette dans le goufre de Décius sa personne autant qu’il peut, du moins sa vie, son passé, sa considération, ses amitiés, tout ce qui lie et enchaîne les hommes, — qui retrousse ses manches et descend bras nus pour faire l’athlète comme au premier soleil du combat, — on peut voir un insulteur, mais un insulteur héroïque, un Spartacus qui a un peu trop la fièvre, mais à qui ses airs de moine et sa vieille soutane n’ont pas ôté toute verdeur, je n’ose dire grandeur. » Voilà ce que dirait un bon Génie, un Amschaspand.

899. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

Godefroy, qui, parlant de la chambre de Malherbe où il y avait six chaises et de la tyrannie que le poëte-grammairien y exerçait, a bien osé comparer cela au salon de l’Abbaye quand M. de Chateaubriand y était : « Dans ce petit cercle d’intimes choisis, il (Malherbe) trônait en roi : il fallait l’écouter et ne prendre la parole que pour l’approuver absolument.

900. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

Sans doute cette faculté puissante et féconde, à laquelle nous devons tant de nobles jouissances, tant d’heures d’une émotion pure, tant de créations merveilleuses qui sont devenues une portion de nous-mêmes et de nos souvenirs, sans doute cette belle faculté commençait à faiblir sensiblement ; on n’osait plus en attendre des chefs-d’œuvre comparables aux anciens ; on craignait même de la voir se complaire dans une postérité de plus en plus débile, comme il arrive aux plus grands hommes en déclinant comme le bon Corneille ne sut pas assez l’éviter dans sa vieillesse.

901. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Mais cette bienveillance, si l’on veut prendre la peine d’en peser l’expression et d’en démêler la pensée, ne semblera pas aussi complaisante qu’on le croirait à un premier coup d’œil, et elle ne va jamais, je l’ose dire, jusqu’à fausser et altérer la vérité.

902. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

Je n’ose plus nommer cette touchante Marceline.

903. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sully Prudhomme (1839-1907) »

J’ose dire que, parmi nos poètes, il est, avec Victor Hugo, dans un goût très différent, le plus grand trouveur de symboles.

904. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Le roi de France, qui est, si j’ose le dire, le type idéal d’un cristallisateur séculaire ; le roi de France, qui a fait la plus parfaite unité nationale qu’il y ait ; le roi de France, vu de trop près, a perdu son prestige ; la nation qu’il avait formée l’a maudit, et, aujourd’hui, il n’y a que les esprits cultivés qui sachent ce qu’il valait et ce qu’il a fait.

905. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XII » pp. 100-108

Enfin Mazarin osa proposer sa nièce à la reine, qui rejeta sa proposition avec hauteur.

906. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Mais il était ami plus fidèle que courtisan habile, quand il écrivait son élégie Aux Nymphes de Vaux, en faveur de Fouquet, il implorait pour lui la clémence de Louis XIV, sachant très bien, et son élégie même en contient la preuve, qu’il avait à défendre, non, comme le croyait le public, le ministre prévaricateur, mais le galant magnifique et téméraire, qui avait osé prétendre au cœur de la maîtresse du monarque et essayé de la séduire.

907. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VI, première guerre médique »

Il lui fallait un héros pour oser et vaincre, les dieux l’envoyèrent.

908. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Comment oser changer d’avis ?

909. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Ronsard, et Saint-Gelais. » pp. 120-129

Le chef de cette bande étoit Mellin de Saint-Gelais, qui, pour avoir quelque chose de plus que les autres, avoit acquis beaucoup de réputation envers les grands, principalement auprès du roi, s’efforçoit, par envie, de troubler l’eau pégasine à ce nouvel Apollon, ayant l’ame touchée de tant d’envie & de présomption que d’oser blasonner & de reprendre les œuvres dudit Ronsard aux yeux de sa majesté, pour le rendre odieux. » Ces plaintes sont terminées par ce conseil.

910. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Dès long-temps je connois sa rigueur infinie : Mais ; pensant aux beautés pour qui je dois périr ; Je bénis mon martyre ; &, content de mourir, Je n’ose murmurer contre sa tyrannie.

911. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

Avertissement En écrivant ce Manuel de l’Histoire de la Littérature française, qui est en même temps, je n’ose dire la promesse, mais du moins le « programme », d’une Histoire plus ample et plus détaillée, je me suis appliqué particulièrement à quelques points, que l’on verra bien, je l’espère, mais que l’on pourrait aussi ne pas voir, — si je n’avais pas su les mettre en évidence, — et que, pour ce motif, le lecteur m’excusera de lui signaler dans ce court Avertissement.

912. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 27, que les sujets ne sont pas épuisez pour les poëtes, qu’on peut encore trouver de nouveaux caracteres dans la comedie » pp. 227-236

Non seulement un poëte né avec du genie, ne dira jamais qu’il ne sçauroit trouver de nouveaux sujets, mais j’ose même avancer qu’il ne trouvera jamais aucun sujet épuisé.

913. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

Ceux des peintres hollandois, dont je parle, qui ont osé faire des tableaux d’histoire, ont peint des ouvrages admirables pour le clair-obscur, mais ridicules pour le reste.

914. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

On sent qu’il eût voulu adopter pleinement mes pensées d’avenir, mais qu’il n’osait pas trop se confier à l’espérance.

915. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

III Jean-Jacques, dans son Contrat social, commence par se moquer de l’histoire d’Adam, qu’il ose comparer à Robinson lui-même.

916. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

J’ose donc me déclarer heureux et fier de tout ce que j’ai fait, dit ou écrit au sujet de l’affaire Dreyfus. […] Y a-t-il, en critique, quelque chose de contradictoire, d’irréfléchi, de sot, osons le dire, si ceci ne l’est ? […] Personne n’ose dire ce qu’il pense, exprimer ce qu’il sent. […] Lamennais a osé écrire : « Je doute qu’il y ait au monde un pays plus ennuyeux que la Suisse. […] Qui oserait dire que cela soit mauvais ?

917. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Molière osa peindre des bourgeois et des artisans aussi bien que des marquis. […] Et c’est pourquoi Dorante n’a pas osé se déclarer à M.  […] Il serait plein de pédantisme et d’intolérance ; il aurait, si j’ose dire, le plus fichu caractère. […] Elle osera tout contre l’ennemie, même le crime. […] … Je n’ose plus regarder… Oh !

918. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

… Une hécatombe… La retraite… jour et nuit… Les Allemands n’osent pas… Ah ! […] L’Allemagne, — Bernhardi ose le dire !  […] Avec de telles gens, il n’ose pas compter sur la victoire. […] Ce n’est pas tout ce qu’il désire : c’est tout ce qu’il ose demander. […] Je n’ose dire : la vérité.

919. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

On ose à peine le supposer ; un si joli petit être si fragile, si capricieux, n’a ni passion, ni violence ; s’il suit une pente, ce n’est pas qu’il y coure, c’est qu’il se laisse aller, c’est de l’eau qui coule. […] Ce genre de composition est beaucoup plus près que le roman de la poésie et nous oserions presque dire, de l’art. […] Théophile Gautier travaille en ce moment à rendre plus saillantes, et si nous osions le dire, plus grotesques que par le passé, les taches déjà trop grandes que nous avons relevées dans son talent. […] Il osa se passer de tout cela et il fit bien, qui plus est ; car il donna à son public une nouveauté. […] Sainte-Beuve, nous oserions l’accuser d’avoir l’esprit trop moderne, d’être trop imbu d’idées étrangères au goût antique pour ne pas s’égarer et égarer avec lui ceux qui l’écoutent.

920. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Nous étudierons le mécanisme de cette servitude. « Rarement un esprit ose être ce qu’il est », a dit Boileau. […] Je n’ose promettre au spectateur qu’il ne regrettera pas son attention. […] Il n’ose extraire l’abondant comique des « drapés pour la postérité » du mort du grand Bé. […] L’esprit d’ordre et d’autorité doute de lui-même, ou n’ose pas se déterminer. […] Ce qui a fait, chez nous, la vogue de Darwin, c’est la simiesquification de l’homme, si j’ose employer ce néologisme.

921. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

J’ose penser qu’en effet il fut plutôt destiné à l’épopée qu’au drame. […] Mais, l’oserai-je dire ? […] À l’heure où l’âme française semblait vide d’espoir et d’héroïsme, où les passions, même coupables, défaillaient comme des sexes de vieillards, où le seul excès était celui de la débauche bête et du rire sans joie, il osa écrire, il osa faire jouer un drame en vers, un drame d’amour et de gloire ! […] Cependant, oserai-je écrire que Louis Bouilhet fut un poète de génie ? […] Ici, Paul Verlaine s’adonise encore, se farde encore, n’ose pas montrer librement la toute candeur, la divine puérilité qui fut son vrai génie.

922. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

— Je n’ose pas vous le dire. […] Mais à présent… un ministre… je n’ose plus… Et M.  […] Je n’ose pas toucher le premier de ces problèmes. […] On dirait qu’il n’ose pas « se lancer ». […] Les archéologues (moi, tout le premier, au temps béni où j’osais prétendre à ce titre) en sont devenus positivement amoureux.

923. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

J’ai besoin d’en appeler à l’avenir contre le présent, et, surtout à une époque où toutes les pensées qui sont recueillies dans les têtes éclairées n’osent en sortir, je répugne à croire que, le moule étant brisé, tout ce qu’il contient serait détruit. […] Oserai-je noter un inconvénient de cette manière si calme, si désintéressée et si profonde ? […] Je n’oserais affirmer que la Lettre de Cabanis sur les Causes finales n’ait pas un peu mécontenté M. de Tracy, comme une excursion beaucoup trop indulgente et presque compromettante dans la région de la conjecture. […] Il se méfiait un peu du goût de Beyle ; il eut regret, à la réflexion, de songer que sa chère et simple histoire, à laquelle il tenait plus qu’il n’osait dire, allait être employée dans un but étranger et probablement travestie. […] Nous ne voulons pas réveiller, nous osons constater à peine d’ardentes querelles où l’on vit de spirituelles plumes courir aux armes pour la défense de leurs frontières envahies91.

924. (1927) Des romantiques à nous

C’est de nouveaux sujets d’adorer qu’il y doit trouver, au contraire, de nouvelles terrasses, si j’ose dire, d’où regarder les lueurs de l’infini. […] Nul n’eût osé y toucher. […] Le moment vint où ceux et celles qui s’en délectaient encore n’osaient plus l’avouer. […] La chair de l’œuvre s’amincit, si j’ose dire, et devient diaphane. […] J’oserais répondre que son développement eût été grand.

925. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Il fit dire par Narcisse à Néron, dans Britannicus : … Ignorez-vous tout ce qu’ils osent dire ? […] C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée, et, quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. […] Il est aussi ridicule qu’injurieux pour la mémoire de deux grands hommes de penser un seul instant que l’un eût osé proposer une aussi licencieuse mascarade, et que l’autre se fût oublié au point de l’autoriser. […] Ses envieux ne lui ménagèrent pas les reproches pour avoir osé attaquer une classe et un art aussi redoutables. […] Il fit parler à M. de Montausier par quelques personnes, car peu osèrent s’y hasarder, et ces personnes furent fort mal reçues.

926. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Cette indulgence encouragea l’auteur, qui osa continuer son ouvrage et en sema les derniers livres de traits encore plus hardis et plus directs. […] Et à quel titre un individu particulier oserait-il l’offrir ? […] Voici comment il justifie cette licence : « Je me suis ordonné d’oser dire tout ce que j’ose faire ; et me desplais des pensees impubliables : la pire de mes actions et conditions ne me semble pas si laide, comme je treuve laid et lasche de ne l’oser advouer. […] Oserions-nous affirmer tout cela des déistes ? […] Je n’ose pas vous parler de l’amitié ; il est bien clair que, comme tout le reste, ce n’est qu’un mot.

927. (1911) Nos directions

Glaucos Je n’ose. Phocas Je te permets d’oser. […] qu’est-ce que je m’en vais oser faire ? […] Un peintre oserait-il lutter avec ce verbe ? […] Valery Larbaud whitmanise, si j’ose dire, mais avec ampleur, mélodie, et il sait où il va… mais vers la prose lyrique peut-être ?

928. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

Pour ce qui est de sa vie, elle est en harmonie avec sa personne ; car il a beaucoup pâti, beaucoup combattu et beaucoup osé. […] Leur tempérament, leur caractère, leur éducation, leur genre d’esprit, leur situation, leur attitude et leurs actions forment en lui un tout si bien lié, et se réunissent si promptement en êtres palpables et solides, qu’il n’ose attribuer à sa réflexion ni à son raisonnement une création si vaste et si rapide. […] La gloire et la vertu consistent dans la puissance ; les scrupules sont faits pour les âmes viles ; le propre d’un cœur haut est de tout désirer et de tout oser. « Ici, la conscience est une souillure, la fortune tient lieu de vertu, la passion de loi, la complaisance de talent, le gain de gloire, et tout le reste est vain. » Ravi de cette grandeur d’âme, Séjan s’écrie : Royale princesse ; À présent que je vois votre sagesse ; votre jugement ; votre énergie, Votre décision et votre promptitude à saisir les moyens De votre bien et de votre grandeur, je proteste Que je me sens tout enflammé et tout brûlé D’amour pour vous125. […] Il chasse à coups de bâton les montreurs d’ours et les tireurs d’épée qui osent passer sous ses fenêtres.

929. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Fox n’osa pas professer comme ministre les principes pacifiques qu’il avait professés comme chef de parti. […] Aussitôt il se mit à visiter la retraite du grand capitaine, du grand roi, qui s’appelait le philosophe de Sans-Souci, et avec quelque raison, car il sembla porter le poids de l’épée et du sceptre avec une indifférence railleuse, se moquant de toutes les cours de l’Europe, on oserait même ajouter de ses peuples, s’il n’avait mis tant de soin à les bien gouverner. […] La malédiction est la seule justice qui reste aux victimes contre les auteurs de ces désastres de l’humanité ; amollir cette justice, c’est désarmer la conscience des peuples et encourager les conquérants futurs à tout oser devant des historiens qui pardonnent tout. […] Nul dans sa conscience n’osera l’innocenter que par son succès ; mais le succès n’est que l’amnistie de l’audace, il n’en est pas la justification.

930. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCIXe entretien. Benvenuto Cellini (1re partie) » pp. 153-232

Il osa s’introduire dans la Farnesina, charmant palais de plaisance que les Chigi, fameux banquiers romains, faisaient construire et décorer par Raphaël. […] J’étais déjà dans le fort, lorsque le pape y entrait par le corridor du château ; car il n’avait pas voulu partir plus tôt du palais de Saint-Pierre, ne pouvant s’imaginer que les Impériaux osassent entrer dans Rome. […] Il se désolait de voir, du haut des fortifications, sa pauvre maison saccagée, et sa femme et ses enfants au pouvoir des ennemis : de sorte qu’il n’osait faire son devoir, de peur de tirer sur eux. […] Quelques amis qui étaient dans ma boutique dirent : Voyez ce pauvre animal, il a peur, et à peine ose-t-il montrer sa tête !

931. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

II Au commencement, un cri de reconnaissance et d’admiration s’éleva unanimement à la gloire de Macpherson, l’inventeur patient et laborieux de ce nouveau monde, le Christophe Colomb de cette terre des découvertes ; nul n’osait contester à cet homme extraordinaire l’authenticité et le mérite de son invention ; comment un seul homme aurait-il recomposé un monde évanoui, des paysages, des histoires, des mœurs, des héros, des chanteurs lyriques ou épiques, des sentiments et des tristesses inconnus jusqu’alors du genre humain et fait par une misérable supercherie ce qu’un Dieu seul pouvait faire, la résurrection d’un monde inconnu ? […] Nul n’osa s’inscrire en faux contre Macpherson. […] Quiconque alors, aimable Malvina, m’eût osé dire qu’un jour, aveugle et infirme, je passerais les nuits dans la solitude, eût eu besoin d’avoir une cotte d’armes d’une trempe bien forte, et un bras invincible. […] « Quel autre que le fils de Starno oserait venir à la rencontre du roi de Morven ?

932. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Ce voleur de l’auteur d’Othello, qui lui avait pris son magnifique Jaloux pour le mettre en Turc et en faire Orosmane, afin qu’on ne le reconnût pas, ne permettait guère qu’on vantât de son temps celui qu’il avait osé nommer Gilles ; et de la bande de philosophes qui obéissaient à son grelot et tenaient l’opinion de la France esclave, Diderot seul, le débraillé de naturel et de déclamation, avait eu le front d’écrire cette phrase superbe et cynique : « Moi, je ne comparerai Shakespeare ni à l’Apollon du Belvédère, ni au Gladiateur, ni à l’Antinoüs, ni à l’Hercule de Glycon, mais au saint Christophe de Notre-Dame, colosse informe, grossièrement sculpté, mais dans les jambes duquel nous passerions tous sans que notre front touchât à ses parties honteuses. » Mais, comme on le voit, cette phrase ambitieuse et fausse, quoiqu’elle voulût être plus juste que tout ce qu’on disait alors, prouvait que Diderot lui-même ne connaissait pas tout Shakespeare dont le colossal disparaît précisément quand on l’a tout entier sous le regard, dans la perfection de son harmonie. […] « Quand — dit-il — il met le sceptre aux mains d’un jaloux, c’est un argument qu’il a combiné contre l’absolutisme politique… » Quand il proclame la légitimité de l’amour (Peines d’amour perdues), c’est qu’il condamne du haut de son tribunal idéal la vierge hypocrite qui régnait de son temps en Angleterre… On regrette tout cela devant une œuvre si sérieuse, et tout cela, j’oserai l’appeler, moi, de la puérilité grandiose sucée avec le lait par François Hugo dans la maison paternelle. […] On la trouve plus ou moins enveloppée dans les premiers critiques anglais ou allemands qui aient réagi en faveur de Shakespeare, si longtemps méconnu dans le pays qui fait des lords avec des Macaulay et de simples baronnets avec des Walter Scott, et méconnu même des plus grands ; car, au commencement de ce siècle, Lord Byron lui-même osait placer Pope au-dessus de Shakespeare ! […] Mais, qu’on me permette de le dire, j’oserais croire qu’il y a dans Lear un arrangement d’art plus profond des articulations plus formidables, et que jamais Shakespeare n’a campé debout de création plus forte et qu’il ait fait marcher de ce pas-là devant nos esprits confondus !

933. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Les autres, qui n’avaient pas eu le courage de donner cet avis, n’osèrent toutefois le contredire : « Il n’y avait là personne qui n’eût de ses proches amis en prison ; par quoi nul ne me reprit, dit Joinville, mais se prirent tous à pleurer. » Il se livrait donc en leur cœur une sorte de lutte entre le violent désir qu’ils avaient de rentrer en France, et le sentiment de compassion et de justice qui leur disait qu’il n’était pas bien d’abandonner des frères et des compagnons malheureux. […] Mais laissons-le achever lui-même ce récit familier et charmant : En ce point que j’étais là, le roi se vint appuyer à mes épaules et me tint ses deux mains sur la tête ; et je pensais que c’était monseigneur Philippe de Nemours, lequel m’avait fait trop d’ennui tout ce jour-là pour le conseil que j’avais donné, et je dis ainsi : « Laissez-moi en paix, monseigneur Philippe. » Mais, comme je tournais la tête, voilà que par aventure la main du roi me tomba au milieu du visageaj, et je connus que c’était lui à une émeraude qu’il avait en son doigt ; et il me dit : « Tenez-vous tout coi, car je vous veux demander comment vous fûtes si hardi, vous qui êtes un jeune homme, pour m’oser conseiller ma demeurée, à l’encontre de tous les grands hommes et les sages de France, qui me conseillaient mon départ… » Le reste de la scène et la réponse se prévoient aisément : Joinville seul avait deviné le cœur chrétien du saint roi.

934. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Elle estima, elle honora, oserai-je le dire ? […] Elle n’était pas si inférieure à ce roi qu’on le croirait, ou plutôt elle ne lui était inférieure qu’en politesse, en mesure, en esprit de suite et de précision : mais, à certains égards, elle le jugeait avec bien de l’intelligence et avec un bon sens plus libre et plus étendu qu’il n’osait se le permettre pour son propre compte ; elle le trouvait ignorant sur une foule de points, et elle avait raison.

935. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Tant de talents soutenus ou plutôt rendus utiles par des qualités plus précieuses encore, par la douceur de vos mœurs, par la sûreté de votre commerce, par la conciliation que vous apportez aux affaires, par la pénétration aussi vive que réfléchie dont vous les démêlez, par l’attention que vous avez et qui est si nécessaire, en persuadant les autres, de leur laisser croire que vous ne pensez que d’après eux ; enfin par tout ce qui réconcilie les hommes de mérite avec ceux qui pourraient en être jaloux : voilà ce qui fait souhaiter de vous avoir pour confrère, et, si j’ose parler de moi, voilà ce qui rend votre amitié si désirable. […] Je n’oserais répondre qu’un peu d’épicuréisme bien entendu ne s’y soit point glissé à l’origine.

936. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite et fin.) »

Si elles reçoivent des lettres de l’étranger, elles n’oseront les décacheter ; elles les enverront au Comité de surveillance d’Auteuil, lequel, à son tour, jaloux de faire acte de zèle, les déposera dans les bureaux de la Convention : « Comité de surveillance d’Auteuil, 1793, 3 octobre. […] Il faut bien oser se rendre compte de la vérité inexorable des choses.

937. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Fromentin, si j’ose dire, a fait là, à sa manière, la critique des procédés différents du sien ; il a fait de la critique indirecte, comme il n’est donné qu’à l’artiste d’en savoir le secret ; il l’a mise en image et en action. […] Ici, et dans toutes les scènes déchirantes, et incomplètes de solution, qui remplissent la dernière partie du récit jusqu’à l’entière rupture, j’oserai me permettre une critique.

938. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

L’idée de l’ancienne élégie de l’Indiscret est reprise dans Réveil, et le premier mouvement a toute la secousse d’un effroi ressenti : C’est qu’ils parlaient de toi, quand, loin du cercle assise, Mon livre trop pesant tomba sur mes genoux ; C’est qu’ils me regardaient, quand mon âme indécise Osa braver ton nom qui passait entre nous. […] A part quelques grands poëtes qui soutiendront de l’ensemble de leur œuvre l’assaut du temps, qui de nous oserait en désirer pour lui, en espérer davantage ?

939. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

« Adieu. » Nous aurions bien, si nous le voulions, à ajouter quelques petites choses encore ; il serait facile, à l’aide du carnet dont on a parlé, de contrôler, sans trop de désavantage, quelques-unes des pièces les plus triomphantes dont s’est armé M.de Loménie, ou du moins les inductions morales dont elles lui ont fourni le thème ; mais qui oserait le poursuivre de ce côté gracieux ? qui oserait discuter de près ou de loin ce qui touche aux roses immortelles ?

940. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Puisqu’on connaît le portrait de Mlle de Liron, puisque j’ai osé citer un passage de Mlle Aïssé malade, qui, en donnant une incomplète idée de sa personne, laisse trop peu entrevoir combien elle fut vive et gracieuse, cette aimable Circassienne achetée comme esclave, venue à quatre ans en France, que convoita le Régent, et que le chevalier d’Aydie posséda ; puisque j’en suis aux traits physiques des beautés que Mlle de Liron rappelle et à l’air de famille qui les distingue, je n’aurai garde d’oublier la Cécile des Lettres de Lausanne, cette jeune fille si vraie, si franche, si sensée elle-même, élevée par une si tendre mère, et dont l’histoire inachevée ne dit rien, sinon qu’elle fut sincèrement éprise d’un petit lord voyageur, bon jeune homme, mais trop enfant pour l’apprécier, et qu’elle triompha probablement de cette passion inégale par sa fermeté d’âme. […] « Toutes les histoires de l’Astrée ont un fondement véritable, « mais l’auteur les a toutes romancées, si j’ose user de ce mot. » C’est Patru qui dit cela (Œuvres diverses, tome II) dans ses curieux éclaircissements sur l’ouvrage de D’Urfé.

941. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Peut-être, car en matière si déliée il faut tout voir, peut-être la lettre à Sophie n’est-elle aussi que d’une fidélité suffisante ; peut-être fut-on plus dure et plus dédaigneuse en effet avec La Blancherie, qu’on n’osa le raconter à la confidente, par amour-propre pour soi-même et pour le passé. […] Sa vie déborde, elle se compare à un lion en cage : elle devait naître femme spartiate ou romaine, ou du moins homme français ; osons citer son vœu réalisé depuis par des héroïnes célèbres : « Viens donc à Paris, écrit-elle à la douce et pieuse Sophie ; rien ne vaut ce séjour où les sciences, les arts, les grands hommes, les ressources de toute espèce pour l’esprit, se réunissent à l’envi.

942. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

On ose tout pour rendre son idée. […] Il n’ose être sincère, montrer la chose toute nue, parler sans apprêt, en bonhomme, retomber du haut du style passionné dans les petites idées communes qui viennent ensuite.

943. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Victor Duruy » pp. 67-94

Par là, et par l’ampleur, l’harmonie, la beauté rationnelle et la souplesse du plan conçu ; par l’activité ardente et méthodique déployée dans l’exécution ; par l’importance des résultats acquis et des fondations demeurées ; enfin par le bonheur qu’il eut d’imprimer à tout l’enseignement national une direction si juste, si bien prise dans le droit fil des plus légitimes besoins et des meilleurs désirs de notre temps, que ses successeurs, depuis vingt-cinq ans, n’ont eu qu’à la maintenir, j’ose dire que le ministère de M.  […] Parmi de tels deuils, j’ose à peine compter pour des joies le succès européen de l’Histoire des Romains, et l’admission de M. 

944. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Et, en supposant même (ce qui est vrai) que les détails demeurent nécessaires pour l’intelligence des résultats généraux, les moyens, les machines, si j’ose le dire, par lesquelles les Prinsep et les Lassen ont déchiffré cette page de l’histoire humaine auront à peu près perdu leur valeur, ou seront tout au plus conservés comme bas-reliefs sur le piédestal de l’obélisque qu’ils auront servi à élever. « Les érudits du XIXe siècle, dira-t-on, ont démontré… » Et tout sera dit. […] Les auteurs de monographies ne peuvent raisonnablement espérer de voir leurs travaux vivre dans leur propre forme ; les résultats qu’ils ont mis en circulation subiront de nombreuses transformations, une digestion, si j’ose le dire, et une assimilation intimes.

945. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Je sais qu’on n’oserait jamais rien de grand et qu’on ne ferait jamais de choses immortelles si l’on ne risquait à un moment le tout pour le tout ; aussi n’est-ce point le fait d’avoir risqué une ou deux fois, mais la disposition et le penchant à risquer toujours, que je relève ici chez Napoléon. […] Il ose, en causant, bien des choses que son goût scrupuleux croit devoir se retrancher dans l’histoire.

946. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Ce qu’il dit du parti modéré, du parti constitutionnel d’alors, de cette majorité saine de la nation, de cette bourgeoisie dont il était l’honneur et qu’il connaissait si bien, est digne de remarque : Le parti modéré, qui, soit par le nombre, soit par la composition, pourrait être regardé comme la nation même, est presque nul pour l’influence ; il se jette, à la vérité, pour faire poids, du côté qui cherche à ralentir le mouvement, mais à peine ose-t-il expliquer publiquement son vœu. […] S’occupant alors de ceux qui vont survivre, de sa mère, de ses sœurs, des amis qu’il n’ose nommer, il parle avec cet accent qui dénote l’intégrité morale conservée tout entière.

947. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mlle de Lespinasse. » pp. 121-142

Nous n’en avons pas seulement pour garant Mlle de Lespinasse, mais les moins sujets à s’engouer parmi les contemporains ; l’abbé Galiani, par exemple, qui, apprenant à Naples la mort de M. de Mora, écrivait à Mme d’Épinay (18 juin 1774) : « Je n’ose parler de Mora. […] quand on aime tout de bon, on n’est pas fier, et elle se dit avec le Félix de Polyeucte : J’entre en des sentiments qui ne sont pas croyables ; J’en ai de violents, j’en ai de pitoyables, J’en ai même de… Elle n’ose achever avec Corneille : J’en ai même de bas.

948. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Si j’osais pourtant hasarder un jugement d’ensemble, je dirais que son ambition n’y eut jamais satisfaction entière, et que les distinctions brillantes dont son existence publique fut remplie couvraient, au fond, bien des vœux trompés et le déchet de bien des espérances. […] Ce serait peut-être à moi à décider lequel est le plus triste d’être sourd ou aveugle, ou de ne point digérer : je puis juger de ces trois états avec connaissance de cause ; mais il y a longtemps que je n’ose décider sur les bagatelles, à plus forte raison sur des choses si importantes.

949. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu’on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d’esprit libre et dégagé, d’esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et, sur la fin de ce siècle de grandeur, mais certes aussi d’illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu’elles sont. […] Comme il n’est nullement touché du sentiment des autres, il ose être de son opinion non seulement avec bonne foi, mais avec une sorte d’audace et d’impudeur tranquille.

950. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Philosophiquement (si j’ose avoir un avis), il me paraît bien supérieur à ce qu’il est comme politique. […] Les physiologistes de l’école de Lucrèce et de Lamarck qui pourront et oseront lui répondre (car la querelle à mort est entre eux et lui) sont encore à naître60· Ses relations avec de Maistre et avec Chateaubriand achèvent de le définir : un écrivain, selon moi, n’est bien défini que quand on a nommé et distingué à côté de lui et ses proches et ses contraires.

951. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Mathiers, cela ne se pouvait oser que sous la Fronde, et l’on n’a jamais mieux senti qu’en lisant Gourville de quel bienfait fut pour la France l’avènement monarchique de Louis XIV avec la régularité vigoureuse de sa police et de son administration. […] « Il m’a souvent passé par l’esprit, dit Gourville, que les hommes ont leurs propriétés à peu près comme les herbes61, et que leur bonheur consiste d’avoir été destinés ou de s’être destinés eux-mêmes aux choses pour lesquelles ils étaient nés. » Et, s’appliquant cette pensée à lui-même, il ajoute : « J’oserais quasi croire que j’étais né avec la propriété de me faire aimer des gens à qui j’ai eu affaire, et que c’est cela proprement qui m’a fait jouer un assez beau rôle avec tous ceux à qui j’avais besoin de plaire. » Gourville fit bien des conquêtes en ce genre, mais la plus difficile, et qui prouve le plus pour lui, fut celle de Colbert.

952. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Et encore : « Des rois qui vivaient dans le faste et dans les délices n’osaient jeter des regards fixes sur le peuple romain. » Je pourrais multiplier ces remarques et montrer comment Montesquieu affecte de rendre leur sens exact et propre à quantité de mots (ajuster, engourdir, etc.), et comment il double leur effet en les appliquant nettement à de grandes choses. […] Le premier livre qui traite des lois en général, en les prenant dans l’acception la plus étendue, et par rapport à tous les êtres de l’univers, est bien vague ; et, si l’on osait dire, on sent dans ce premier livre un homme embarrassé, de même qu’on sent un homme fatigué et un peu haletant dans les derniers.

953. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Maltraité par son frère, qui était violent et qui en venait quelquefois aux coups, en l’un de ces jours de querelle il résolut de le quitter, et il s’autorisa pour cela du certificat d’acquittement, sachant bien qu’on n’oserait produire contre lui le second engagement secret. […] Si vous êtes laborieux, vous ne mourrez jamais de faim : car la faim peut bien regarder à la porte de l’homme qui travaille, mais elle n’ose y entrer.

954. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Je pourrais, en citant, donner de jolis mots qui s’y rencontrent ; mais c’est le sens même et la suite qui fait le prix de ce délicieux morceau ; voici quelques traits pourtant : Son esprit, dit-il de Montaigne, a cette assurance et cette franchise aimable que l’on ne trouve que dans ces enfants bien nés, dont la contrainte du monde et de l’éducation ne gêna point encore les mouvements faciles et naturels… Les vérités (dans son livre) sont enveloppées de tant de rêveries, si j’ose le dire, de tant d’enfantillages, qu’on n’est jamais tenté de lui supposer une intention sérieuse… Sa philosophie est un labyrinthe charmant où tout le monde aime à s’égarer, mais dont un penseur seul tient le fil… En conservant la candeur et l’ingénuité du premier âge, Montaigne en a conservé les droits et la liberté. […] On ne s’intéresse à ses semblables qu’à raison de l’intérêt qu’on prend à soi-même et qu’on ose attendre de leur part. » Et il cite à ce propos un mot de Rousseau, qui venait un jour de s’épancher auprès d’un ami, et qui remarquait que cet ami (peut-être Grimm lui-même) recevait son épanchement sans lui rendre du sien : « Ne m’aimeriez-vous pas ?

955. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il n’aurait pas osé parler ainsi deux ans plus tard, après 1793 ; car il était certes un des privilégiés du sort ; mais, en 1794, il se croyait une victime choisie entre tous, et il gémissait. […] Voilà un résultat surprenant en effet, et qui, si j’osais le rappeler, est propre encore à caractériser l’espèce tout entière des esprits doctrinaires après leur chute.

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