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1451. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Léopold, apprenant de Conrad, avant d’avoir vu Amélie, que la jeune chanoinesse est loin de mener une vie exemplaire, s’emporte et laisse, pour la première fois, voir assez clairement le fond de son cœur. […] Scribe y songe : la haute muse comique, qui à la vue des excès du vaudeville est blessée au cœur et nous boude avec raison, a tendu la main à l’auteur de la Camaraderie, et le protégerait de préférence à beaucoup d’autres, si, au lieu d’éparpiller ses forces, il s’appliquait à les réunir ; s’il livrait plus souvent de véritables combats, au lieu d’escarmouches sans fin ; s’il donnait à son observation plus d’étendue et de profondeur, et s’il ne dédaignait pas aussi ouvertement cette puissance ombrageuse qui ne se laisse captiver que par de continuels sacrifices, mais qui seule aussi peut faire vivre l’écrivain : c’est du style que je veux parler.

1452. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Sa rage dévorante ne l’a point quitté dans les cieux ; du fond de son cœur & de son foie brûlant, il lance des flammes étincelantes. […] « Le Scorpion, traînant son corps immense, montre un cœur brillant, étend ses serres entr’ouvertes & replie sa queue armée d’un double aiguillon.

1453. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

En même temps, le jour de la majorité du roi et de la cérémonie qui en est célébrée, il suspend son opposition et ses présages ; il fait comme nous avons vu faire à d’autres royalistes de l’opposition en d’autres temps les jours de sacre ou de la Saint-Louis, il fait relâche à ses satires ; il crie de tout son cœur : Vive le roi ! […] Ce beau temps, selon lui, où l’on pouvait penser à cœur joie et dire tout haut ce qu’on avait sur le cœur, était avant que Berthe filât : « Depuis qu’elle a filé, le monde s’est bien corrompu. » Je l’ai montré, dans la première partie de sa vie, guerroyant et processif : il s’apaisa pourtant un peu en vieillissant. […] Il y a du plaisir avec lui, disait Gui Patin, parce qu’il est le plus savant de longue robe qui soit en France. — Il sait les poètes grecs par cœur, Plutarque, Cicéron et Tacite, qui ne sont pas des mauvais originaux. Il sait aussi par cœur la Pathologie de notre Fernel, qu’il a autrefois lue par mon conseil.

1454. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

« Il y avait dans l’ensemble de ce spectacle un air de ruine et de destruction, quelque chose qui sentait un adieu final et sans retour ; on ne pouvait y assister sans avoir le cœur serré. […] Cette Correspondance nous initie parfaitement à l’esprit et au cœur de Tocqueville ; elle nous indique aussi avec assez de précision le degré de croyance religieuse où il était resté et auquel il se fixa pour toujours. […] Au lieu de cela, je verrai sa chambre déserte ; je ne vous embrasserai tous qu’avec de l’amertume au fond du cœur ! […] Que celui qui, comme notre bon ami, n’a vécu que pour bien faire, subisse le même sort que les plus grands criminels, voilà contre quoi ma raison et mon cœur se soulèvent avec une violence que je n’avais jamais sentie. […] Je dirai presque qu’après avoir lu ces pages sur la mort de son vieil instituteur, on, ne peut s’empêcher de penser que Tocqueville avait la sensibilité trop vive et trop tendre, le cœur trop gros pour un philosophe.

1455. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Les effets de cette passion sur le cœur de Laurent furent tels qu’on pouvait les attendre d’une âme jeune et sensible. […] Il paraît incontestable que le cœur de Laurent n’eut aucune part à la conclusion de ce mariage, à en juger par la manière dont il s’exprime à ce sujet dans ses Mémoires, où il nous apprend qu’il prit ou plutôt qu’on lui donna Clarice Orsini pour femme 19. […] On ne sait point ici dire le contraire de ce qu’on pense : dans ces estimables et paisibles retraites, au milieu de l’air pur qui vous environne, on ne voit point le sourire sur la bouche de celui dont le cœur est rongé de chagrins ; le plus heureux parmi vous est celui qui fait le plus de bien, et la sagesse suprême ne consiste pas à savoir déguiser et dissimuler la vérité avec le plus d’artifice. » Cependant le berger ne paraît point convaincu de la supériorité que le poëte accorde à la vie champêtre, et, dans sa réponse, il présente avec beaucoup de force les peines et les nombreux travaux auxquels elle est inévitablement exposée. […] Il se nommait Girolamo Olgiato et mourut en Romain sur l’échafaud ; dépouillé et nu devant le bourreau, il prononça ces paroles latines qui retentirent dans beaucoup de cœurs : Mors acerba, fama perpetua, stabit vetus memoria facti. — Mort amère, éternelle mémoire ! […] Le peuple n’en recevait que des bienfaits ; la jeunesse et la beauté de Laurent et de Julien y ajoutaient le prestige de l’avenir, et la séduction de tous les cœurs.

1456. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

.) — Cependant mon jeune héros n’a jamais vu d’orage, encore moins de tempête, et il croit qu’une guerre terrifiante s’est ruée au cœur des solitudes. […] Mais ce serait un Thibaut moins léger, au plus grand cœur, et qui eût saisi la main tendue de la destinée. […] Les Cygnes comme la Chevauchée montrent l’élan direct d’un cœur impatient de bondir et de frapper de son choc d’autres cœurs, le vœu d’une personnalité prompte à se manifester, insistante, impérieuse. […] Ils ne sont pas ceux que l’on aime ou que l’on admire : ils suscitent à la fois l’élan vierge du cœur avec l’assentiment de la hautaine intelligence dont ils agenouillent le respect. — Or nous tous, voyageurs qui gravissons l’âpre montagne, si quelque fierté d’âme convie notre faiblesse à ne point nous trahir, nous ne pourrons nous arrêter à l’aube par crainte des brûlants midis torrentiels.

1457. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

De cette passion la sensible peinture Est pour aller au cœur la route la plus sûre. […] Elles font varier la politique au gré de leurs coups de tête et de leurs coups de cœur. […] Les poètes et les romanciers, dans la première moitié du xviie  siècle, ont proclamé sur tous les tons qu’un honnête homme doit être toujours amoureux, qu’il est l’esclave né des dames ; qu’il doit accepter, le sourire aux lèvres et la soumission au cœur, leurs volontés, leurs ; désirs, leurs caprices. […] M. de Montausier, avant que la belle Julie d’Angennes daigne se rendre à ses désirs et l’accepter pour époux, doit faire quatorze ans bien comptés le siège de ce cœur récalcitrant : le siège de Troie avait duré quatre ans de moins. […] Chez le second, c’est le fils honnête qui juge, condamne et abandonne à sa solitude le père usurier93 ; c’est le fils au cœur délicat qui donne des leçons d’honneur au père dont la conscience de banquier fut trop élastique et qui le contraint même à réparer ses fautes.

1458. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Je cherche cette fraternité de cœur, cette tendresse dans l’œuvre naturaliste, et je trouve un parti pris de dénigrement, voisin de l’orgueil, une manière dure de parler de la misère, une brutalité de touche dans le portrait des pauvres gens, toujours représentés comme des êtres d’impulsion, esclaves des instincts, des hérédités et des passions, une tendance à considérer l’ouvrier comme une machine à boire et à faire des révolutions, qui dérivent d’un mépris foncier de l’espèce humaine, à moins qu’ils ne révèlent la plus certaine des incompréhensions. […] La phrase reste toute simple ; elle parlait à l’imagination, elle parle au cœur, c’est-à-dire aux deux forces qui commandent à tous. […] Les autres, ceux qui montent et s’instruisent en tâtonnant, ne sauront sans doute pas, ni tous, ni tout de suite, analyser le sentiment qu’ils éprouveront, mais, si humbles qu’ils soient, ils ont un cœur qui peut battre, ils ont des larmes qui peuvent couler, ils ont un bon sens que le bon sens touchera. […] Croyez bien, en outre, que si les gens du peuple perdent quelques-unes des finesses d’esprit ou de style que les lettrés goûteront, ils ne les perdront pas toutes ; qu’il y aura des qualités maîtresses, les qualités d’âme et de cœur qui ne leur échapperont pas. […] Les sons, les couleurs, les jeux rares des syllabes cadencées ne peuvent tromper longtemps le cœur de l’homme.

1459. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Mais ces recommandations morales, ces saintes lois et d’autres encore, gravées sur les tables de pierre de Moïse, se retrouvent aussi et peuvent se lire sur la table intérieure et vivante du cœur humain, sur cette table rase en apparence, mais, comme un marbre jaspé, dit Leibniz, sillonnée de veines profondes, où réside l’instinct des vérités nécessaires que développe la croissance de l’âme. […] L’homme aux mains innocentes et au cœur pur, qui n’a pas mis sa confiance en de vaines divinités, et qui n’a pas juré, avec le dessein de tromper : celui-là remportera la bénédiction de Jéhovah, et la justice des mains de Dieu, son Sauveur. […] Mais, loin dans l’antiquité, avant ces merveilles de la muse attique, contemporaines et toutes voisines des grandeurs du génie dorien dans Thèbes et dans Syracuse, ne peut-on pas reconnaître, à travers les obscurités et les défigurements du langage, une forme de poésie enracinée dans le cœur d’un peuple, et toute inspirée de ses périls et de ses délivrances ? […] Comment es-tu abattu la face contre terre, toi qui brisais les peuples, « Et qui disais dans ton cœur : Je gravirai les cieux ; au-dessus des astres de Dieu j’élèverai mon trône ; je m’assoirai sur la montagne de l’alliance, aux flancs du Septentrion ; je monterai sur la hauteur des nuages ; je serai semblable au Très-Haut ! […] » Mais disons de la poésie hébraïque qu’elle est incomparable dans la tendresse comme dans la haine, dans la bénédiction comme dans l’anathème : poésie la plus humaine de toutes, quel que soit le merveilleux de son origine, parce qu’elle exprime plus qu’aucune autre la passion et les mouvements du cœur !

1460. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Nerveuse, vibrante, impressionnable, elle semble, au bout du bras, une extrémité palpitante, emmanchée, embranchée à la pensée et au cœur. […] * * * — Le cœur est une chose qui ne naît pas avec l’homme. […] — Le mariage civil est une cérémonie où la Loi ne met juste que le cœur du Code. […] Elle a mis le doigt sur tous les cris du cœur, en disant : « C’est étonnant, les hommes, je ne sais pas où ils nous prennent cela ?  […] Puis, quand c’est fini, la répétition vous reste encore dans la tête, dans les oreilles, au cœur, comme une douce émotion mourante.

1461. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

Le bien s’y présente de tous les côtés : l’onction y gagne nécessairement les cœurs. […] On ne sçauroit rendre assez de justice à ses talens, à ses lumières, & surtout aux qualités de son cœur. […] Elle eut le cœur déchiré de ces troubles. […] Il ne fut jamais chrétien dans le cœur. […] La salive fait soulever le cœur à tous les Malabares.

1462. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Sachez qu’il vint d’un œil que j’adore en mon cœur. […] Est-ce qu’en vérité Rodrigue ou Chimène essayent, je dis un seul instant, de l’étouffer dans leur cœur ? […] a dit quelqu’un, mais nous en poussons tous, des « cris du cœur » ! […] Ouvrez-moi votre cœur. […] Puisque je te pardonne, Que servent les regrets où ton cœur s’abandonne ?

1463. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

À l’ouverture de chaque âge, il est d’une certaine façon ; son corps, son cœur et son esprit ont une structure et une disposition distinctes ; et de cet agencement durable que tous les siècles précédents ont contribué à consolider ou à construire sortent des désirs ou des aptitudes permanentes, selon lesquelles il veut et il agit. […] La vie active fortifie en ce pays le tempérament flegmatique, et le cœur s’y conserve plus simple en même temps que le corps y devient plus sain. […] L’univers aboutit à ce centre ; comme un cœur où afflue le sang et d’où jaillit le sang, l’argent, les marchandises, le négoce, arrivent ici des quatre coins de la planète et coulent d’ici vers tous les bouts du globe. […] Par cette infusion de l’esprit moderne, il a reçu un nouveau sang, et le protestantisme aujourd’hui forme avec la science les deux organes moteurs et comme le double cœur de la vie européenne. […] À proprement parler, il n’y a qu’elle ; le monde est une figure qui la cache ; mais le cœur et la conscience la sentent, et il n’y a rien d’important, ni de vrai dans l’homme, que l’étreinte par laquelle il la tient.

1464. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

Le cœur peut-il devenir difforme et contracter des laideurs et des infirmités incurables sous la pression d’un malheur disproportionné, comme la colonne vertébrale sous une voûte trop basse ? […] À cœur sec, œil sec. […] Madeleine désire la racheter d’eux : faire chanter la nature, c’est le chef-d’œuvre des avares et des scélérats, c’est la question donnée aux cœurs d’une mère et d’un père. […] « Il n’y avait plus dans cette enceinte ni juges, ni accusateur, ni gendarmes ; il n’y avait que des yeux fixes et des cœurs émus. […] C’est de la critique philosophique, sociale, morale, historique ; c’est le soulèvement du cœur français contre l’ignobilité du mot qu’on lui prête.

1465. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Quelques juristes érudits l’avaient dans leur bibliothèque ; les ignorants avaient entendu parler de son nom ; mais il n’était dans l’idéal ou dans le cœur de personne. […] « L’air froid resserre les extrémités des fibres extérieures de notre corps ; cela augmente leur ressort et favorise le retour du sang des extrémités vers le cœur. […] L’action du cœur et la réaction des extrémités des fibres s’y font mieux, les liqueurs sont mieux en équilibre, le sang est plus déterminé vers le cœur, et réciproquement le cœur a plus de puissance. […] Mettez un homme dans un lieu chaud et enfermé : il souffrira, par les raisons que je viens de dire, une défaillance de cœur très-grande. […] De temps en temps, il voit juste, comme dans cette allusion à la France : « S’il y avait dans le monde une nation qui eût une humeur sociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer ses pensées ; qui fût vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente, souvent indiscrète, et qui eût avec cela du courage, de la générosité, de la franchise, un certain point d’honneur, il ne faudrait point chercher à gêner par des lois ses manières, pour ne point gêner ses vertus.

1466. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Tristan et Isolde, est, entre tous les drames, le plus humain : une profonde émotion poignait tous les cœurs, lorsque l’orchestre de M.  […] Malgré Bach et Haydn, ses premières amours, malgré Mozart, qui la tenta et faillit la séduire, malgré Beethoven, qui la pressa fortement sur son cœur en lui criant : « Oh ! […] C’est aussi l’éternelle angoisse des cœurs exilés sans retour de la maison où veille l’épouse et du foyer où sont les enfants. […] L’antique poésie populaire est dans son cœur : elle frémit dans sa tête ; elle enflamme son désir. […] Pour Mendès, cette métaphore du couple et de l’enfantement est le cœur même de la pensée de Wagner ce qui est très juste.

1467. (1900) Molière pp. -283

Devait-elle consulter son cœur ? […] Parce qu’elle l’appelle mon cœur et soigne très tendrement ce pauvre corps infirme. […] Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons ; Et vous devez du cœur dévorer ces leçons. […] Je trouve que le cœur est ce qu’il faut gagner. […] ——— À Saint-Flour, au cœur de l’Auvergne, on ne reconnaît point de gentilshommes.

1468. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — P.-S. » pp. 38-40

Alors une de ces dames lui dit que, si elle avait fait un pareil écrit, elle serait une sainte ; mais l’auteur, en moraliste avisé, répondit qu’il y a un pont bien large de l’esprit au cœur. […] C’est un prodige que la fécondité de ses vues pour la morale, sa pénétration dans l’esprit et dans le cœur humain, l’application heureuse et juste des exemples et des autorités de l’Écriture, son onction.

1469. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

A propos du cœur de saint Louis et de cette discussion entre M. […] Letronne, pour toute réponse au livre qu’il avait reçu de lui, quelques vers français dont on cite les deux premiers : On a donc retrouvé dans la Sainte-Chapelle Le magnanime cœur du perruquier l’Amour… Schlegel sait son Lutrin.

1470. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

de première classe), vous aurez maintes occasions d’être secourables aux pauvres gens, de faire payer pour eux les riches, de réparer ainsi, dans une petite mesure, l’inégalité des conditions et d’appliquer pour votre compte l’impôt progressif sur le revenu  Notaires (car il y en a ici qui seront notaires), vous pourrez être, un peu, les directeurs de conscience de vos clients et insinuer quelque souci du juste dans les contrats dont vous aurez le dépôt  Avocats ou avoués, vous pourrez souvent par des interprétations d’une généreuse habileté, substituer les commandements de l’équité naturelle, ou même de la pitié, aux prescriptions littérales de la loi, qui est impersonnelle, et qui ne prévoit pas les exceptions  Professeurs, vous formerez les cœurs autant que les esprits ; vous… enfin vous ferez comme vous avez vu faire dans cette maison  Artistes ou écrivains, vous vous rappellerez le mot de La Bruyère, que « l’homme de lettres est trivial (vous savez dans quel sens il l’entend) comme la borne au coin des places » ; vous ne fermerez pas sur vous la porte de votre « tour d’ivoire », et vous songerez aussi que tout ce que vous exprimez, soit par des moyens plastiques, soit par le discours, a son retentissement, bon ou mauvais, chez d’autres hommes et que vous en êtes responsables  Hommes de négoce ou de finance, vous serez exactement probes ; vous ne penserez pas qu’il y ait deux morales, ni qu’il vous soit permis de subordonner votre probité à des hasards, de jouer avec ce que vous n’avez pas, d’être honnête à pile ou face  Industriels, vous pardonnerez beaucoup à l’aveuglement, aux illusions brutales des souffrants ; vous ne fuirez pas leur contact, vous les contraindrez de croire à votre bonne volonté, tant vos actes la feront éclater à leurs yeux ; vous vous résignerez à mettre trente ou quarante ans à faire fortune et à ne pas la faire si grosse : car c’est là qu’il en faudra venir  Hommes politiques, j’allais dire que vous ferez à peu près le contraire de presque tous vos prédécesseurs, mais ce serait une épigramme trop aisée. […] Ils l’ont jugée imparfaite, mais ils ont dû ajouter que cette morale-là coïncide pourtant, sur bien des points, avec la morale du cœur.

1471. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La réforme prosodique » pp. 120-128

Sans s’embarrasser d’une barrière inutile, il donna au vers ternaire le droit de cité : Il a vaincu — la Femme belle — au cœur subtil… Néoptolème — âme charmante — et chaste tête… Et sur mon cœur — qu’il pénétrait — plein de pitié… Ces braves gens — que le Journal — rend un peu sots… Quoi que j’en aie — et que je rie — ou que je pleure… Rien de meilleur — à respirer — que votre odeur… Pour supporter — tant de douleur — démesurée… Pour, disais-tu, —  les encadrer — bien gentiment… Cette coupe nouvelle de vers, d’où l’on allait tirer des effets si imprévus, offrait toutes les garanties d’une réforme née viable, puisqu’elle était l’épanouissement naturel d’une idée lentement mûrie et qu’elle avait subi le contrôle à la fois du Génie et du Temps.

1472. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

. — Le Cœur (Jules Bois). — La Croisade (Émile Boubert). — Le Procope (Théo). — La Revue anarchiste (Charles Chatel et André Ibels). — L’Ère nouvelle (Georges Diamandy). — L’Escarmouche (Georges Darien). […] Charles Guérin : Le Cœur solitaire.

1473. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Godeau, de l’Académie française, évêque de Vence, ayant adressé à Voiture un défi de vers galants en honneur de cette belle personne, Voiture lui adressa ce rondeau fanfaron : Comme un galant et brave chevalier, Vous m’appelez en combat singulier D’amour, de vers et de prose polie ; Mais à si peu mon cœur ne s’humilie, Je ne vous tiens que pour un écolier ; Et fussiez-vous brave et docte guerrier, En cas d’amour, n’aspirez au laurier. […] Les sympathies et les antipathies naturelles sont des lois de la morale, intimées à tous les cœurs bien nés.

1474. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Mais d’où vient que mon cœur frémit d’un saint effroi ? […] Racine est peut-être au-dessus du poète latin, parce qu’il a fait Athalie ; mais le dernier a quelque chose qui remue plus doucement le cœur.

1475. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Enseignez-moi qui m’a dérobé mon âme, ma vie, mon cœur et toute mon espérance ? […] Qui se nourrit de cœurs, et ce n’est mon dessein De ressembler un monstre ayant deux cœurs au sein. […] Pourquoi, malgré moi-même, embrasez-vous mon cœur ? […] Corneille enfin va au cœur par l’esprit, Racine trouve le chemin de l’esprit par le cœur. […] Votre cœur l’a promis, voudra-t-il s’en défendre ?

1476. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Il la servit de tout son cœur, avec une fidélité fervente et qui n’eut jamais de relâche. […] Elle était belle, de vive imagination, de cœur prompt. […] On lui offrit un banquet à Saint-Sulpice ; on cria, de grand cœur : La paix ! […] Même, cela nous plaît et nous l’approuvons, de tout notre cœur qui en a vu bien d’autres. […] Et, de tout son cœur, il se fâcha.

1477. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Joséphine Beauharnais est apparemment la seule personne que Napoléon ait aimée de tout son cœur. […] Quand les princesses ont le cœur gros, on les étourdit par toutes sortes de tintamarres. […] L’amour, dès qu’il se décourage, a vite fait de se changer en haine dans le cœur des femmes romanesques. […] Il a retrouvé la vraie patrie de son esprit et de son cœur. […] Résolument, ils combattent ces dangers par un sacrifice volontaire, très douloureux au cœur des mères.

1478. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

C’est là qu’il vit, entre sa fille, ses livres, ses amis très choisis et ses rares compatriotes, allant de temps en temps en Russie visiter ses propriétés et raviver dans son cœur les souvenirs de son heureuse enfance ; cosmopolite par sa résidence, Moscovite par son cœur, homme éminent par tout. […] Il vint enfin en France, pays auquel il s’attacha par l’attrait du cœur et des arts. […] Son chant pénètre jusqu’au cœur. […] — De grand cœur, répondit le bon Pierre en le serrant dans ses bras. […] Boris causait à cœur ouvert avec Pierre comme avant son mariage.

1479. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Il faut qu’un Bossuet, un Fléchier soient là, en robe violette, qu’ils étalent sa généalogie, changeant sa niaiserie en grand coeur, versant à flots l’éloquence, et finissant par la mettre dans le ciel, auprès de Dieu le Père. […] Ils se soucient médiocrement de leur femme malade ; mais, sitôt que leur vache enfle ou ne mange plus, ils sont hors d’eux-mêmes ; tout à l’heure, ils disaient au médecin de ne pas venir ; à présent, ils courent chez le vétérinaire comme au feu ; plaie de coeur ou de corps se ferme, plaie d’argent saigne jusqu’au bout. […] La Fontaine ne songe à réhabiliter personne ; mais, quand vient l’occasion, il trouve ces traits pénétrants et cette pitié contagieuse qui prouvent qu’un homme d’esprit est aussi un homme de coeur. […] Marivaux trouvait Molière gros et grossier, bon pour le peuple, et prétendait suivre dans les recoins secrets du coeur des sentiments plus déliés et plus intimes. […] dit le seigneur : Je les reçois, et de bon coeur.

1480. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Vous avez beau dire, — le cœur, les sentiments… non ! […] me dit-il enfin : voilà un cœur d’or ! […] Il est vrai que cette famill… — Ce sont probablement des gens sans cœur ? […] C’était bien là un chant russe, un chant qui allait droit au cœur. […] La lumière se répand comme un torrent, et le cœur frémit comme un oiseau.

1481. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Les délicatesses de coeur, les gracieuses effusions de sentiment, la piété fraternelle, ne conviennent guère à la physionomie malicieuse et à la jolie démarche du léger oiseau. […] Il choisira parmi les oiseaux, « le peuple au col changeant, au coeur tendre et fidèle », la colombe compatissante qui jette un brin d’herbe à la fourmi qui se noie, qui met la paix entre les vautours ses ennemis. […] Aussitôt que la face des jours printaniers s’est découverte et que le souffle fécond du zéphyr délivré est dans sa force, les oiseaux de l’air, les premiers, ô déesse, annoncent ta venue, le coeur frappé par la puissance. […] « Comme des loups nourris de chair crue, qui ont dans le coeur une force invincible, ils ont dépecé dans les montagnes un grand cerf aux longues cornes ; ils le dévorent ; leurs joues sont rougies de sang. Ils vont en troupe à une source profonde pour laper avec leurs langues étroites la surface de l’eau noire, vomissant le sang du meurtre ; leur coeur ne tremble point dans leurs poitrine, et leur ventre chargé de viande gémit. — (Chant XVI, 15.)

1482. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

IX « Ce partage égal des lumières, des facultés et des dons de la nature est évidemment la tendance légitime du cœur humain. […] Je dois presque tout à un homme de cœur et de talent, son voisin, M. de la Sicotière, qui a fait, d’après nature et d’après les traditions encore vivantes, le portrait de son immortelle compatriote. […] Aucune faiblesse féminine, aucune défaillance de cœur, aucun frisson du corps, aucune pâleur des traits. […] De ce crime je n’efface rien, c’est l’histoire attendrie par le cœur du juge. […] Mais elle en tirera cette grande leçon : c’est que, quand l’opinion et la nature se combattent dans le cœur d’un citoyen, c’est la nature qu’il faut écouter ; car l’opinion se trompe souvent, et la nature est infaillible.

1483. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

» C’est le cri d’un cœur qui souffre. […] Son intelligence était faite autrement que son cœur, et il n’a rien fait passer de son cœur dans son intelligence. […] Elle l’est de cœur, et du fond de l’âme. […] Les Allemands l’ont dans le cœur autant que dans la tête. […] Lamartine, c’est tout ce que Racine avait dans le cœur.

1484. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Tous les mois Rosny fait sa visite à l’armée à la tête de son convoi : il fait voiturer avec lui cent cinquante mille écus pour la montre ou solde ; cette vue réjouit les cœurs, « tous les capitaines et soldats criant tout haut qu’il paraissait bien maintenant que le roi avait mis en ses finances un gentilhomme d’illustre maison, qui était bon Français, bon soldat et en avait toujours fait le métier, puisqu’il servait si bien le roi et la France… ». […] À un certain moment, il a une idée politique assez grande et qui est à lui, d’attaquer l’Espagne par le cœur et les entrailles, c’est-à-dire par les Indes, qui sont sa force ; mais en même temps il n’est pas d’avis que la France profite de la dépouille en colonisant ; il estime ces sortes d’entreprises lointaines disproportionnées au naturel des Français, « qui ne portent ordinairement leur vigueur, leur esprit et leur courage qu’à la conservation de ce qui les touche de près ». […] Or, combien que j’y reconnaisse une partie de ses défauts, et que je sois contraint de lui tenir quelquefois la main haute quand je suis en mauvaise humeur, qu’il me lâche ou qu’il s’échappe en ses fantaisies, néanmoins je ne laisse pas de l’aimer, d’en endurer, de l’estimer et de m’en bien et utilement servir, pource que d’ailleurs je reconnais que véritablement il aime ma personne, qu’il a intérêt que je vive, et désire avec passion la gloire, l’honneur et la grandeur de moi et de mon royaume ; aussi qu’il n’a rien de malin dans le cœur, a l’esprit fort industrieux et fertile en expédients, est grand ménager de mon bien ; homme fort laborieux et diligent, qui essaye de ne rien ignorer et de se rendre capable de toutes sortes d’affaires, de paix et de guerre ; qui écrit et parle assez bien, d’un style qui me plaît, pource qu’il sent son soldat et son homme d’État : bref, il faut que je vous confesse que, nonobstant toutes ses bizarreries et promptitudes, je ne trouve personne qui me console si puissamment que lui en tous mes chagrins, ennuis et fâcheries. […] Il a des combinaisons politiques, vastes et non chimériques, auxquelles son cœur ne fait pas défaut et dont aucune considération personnelle et privée ne le détourne.

1485. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

» Le grand cœur de saint Louis, son humanité toute chrétienne et toute fraternelle, se montre ainsi tout d’abord dans le récit de Joinville d’une manière bien touchante. […] Pour Henri IV, je crois que sinon par charité et humanité chrétienne, du moins par noblesse de cœur et point d’honneur de soldat, par bonne grâce de Béarnais, il aurait fait comme saint Louis. […] Cet abbé de Cheminon lui donne l’écharpe et le bourdon, et le voilà parti en pèlerin, pieds nus et en chemise, faisant visite à tous les saints lieux d’alentour, sans plus devoir rentrer à son château jusqu’à ce qu’il revienne de Palestine ; et en passant d’un de ces lieux des environs à l’autre, « pendant que j’allais, dit-il, à Blécourt et à Saint-Urbain, je ne voulus jamais retourner mes yeux vers Joinville, pour que le cœur ne m’attendrît pas trop, du beau château que je laissais et de mes deux enfants ». […] Ulysse, Joinville, Childe-Harold, ce sont trois époques du monde, trois âges du cœur humain à travers les siècles.

1486. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Loin de chercher à la rendre facile et à la portée de tout le monde, il en fait une sorte d’escrime où il prend trop d’avantage ; on le quitte mécontent de soi et de lui, et ceux dont il a blessé la vanité s’en vengent en lui donnant la réputation de méchanceté, et en lui refusant les qualités solides du cœur et de l’esprit… M. de Forcalquier n’était fat qu’à moitié, il lui manquait un grain de présomption : « Il ne consulte son goût et ses lumières sur rien ; il adopte les lumières et les sentiments de ceux qu’il croit le plus à la mode et les plus confirmés dans le bel air. » Duclos fut sans doute un de ceux qui le dominèrent pour un temps et qui lui imposèrent dans les choses de l’esprit ; on en sait bien peu sur ce salon de l’hôtel de Brancas. […] Il cherche l’estime et non les récompenses. » Duclos, en effet, n’a point ce désir de gloire qui, en admettant dans le cœur un peu de vent peut-être et une légère fumée, le remue, l’exalte et élève quelquefois tout l’homme au-dessus de lui-même. […] Chamfort, pour le caustique de l’esprit, aura beaucoup de Duclos en causant ; mais Duclos, pour l’envie, n’a rien de Chamfort dans le cœur. […] Le Français, selon lui, a un mérite distinctif : « Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le cœur se corrompe et que le courage s’altère. » Il voudrait voir l’éducation publique se réformer et s’appliquer mieux désormais aux usages et aux emplois multipliés de la société moderne ; il prévoit à temps ce qui serait à faire, et, connaissant le train du monde, il craint toutefois qu’on ne le fasse pas à temps : « Je ne sais, dit-il, si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer et hâter les progrès par une éducation bien entendue. » Duclos veut une réforme en effet, et non point une révolution.

1487. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Quant aux hautes sources de poésie ou à celles qui naissent secrètement du cœur, sentiments délicats ou croyances supérieures, il ne les a jamais blasphémées ; loin de là, il les a honorées et célébrées à la rencontre, et elles lui ont quelquefois inspiré en retour quelques accents qu’on a retenus : et malgré tout, on sent chez lui un vide à ces endroits essentiels, quelque chose de léger qui voltige de pensée en pensée comme de site en site ; il n’y habite pas. […] Les saints n’offrent pas de prières si ferventes, qu’il ne les égale par une dévotion pareille ; c’est la consécration de son cœur, de son âme, de son temps ; chaque pensée qui s’écarte lui semble un crime. […] Passez donc sans retard à des scènes plus actives, rassemblez les vérités éparses que glane l’étude ; mêlez-vous au monde, mais à ce qu’il a de plus sage ; ne donnez plus tout votre cœur à une idole, votre cœur ne lui appartient pas, il ne vous appartient pas à vous-même… Il décrit aussi, et pour l’avoir trop cruellement éprouvée, la manie maladive et la mélancolie funeste se cachant dans la solitude et y méritant toutes les tendres sympathies de la pitié ; puis les délices d’une convalescence où l’on jouit avec attendrissement de chaque beauté de la nature comme à un réveil du monde.

1488. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Un ver secret s’est glissé au cœur ; un venin subtil a rongé la trempe, le ressort principal n’existe plus. […] De tels éclats de rire déchirent le cœur, et, si spirituels que soient les gens, rien ne ressemble plus à des rires de fous, quand on sait quels écroulements il s’en est suivi et quels rochers menaçaient déjà de tomber sur toutes les têtes. […] Désappointé dans son espérance, il parle d’elle en termes nets, convenables, mais un peu sévères, et en homme qui est mort avant d’avoir vu les grandeurs touchantes et sublimes auxquelles l’infortune éleva ce noble cœur qui avait paru longtemps léger. […] mais dans un politique et un ministre qui a charge d’intérêts généraux et qui devrait avoir à cœur la grandeur ou le bien de la chose publique, il y a là un vice radical de caractère et qui ruine les autres qualités : il rit de tout.

1489. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

La voilà, cette occasion tant souhaitée, tes vœux constants se réalisent ; tu vas te rassasier le cœur de tous ces récits merveilleux. […] D’abord révolté, récalcitrant, ruant et fort roué de coups, voulant parler et crier à tous ce qu’il est, ce qu’il a sur le cœur, et ne parvenant qu’à braire, puis soumis et résigné, il n’a pas tardé à s’apercevoir que le plus sage pour lui est encore de faire son métier d’âne en conscience ; peu à peu, la curiosité aidant, il y prend presque plaisir et trouve çà et là, pour prix de sa patience, de petits dédommagements, jusqu’à ce qu’à la fin son mérite singulier le tire du pair et qu’il devienne un âne savant et tout à fait célèbre, un âne à la mode, un âne à bonnes fortunes. […] Dès qu’on est arrivé au repaire dans la montagne, au quartier général de tous les Mandrins de la contrée, les histoires de voleurs se succèdent et ne tarissent pas ; chaque bande qui arrive raconte la sienne, ses prouesses, ses pertes : il y a de fameux voleurs qui viennent de périr et qu’on exalte ni plus ni moins que des héros, Lamachus, Thrasyléon ; il faut entendre comme leurs compagnons en parlent, comme ils en sont fiers et en quels termes ils les déplorent : c’est à donner envie de se faire brigand, si l’on a du cœur. […] Elle ne rappelle nullement, d’ailleurs, le sens et l’intention métaphysique qu’on lui prête : c’est un joli nom de femme que Psyché, comme qui dirait mon cœur, mon âme, mon amour.

1490. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Dans la plupart des cas, en effet, avec les personnages connus, mais secondaires, de l’histoire, il faut se résigner à ignorer le fond, le secret des esprits et des cœurs, la valeur absolue des talents, la trempe des caractères : les actes publics sont là, on se règle de loin là-dessus, à peu près, et il est hasardeux de conjecturer au-delà. […] Le duc de Noailles se fit aimer de lui, il en prit la peine : ce raffiné musicien pinça avec lui les cordes qu’il savait lui tenir le plus au cœur, notamment la dignité des ducs si abattue. […] Saint-Simon qui l’avait pris un jour la main dans le sac et en flagrant délit de machination, pour perdre au début d’un règne quelqu’un dont il pouvait redouter la rivalité ou la contradiction, savait à quoi s’en tenir sur sa qualité morale, sur sa fibre de cœur : il suffit d’une seule occasion pareille pour avoir son jugement fixé sur la valeur morale foncière d’un homme qui peut, d’ailleurs, éblouir son monde et jeter de la poudre aux yeux des autres70. […] Il est l’antipode du courtisan ; on l’appelle à la Cour d’Argenson la bête : c’est bien lui qui a un fond de cœur de citoyen ; mais l’écorce est revêche, la parole rustique et rude, même grossière.

1491. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

On ne disserte point comme autrefois, à perte de vue, sur le sonnet de Job ou d’Uranie, sur la carte de Tendre ou sur le caractère du Romain ; mais on cause ; on cause nouvelles de cour, souvenirs du siège de Paris ou de la guerre de Guyenne ; M. le cardinal de Retz raconte ses voyages, M. de La Rochefoucauld moralise, Mme de La Fayette fait des réflexions de cœur, et Mme de Sévigné les interrompt tous pour citer un mot de sa fille, une espièglerie de son fils, une distraction du bon d’Hacqueville ou de M. de Brancas. […] L’éloignement n’avait fait qu’exalter sa tendresse ; elle n’avait guère autre chose à quoi penser ; les questions, les compliments de tous ceux qu’elle voyait la ramenaient là-dessus ; cette chère et presque unique affection de son cœur avait fini par être à la longue pour elle une contenance, dont elle avait besoin comme d’un éventail. […] Nous regretterons seulement qu’en cette occasion le cœur de Mme de Sévigné ne se soit pas davantage élevé au-dessus des préjugés de son temps. […] Toute sa passion de cœur fut comme tenue en réserve pour descendre ensuite et se reporter sur sa fille.

1492. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Il l’aborda de préférence par le genre des pastorales et des nouvelles, et lui emprunta Galatée (1783), qu’il traita avec liberté d’ailleurs, et qu’il accommoda selon le goût du temps, en y donnant une teinte plus récente de Gessner : « J’ai tâché, écrivait-il à ce dernier, d’habiller la Galatée de Michel Cervantes comme vous habillez vos Chloés : je lui ai fait chanter les chansons que vous m’avez apprises, et j’ai orné son chapeau de fleurs volées à vos bergères. » Ce roman pastoral, mêlé de tendres romances, réussit beaucoup : toutes les jeunes femmes, tous les amoureux en raffolèrent ; les sévères critiques eux-mêmes furent fléchis : « C’est un jeune homme d’un esprit heureux et naturel, écrivait La Harpe parlant de l’auteur de Galatée, et qui aura toujours des succès s’il ne sort pas du genre où son talent l’appelle. » Il est vrai que, peu de temps auparavant, le chevalier de Florian avait adressé au même M. de La Harpe des vers d’enthousiasme, au sortir de la représentation de Philoctète : Je ne sais pas le grec mais mon âme est sensible ; Et, pour juger tes vers, il suffit de mon cœur ! […]     Cela fait, et le bâtiment Mis à l’eau, le lapin entre tout doucement Dans le léger esquif, s’assied sur son derrière, Tandis que devant lui la sarcelle nageant Tire le brin de jonc, et s’en va dirigeant     Cette nef à son cœur si chère. […] En terminant ses Fables à une époque où déjà l’ancienne société française était bouleversée et en train de périr, Florian exprimait un vœu sincère, le désir vrai d’être oublié ; il souhaitait la paix secrète, la paix du cœur, un abri studieux, Le travail qui sait éloigner Tous les fléaux de notre vie ; Assez de bien pour en donner, Et pas assez pour faire envie. […] C’est là la véritable épitaphe de Florian, de cet homme heureux, de ce talent facile et riant, que tout favorisa à souhait dès son entrée dans le monde et dans la vie, mais qui ne put empêcher un jour l’inévitable douleur, l’antique douleur de Job, qui se renouvelle sans cesse sur la terre, de se faire sentir à lui, et de lui noyer tout le cœur dans une seule goutte d’amertume.

1493. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Mais bientôt, avec l’âge et le cours des événements, les sujets deviennent plus sérieux : à partir d’un certain moment, toute l’histoire et la politique de son temps y passent, et nous y assistons avec lui, c’est-à-dire par les yeux d’un témoin judicieux, éclairé, placé au meilleur point de vue, ni trop près ni trop loin de la Cour, qui ne se pique point de parler en homme d’État, mais qui apprécie et sent les choses de sa nation avec le cœur et l’intelligence de cette haute bourgeoisie, alors si intègre et si patriotique, et qui se pouvait dire le cœur même de la France. […] Pasquier, qui nous transmet cette noble tradition, ajoute : « Je crois que cette histoire est très vraie, parce que je la souhaite telle… et qu’elle soit empreinte au cœur de toute cour souveraine. » Tels étaient les grands exemples dont on se nourrissait en ce temps-là au Palais, et qui étaient, a dit excellemment M.  […] Le chef et le héros de cette haute magistrature au xvie  siècle, le premier président Achille de Harlay, dira au duc de Guise qui le venait visiter au lendemain des Barricades, et qui le trouvait se promenant tranquillement dans son jardin : « C’est grand pitié quand le valet chasse le maître ; au reste, mon âme est à Dieu, mon cœur est à mon roi, et mon corps est entre les mains des méchants : qu’on en fasse ce qu’on voudra ! 

1494. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Il avait reçu de la nature, nous dit son fils, un cœur délicat et sensible, avec un sang vif qui s’allumait aisément ; et, comme la promptitude n’est pas incompatible avec la plus grande bonté, il aurait pu être fort prompt, s’il se fût laissé aller à son tempérament ; mais ce n’était que son visage qui trahissait, malgré lui, une émotion entièrement involontaire. […] M. d’Aguesseau aurait préféré, nous dit son fils, rester dans la pure et véritable magistrature, et passer ses jours dans une charge de conseiller au Parlement de Paris, et il ajoute, en des termes qui rappellent l’hôtel Rambouillet plus subtilement qu’il ne convenait à un ami et à un disciple de Boileau : « Les maîtres des requêtes ressemblent aux désirs du cœur humain, ils aspirent à n’être plus ; c’est un état qu’on n’embrasse que pour le quitter… » Or, cette phrase étrange sur les maîtres des requêtes, comparés aux désirs du cœur qui aspirent à n’être plus, serait inexplicable chez un aussi bon esprit sans une phrase de saint Augustin qui dit cela, en effet, des désirs du cœur humain (sunt ut non sint).

1495. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Mais elle composait aussi, en ces années, des romances sentimentales très agréables, que chacun savait par cœur et qu’on applaudissait. […] Ne connaissant l’amour que par récit, le premier qui leur en parle émeut toujours leur cœur en leur inspirant de la reconnaissance ; et, dupes de cette émotion, elles prennent le plaisir de plaire pour le bonheur d’aimer. […] Dans ce roman gracieux, où il n’entre rien que de choisi et où elle a semé de fines observations de société et de cœur, Mme Gay s’est montrée une digne émule des Riccoboni et des Souza10. […] Comme la société pourtant et le cœur aiment les contrastes, il se mêlera, à cet amour avoué de la gloire et des exploits, des airs de rêverie et de romance.

1496. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

C’est à peu près comme si l’on disait : Il n’y a plus de roses, le printemps a rendu l’âme, le soleil a perdu l’habitude de se lever, parcourez tous les prés de la terre, vous n’y trouverez pas un papillon, il n’y a plus de clair de lune et le rossignol ne chante plus, le lion ne rugit plus, l’aigle ne plane plus, les Alpes et les Pyrénées s’en sont allées, il n’y a plus de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes, personne ne songe plus aux tombes, la mère n’aime plus son enfant, le ciel est éteint, le cœur humain est mort. […] Tant vaut le cerveau, tant vaut le cœur. […] Le nombre se révèle à l’art par le rythme, qui est le battement du cœur de l’infini. […] Identité de cœur, différence d’esprit ; tout est là.

1497. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre V. Séductions pour la compréhension de la psychologie indigène. — Conclusion »

De même, les contes gaillards nous confirmeront dans cette idée que la paillardise existe toujours — avouée ou non avouée — au fond du cœur de toutes les races. […] La voix du sang — cette voix du sang dont le mélodrame a tant abusé — parle éloquemment au cœur des jeunes noirs, si l’on en croit le conte intitulé « L’épreuve de la paternité », où les fils adultérins, bien qu’ignorant leur origine réelle, font franchir délibérément à leurs chevaux le corps du mari de leur mère, alors que les véritables fils se refusent à cette épreuve, malgré tous leurs efforts pour obéir à l’ordre formel de leur père. […] Souvent la sœur aînée abdique d’un cœur léger son rôle de protectrice d’un frère plus jeune (V. […] Cependant il semble résulter des contes que, loin de refuser aux fils, nés de captifs et d’hommes libres, l’intelligence et les qualités de cœur, on les oppose souvent, et à leur avantage, aux enfants issus de parents libres l’un et l’autre.

1498. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

L’éclat de nos armes rajeuni ; la bonne foi de nos négociations attestée par nos juges les plus prévenus ; la France replacée, parmi les autres nations, au rang qui lui appartient ; le trône à jamais raffermi sur un sol qu’aucune secousse n’ébranlera plus ; et le crédit public s’élevant à un degré de prospérité inouï parmi nous : voilà des faits réels, constants, irrécusables, qui ont ouvert bien des yeux et changé bien des cœurs. […] Nos cœurs n’y ont-ils pas toujours été ouverts, ne s’en sont-ils pas toujours nourris ? […] Peignez surtout le cœur humain, mais sans recherche et sans exagération : c’est un abîme, dit-on ; portez-y la lumière, au lieu d’en épaissir les ténèbres ; soyez-en les observateurs, les historiens, les romanciers : mais n’en soyez pas les Lycophrons et les Sphinx. Ayez horreur de cette littérature de Cannibales, qui se repaît de lambeaux de chair humaine, et s’abreuve du sang des femmes et des enfants ; elle ferait calomnier votre cœur, sains donner une meilleure idée de votre esprit.

1499. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

mais c’est un Alceste, un misanthrope de cœur qui hait parce qu’il aime, un dégoûté parce qu’il a du goût, un pessimiste d’optimisme impossible, qui trouve tout mauvais parce qu’il voudrait tout trouver bon ! […] Il a planté là insoucieusement l’opinion publique, les goûts publics, les femmes qui deviennent de plus en plus des choses publiques, et il s’est plongé, d’un magnifique élan, dans l’innocence, la pureté, tous les azurs, tous les éthers, toutes les modesties, toutes les naïvetés des cœurs simples, toutes les célestes gaucheries, comme Léandre se jetait dans l’Hellespont pour aller retrouver sa pauvre Héro sur le rivage solitaire ! […] Ce sont des cœurs vierges prêts à la tendresse ou des cœurs épris prêts aux sacrifices, d’adorables jeunes filles et d’adorables femmes mariées ; mais la chrétienne dans le sens rigoureux, et, disons le mot à scandale !

1500. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Elle n’est point cette abeille… de l’Hymette, si vous le voulez, qui introduit délicatement sa trompe dans le cœur d’un livre à travers le dos de l’auteur et qui laisse dans la blessure assez de miel pour l’empoisonner. […] Sous sa main, elle était devenue humaine ; elle écoutait aux portes du cœur ; et pas de doute que si son cœur, à lui, avait souffert, si la destinée lui avait fait goûter à ses savoureuses amertumes, si la divine Marâtre qu’on appelle la Douleur lui avait mis au front ce baiser mordant qui le féconde, pas de doute que comme critique même (comme écrivain, ce n’est pas douteux), il aurait été plus profond et plus grand… L’homme n’est jamais assez intellectuel pour pouvoir se passer de sentiments, et les plus forts sont les sentiments blessés. Les plus beaux génies, ces fleurs pourpres qui s’épanouissent dans le cerveau, ont leurs racines dans le sang de nos cœurs, et ce que les Livres Saints appellent : « le sel de la sagesse », n’est probablement que le sel des pleurs que nous avons répandus !

1501. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Il en a reçu l’incrédulité aux Dieux et la négation de l’âme spirituelle, le culte de la matière et l’indifférence sur la vertu, toutes les croyances en un mot qui sont ennemies de l’enthousiasme et devraient éteindre l’imagination comme le cœur. […] ils ont senti ton retour, atteints au cœur de ta flamme. […] et, par les mers, les monts, les fleuves impétueux, les retraites ombragées des oiseaux et les vertes campagnes, jetant l’attrait de l’amour dans tous les cœurs, tu donnes à tous les êtres l’ardeur de perpétuer leur race. […] « Il est vrai172, tu ne te verras plus accueilli d’une Il famille joyeuse et d’une excellente épouse : ils n’accourront plus, ces chers enfants, se disputer tes baisers et remplir ton cœur d’un charme secret : tu ne pourras plus, par ton courage, prêter force à toi-même et aux tiens.

1502. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

Dès les premiers jours d’avril 1814, un parti exagéré et qui n’était que l’organe le plus fidèle, le plus selon le cœur de l’ancienne race royale, prétendait forcer la main aux pouvoirs intermédiaires et encore arbitres de la situation, et obtenir la rentrée de plein droit et sans condition aucune. […] L’abbé de Montesquiou le dit un jour très vivement au roi, à propos de M. de Blacas : « Votre Majesté ne doit pas oublier que, si les Français ont passé à leurs souverains toutes leurs maîtresses, ils n’ont jamais pu supporter un favori. » La politique de Louis XVIII, à son meilleur temps, fut viciée au cœur par le favoritisme. […] Peu d’orateurs alors improvisaient ; on arrivait avec son discours écrit, on le lisait ou on le récitait par cœur : d’où il résultait que, de part et d’autre, on se contredisait sans précisément se répondre.

1503. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Elle eut de nobles amitiés auxquelles elle resta fidèle, et elle offrait ce caractère singulier que la raison se mêlait chez elle au cœur sans l’étouffer, sans pourtant lui laisser prendre jamais le dessus. […] Je ne sais pas comment vous l’accueillerez, mais ce mot est trop gravé au fond de mon cœur pour que je résiste au besoin de vous l’adresser. — J’attendais vos paroles avec confiance, mais non pas sans impatience. — Je remercie Dieu et vous d’avoir encore eu la fortune de les pouvoir entendre avant ma dernière heure. — L’excellent ami dont la perte me laisse si bereaved en toutes choses était une des personnes qui vous jugeaient le mieux et vous portaient le plus d’intérêt : il méritait d’être aussi bien apprécié par vous. […] Elle est marquée à tout jamais dans mon respect, dans mon esprit et, permettez-moi d’ajouter, dans mon cœur.

1504. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Musset avait écrit dans Carmosine : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Mais au point de vue du nombre, la faute, qu’on lui faisait commettre était encore plus grave ; car ces vers forment une strophe de six vers couplés, menés deux à deux, avec, ce qui est très conforme aux lois générales du rythme, un repos assez fort après le premier distique, un repos un peu moins fort, mais un repos encore, après le second distique : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, || Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, | Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Depuis le jour où le voyant vainqueur D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, | Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens lourdement oppressée.

1505. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

Ce ne fut pas qu’une révolution dans le style, le rythme ou la rime ; ce fut une révolution jusqu’au fond des imaginations et des cœurs. […] C’était un pur succès de cœur, une indicible volupté ! […] Tout ce que j’estime, moi, l’erreur ou l’égarement de Lamartine, la duperie de son cœur, une imagination qui n’aurait dû créer que dans l’ordre de la pensée, constitue pour M. de Lacretelle la gloire de l’homme qui n’avait plus rien à demander à la gloire après les Méditations et les Harmonies.

1506. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VI. M. Roselly de Lorgues. Histoire de Christophe Colomb » pp. 140-156

Comme catholique, il était dans son droit, et tout catholique doit applaudir à cette manière d’écrire l’histoire ; mais, nous ne serions pas catholique de cœur et de tête, de réflexion et de foi, que nous applaudirions encore à l’inspiration résolue d’un esprit et d’un livre qui du moins sait prendre le taureau par les cornes, ne dût-il pas le renverser ! […] Il n’est pas un côté de cerveau, de cœur, de visage de son bien-aimé grand homme, qu’il n’ait inondé de lumière, et, de quelque côté qu’il se soit tourné, il a toujours trouvé la beauté immuable, la majesté du Saint, éternellement aux ordres de Dieu et en sa présence. […] Dieu, qui ne doit à ses serviteurs que des épreuves, lui donna le bonheur du cœur aussi tard que la gloire, — cette gloire si triste, malgré son éclat, qui se lève sur nous, quand nous, nous baissons vers la tombe !

1507. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Le comte de Gasparin était, malheureusement, protestant, — mais nous arrivons à ce moment épouvantable dans les croyances et dans les mœurs, où ceux qui ont gardé, à travers toutes les méconnaissances, toutes les erreurs et toutes les révoltes, un pauvre atome de foi chrétienne dans leur esprit et dans leur cœur, ont, de cela seul, une supériorité relative qui les met bien au-dessus de la tourbe des écrivains de la libre incrédulité. […] Il croit atteindre, à travers ce Pape, l’Église, à la tête et au cœur… Comme, pour lui, le comte de Gasparin, l’Église romaine est une institution faite de main d’homme ou gâtée par la main des hommes, on ne dira pas (a-t-il dit) qu’il la diminue en la concentrant dans le plus glorieux et le plus heureux de ses pontifes, et il le prend, ce grand homme, pour déshonorer l’Église dans sa grandeur même. […] Ce sont des hommes d’ordre surnaturel, prêchant des doctrines surnaturelles, et y mêlant, quand ils sont des Massillon et des Bourdaloue, des torrents de notions sur le cœur humain, qu’ils tiennent et tordent dans leurs chirurgicales mains de confesseurs.

1508. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

La sonnette du lépreux s’entendait avant qu’on ne vît le pauvre malade… M. l’abbé Mitraud, qui a, selon nous, dans la pensée, la contagion des maladies spirituelles contemporaines, fait entendre à nos cœurs et à nos esprits une triste sonnette dans ce premier écrit, où sa personnalité philosophique, c’est-à-dire sa théorie, ne paraît pas encore, mais s’annonce. […] … Oui, pourquoi ce livre où on cherche en vain ces idées fortes, sensées, pratiques, allant au cœur de la réalité, les idées enfin d’un prêtre catholique qui vient, après les philosophes, parler société à son tour ? […] Cependant, nous l’avons dit au commencement de cet article, M. l’abbé Mitraud a du talent, et un talent dans lequel il entre du cœur.

1509. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Son cœur est toujours agité d’une incessante compassion pour la souffrance humaine. […] Je vous serre les deux mains de bien grand cœur.‌ […] Tu as pris son cœur avec le craquement de ta chaussure… Tu hennissais comme une cavale. […] A force de les ruminer dans sa tête, il finissait par les apprendre par cœur. […] Déjà l’automne, chère aux cœurs amers, arbore ses feuillages formés de métaux inconnus.

1510. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Notre siècle, après les excès philosophiques qui ont signalé la fin du précédent, est devenu prudent à bon droit dans ces considérations générales ; les cœurs honnêtes ont peur de toute témérité, et il semble même qu’on aime à s’en tenir, dans cette sphère élevée, aux apparences lumineuses, aux traditions générales et aux impressions premières du sentiment, plutôt que de les décomposer et de creuser trop avant, comme si l’on n’était pas sûr de pouvoir recomposer ensuite ce qu’on aurait trop indiscrètement analysé. […] En recueillant ses remarques sur le cœur, sur les femmes, et sur les sujets qui touchent aux passions, il s’est surtout inquiété d’être dans le vrai et de ne point dépasser dans son expression la mesure de ses propres jugements : « Je me suis rarement inquiété, dit-il, de savoir si d’autres m’avaient devancé, ni jusqu’où ils avaient pénétré : ma crainte était plutôt de m’égarer que de montrer comme nouvelle une voie déjà parcourue.

1511. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « I » pp. 1-8

Ce cœur de soixante ans a de folles ardeurs, mais des ardeurs que les cœurs de vingt ans n’ont plus.

1512. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

L'abbé Cœur doit, dit-on, répondre dans sa chaire de Sorbonne et louer Loyola. […] Tout ce qu’il y a de jeune dans le catholicisme en France, tout ce qui est arrivé là par l’imagination, par les idées absolues, par les systèmes, par la tête plutôt que par le cœur, par la mode, les disciples des cathédrales et de l’art chrétien, les convertis du Saint-Simonisme enclins à la théocratie, les hommes venus là au sortir du jacobinisme révolutionnaire ou même sans en sortir (et il y a un noyau dont le type est Buchez), tout cela forme une milice ardente, violente, ou même légère, qui parade dans les églises aux Semaines Saintes, qui guerroie dans les journaux, et qui essaye le tapage aux cours.

1513. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VI. De l’envie et de la vengeance. »

Ce qu’on a le plus de peine aussi à supporter dans l’infortune, c’est l’absorbation, la fixation sur une seule idée, et tout ce qui porte la pensée au-dehors de soi, tout ce qui excite à l’action, trompe le malheur ; il semble qu’en agissant, on va changer la situation de son âme, et le ressentiment, ou l’indignation contre le crime étant d’abord ce qui est le plus apparent dans sa propre douleur, on croit, en satisfaisant ce mouvement, échapper à tout ce qui doit le suivre ; mais en observant un cœur généreux et sensible, on découvre qu’on serait plus malheureux encore après s’être vengé qu’auparavant. […] Certes, le plus bel exemple qui put exister de renonciation à la vengeance, ce serait en France, si la haine cessait de renouveler les révolutions ; si le nom Français, par orgueil et par patriotisme, ralliait tous ceux qui ne sont pas assez criminels pour que le pardon même ne fût pas cru de leur propre cœur.

1514. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Ils assoupliront la rudesse de leurs esprits masculins ; ils dépouilleront leur logique d’une certaine âpreté sèche et brutale ; ils comprendront ce qu’a d’efficace pour persuader et convaincre cette force subtile qui ne s’analyse pas, la sincérité d’un cœur ému ; capables de poursuivre méthodiquement la vérité, ils acquerront de plus le sens de ces choses insaisissables, que nulle méthode ne révèle, et qui sont presque toute la beauté, dans la littérature comme dans l’art ; enfin, ils gagneront insensiblement cette politesse de l’esprit, qui ne se rencontre pas toujours avec la culture, et qui rend la science aimable. […] Mme de Maintenon lui dit : “Mais n’avez-vous rien dans le cœur pour lui dire ?

1515. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Rêveries sur un empereur »

Quand ce désir de justice et de charité s’est emparé d’un cœur profondément sincère et pur, on ne lui fait pas sa part. […] que je voudrais que cet Empereur eût le cœur pur, sincère, héroïque, qu’il l’eût jusqu’à l’oubli des préjugés de sa situation et de sa race et jusqu’au sacrifice complet de sa personne, s’il le fallait !

1516. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

De tranquilles lumières sont entrées dans son cœur et veulent en sortir ayant pris une voix. […] Car ce qu’il ne dit pas, ce que nous devinons, ce sont les inflexibles règles de vie consciencieuse que ce libre esprit a su se découvrir, qui l’ont pacifié, qui l’ont amplifié, et l’ont naturellement amené jusqu’au cœur de la race.

1517. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Camille Mauclair Un berger ivre de soleil et de thym, mais dont les moutons auraient égaré leurs bêlements sur le chemin de la lumineuse Damas, c’est peut-être tout Saint-Pol-Roux, poète simple à la ferveur gaie, en qui se recèle un adorateur farouche de la Pourpre… Voici un homme au cœur vrai, pour qui le monde visible existe, tumultueux traineur d’images de pierreries dans la sèche politesse de nos logiques latines, j’ai dit ailleurs : le Monticelli des lettres. […] Un oiselet, se trompant à voir ce bras sec ainsi qu’une branche d’hiver, s’y perche, puis se réfugie au centre de la cage vide du thorax, pour y palpiter à la place d’un cœur, pour y expirer un parfum de compassion, de joie vivante et d’amour.

1518. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

Evremont ne sont pas supportables, quoiqu’ils fourmillent de pensées ; tandis qu’un seul trait, un seul tour, une seule image échappée au Génie poétique, attache l’esprit, échauffe le cœur, & y laisse des impressions profondes. […] L’immortel Fénélon n’a pas eu besoin de s’assujettir aux regles de la mesure & de la rime pour être Poëte, & ce n’est que parce qu’il est Poëte, qu’il se fait lire avec intérêt, & que tout ce qu’il dit s’insinue profondément dans le cœur.

1519. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Démosthéne, et Eschine. » pp. 42-52

Accorder ce triomphe à Démosthène, c’étoit enfoncer le poignard dans le cœur d’Eschine. […] Ils lui firent dresser une statue d’airain, avec cette inscription ; Si la force eût toujours secondé ton grand cœur, La Grèce n’eût jamais fléchi sous un vainqueur.

1520. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Pline le jeune & Tacite n’avoient qu’un cœur. […] Mais les plus ardens étoient Bavius & Mœvius, deux écrivains moins décriés encore par la platitude & l’ennui de leurs ouvrages, que par les travers de leur esprit & la malignité de leur cœur.

1521. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’Empereur Néron, et les trois plus grands poëtes de son siècle, Lucain, Perse & Juvénal. » pp. 69-78

Il est plus d’un exemple de cette contradiction du cœur humain. […] Quand il n’auroit point eu le cœur d’un monstre, sa métromanie seule pouvoit être un fléau pour ses peuples.

1522. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Il détestoit Pope dans le fond du cœur ; mais il prenoit sur lui de le ménager au dehors. […] Quel homme que celui dont le caractère est une contradiction honteuse, une vile antithèse, animal équivoque, ayant, en même temps, la tête occupée de riens & le cœur rempli de crimes. » Si Pope eût voulu mépriser d’indignes ennemis & leurs cris impuissans, il se fût épargné bien des chagrins.

1523. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

Il n’est rien sorti de ses mains qui ne respire l’amour du vrai & de l’humanité, une philosophie lumineuse, les graces du stile, le bon goût, une grande connoissance du cœur humain. […] « Ses talens, ses malheurs, & ce que j’ai oui dire ici de son caractère, ont banni de mon cœur tout ressentiment, & n’ont laissé mes yeux ouverts qu’à son mérite. » *.

1524. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 3, de la musique organique ou instrumentale » pp. 42-53

Quintilien après avoir dit qu’on faisoit un grand usage de la musique dans les armées lacedemoniennes pour exciter l’ardeur martiale dans le coeur des soldats, ajoûte : " les trompettes et les cors qui sont dans nos légions servent-ils à autre chose ? […] Comme la sensibilité du coeur est égale ordinairement à celle de l’oreille, les habitans des païs situez sur la mer égée et sur la mer Adriatique sont aussi naturellement plus disposez à se passionner que nous.

1525. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Léon Cladel »

La patrie, cette patrie qui n’a que quelques pieds d’horizon et qui a porté notre berceau, qui nous entre par les yeux dans le cœur aux premiers moments de la vie, et qui est comme le cœur concentré de l’autre et grande patrie, est entrée trop avant en lui pour que son talent puisse exister sans elle.

1526. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Des impulsions de la nature au cœur de l’homme est sorti le salut, c’est-à-dire le réveil du corps, du cœur, du cerveau.

1527. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Les esprits faux sont insupportables, & les coeurs faux sont en horreur. […] Le foible du coeur n’est point le foible de l’esprit ; le foible de l’ame n’est point celui du coeur. […] Dire son avis avec liberté, c’est ne pas craindre ; le dire avec franchise, c’est n’écouter que son coeur. […] Parler avec trop de liberté, c’est marquer de l’audace ; parler avec trop de franchise, c’est trop ouvrir son coeur. […] Ceux qui ont approfondi le coeur humain en diront davantage sur ce petit article.

1528. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Ainsi Béranger, ainsi Lamartine, dans les œuvres premières qui, seules encore, quoi qu’ils fassent, resteront l’honneur original de leur nom, apparurent comme l’organe soudain et comme la voix d’un grand nombre qui crurent tout aussitôt reconnaître et qui applaudirent en eux des échos redoublés de leurs propres cœurs. […] « Qu’on cesse donc de s’étonner, écrivait M. de Rémusat en terminant, si ceux que tourmente l’amour de ce qu’ils croient la justice ont consacré publiquement, leur voix à répandre dans tous les cœurs le sentiment qui les anime. […] … La liberté, la dignité nationale, cette conséquence de la liberté, de la dignité de l’espèce humaine, est une croyance assez grande et assez belle pour remplir un cœur et relever toute une vie… » Voilà des accents. […] Ce point obtenu, placé au cœur du mouvement politique, ami personnel de tous les hommes dirigeants, il fut longtemps avant de se décider aux fonctions officielles ; même quand il appuie et quand il conseille le pouvoir, c’est encore le rôle libre qui lui va le mieux. […] Thiers dans le cabinet du 1er mars (1840), il est sorti de là de cet air de bonne grâce et d’aisance qui ne surprend personne, et on n’a pas même l’idée de louer en lui le désintéressement, tant cette élévation de cœur lui semble facile.

1529. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Je dirai plus, ces immutabilités d’opinion sont une offense à Celui qui a fait de la vie un enseignement à tous les âges, un refus de prêter l’oreille, l’esprit, le cœur à Celui qui nous éclaire par l’expérience, depuis le premier jour où l’homme pense et doute jusqu’au jour où il cesse de penser et de douter. […] Bien entendu que cette théorie du changement s’applique à l’esprit, mais non au cœur ; que le changement doit être désintéressé et non vénal ; que tout changement qui consiste à abandonner une cause vaincue parce qu’elle est vaincue est une lâcheté ; que tout changement qui consiste à s’allier à une cause victorieuse parce qu’elle est victorieuse est une abjection de caractère ; que changer par ambition, c’est une suspicion légitime de vice ; que changer par cupidité de fortune, est une vénalité du cœur qui déshonore la vérité même ; que changer d’amis quand la fortune les trahit, est une versatilité d’affection qui prouve la courtisanerie de l’âme. […] Sorti de la Restauration avec d’amers regrets de sa chute, adversaire de cœur de la royauté de 1830, ennemi trop honnête cependant pour m’allier avec les factions, ou légitimistes, ou révolutionnaires, qui conspiraient la ruine de cette royauté sans avoir à offrir à sa place qu’une anarchie au pays, je vivais dans le vague et je parlais sans échos. […] Dupin et les Orléanistes auraient bien ri, le lendemain, d’un légitimiste de cœur refaisant après coup une seconde révolution de 1830, et réinstallant une seconde monarchie d’Orléans, pour l’attaquer le surlendemain ! […] Le parterre de Paris vaut mieux aussi que le parterre d’Athènes : vous en êtes la preuve, vous et vos jeunes amis, puisque la fausse apparence seulement d’une raillerie mal comprise m’a valu, de la part de cette jeunesse si délicate et si généreuse, une protestation qui honore son cœur et relève le mien !

1530. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Une clarté, une limpidité parfaite, qui tient souvent à ce qu’on ne va pas jusqu’au fond du sentiment dernier et obscur, ou à ce qu’il n’y a pas de sentiment, pas de cœur, rien que des idées, des motifs puérils ou raffinés, des surfaces. […] C’est au nom de la science que nos romanciers se disent pessimistes, mais la science n’est pessimiste que par les inductions qu’on en tire ; et peut-être bien que l’étude du cœur humain est, de toutes, celle qui doit encore le moins porter au pessimisme. « As-tu réfléchi, écrit Flaubert jeune, as-tu réfléchi combien nous sommes organisés pour le malheur ? […] Là, devant ces plaques rappelant les noms des Gaos morts en mer, son amour devient plus fort, prend à jamais racine dans son cœur : il prévoit l’au-delà et il va par-delà la mort. […] « Le cœur tremblant, mais cependant résolu à périr ou à la voir, il jeta de petits cailloux contre le volet ; point de réponse. […] Malheureusement les œuvres de ces romanciers portent trop souvent sur des conventions et sur des niaiseries.La vie mondaine est celle où le cœur et la pensée ont assurément le moins de part.

1531. (1883) Le roman naturaliste

Il n’existe pas de cœur qui n’ait jamais battu, d’intelligence qui n’ait jamais pensé, d’imagination qui n’ait jamais rêvé. […] Voici, par exemple, un Cœur simple. […] Et, comme on a mis en appendice le compte rendu du procès intenté naguère à l’auteur (témoignage officiel de l’innocence de son cœur et de la pureté de ses intentions), on y mettra désormais un Cœur simple, qui dira quelles patientes études, quelles monographies laborieuses ont permis à M.  […] - Va, de tout mon cœur, des coups de pied ! […] Le bourgeois a écrit un Cœur simple, l’Éducation sentimentale, le Candidat et le Château des cœurs, — autant d’œuvres manquées encore.

1532. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Le meurtre du duc d’Enghien avait tout à fait séparé ce jeune cœur religieux d’un pouvoir impudemment despotique, et, à partir de ce jour, il n’éprouva plus que le sentiment graduel d’une oppression croissante. […] L’esprit révolutionnaire, en pénétrant un esprit très-bien fait et un cœur excellent, a produit un ouvrage hybride qui ne saurait contenter en général les hommes décidés d’un parti ou de l’autre. […] … » Tout ce morceau est d’une haute vigueur de pensée et d’une belle effusion de cœur : je me figure le geste clément de Fénelon s’il avait béni le cercueil de Bossuet et proféré son oraison funèbre. […] Jules Bastide et signée de tous deux, dans laquelle il m’était signifié que tous les hommes de cœur avaient vu avec étonnement et indignation cet article sur Ballanche. […] Cet ami dévoué lui avait été présenté à Lyon ; il était fils d’un imprimeur et l’ami intime de Camille Jordan, le grand orateur, lequel, jaloux de lui assurer la bienveillance de sa belle amie, avait raconté son histoire qui était celle d’un cœur déçu.

1533. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

La force du cœur et du corps donne l’ascendant qu’elle justifie, et la surabondance de sève, qui commence par des violences, finit par des bienfaits. […] L’homme compatit aux maux dont il est le témoin ; il faut l’absence pour en émousser la vive impression ; le cœur en est touché quand l’œil les contemple. […] C’est pourquoi le grand seigneur qui sort de la première ne peut entrer dans la seconde ; il reste absent, au moins de cœur. Sombre aspect que celui d’un pays où le cœur cesse de pousser le sang dans les veines. […] C’est le bon villageois, doux, humble, reconnaissant, simple de cœur et droit d’esprit, facile à conduire, conçu d’après Rousseau et les idylles qui se jouent en ce moment même sur tous les théâtres de société86.

1534. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Mes cheveux sont courts, pour n’en être pas embarrassé, mais mon cœur est bon. […] Quelquefois cette cruelle énergie bout au fond du cœur de l’homme, et l’homme s’ennuie jusqu’à ce qu’il ait apperçu l’objet de sa passion ou de son goût. […] C’est là que je sonde mon cœur ; c’est là que j’interroge le sien, que je m’alarme et me rassure. […] Si mon âme est prévenue d’un sentiment tendre, je m’y livrerai sans gêne ; si mon cœur est calme, je goûterai toute la douceur de son repos. […] ô censeur qui résides au fond de mon cœur, tu m’as suivi jusqu’ici.

1535. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Mettez la main sur votre cœur et dites-nous s’il est bien vrai que vous consentiez « à ignorer, afin que l’avenir sache » ? […] Il s’agit de la vie : l’ouvrage le plus vivant lui-même n’est-il pas celui qu’il faut savoir par cœur, ou mourir ? […] Faire une œuvre qui ne continue pas seulement, par son titre, à témoigner aux hommes qu’un jour nous existâmes, mais qui, éternellement lue et méditée par eux, conserve en pleine vie le meilleur de nous-mêmes, notre esprit, notre âme, notre essence, versant de génération en génération le plus pur sang de notre cœur dans le cœur de l’humanité ! […] Fonder sa gloire sur de telles assises, c’est plus que saisir l’occasion ; c’est s’insinuer au cœur même de la patrie et s’y faire à jamais sa place comme poète essentiellement national. […] Il y a, dans les gloires humaines, des renouvellements de bail qu’on ne doit point confondre avec la possession tranquille et ininterrompue du cœur de la postérité.

1536. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Nisard, bon sens, sagesse pratique, droiture et honnêteté de l’esprit et du cœur. […] Mais tout son corps délicat se refuse, au moment même où son cœur fraternel se donne. […] répulsion de classes, encore qu’il y ait union des cœurs. […] Il s’amusait de tout son cœur. […] Il allait ratiociner, discuter et faire de la dialectique de tout son cœur.

1537. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [III] »

Dans ses imitations d’Horace, on peut trouver qu’il est bien prompt à chanter victoire et à entonner son exegi monumentum dès le premier pas et au point de départ : c’est une façon un peu artificielle, et propre de tout temps aux jeunes écoles, de s’échauffer entre soi et de se donner du cœur. […] Là encore, il a l’honneur, du moins, de devancer la plus noble des imitations modernes, André Chénier dans cette belle élégie : Ô Muses, accourez, solitaires divines… Mais n’allons point nous amuser, après tant d’années, à épeler de nouveau Du Bellay pour les quelques bons vers ou les quelques passables strophes de sa première manière ; c’est dans sa seconde qu’il devint tout à fait lui-même ; que, croyant la gageure perdue et détendant son effort, il se mit à chanter pour lui et pour quelques-uns dans une note plus voisine de son cœur ; et dès lors, l’expérience aidant, le sentiment intime l’emportant sur la volonté et sur le parti pris, il trouva sa veine. […] Le poète les écrit, dit-il en commençant, comme il écrirait un journal : Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret : Je me ris avec eux, je leur dis mon secret Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires. […] Mais toutes nos sympathies restent acquises au cœur du poète qui nous a révélé si à nu ses sentiments et livré sous forme de rimes ses confessions. […] Ce désastre avec le parlement de Madame qui, à ce que j’entends, est pour s’en aller bientôt ès pays de Monseigneur le duc son mari, m’a tellement étonné et fait perdre le cœur que je suis délibéré de jamais plus ne retenter la fortune de la Cour, m’ayant nescio quo fato été jusques ici toujours si marâtre et cruelle, mais abdere me in secessum aliquem, avec cette brave devise pour toute consolation : Spes et fortuna, valete.

1538. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Il aura des tendresses délicieuses : il aimera ses amitiés et ses amours, c’est-à-dire lui-même ami et amant, infiniment plus que ses amis ou ses aimées ; il s’aimera effrénément dans l’image splendide que d’ardentes affections lui renverront de son être : une de ses voluptés choisies fut de se mirer dans un cœur qu’il remplissait. […] Le courant se rétablissait entre l’idée du Dieu catholique desséchée au fond des cœurs et tous les éléments actifs de la vie morale : l’escamotage logique devenait une suggestion puissante. […] « Qu’il fasse son métier, écrivait-il, qu’il nous enchante653. » Faute de mieux, Chateaubriand s’y rabattit : il trouva le chemin des cœurs, parce qu’il suivit la méthode de son cœur. […] Les paysages de Chateaubriand En lui, il trouve pourtant quelque chose qui n’est pas lui, une représentation du monde extérieur ; et traduisant toutes les sensations de son œil comme il traduisait les sentiments de son cœur, il a écrit les plus belles pages de son œuvre.

1539. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

… Ainsi qu’un flambeau qu’on ne fait que d’éteindre, Si le feu s’en approche, est aussitôt repris ; Dans mon cœur chaud encore un brasier s’est épris Voyant votre bel œil qui les cieux peut contraindre… Les secondes amours de Desportes sont, comme les premières, fort mal récompensées, et finissent par une absence. […] Puis j’avois soutenu le regret et la rage D’aimer plus que mon cœur une dame volage ; J’avois été jaloux, insensé, furieux, Portant la glace au cœur et le feu dans les yeux ; Et si quelque autre peine en réserve se treuve Ainsi qu’il me sembloit, j’en avois fait l’épreuve. […] C’est à l’imitation étrangère qu’appartiennent ces désespoirs, ces alternatives de feu et de glace, ces cœurs Meurdris, couverts de sang, percés de toutes parts, Au milieu d’un grand feu qu’allument des regards ; ces vies « ravies par des yeux foudroyants, ces yeux « où le beau soleil tous les soirs se retire » ; ces plaies incurables, et tout ce détail du martyre amoureux : … les angoisses mortelles, Les diverses fureurs, les peurs continuelles Les injustes rigueurs, les courroux véhéments, Les rapports envieux, les mécontentements etc.  […] Que si le soin public lui laissoit du loisir, Il ne l’employoit point en un plus doux plaisir Qu’en celui que le fruit d’une étude si sainte Fait savourer aux cœurs où Dieu grave sa crainte.

1540. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

C’était un homme de cœur, un écrivain assez habile, mais le fond était nul. […] Ses lettres me déchiraient le cœur. […] Quand elle m’écrivait cela, mon cœur était navré. […] L’étranger même m’a aidé dans mon œuvre autant que mon pays ; je mourrai ayant au cœur l’amour de l’Europe autant que l’amour de la France ; je voudrais parfois me mettre à genoux pour la supplier de ne pas se diviser par des jalousies fratricides, de ne pas oublier son devoir, son œuvre commune, qui est la civilisation. […] C’est Renan sain d’esprit et de cœur, comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute.

1541. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

* * * Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles ne touchent pas seulement à l’intelligence, mais qu’elles détruisent souterrainement, et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… Cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de mon bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non, je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je peux me dire, n’adoucit en rien. […] Il est impossible d’exprimer la joie presque stupide que j’ai eue à retrouver ce cœur, auquel je ne croyais plus. […] Assis sur son traversin, derrière lui, mes mains tenant ses mains, je pressai, contre mon cœur et le creux de mon estomac, je pressai sa tête, dont je sentais la sueur de mort, peu à peu, mouiller ma chemise, et à la fin, couler le long de mes cuisses. […] 8 heures Un cœur tumultueux soulevant comme les os et la peau de sa poitrine, et une respiration stridente qu’il semble tirer du creux de son estomac. […] Ils ne manqueront pas d’ajouter qu’aux êtres qu’on aime, on doit garder, dans la maladie, le secret de certains abaissements, de certaines défaillances morales… Oui, un moment, je ne voulais pas donner tout ce morceau, il y avait des mots, des phrases qui me déchiraient le cœur, en les récrivant pour le public… mais renfonçant toute sensibilité, j’ai pensé qu’il était utile pour l’histoire des lettres, de donner l’étude féroce de l’agonie et de la mort d’un mourant de la littérature et de l’injustice de la critique… Maintenant, suis-je un personnage particulier, et mon chagrin et ma désespérance ont-elles besoin de se répandre dans de la littérature ?

1542. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

L’amitié avec la nature peut vivre autant que nous, mais elle n’a qu’une saison pour commencer : celle de la première jeunesse, l’heure matinale, où le cœur, doué d’une puissance de désir et d’émotion qui ne sera jamais plus grande, n’est encore pris à rien et peut se prendre à tout, parce que les tendresses qui l’occuperont ne sont pas encore nées. […] Créations plus puissantes que leur créateur même, puisqu’elles peuvent se faire entendre de tant de milliers de personnes ; plus durables que lui, plus persuasives, et qui ne sont, cependant, qu’une émotion de ce cœur d’homme traduite artistement, une journée qu’on a crue perdue et qui vivra à jamais peut-être, un souvenir à qui la jeunesse est revenue ! […] Dominique s’imagine lutter contre son amour, et il épuise la série des faux semblants de courage, qui ne sont que des occasions de se faire plaindre, et s’éveiller la pitié dans un cœur bien féminin, qui s’indignerait peut-être si on disait : « Aimez-moi », et qui répondra tendrement si on dit : « Plaignez-moi ». […] Il la fuit, mais il l’emporte avec lui dans son cœur. […] Non, c’est bien la passion d’un homme, où s’intéressent non seulement les sens, mais l’imagination, le souvenir, un peu l’esprit, tout le cœur, avec cet immense besoin de tendresse, dont le monde, depuis des milliers d’années, n’a pas épuisé l’expression.

1543. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Leurs lèvres sont rouges du sang des cœurs broyés. […] Quelle paix divine emplit mon cœur ! […] Mon cœur se serre à cette idée, et peu s’en faut que je ne pleure. […] Monsieur, vous me mettez du baume dans le cœur. […] Voltes de cœur !

1544. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Victor Wilder traduit :  Celui qu’inspire un cœur ému, Un simple, un pur est mon élu. […] On y voit apparaître le rhythme extraordinaire qui, dans le morceau d’ensemble suivant, alors que les assistants, frappés de cette sublime intervention, n’osent résister à une aussi céleste manifestation de l’amour, semble être formé par le contre coup du battement irrégulier de ces cœurs saisis, exaltés, et accablés à la fois. […] A une heure si ineffable, quel cœur de femme n’eut point fait un retour sur cette affection si dévouée dans son humble désintéressement ? […] Pourtant lorsque ce grand drame est joué, qu’il a passé devant nos yeux, qu’il n’est plus qu’un tableau dans notre souvenir et un tressaillement dans notre cœur, notre âme est consolée, rassérénée ; les plaies qu’il avait ouvertes sont fermées ; les endolorissements qu’il avait causés sont calmés. […] 26 Un amoncellement de syllabes fortes et rapides ; et la passion des cœurs amoureux y vibre comme en quelque géniale symphonie ; ailleurs une mélodie lente et fluente : un adagio de miraculeuses paroles, et l’éveil d’une tristesse royale.

1545. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Et au moment de la chute ou de la retraite contrainte, il dit encore : « La disgrâce de cet homme était plainte de peu de personnes à cause de sa gloire (de son orgueil). » Chose singulière, l’homme le plus éloigné à tous égards de L’Estoile, le cardinal de Richelieu, en ses Mémoires, parlant de Sully et de sa chute qui fut toute personnelle, dit à peu près la même chose : On a vu peu de grands hommes déchoir du haut degré de la fortune sans tirer après eux beaucoup de gens ; mais, la chute de ce colosse n’ayant été suivie d’aucune autre, je ne puis que je ne remarque la différence qu’il y a entre ceux qui possèdent les cœurs des hommes par un procédé obligeant et leur mérite, et ceux qui les contraignent par leur autorité. […] Il commence à servir, comme le plus simple soldat, parmi l’infanterie, ce qui n’était pas ordinaire alors aux gentilshommes : à ceux qui l’en voulaient divertir, il répondait qu’il avait à cœur d’apprendre le métier des armes dès ses premiers commencements. […] Mais ce dernier le rappelle par lettres ; il lui remet en mémoire les vrais principes d’un homme de cœur ; il lui dit en le revoyant et en l’embrassant : « Mon ami, souvenez-vous de la principale partie d’un grand courage et d’un homme de bien, c’est de se rendre inviolable en sa foi et en sa parole, et que je ne manquerai jamais à la mienne. » Et il l’engage à aller à la cour de France pour y observer prudemment toutes choses et y découvrir le dessein des adversaires, sous air de se rallier à eux et de s’en rapprocher ; car Rosny a des frères ou des neveux qui sont alors des plus avant dans la faveur de Henri III. […] Vraiment elle parlera bien à vous, car on lui a dit que vous aviez une autre maîtresse. » Il allait céder et se rendre lorsqu’un ami, représentant le conseil de la raison, lui dit à l’oreille : « Monsieur, tournez votre cœur à droite, car là vous trouverez des biens, une extraction royale et bien autant de beauté lorsqu’elle sera en âge de perfection. » Rosny se déclara donc pour la plus douce, la plus modeste et la plus vertueuse, et qui se trouvait être la plus riche aussi.

1546. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

L’approche et la vue de Rome lui causèrent un battement de cœur et un enthousiasme qu’il a soin de noter comme peu ordinaire en lui. […] Pourquoi, tout occupé de défendre et de justifier l’ancienne police administrative des empereurs et le procédé du magistrat romain, a-t-il méconnu l’introduction dans le monde et la création dans les cœurs d’un héroïsme nouveau ? […] À défaut de ce honneur impossible, Mme Necker essayait quelquefois de lui indiquer d’autres sources de consolation et le souverain remède contre l’isolement du cœur ; elle lui avait fait promettre de lire l’ouvrage de son mari sur L’Importance des opinions religieuses, et elle avait, à l’occasion, sur ce sujet de christianisme et de monde invisible, des paroles amies et délicates, que Gibbon du moins ne repoussait pas. […] [NdA] Il écrivait cela à lord Sheffield dans un temps où ce dernier avait manqué sa réélection (11 mai 1784) ; Gibbon essayait, sans trop l’espérer, de le tirer à lui, et il lui disait ce mot qui était le fond de son cœur : « Si cet échec pouvait vous apprendre à rompre une bonne fois avec rois et ministres, et patriotes et partis, et Parlements, toutes sortes de gens pour lesquels vous êtes de beaucoup trop honnête, c’est pour le coup que je m’écrierais avec T… de respectable mémoire : “Bravo, mon cher !

1547. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Les autres, qui n’avaient pas eu le courage de donner cet avis, n’osèrent toutefois le contredire : « Il n’y avait là personne qui n’eût de ses proches amis en prison ; par quoi nul ne me reprit, dit Joinville, mais se prirent tous à pleurer. » Il se livrait donc en leur cœur une sorte de lutte entre le violent désir qu’ils avaient de rentrer en France, et le sentiment de compassion et de justice qui leur disait qu’il n’était pas bien d’abandonner des frères et des compagnons malheureux. […] Mais laissons-le achever lui-même ce récit familier et charmant : En ce point que j’étais là, le roi se vint appuyer à mes épaules et me tint ses deux mains sur la tête ; et je pensais que c’était monseigneur Philippe de Nemours, lequel m’avait fait trop d’ennui tout ce jour-là pour le conseil que j’avais donné, et je dis ainsi : « Laissez-moi en paix, monseigneur Philippe. » Mais, comme je tournais la tête, voilà que par aventure la main du roi me tomba au milieu du visageaj, et je connus que c’était lui à une émeraude qu’il avait en son doigt ; et il me dit : « Tenez-vous tout coi, car je vous veux demander comment vous fûtes si hardi, vous qui êtes un jeune homme, pour m’oser conseiller ma demeurée, à l’encontre de tous les grands hommes et les sages de France, qui me conseillaient mon départ… » Le reste de la scène et la réponse se prévoient aisément : Joinville seul avait deviné le cœur chrétien du saint roi. […] Il y a des parties plus graves et qui font penser : par exemple, l’histoire de l’évêque Guillaume de Paris, interrogé par ce maître en théologie qui a des doutes sur le sacrement de l’autel et qui en pleure de douleur, et la réponse du prélat pour le consoler, son apologue des deux châteaux, l’un à la frontière et toujours menacé, qui a le mérite de résister, et l’autre, qui est le château de Montlhéry, paisible et en sûreté, mais sans gloire, au centre du royaume, la comparaison de ces deux châteaux avec les cœurs tentés ou tranquilles ; tout cela est spirituel, élevé et de tous les temps. […] Le mot de prud’homie comprenait toutes les vertus, la sagesse, la prudence et le courage, l’habileté au sein de la foi, l’honnêteté civile et le comme il faut, tel que l’entendait cette race des vieux chrétiens dont Joinville est pour nous le rejeton le plus fleuri, et l’on définirait bien cet ami de saint Louis, qui resta un vieillard si jeune de cœur et si frais de souvenirs, en disant qu’il fut le plus gracieux et le plus souriant des prud’hommes d’alors.

1548. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Merlin de Thionville et la Chartreuse du Val-Saint-Pierre. »

Chasles l’a très bien nommée « la fille d’Émilie », de celle qui, dans la prostration et le silence de tous devant un seul, s’écriait : Mais le cœur d’Émilie est hors de son pouvoir ! […] Je ne saurais dire quel effet cette idée lugubre produisit sur mon cœur : une sueur froide me couvrit le front ; je me hâtai de rentrer dans mon appartement et me jetai tout habillé sur mon lit : loin d’être disposé au sommeil, les réflexions les plus accablantes se succédaient en moi jusqu’à m’effrayer, et je ne fus délivré de mon angoisse que lorsque mon domestique entra dans ma chambre. » Et désormais, chaque fois que, lui montrant sa charge commode en perspective, dom Effinger essayait de le ramener à l’idée de vie claustrale et de vœux, « l’image de ces moines, qui avaient consumé leur inutile existence à user avec leurs sandales et les manches de leurs robes les pierres de ce cloître, se dressait devant son imagination effrayée. » Sa passion pour la jeune personne qu’il espérait toujours revoir ne laissait pas d’être aussi un préservatif. […] C’eût été dommage, en vérité, que celui qui avait la taille, la vigueur, l’audace, le regard et le port de tête de Damp Abbé et de frère Jean, avec le cœur en plus du patriote et du citoyen, ne vécût point à cette date de l’abbé Sieyès et n’assistât point, en y prenant sa bonne part, à l’émancipation des classes, gage et signal de l’ennoblissement des cœurs.

1549. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite et fin.) »

Cela ne m’a pas fait de peine, et je suis disposé de la meilleure foi du monde et du fond de mon cœur de joindre mes soins, mes peines et les connaissances que je puis avoir, pour contribuer au rétablissement de la gloire et de la réputation des armes du roi. […] Mon cœur et mon imagination ne sont point blessés en aucune manière de la gloire que le maréchal de Villeroy pourra y acquérir, tant parce que je le crois un honnête homme et de mes amis, que parce qu’elle est inséparable du bien et de l’utilité du service. […] Je vous expose, mon très cher frère, avec sincérité de cœur, les sentiments dans lesquels je suis, non sans bien des réflexions sur le passé et l’avenir de ce qui me regarde. » Et il terminait en s’appliquant cette parole de l’Écriture : « Deus dédit, Deus abstulit… Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté : que son saint nom soit béni !  […] Toute cette cérémonie et les soins donnés à la tombe nouvelle ont été suggérés, inspirés et surveillés par l’esprit et le cœur d’une princesse bien digne de posséder le domaine historique de Saint-Gratien, et qui, aimant de prédilection sans doute les grandeurs et les beautés de l’art et tout ce qui fait le charme de la vie, met encore au-dessus le patriotisme, l’esprit de vérité, la droiture et les honnêtes gens.

1550. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Abandonné alors à une accablante apathie, totalement dépourvu d’idées, de sentiments et de ressorts, tout me devint à charge, la prière, l’oraison, tous les exercices de piété, et la lecture, et l’étude, et la retraite, et la société ; je ne tenais plus à la vie que par le désir de la quitter, et mon cœur éteint ne trouvait une sorte de repos léthargique que dans la pensée du tombeau. » Je sais tout ce qu’il faut rabattre de ces descriptions désolées où se complaît involontairement la plume qui s’y exerce, et qui s’essaye déjà à l’éloquence ou à la déclamation publique sans s’en douter ; mais elles sont trop habituelles et trop opiniâtres chez La Mennais pour n’être pas significatives. […] La vue de ces champs qui se flétrissent, ces feuilles qui tombent, ce vent qui siffle ou qui murmure, n’apportent à mon esprit aucune pensée, à mon cœur aucun sentiment. […] Les lettres qu’on écrit, si sincère qu’on soit, varient de ton et s’accommodent selon le cœur et le goût des correspondants auxquels on les adresse. […] Attache à ton cœur les ailes de la foi aussi bien que celles de l’amour, afin qu’il s’envole, non plus au désert comme la colombe, mais à ce lieu élevé où est bâtie la maison de notre Père… » Et dans le même temps il écrivait à l’abbé Jean, en retombant sur lui-même et en ayant tout à fait perdu de vue la sainte montagne : « … J’ai beaucoup souffert ces deux derniers jours.

1551. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

Le dédale des coeurs dans ses détours n’enserre Rien qui ne soit d’abord éclairé par les dieux… Un païen qui sentait quelque peu le fagot, Et qui croyait en Dieu, pour user de ce mot. […] 201 Un poëte indien, dit la légende, vit tomber à ses pieds une colombe blessée, et, son coeur soulevé en sanglots ayant imité les palpitations de la créature mourante, cette plainte mesurée et modulée fut l’origine des vers. […] Les sons nous pénètrent et retentissent en passions au plus profond de notre coeur ; le monde extérieur trouve encore son écho en nous-mêmes, et notre vieille âme entourée et façonnée par la grande âme naturelle palpite comme autrefois sous son contact et sous son effort. C’est pour cela que l’homme qui peut traduire sa pensée par des sons et des mesures prend possession de nous ; nous lui appartenons et il nous maîtrise ; nous ne lui donnons pas simplement la partie raisonnante de notre être ; nous sommes à lui, esprit, coeur et corps ; ses sentiments descendent dans nos nerfs ; quand l’âme est neuve, par exemple chez les peuples jeunes et les barbares, il est puissant comme un prophète ; Eschyle202 renvoyait ses spectateurs « tout agités par la furie de la guerre. » Et nous aujourd’hui si âgés, si lassés, si dégoûtés de toute pensée et de tout style, nous recevons de lui une sensation unique qui nous reporte dans l’étonnement et la fraîcheur des premiers jours.

1552. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Mais une des jeunes filles, fléchie par l’amour, s’attendrira dans son cœur, et ne tuera point son mari, aimant mieux être accusée de faiblesse que de cruauté. […] Muettes d’effroi, sans doute, durant le trajet, groupées à la poupe, l’œil hagard et fixe vers les nefs de proie qui couraient sur elles, leur cœur oppressé éclate en touchant la plage. […] Une femme qu’on abandonne n’est plus rien, la force guerrière n’est pas dans son cœur. […] » — Elles envient « la poussière qui s’envole sans ailes, dans les airs » ; elles voudraient être transportées « sur la pointe d’une roche escarpée, inaccessible à tout pied humain ». — « De là, je pourrais me précipiter, avant de subir, malgré mon cœur, ces noces détestées. » Tous les bruits de la mer résonnent dans le coquillage que l’on approche de l’oreille, tout un monde d’angoisses retentit aussi dans ce chœur navré.

1553. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Et comme la jeune femme voulait entrer dans quelques explications : « Oui, interrompit Mlle d’Ette, tout cela me confirme dans ce que je vous dis ; car c’est l’ennui du cœur que je soupçonne chez vous, et non celui de l’esprit. » — Voyant que je ne répondais pas, elle ajouta : « Oui, votre cœur est isolé ; il ne tient plus à rien ; vous n’aimez plus votre mari, et vous ne sauriez l’aimer. » — Je voulus faire un mouvement de désaveu ; mais elle continua d’un ton qui m’imposa : « Non, vous ne sauriez l’aimer, car vous ne l’estimez plus. » — Je me sentis soulagée de ce qu’elle avait dit le mot que je n’osais prononcer. […] lui dis-je, j’ignore moi-même ce que je pense. » Et la jeune femme expose les contradictions de son propre cœur ; qu’il y a déjà longtemps qu’elle se croyait détachée de son mari et parfaitement indifférente, et pourtant qu’elle ne peut penser à lui sans verser des larmes, et qu’elle redoute par moments son retour, presque comme si elle le haïssait. […] Elle eut un moment l’idée de la dévotion, et de prendre Dieu comme pis-aller ; mais un excellent ecclésiastique qu’elle introduit et qu’elle fait parler fort sagement, l’abbé Martin, n’eut pas de peine à lui démontrer qu’elle méconnaissait son cœur.

1554. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

De bonne heure il ressentit le désir d’exceller et de primer en tout, ce désir qu’il aurait voulu plus tard exciter dans le cœur de son fils, et qui, en bien et en mal, est le principe de toute grande chose. […] Il n’avait pas été long à sentir ce qui manquait à cet enfant qu’il voulait former, et dont il avait fait l’occupation et le but de sa vie : En scrutant à fond votre personne, lui disait-il, je n’ai, Dieu merci, découvert jusqu’ici aucun vice du cœur ni aucune faiblesse de la tête ; mais j’ai découvert de la paresse, de l’inattention et de l’indifférence, défauts qui ne sont pardonnables que dans les personnes âgées, qui, sur le déclin de leur vie, quand la santé et la vivacité tombent, ont une espèce de droit à cette sorte de tranquillité. […] Or, c’est précisément ce feu sacré, cette étincelle qui fait les Achille, les Alexandre et les César, être le premier en tout ce qu’on entreprend, c’est cette devise des grands cœurs et qui est celle des hommes éminents en tout genre, que la nature avait tout d’abord négligé de mettre dans l’âme honnête, mais foncièrement médiocre, du petit Stanhope : Vous paraissez manquer, lui disait son père, de ce vivida vis animi qui anime, qui excite la plupart des jeunes gens à plaire, à briller, à effacer les autres. — Quand j’étais à votre âge, lui dit-il encore, j’aurais été honteux qu’un autre eût mieux appris sa leçon, l’eût emporté sur moi à aucun jeu, et je n’aurais trouvé de repos que je n’eusse repris l’avantage. […] Faites sur chaque individu la découverte de cette passion gouvernante ; fouillez dans les replis de son cœur, et observez les divers effets de la même passion dans différentes personnes.

1555. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Les vives qualités de son talent, de son cœur, de sa riche nature intellectuelle, y sont appréciées ; ses écarts y sont réprouvés, expliqués, et l’explication, à quelques égards, les atténue. […] Il était l’aîné ; il avait une sœur d’un caractère original, d’un cœur excellent, brave fille qui ne se maria point pour mieux servir son père, « vive, agissante, gaie, décidée, prompte à s’offenser, lente à revenir, sans souci ni sur le présent ni sur l’avenir, ne s’en laissant imposer ni par les choses ni par les personnes ; libre dans ses actions, plus libre encore dans ses propos : une espèce de Diogène femelle ». […] Il excellait à prendre pour un temps et à volonté cet esprit d’autrui, à s’en inspirer et souvent mieux que cet autre n’avait fait lui-même, à s’en échauffer non seulement de tête, mais de cœur ; et alors il était le grand journaliste moderne, l’Homère du genre, intelligent, chaleureux, expansif, éloquent, jamais chez lui, toujours chez les autres, ou, si c’était chez lui et au sein de sa propre idée qu’il les recevait, le plus ouvert alors, le plus hospitalier des esprits, le plus ami de tous et de toute chose, et donnant à tout son monde, tant lecteurs qu’auteurs ou artistes, non pas une leçon, mais une fête. […] Çà, petite, ouvrez-moi votre cœur : parlez-moi vrai : est-ce bien la mort de cet oiseau qui vous retire si fortement et si tristement en vous-même ?

1556. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

C’est vers ce temps qu’il vit le maréchal d’Ancre : Je lui gagnai le cœur, dit-il, et il fit quelque estime de moi dès la première fois qu’il m’aboucha. […] Richelieu, dans ses Mémoires, a peint admirablement la misère de cette époque antérieure à sa venue, et ce qu’il appelle la lâcheté et la corruption des cœurs : Ce temps était si misérable, que ceux-là étaient les plus habiles parmi les grands qui étaient les plus industrieux à faire des brouilleries ; et les brouilleries étaient telles, et y avait si peu de sûreté en rétablissement des choses, que les ministres étaient plus occupés aux moyens nécessaires pour leur conservation qu’à ceux qui étaient nécessaires pour l’État. […] Dès le lendemain de la mort de Henri IV, la reine avait pu reconnaître la faiblesse de ses conseillers : il s’agissait de publier une déclaration conçue au nom du feu roi, pour la proclamer immédiatement régente ; Villeroy, plus hardi, offrait de dresser la pièce et de la signer ; le chancelier de Sillery, qui avait le cœur de cire , dit Richelieu, ne voulut jamais la sceller, et sa raison fut que, s’il le faisait, le comte de Soissons s’en prendrait à lui et le tuerait. […] Richelieu historien est tout plein de ces traits d’un moraliste consommé, et qui a expérimenté à fond le cœur des hommes.

1557. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Entreprendre la guérison des plaies sociales, amender les codes, dénoncer la loi au droit, prononcer ces hideux mots, bagne, argousin, galérien, fille publique, contrôler les registres d’inscription de la police, rétrécir les dispensaires, sonder le salaire et le chômage, goûter le pain noir du pauvre, chercher du travail à l’ouvrière, confronter aux oisifs du lorgnon les paresseux du haillon, jeter bas la cloison de l’ignorance, faire ouvrir des écoles, montrer à lire aux petits enfants, attaquer la honte, l’infamie, la faute, le vice, le crime, l’inconscience, prêcher la multiplication des abécédaires, proclamer l’égalité du soleil, améliorer la nutrition des intelligences et des cœurs, donner à boire et à manger, réclamer des solutions pour les problèmes et des souliers pour les pieds nus, ce n’est pas l’affaire de l’azur. […] Et moi, après Homère, j’ai chanté Patrocle et Teucer au cœur de lion afin que chaque citoyen tâche de ressembler aux grands hommes. » De même que toute la mer est sel, toute la Bible est poésie. […] Il n’en est pas moins le confident, et quelquefois le confesseur, des cœurs. […] Il faut qu’il défende, selon le côté menacé, tantôt la liberté de l’esprit humain, tantôt la liberté du cœur humain, aimer n’étant pas moins sacré que penser.

1558. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

C’est là que, spectacle majestueux, desservi par tous les talents à la fois, spectacle pathétique, répondant à toutes les passions du cœur et épuisant toutes les misères de la vie, et aussi spectacle rare, extraordinaire, elle appelait, à quelques grands jours seulement, un effort de génie toujours nouveau, et, dans le peuple, une ardeur d’admiration que la satiété n’émoussait pas. […] Qui frapperons-nous de ces flèches étincelantes, dardées d’un cœur ému ? Visant d’abord Agrigente, je ferai d’une âme sincère le serment que, depuis cent années, cette ville n’a pas vu homme d’un cœur plus bienfaisant et d’une main plus libérale que Théron. […] Il faut seulement garder au cœur bonne espérance : il faut aussi que le nourrisson favori de Thèbes donne en tribut une fleur des grâces à la belle et vaillante Égine ; car Égine et Thèbes sont filles jumelles du même père113. » Je ne sais si ma passion de traducteur m’abuse en ce moment ; mais combien cette joie réservée du poëte, cette tristesse du Thébain mêlée au triomphe des Hellènes, sont patriotiques et touchantes !

1559. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Depuis la mort de Chénier, il n’eut plus d’autre ami intime ; ce cœur, une seule fois ouvert, se referma. […] En parlant de l’orientaliste vénérable, du janséniste pieux, il lui fallut légèrement entr’ouvrir cet angle habituel de son jugement, et son talent plus souple parut y gagner : quelques accents du cœur s’y mêlèrent. […] Je l’ai entendu réciter par cœur, comme modèle d’harmonie et de récitatif cadencé, la tirade du début de Pygmalion ; il articulait chaque phrase, en y mettant l’accent, en y reconnaissant presque des longues et des brèves. […] Mais quand il avait quelque chose de direct contre une personne, il n’en revenait jamais : ajoutons vite que si le jugement chez lui pouvait, en de certains cas, sembler vindicatif, le cœur lui-même ne l’était pas. […] « Le second motif me tiendrait plus à cœur, parce qu’il concerne mes fonctions : le ministre dit qu’en passant en d’autres mains, l’administration des Archives deviendra moins dispendieuse.

1560. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Ses tragédies, malgré quelques taches, sont du premier ordre ; mais son comique n’est pas pris au cœur de la réalité. […] Dans nos cœurs la victoire a frémi ; Elle est à nous ! […] J’exciterais dans le cœur de mon petit écrivain en herbe de beaux sentiments d’émulation, et je proposerais sans cesse à nos artistes l’étude des grands modèles. […] C’est là qu’il écrivit à La Motte Le Vayer, à l’occasion de la mort de son fils, ce beau sonnet et ce postscriptum où il ouvre son cœur et se laisse aller à la volupté des larmes. […] Ses vertus de chacun le faisaient révérer ; Il avait le cœur grand, l’esprit beau, l’âme belle.

1561. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Cette pièce, d’un comique aimable, se compose de tableaux vrais empruntés à la société de nos jours ; deux familles y sont en présence : l’une toute mondaine, dans laquelle la discorde et le désordre se sont glissés, ne sert qu’à faire ressortir les mœurs unies et simples d’une autre famille toute laborieuse et restée patriarcale : deux jeunes cœurs purs, épris d’une passion mutuelle, sont le lien de l’une à l’autre. […] [NdA] Le Cœur et la Dot, de M. 

1562. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

L’âme, troublée par les sentiments qui l’oppressent, se persuade qu’elle soulagera sa peine en s’en occupant davantage ; les premiers instants où le cœur s’abandonne à la rêverie, sont pleins de charmes, mais bientôt cette jouissance consume. […] Le bruit du vent, l’éclat des orages, le soir de l’été, les frimas de l’hiver ; ces mouvements, ces tableaux opposés produisent des impressions pareilles, et font naître dans l’âme cette douce mélancolie, vrai sentiment de l’homme, résultat de sa destinée, seule situation du cœur qui laisse à la méditation toute son action et toute sa force.

1563. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Shakspeare fut romantique parce qu’il présenta aux Anglais de l’an 1590, d’abord les catastrophes sanglantes amenées par les guerres civiles, et, pour reposer de ces tristes spectacles, une foule de peintures fines des mouvements du cœur, et des nuances de passions les plus délicates. […] Ou je me trompé fort, ou ces changements de passions dans le cœur humain sont ce que la poésie peut offrir de plus magnifique aux yeux des hommes quelle touche et instruit à la fois.

1564. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Ne dites pas que la question peut être tranchée par une sorte de divination, par un secret et sûr instinct du cœur. […] Voilà celles qui troublaient leurs cœurs, affolaient leurs cerveaux et hantaient leurs nuits !

1565. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Soyons bons. » S’ils n’ont pas tous le crâne, les braves gens ont tous le cœur fait de même et arrivent, sur l’essentiel, aux mêmes conclusions. Pascal dit : « Le cœur aime l’être universel naturellement, et soi-même naturellement, selon qu’il s’y adonne ; et il se durcit contre l’un ou l’autre, à son choix. » Adonnons-nous à « aimer l’être universel », et refusons de nous « durcir » contre lui.

1566. (1890) L’avenir de la science « VII »

Quelle est l’âme philosophique et belle, jalouse d’être parfaite, ayant le sentiment de sa valeur intérieure, qui consentirait à se sacrifier à de telles vanités, à se mettre de gaieté de cœur dans la tapisserie inanimée de l’humanité, à jouer dans le monde le rôle des momies d’un musée ! […] Celui-là a le plus vécu, qui, par son esprit, par son cœur et par ses actes, a le plus adoré !

1567. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Le roman n’est autre chose que le drame développé en dehors des proportions du théâtre, tantôt par la pensée, tantôt par le cœur. […] Suivant son inspiration, sans autre but que de penser et de faire penser, avec un cœur plein d’effusion, avec un regard rempli de paix, il irait voir en ami, à son heure, le printemps dans la prairie, le prince dans son Louvre, le proscrit dans sa prison.

1568. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Augustin offre pourtant un autre tableau : un jeune homme ardent et plein d’esprit s’abandonne à ses passions ; il épuise bientôt les voluptés, et s’étonne que les amours de la terre ne puissent remplir le vide de son cœur. […] Qui lui avait révélé, dans sa solitude, ces mystères du cœur et de l’éloquence ?

1569. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre III. Des éloges chez tous les premiers peuples. »

Il traîne une vie ennuyeuse, et le lâche ne fait jamais usage de son cœur. […] En voici un qui s’entrelace autour de mon cœur ; j’espère que l’épée de mes enfants sera teinte du sang de mon ennemi.

1570. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Malgré le peu qu’on sait de la vie de La Bruyère, je ne crois pas qu’il ait eu besoin davantage de grandes épreuves personnelles pour lire, comme il l’a fait, dans les cœurs. […] Henriette, qui finit par remplacer Charlotte dans le cœur du héros, petite personne de vingt-quatre ans, assez grasse et très-fraîche, a du charme ; la fragile Charlotte est drôle, et non pas sans agrément. […] Mme de Staël, qui y recevait d’ingénieux conseils, tels que celui, par exemple, d’être plus sensible au concert qu’au bruit des louanges, n’en eut pas moins, comme nous voyons, une reconnaissance qui honore son cœur, de même que ces conseils honoraient la raison digne et fine de Mlle de Meulan. […] faut-il les dénombrer Ces maux, ces vautours de délire Que chaque cœur sait engendrer ? […] Dès la première des Lettres de Famille, que le ton est autre, lorsque Mme d’Attilly ouvre son cœur qui se fond, dit-elle, de tendresse à regarder ses enfants !

1571. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

Quel cœur peut s’empêcher de les aimer, et quelle intelligence peut en prévoir toutes les applications ? […] Monsieur et M. le comte d’Artois viennent de voyager dans nos provinces, mais comme ces gens-là voyagent, avec une dépense affreuse et la dévastation sur tout leur passage, n’en rapportant d’ailleurs qu’une graisse surprenante : Monsieur est devenu gros comme un tonneau ; pour M. le comte d’Artois, il y met bon ordre par la vie qu’il mène. » — Un souffle d’humanité en même temps que de liberté a pénétré dans les cœurs féminins. […] Les paroles sont devenues des actions, et tous les cœurs sensibles vantent avec transport un mémoire que l’humanité anime et qui paraît plein de talent, parce qu’il est plein d’âme ». […] À la nouvelle de l’insurrection américaine, le marquis de la Fayette, laissant sa jeune femme enceinte, s’échappe, brave les défenses de la cour, achète une frégate, traverse l’Océan et vient se battre aux côtés de Washington. « Dès que je connus la querelle, dit-il, mon cœur fut enrôlé et je ne songeai plus qu’à rejoindre mes drapeaux. » Quantité de gentilshommes le suivent. […] Elle s’empare de tous les cœurs français, sape par le pied tout ce qui n’était fondé que sur les anciennes opinions et tire sa force d’elle-même. » Non seulement les privilégiés font les avances, mais ils les font sans effort ; ils parlent la même langue que les gens du Tiers, ils sont disciples des mêmes philosophes, ils semblent partir des mêmes principes.

1572. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Quelle alliance sûre la France peut-elle nouer avec une puissance qui représente l’Angleterre sur son flanc droit, qui représente la Russie au cœur de l’Allemagne, qui représente la coalition en avant-garde contre nous en deçà du Rhin, qui représente enfin l’unité allemande en espérance dans l’Allemagne du Nord ? […] Cela est naturel : c’est par en haut que les peuples pensent, c’est par le cœur que les peuples sentent ; la pensée et le sentiment ne sont pas dans les membres. […] » Que dites-vous de l’ambition d’un si grand cœur dans un si petit prince ? […] — Aussi voyez comme l’orgueil national humilié de ces neuf millions d’hommes de Naples et de Sicile commence à protester par son soulèvement de cœur contre une annexion aux Piémontais, qui ne fut qu’une surprise de la liberté, mais qui leur paraîtrait bientôt une surprise de l’ambition ! […] Quel spectacle que cette capitale, ce royaume, ces millions d’hommes de cœur, regardant disposer d’eux comme d’un troupeau, entre leur tribun Garibaldi, qui les soulève, et le roi de Piémont, leur maître, qui les annexe !

1573. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

C’est qu’il y a au fond même de sa personnalité d’écrivain, une large tendresse de cœur, un sens d’apitoiement toujours éveillé, et prêt à comprendre toutes les douleurs et toutes les misères. […] Nous n’avons pas à rappeler aux lecteurs de la Revue les beautés du récit et la magnificence de son cadre ; il importe pourtant de faire admirer l’enthousiasme et l’éternelle jeunesse de cœur qui brûle, comme un feu mystérieux, sous la conception de l’artiste. […] Il lui devenait aisé de donner une forte unité à son œuvre, du jour où le respect de la tradition s’imposait à son esprit et à son cœur. […] Artiste délicat et sensitif, assuré d’une influence durable parce que la puissance de son art n’est point violente, — ni même toujours très apparente, — mais qu’elle tient à une observation profonde de l’âme humaine et des mouvements du cœur, M.  […] L’amour entravé par les prescriptions morales éternelles, ou la passion aux prises avec les difficultés de l’existence matérielle si fréquemment hostile aux vœux du cœur, tel est le grand élément sentimental de son œuvre.

1574. (1846) Études de littérature ancienne et étrangère

… Ne me déchire pas le cœur pour avoir nommé le Christ ; je veux l’appeler encore. […] Il est loin de mon cœur de vous faire mal. […] n’en dites pas davantage, mylord ; cela brise le cœur. […] Shakspeare, dans les élans de son cœur, tire parti de son ignorance. […] Son cœur, trop accessible à la colère et à la haine, connut aussi l’amitié.

1575. (1897) Aspects pp. -215

L’ayant ainsi déflorée, ils ne se trouvèrent plus le cœur de la réaliser. […] Ils sont d’un amoureux débordant, heureux de jeter au pied de l’Aimée toutes les fleurs et tout son cœur. […] Zola l’avait à cœur et il l’a donnée avec une vigueur merveilleuse. […] oui bien folle — de crier de toutes mes forces, de tout mon cœur : “Camarades, camarades, ne venez pas ici ! […] Puis, quoi qu’en ait dit Musset, ce n’est pas notre cœur qui est le poète.

1576. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Le but le plus haut de l’art, c’est encore, en somme, de faire battre le cœur humain, et, le cœur étant le centre même de la vie, l’art doit se trouver mêlé à toute l’existence morale ou matérielle de l’humanité. […] La mélodie musicale, suivant les variations de l’accent humain, peut se nuancer de plus en plus comme les sentiments mêmes du cœur. […] Nous ne pouvons pas plus abstraire notre cœur du monde que nous ne pourrions arracher le monde de notre cœur. […] C’est un milieu immense auquel il faut se faire en s’agrandissant soi-même le cœur. […] Le rythme du vers est comme le battement du cœur devenu sensible à l’oreille et réglant notre voix, si bien que les autres cœurs finissent par battre à l’unisson.

1577. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

Que peuvent faire tous les chants, toutes les confessions des enfants du siècle à cet esprit sain, sobre, nourri aux mœurs de la famille ; qui, enfant, lisait les Essais de Nicole le dimanche, qui apprenait par cœur Les Provinciales dans le latin de Wendrock, et qui, venu plus tôt, aurait aimé à se mouler en tout sur le patron des Bignon, des Pithou, des d’Aubray, sur celui des Fleury et des Rollin ? […] Gaillard, M. de Sacy épanche tout ce qu’il a d’admiration dans le cœur, et cette admiration, avec celle qu’il a pour Bossuet, est la plus grande de toutes les siennes. […] Je sens qu’elles me flétrissent l’âme et me rabaissent le cœur… » Et il développe sa thèse avec une grande vigueur de conviction, un profond accent de conscience, dans un style animé et tempéré qui est déjà celui d’un jeune et doux vieillard (pardon du mot !

1578. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Les mondains spirituels et malins lui pardonnent peu cependant de s’être laissé duper par Louis XIV et Mme de Montespan, ou plutôt par la passion du cœur, et pour avoir vu les deux amants bien et dûment confessés, absous et admis à la réconciliation pendant un jubilé, de les avoir crus si solidement convertis qu’ils pussent ensuite se revoir à la Cour sans danger, devant témoins. […] Le grand évêque y fut attrapé comme à l’entrevue de Louis XIV et de Mme de Montespan : le cœur humain lui avait joué un tour, l’esprit humain lui en joua un autre. […] Aussi, dès que Louis XIV et lui se furent trouvés en présence et reconnus, ils sentirent, l’un qu’il avait trouvé son monarque, le roi selon son cœur ; l’autre son évêque, son prélat à la fois pieux et politique, non pas seulement son orateur sacré, solennel et autorisé, mais son conseiller d’État ecclésiastique.

1579. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Beugnot que d’être un excellent administrateur et un haut fonctionnaire capable ; c’était, d’ailleurs, un tout autre caractère et d’une nature différente : esprit droit, sensé, mais sans trait et sans brillant, ayant eu les passions généreuses et les enthousiasmes de la jeunesse, cœur dévoué et qui s’était dès l’abord donné à Mirabeau ; qui conserva toujours quelques illusions sur cette grande mémoire trop mélangée ; homme public apte et laborieux, tout à la chose, assez peu observateur des personnes, de plus en plus tourné à la bienveillance en vieillissant, et que le soudain malheur qui brisa sa carrière jeta dans un complet abattement suivi de résignation, sans qu’il y entrât jamais un grain d’ironie ni une goutte d’amertume. […] L’élection fut cassée, et on dut recommencer le scrutin : dans l’intervalle, Frochot avait atteint ses trente ans, et cet humble honneur, dû à la confiance populaire, combla pour un temps les désirs de ce cœur honnête qui était volontiers crédule au bien. […] Je m’engage, sous la responsabilité de ma tête, à les démentir. » Telle alors, dans cette crise sociale, se montra plus d’une femme de cœur sous l’inspiration même du péril : s’il y eut bien des furies, il y eut aussi partout des Romaines et des héroïnes.

1580. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Deux tragédies chrétiennes : Blandine, drame en cinq actes, en vers, de M. Jules Barbier ; l’Incendie de Rome, drame en cinq actes et huit tableaux, de M. Armand Éphraïm et Jean La Rode. » pp. 317-337

Je te sens sur mon cœur tout gros de tes alarmes, Comme un fils enfanté dans les cris et les larmes ! […] PONTICUS Oui, laisse dans tes yeux parler ton cœur charmant. […] Se pénétrant de son rôle, elle appelait les tortures et brûlait de souffrir… » Il m’eût donc plu que l’auteur conçût cette tragédie chrétienne de façon qu’elle signifiât principalement le triomphe moral des esclaves, des petites gens, des ignorants grands par le cœur.

1581. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Je vois donc, de ce moment, l’amour pour le roi s’unir en elle à son autre besoin, celui de la considération : je vois ses deux idoles se confondre en une seule dans son cœur et dans son imagination : je vois ses deux affections dominantes se réduire à une seule passion, celle d’obtenir l’estime du roi et sa confiance. Il n’est guère de cœur de femme qui ne comprenne cette passion une et multiple, une, par l’objet auquel elle s’attache, multiple, par les diverses raisons de son attachement. […] Le roi lui avait imprimé, au fond du cœur, la réponse qu’elle devait lui faire.

1582. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Journal de la campagne de Russie en 1812, par M. de Fezensac, lieutenant général. (1849.) » pp. 260-274

Mais, en même temps que le cœur saigne et que l’imagination se flétrit, on est consolé pourtant de se sentir pour compagnon et pour guide un guerrier modeste, ferme et humain, en qui les sentiments délicats dans leur fleur ont su résister aux plus cruelles épreuves. […] Le spectacle de l’incendie de Moscou et des scènes de désolation qui s’y mêlèrent l’avait affecté douloureusement : détournant la vue des malheurs qu’il ne pouvait soulager, il eut à cœur de corriger du moins ceux qui étaient à sa portée, et de s’acquitter de tous les devoirs utiles. […] Le colonel du 4e régiment fut des derniers à défendre un des faubourgs de la ville qu’on évacuait ; il en chassa une dernière fois l’ennemi, qui se pressait trop de l’occuper : « Le maréchal Ney me fit dire alors, ajoute le narrateur, de ne point trop m’avancer, recommandation bien rare de sa part. » Les éloges du maréchal, le soir même de cette action, furent rapportés aux officiers par le colonel et leur réjouirent le cœur.

1583. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

C’est la grâce attendrie et mélancolique qu’elle avait aussi à la Vie Parisienne, quand cela lui plaisait de l’avoir et qu’elle voulait toucher au plus profond et au plus délicat du cœur ; mais malheureusement ce n’est plus ici la grâce gaie, qui effleurait, sans se cabrer, les choses scabreuses, et donnait aux prudes de ces jolies terreurs dont elle les délivrait toujours ! […] Elle en a fait la faute rêvée, voulue, mais, je l’ai dit, inachevée, par un cœur coupable qui se rejette dans son innocence. […] cette comédie du mariage, qui a inspiré tant de choses et de rires cruels aux grands comiques et aux grands moralistes de tous les âges, est, au fond, l’histoire du désenchantement de deux cœurs unis.

1584. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

Libanius avait cette sensibilité fière qui veut qu’il n’y ait plus de rang où est l’amitié, qui en calcule tous les devoirs, parce qu’elle les trouve tous dans son cœur, que l’inégalité révolte, que les remarques d’indifférence blessent, qui ne se plaint pas, ou ne se plaint qu’une fois, mais qui emportant dans son cœur l’amitié outragée, se tait et se retire. […] Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; né avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite.

1585. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

S’il pratique l’été à la campagne (et il le fait de grand cœur et avec grand succès), c’est pour les pauvres, pour les voisins, et rien que pour eux. […] C’est ainsi que ce philosophe, au cœur doux autant qu’à l’esprit élevé, comprend la tolérance et l’exerce autour de lui. […] Bien qu’il n’ait pas prononcé le fameux Serment qui lie au sacerdoce médical, il le porte écrit dans son cœur. […] On me raconte qu’entre les nombreux articles par lesquels il contribua au Dictionnaire de médecine en trente volumes, l’article Cœur fut dicté par lui à un collaborateur en une seule séance de nuit. […] La ville prise, elle et sa mère se hâtaient sur la route de Lyon, quand elles rencontrèrent quelqu’un de leur connaissance qui leur annonça que Johannot était mort dans les prisons : cette nouvelle leur perce le cœur ; la mère refuse de faire un pas de plus, la fille veut aller chercher le corps de son père ; elle chemine pleurant ; puis au loin, sur la route, elle aperçoit… son père lui-même vivant et délivré ; qu’on juge des émotions de ces tragédies !

1586. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

. — Je crois avoir déjà dit son nom ; mais, plus que jamais cher à mon cœur, j’aime à le répéter encore. — Quel plaisir pour moi de m’égarer le long de ses rivages sinueux et couverts de rochers ! […] Je tendis cordialement ma main au fugitif. « Merci, maître », me dit-il, et il me la serra de façon à me convaincre de la bonté de son cœur, et aussi de la force de son poignet. […] Je m’apercevais bien que le mari et la femme avait grande envie de me communiquer quelque chose ; moi de même, désormais libre de tout crainte, je désirais les voir se décharger le cœur. […] Le cœur de l’époux et du père défaillit sous cette dure calamité. […] Je leur promis de tout mon cœur de les aider.

1587. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Et toujours les fils ont eu un peu de dédain pour les conceptions surannées de leurs pères, même quand ils leur devraient le meilleur de leur cerveau et de leur cœur. […] Mais ne soyons pas assez fous, assez inhumains, assez anti-français, pour nous amputer brutalement du siècle qui est notre père immédiat, du siècle qui tient encore si intimement à notre chair, et qui, malgré ses défauts, que nous savons comprendre et neutraliser, est le plus proche de notre cœur ! […] Aujourd’hui on est en droit d’exiger qu’un écrivain ait raison : d’abord parce que l’erreur coûte cher ; ensuite parce que l’œuvre d’art se sent toujours des bassesses du cœur et plus encore des vices de la pensée : il suffit d’ouvrir un recueil de Victor Hugo, un roman d’Émile Zola. […] Aucun des autres ne traînera le xixe  siècle dans la boue sans salir les idées qui lui tiennent le plus au cœur, et ce sera bien se conduire en rhinocéros. […] En quoi des hommes médiocres, d’esprit et de cœur bornés, sans idées, sans générosité, qui par leur incompréhension tendent à détruire la civilisation occidentale dans son universalité, sont-ils autorisés à juger le xixe  siècle et à le condamner ?

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