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987. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Se créer un style personnel et improviser sur n’importe quel sujet sont deux talents de nature différente et presque opposée. […] Un seul grand écrivain du xviiie  siècle échappera à cette ignorance, et cela seul suffirait à colorer son talent d’une teinte particulière. […] Faudra-t-il donc renoncer à des idées caressées dès l’enfance, à des talents qu’on a pris tant de peine à cultiver ? […] Les talents peuvent s’y déformer aussi bien que s’y former. […] La mode et les engouements qu’elle suscite, la contagion de l’exemple, le désir d’associer sa fortune à celle d’écrivains déjà connus déterminent beaucoup de débutants à professer des théories contraires à leur propre talent et partant à composer des œuvres forcément médiocres.

988. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

. —  Concordance de sa vie et de son talent. […] Dans l’histoire de ce talent, on verra l’histoire de l’esprit anglais classique, sa structure, ses lacunes et ses puissances, sa formation et son développement. […] Cette lutte préalable et cette transformation progressive composent la vie de Dryden, et expliquent son impuissance et ses chutes, son talent et son succès. […] Les grands sujets étaient livrés aux discussions violentes ; la politique et la religion, comme deux arènes, appelaient à l’audace et à la bataille tous les talents et toutes les passions. […] Dissembling, though lawful in some cases, is not my talent.

989. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Elle distribue les talents en deux groupes : les créateurs et les critiques. […] Emouvant concert d’admiration attendrie qui allait au caractère autant qu’au talent ! […] Et qu’il s’en est dépensé, de talent, dans cette célèbre taverne du boulevard Rochechouart, aujourd’hui disparue ! […] Et d’abord ne nous font-ils pas assister à l’éclosion de cette fleur mystérieuse que l’on appelle le talent ? […] Peut-être faut-il voir là le motif de la sévérité avec laquelle les Pères de l’Église ont jugé le talent d’écrire.

990. (1895) La comédie littéraire. Notes et impressions de littérature pp. 3-379

Il ne reconnaît de talent en ce siècle, où le talent abonde, qu’à deux ou trois poètes. […] Il reconnaît aussi du talent à M.  […] Ainsi s’accomplit la fusion du talent et de la richesse. […] Quel est le talent de Maurice Maeterlinck ? […] De quoi se compose son talent ?

991. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Mais tous ses disciples, avec l’admiration toujours grandie de son vaste et parfait talent, gardent fièrement sa noble discipline technique. […] Désireux avant tout de passer pour originaux, ils se distinguaient, d’abord par la malpropreté voulue de leurs vêtements, et ensuite parleur absence de talent poétique. […] Et combien de talent déjà ! […] Le certain, c’est que le talent de M.  […] Éphraïm Mikhaël avait du talent, non pas parce qu’il n’en aura plus, mais parce qu’il en avait véritablement.

992. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

On apprend d’un morceau qui se trouve dans l’Esprit des Journaux (févr. 1782), et où l’auteur anonyme apprécie fort délicatement lui-même la Notice de Suard, que La Bruyère, déjà moins lu et moins recherché au dire de D’Olivet, n’avait pas été complétement mis à sa place par le XVIIIe  siècle ; Voltaire en avait parlé légèrement dans le Siècle de Louis XIV : « Le marquis de Vauvenargues, dit l’auteur anonyme (qui serait digne d’être Fontanes ou Garat), est presque le seul, de tous ceux qui ont parlé de La Bruyère, qui ait bien senti ce talent vraiment grand et original. […] Fabre, après une analyse complète de ses mérites, conclut à le placer dans le si petit nombre des parfaits modèles de l’art d’écrire, s’il montrait toujours autant de goût qu’il prodigue d’esprit et de talent 152. […] Il a joui d’un grand bonheur et a fait preuve d’une grande sagesse : avec un talent immense, il n’a écrit que pour dire ce qu’il pensait ; le mieux dans le moins, c’est sa devise. […] Je ne saurais dire combien il en résulte, à mon sens, jusqu’au sein des plus grands talents, dans les plus beaux poèmes, dans les plus belles pages en prose, — oh ! beaucoup de savoir-faire, de facilité, de dextérité, de main-d’œuvre savante, si l’on veut, mais aussi ce je ne sais quoi que le commun des lecteurs ne distingue pas du reste, que l’homme de goût lui-même peut laisser passer dans la quantité s’il ne prend garde, le simulacre et le faux semblant du talent, ce qu’on appelle chique en peinture et qui est l’affaire d’un pouce encore habile même alors que l’esprit demeure absent.

993. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Or, le talent de la composition naît du besoin de persuader. […] C’est le lieu de remarquer, en ce qui regarde les Lettres provinciales, ce que font quelques années de plus dans le développement d’une littérature, et comment de sujets analogues naissent, selon les talents, des ouvrages médiocres ou des chefs-d’œuvre. […] Cette langue devait recevoir des développements infinis de la variété des sujets et des talents ; mais tout ce que le génie y ajouta de durable est conforme au type sorti des mains de cet homme de talent, le premier auquel on appliqua le vir bonus, dicendi peritus, maxime aussi vraie de l’écrivain que de l’orateur, et d’aussi étroite obligation pour l’un que pour l’autre. […] On peut dire de Voiture, avec bien plus de vérité que de Balzac, que tout cet esprit et ce talent ont eu le tort d’être sans sujet.

994. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

… Alors Flaubert se met à attaquer — toutefois avec des coups, de très grands coups de chapeau, au talent de l’auteur — se met à attaquer les préfaces, les doctrines, les professions de foi naturalistes de Zola. […] Je suis chez Charpentier à faire mes envois, au milieu de commis qui passent, à tout moment, la tête par la porte, et jettent : « C’est X… qui en a demandé 50, et qui en veut 100… Peut-on, en donner 13, à Y… Marpon réclame qu’on lui complète son 1 000… Il veut, si le livre est saisi, les avoir dans sa cachette. » Et dans l’activité, le bruit, le tohu-bohu de ce départ fiévreux, j’écris les dédicaces, j’écris plein de l’émotion d’un joueur qui masse toute sa fortune sur un coup, me demandant, si ce succès, qui se dessine d’une manière si inattendue, va être tout à coup tué par une poursuite ministérielle, me demandant, si cette reconnaissance de mon talent, arrivant avant ma mort, ne va pas être encore une fois éloignée par cette malechance, qui nous a poursuivis, mon frère et moi, toute la vie. […] … Oui, quoi qu’on dise, je crois que mon talent a grandi dans le malheur, dans le chagrin… Et oui, mon frère et moi, avons mené, les premiers, un mouvement littéraire qui emportera tout, un mouvement, qui sera peut-être aussi grand que le mouvement romantique… et si je vis encore quelques années, et que des milieux bas, des sujets canailles, je puisse monter aux réalités distinguées, c’est alors que le vieux jeu sera enterré, et que ni ni, ce sera fini du conventionnel, de l’imbécile conventionnel. […] Et Mme Daudet la lisant se défend de la reconnaissance de son talent par son mari, avec des mots qui ont presque le bredouillement ému d’une défaite de femme amoureuse : « Non, non, c’est trop… je ne veux pas… non, je ne veux pas !  […] Ici je rappelle que le mot : « Musset des familles » est de mon frère, un joli baptême vraiment du talent du romancier, avant la publication de Monsieur de Camors.

995. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Il était né avec assez de talent pour se conquérir ainsi une place parmi ses contemporains et exercer par son exemple une réelle influence. […] J’imagine que là même le talent personnel gardera quelques droits. […] Un don secret et précieux retient le vrai talent sur la pente, alors même qu’il est tenté d’y glisser ; il se garde, même en ses entraînements logiques, d’aller aux derniers excès. […] Rien sans doute n’est à tirer de là contre le talent personnel de M. Zola romancier, talent robuste, qui étonne tour à tour par de grandes qualités et de graves défauts.

996. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Puis, à côté de l’étude, vint l’émulation ; et, pendant plusieurs règnes, sous l’abri d’une domination qui, avec l’Égypte, embrassait Cyrène et la Syrie, dans le mouvement d’un peuple, sinon libre, au moins curieux, savant et voyageur, sous la protection d’une cour fastueuse, toute possédée du goût et du luxe des arts, tous les talents où s’était illustrée la Grèce, hormis l’éloquence politique et l’histoire, furent cultivés avec autant d’habileté que d’ardeur. […] Mais on ne peut douter qu’après lui, quand un souvenir naïf de mœurs étrangères, quand une passion vraie ne montait pas au cœur de l’écrivain, l’érudition et la recherche, la science du style poussée jusqu’au raffinement, la prétention de l’art, devenue comme une manie superstitieuse, ne jetassent le talent même dans le bizarre et le ténébreux. […] Auteur de plus de quatre-vingts ouvrages, imitateur ingénieux de toutes les formes de l’antiquité, érudit, mythologue, dramatiste, satirique, lyrique, il ne nous est connu que par de courts fragments et par des hymnes d’autant plus précieux, qu’à part même le talent poétique, ils offrent un intérêt historique, en donnant, par la pompe et par la froideur du langage, une idée de l’état où était tombé le culte païen. […] Là comme ici, le génie propre de l’homme a surmonté l’influence du temps ; ou peut-être, dans l’une et l’autre époque, il s’en est également aidé par cet esprit de résistance et de contraste, qui est aussi une inspiration pour le talent. […] Rien peut-être ne montrera mieux l’illusion que peut faire le talent, et ce langage trompeur qui se compose d’un grand souvenir de gloire, d’une flatterie présente et d’une reconnaissance intéressée.

997. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Mallarmé m’attirait et par son talent et par son formidable insuccès. […] Les curiosités intelligentes qui font le fond du talent de M.  […] Une partie de son talent vient de ses solides attaches avec le passé. […] La littérature de cette toute première période est pauvre numériquement de talents. […] Thiers ou un concert de Liszt avec un égal talent.

998. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

Les perses étoient sous Darius ce que sont aujourd’hui les persans qui habitent le même païs qu’eux, c’est-à-dire, des ouvriers très-patiens et très-habiles quant au travail de la main, mais sans génie pour inventer, et sans talent pour imiter les plus grandes beautez de la nature. […] Tous les beaux esprits qui véquirent sous Henri III et même ceux qui souvent abusoient de leur talent pour prêcher et pour écrire contre lui, eurent part à ses prodigalitez. […] On peut imaginer aussi avec quel soin ils donnoient à ceux qu’ils jugeoient capables d’exceller dans la sculpture l’éducation propre à perfectionner leur talent. […] Les grecs, au talent de s’entre-nuire près, étoient redevenus grossiers. […] Il a vécu de son temps des hommes rares par leur talent à toucher toutes sortes d’instrumens.

999. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — II. (Fin.) » pp. 452-472

On a les lettres que Hume déjà mourant, que Robertson, Ferguson, Horace Walpole, lui écrivirent à ce sujet : l’approbation chez tous est la même pour l’ensemble de l’œuvre et pour le talent d’exécution ; Horace Walpole surpasse tous les autres par la vivacité de sa sympathie et de sa louange. […] Je me borne à rendre l’impression que me fait cette lecture continue, et à en tirer la forme de talent et d’esprit de l’auteur. […] Ce ne serait pas être juste, avant de quitter l’Histoire de ce dernier, que de n’y pas signaler encore quelques endroits tout littéraires et d’une heureuse richesse, où l’auteur est bien dans l’application de sa nature et dans l’emploi de son talent : par exemple, un passage soigné sur les écoles de philosophie grecque au moment où l’édit de Justinien les supprime ; et, tout à la fin de l’ouvrage, les considérations sur la Renaissance en Italie, sur l’arrivée des lettrés de Constantinople, sur les regrets de Pétrarque en recevant un Homère qu’il ne sait pas lire dans l’original, et sur le bonheur de Boccace, plus docte en ceci et plus favorisé. […] Ceux encore aujourd’hui qui auront vécu par la lecture dans cette intimité tempérée et ornée, n’y eussent-ils passé comme moi qu’une quinzaine, comprendront que Gibbon, sans être de l’ordre des génies, sans être même de ceux qui avec du talent troublent ou passionnent les hommes, ait eu ses fidèles et ses pèlerins affectueux.

1000. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Tel j’étais en 1799, tel je suis encore en 1840 : mais j’ai appris à cacher tout cela sous de l’ironie imperceptible au vulgaire. » Cette ironie n’était pas si imperceptible qu’il le croyait ; elle était très marquée et constituait un travers qui barrait bien de bonnes qualités, et qui brisait même le talent. […] Ce génie, qu’il n’appartenait point à la critique de créer, a manqué à l’appel ; des talents se sont présentés en second ordre et ont marché assez au hasard. À l’heure qu’il est, de guerre lasse, une sorte de Concordat a été signé entre les systèmes contraires, et les querelles théoriques semblent épuisées : l’avenir reste ouvert, et il l’est avec une étendue et une ampleur d’horizon qu’il n’avait certes pas en 1820, au moment où les critiques comme Beyle guerroyaient pour faire place nette et pour conquérir au talent toutes ses franchises. […] « Que le ciel nous envoie bientôt un homme à talent pour faire une telle tragédie ! 

1001. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Encore une fois, je ne veux point déprécier l’abbé Delille : tous ceux qui l’ont connu l’ont trop aimé, l’ont trop goûté et applaudi pour qu’il ne dût pas y avoir en lui bien des grâces et une magie de talent : il y a certainement dans le poème de L’Homme des champs, dans celui de L’Imagination (plus que dans Les Jardins), des morceaux qui méritaient tout leur succès quand ce gentil et vif esprit les soutenait de sa présence et de son débit, et quand il les récitait dans les cercles pour qui il les avait composés. […] Il faut reconnaître les diverses familles d’esprits et de talents, et, pour ainsi dire, les différentes races. […] C’est plutôt avec le coin de manie et de folie qui s’était logé avant dans l’esprit de Rousseau pendant les dernières années, qu’il y aurait lieu de comparer la maladie de Cowper, si compatible avec d’admirables preuves de talent. […] C’est tout ce que j’ai voulu dire ici, sans nier qu’avec des différences dont le talent saurait se faire une originalité, nous puissions, par une application heureuse, y réussir à notre tour27.

1002. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. De Pontmartin. Causeries littéraires, causeries du samedi, les semaines littéraires, etc. »

Ce fut la Révolution de Février qui donna à l’esprit et à ce qu’on peut appeler le talent de M. de Pontmartin une impulsion et une direction décidées. […]  » Non, que M. de Pontmartin renonce à ces grands morceaux philosophiques : son genre de talent, son agrément n’est pas là. […] On devine bientôt le secret : la mère d’Aurélie, séparée de son mari par incompatibilité d’humeur et par ennui de se voir incomprise, est une personne célèbre, qui a fait le contraire de ce que Périclès recommandait aux veuves athéniennes, qui a fait beaucoup parler d’elle, qui a demandé à ses talents la renommée et l’éclat, à ses passions les émotions et l’enivrement à défaut de bonheur. […] Ma conclusion bien sincère sur l’ensemble du talent de M. de Pontmartin, et malgré toutes ces critiques auxquelles je me suis vu forcé, ayant à combattre avec lui pied à pied et me trouvant réduit à la défensive, est qu’il y a de la distinction, de l’élégance, que c’est un homme d’esprit et d’un esprit délicat, auquel il n’a manqué qu’une meilleure école, et plus de fermeté dans le jugement et dans le caractère, pour sortir de la morale de convention et pour atteindre à la vraie mesure humaine, sans laquelle il n’est pas de grand goût, de goût véritable.

1003. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Le public, qui aime à mettre vite une étiquette à chaque talent, l’a pris et adopté par ce côté, l’a classé comme un des peintres du Midi et de l’Orient, si bien que plus d’un lecteur a pu s’étonner de voir le paysagiste aux teintes éclatantes changer brusquement de pays, de sujet, de cadre, et nous donner des descriptions d’un aspect tout différent, d’une lumière modérée, et qui sont tout à fait françaises de ton et de caractère. […] Fromentin est évidemment un talent aussi souple que complexe ; il peut s’appliquer à tout, nous rendre les aspects de nature les plus opposés, et pénétrer aussi dans les replis du cœur humain avec la dernière finesse, ainsi que l’a prouvé son roman de Dominique. […] que de fois je me suis écrié, en voyant tant de talents énergiques dont quelques-uns me sont chers et que j’apprécie pour leur qualité de relief et de couleur, — que de fois j’ai dit tout bas : Qui donc unira la force à la délicatesse ? […] Je ne saurais dire si le musicien qui jouait du biniou s’en acquittait avec talent, mais il en jouait du moins avec une violence telle, il en tirait des sons si longuement prolongés, si perçants et qui déchiraient avec tant d’aigreur l’air sonore et calme de la nuit, que je ne m’étonnais plus, en l’écoutant, que le bruit d’un pareil instrument nous fût parvenu de si loin ; à une demi-lieue à la ronde, on pouvait l’entendre… Les garçons avaient seulement ôté leurs vestes, les filles avaient changé de coiffes et relevé leurs tabliers de ratine : mais tous avaient gardé leurs sabots, — disons comme eux leurs bots, — sans doute pour se donner plus d’aplomb et pour mieux marquer, avec ces lourds patins, la mesure de cette lourde et sautante pantomime appelée la bourrée.

1004. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Mais ici le développement se montre dans chaque lettre, abondant, naïf, continu ; on suit à vue d’œil l’âme, le talent, la raison, qui s’empressent d’éclore et de se former. […] La jeune Phlipon, dans son avidité de savoir, dans son instinct de talent, lit toutes sortes d’auteurs, s’en rend compte, en fait des extraits, et s’en entretient, non sans étude, avec son amie : « Car, dit-elle très-judicieusement, on n’apprend jamais rien quand on ne fait que lire ; il faut extraire et tourner, pour ainsi dire, en sa propre substance, les choses que l’on veut conserver, en se pénétrant de leur essence. » Esprit ferme et rare, chez qui tout venait de nature, même l’éducation qu’elle s’est donnée ! […] Quelquefois je suis tentée de prendre une culotte et un chapeau, pour avoir la liberté de chercher et de voir le beau de tous les talents. […] En même temps le talent d’écrire y gagne ; la jeune fille, désormais femme forte, est maîtresse de sa plume comme de son âme ; phrase et pensée marchent et jouent à son gré.

1005. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Dis-moi qui t’admire, et je te dirai qui tu es, du moins qui tu es par la forme du talent, par le goût. […] Ce qui suffirait pour donner la plus haute idée de la qualité du talent de M. de Chateaubriand, c’est en général la nature distinguée des femmes qui s’y sont prises, qui se sont éprises de lui pour son talent. […] On se sent humilié pour ce qu’on appelle talent humain ou génie, de penser que c’est à partir de ce temps que Rousseau a écrit quelques-unes de ses plus divines pages, les premiers livres des Confessions, la cinquième promenade des Rêveries.

1006. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Voltaire, qui avait peint le siècle de Louis XIV avec tant de talent et de charme, mais en beau, et qui fut averti des contradictions que l’autorité de Saint-Simon pouvait lui susciter un jour, avait conçu le dessein de réfuter quelques parties de ces Mémoires. […] Je le crois bien : il y a un degré d’incisif dans l’observation, de révolte dans l’impression morale, et de fougue dans le talent, qui exclut l’adresse et le ménagement politique. […] Ainsi donc, sans prétendre garantir l’opinion de Saint-Simon sur tel ou tel personnage, et en en tenant grand compte seulement en raison de l’instinct sagace et presque animal auquel il obéissait et qui ne le trompait guère, on ne peut dire qu’en masse il ait calomnié son siècle et l’humanité ; ou, si cela est, il ne l’a calomniée que comme Alceste, et avec ce degré d’humeur qui est le stimulant des âmes fortes et la sève colorante du talent. […] Il était, en quelque sorte, en proie à lui-même, à ses instincts et à ses talents ; mais ils en paraissent d’autant plus merveilleux et extraordinaires.

1007. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Quand il se sent une passion principale et dominante, si noble qu’elle soit, Louis XIV cherche à ne pas écouter qu’elle seule, mais à la contrebalancer par d’autres qui soient également en vue de l’État : « Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs, et en celle des princes plus qu’en celle des particuliers ; car qui dit un grand roi, dit presque tous les talents ensemble de ses plus excellents sujets. » Il est des talents où il ne pense point qu’un roi doive trop exceller ; il lui est bon et honorable d’y être surpassé par les autres ; mais il doit les apprécier dans tous. La connaissance des hommes, le discernement des esprits, et l’application de chacun à l’emploi auquel il est le plus propre et le plus utile au public, c’est là proprement le grand art et c’est peut-être le premier talent du souverain. […] La pensée religieuse qui s’y joint dans son esprit ajoute plutôt qu’elle n’ôte à ce que cette maxime royale a de politiquement remarquable ; et c’est en ces parties qu’on reconnaît chez lui le véritable homme de talent dans cet art difficile de régner : La sagesse, dit-il, veut qu’en certaines rencontres on donne beaucoup au hasard ; la raison elle-même conseille alors de suivre je ne sais quels mouvements ou instincts aveugles, au-dessus de la raison, et qui semblent venir du ciel, connus à tous les hommes, et plus dignes de considération en ceux qu’il a lui-même placés aux premiers rangs.

1008. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Mais je te répondrai, moi : Ne forçons point notre talent ; c’est La Fontaine qui l’a dit. […] Ce sont les petites choses qui l’ont décidé, les petites vexations locales, de voir des abus de pouvoir dans l’endroit, de voir un homme trop puni pour avoir manqué au curé, d’entendre ce curé défendre le cabaret aux paysans le dimanche, enfin des querelles de maire et de garde champêtre ; c’est ce qui le décida pour l’opposition ; et, une fois piqué au jeu, il y prend goût : le talent, chez lui, qui cherchait jour et matière et qui s’ennuyait à ne point s’exercer, s’empare de ces riens et en fait à la fois des thèmes d’art achevés et de merveilleuses petites pièces de guerre. […] Dans le dialogue original et vif qu’on supposerait de l’un à l’autre, ils ne seraient d’accord que sur le Jupiter Olympien et contre Napoléon ; tous deux hommes d’humeur et ne voyant qu’un côté des choses ; mais Quatremère de Quincy plus élevé, et, au nom même de l’art antique et de la religion du goût, faisant honte à Courier de sa popularité politique, de mettre ainsi un talent d’Athénien au service des gens de La Minerve, et d’avoir pu dire sérieusement, dans une lettre adressée au Drapeau blanc : « Le peuple m’aime ; et savez-vous, monsieur, ce que vaut cette amitié ? […] On ne connaîtrait que son talent et non point tout son caractère, si on ne l’avait vu façonner à plaisir et limer ses aiguillons.

1009. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Il est presque incompréhensible qu’avec du talent, car M.  […] Positivement, il n’y a rien, pas même du talent. […] Renan, de voir du talent là où manquent la netteté, les preuves, l’enchaînement et la conclusion ! […] Ce fuyard de séminaire n’a pas le talent d’un Lamennais pour étoffer son apostasie.

1010. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Renan. — Mme Sand, la plus grande artiste de ce temps-ci, et le talent le plus vrai ! […] Tu as vanté dans le feuilleton du Moniteur, le talent de Maubant et de Racine. […] Il y a aujourd’hui bataille autour de l’histoire de Thiers, et il faut le dire, on est presque unanime pour le déclarer un historien sans aucun talent. […] Cet intérieur, c’est l’homme, ses goûts, son talent. […] — Mais comment voulez-vous, lui disons-nous, que le père Beuve, malgré son touchant désir de tout comprendre, comprenne à fond un talent comme le vôtre ?

1011. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

M. de Vigny aurait pu réussir de même sans doute ; le choix de l’événement est heureux ; les documents sont nombreux, faciles, et il montre assez qu’il les connaît parfaitement ; enfin son talent n’est pas vulgaire : qu’a-t-il donc fait pour gâter tant d’avantages ? […] En jugeant M. de Vigny avec cette franchise sévère que nous paraît mériter son talent, nous ne prétendons pas méconnaître la profusion d’esprit qu’il a répandue dans son ouvrage : plus d’une fois sans doute il a réussi, quand l’esprit avec la mémoire suffisait.

1012. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Mais revenons ; ce Joseph, qui se consumait ainsi sans foi, sans croyances, sans action ; cet individu malade qui suivait son petit sentier loin de la société et des hommes, avait commencé vers la fin de sa vie à renaître à une sympathie plus bienveillante, et à chercher les regards consolants de quelques amis poètes ; c’est ce qu’il fit de mieux et de plus profitable pour lui ; son cœur se dilata à leur côté ; son talent s’échauffa aux rayons du leur, et il dut à l’un d’eux surtout, au plus grand, au plus cher, le peu qu’il nous a laissé. […] Le talent et le caractère de M. 

1013. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Mais quels que soient le talent et les projets littéraires de M.  […] Gustave Kahn, j’aime le Livre d’images comme celui par quoi s’est le plus complètement imposé à l’admiration le talent neuf et nombreux de visions qui originalise son auteur parmi les premiers des poètes qui se révélèrent aux environs de 1884.

1014. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Racine, celui des quatre amis dont le caractère avait le plus d’élévation, celui à qui les autres étaient le moins nécessaires, celui dont la marche était la plus sûre à la cour, n’aidait de son talent, ni même n’accréditait par une approbation éclatante, ni la satire directe, ni la comédie satirique ; mais s’il n’était pas celui qui se fît le plus craindre de l’ennemi, c’était celui qui flattait le plus noblement le maître, celui dont l’éloge avait le plus de poids, et qui donnait à l’agrégation des quatre amis le plus de sûreté et de stabilité, parce qu’il était celui qui affectionnait le plus les autres et avait au plus haut degré leur confiance. […] Une preuve qu’elle l’exerça justement, c’est que, pendant plus d’un siècle, la pièce fut éliminée du théâtre : et certainement ce ne fut pas faute d’esprit, de gaîté, de talent, car la scène de l’interrogatoire est, indécence à part, une des plus comiques du théâtre de Molière.

1015. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

Dès la plus tendre enfance, Milton donna des marques de son talent décidé pour les vers. […] Il ne fut pas en son pouvoir d’employer un Cowley, digne rival de Pindare & le chantre des infortunes de David ; un compte de Rochester, ce Juvénal Anglois ; un Waller, le Voiture & le Chaulieu de l’Angleterre ; le premier de cette nation qui, dans ses vers, ait consulté l’harmonie, ait cherché l’arrangement des mots & le goût dans le choix des idées ; ce poëte, qui, vivant à la cour avec soixante mille livres de rente ; cultiva toujours son talent pour les vers agréables & faciles ; le même qui, en ayant fait à la louange de Charles II, les lui présentant & s’entendant reprocher qu’il en avoit fait de meilleurs pour Cromwel, répondit au prince : Nous autres poëtes, nous réussissons mieux dans les fictions que dans les vérités.

1016. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

En effet, un joüeur habile doué du talent de combiner aisément une infinité de circonstances, et d’en tirer promptement des consequences justes ; un joüeur habile, dis-je, pourroit faire tous les jours un gain certain en ne risquant son argent qu’aux jeux où le succès dépend encore plus de l’habileté des tenans, que du hazard des cartes et des dez : cependant il préfere par goût les jeux où le gain dépend entierement du caprice des dez et des cartes, et dans lesquels son talent ne lui donne point de superiorité sur les autres joüeurs.

1017. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Les uns ont un génie sublime et étendu en une certaine sphere, d’autres ont dans la même sphere, le talent de l’application et le don de l’attention, si propre à conduire les détails. […] La nature a fait un partage inégal de ses biens entre ses enfans, mais elle n’a voulu deshériter personne, et l’homme entierement dépourvû de toute espece de talent, est aussi rare qu’un génie universel.

1018. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Quel n’a donc pas été notre étonnement tout d’abord en lisant sur Cousin le panégyrique le plus somptueux, et non seulement le panégyrique de son talent, mais encore de sa personne, et même, le croira-t-on ? […] II Ce livre sur Jeanne d’Arc30 n’est pas une de ces nouveautés que l’année qui commence emporte avec elle ; c’est un livre qui doit rester, et auquel le talent et la science de son auteur donnent la solidité d’un monument.

1019. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Les recherches des délateurs nous ont ôté jusqu’à la liberté de parler et d’entendre, et nous eussions perdu le souvenir même avec la voix, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire44. » Il se représente ensuite, au sortir du règne de Domitien, comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres, et, pour ainsi dire, à lui-même, privé de quinze ans de sa vie, qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence, mais voulant du moins employer les restes d’un talent faible et d’une voix presque éteinte, à transmettre à la postérité et l’esclavage passé, et la félicité présente de Rome. […] Domitien, naturellement féroce, et d’autant plus implacable dans sa haine qu’elle était plus cachée, était cependant retenu par la prudence et la modération d’Agricola ; car il n’affectait point ce faste de vertu et ce vain fanatisme qui, en bravant tout, veut attirer sur soi l’œil de la renommée ; que ceux qui n’admirent que l’excès sachent que même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et qu’une vertu calme et modeste, soutenue par la fermeté et les talents, peut parvenir à la gloire, comme ces hommes qui n’y marchent qu’à travers les précipices, et achèvent la célébrité par une mort éclatante, mais inutile à la patrie46. » Toutes les fois que Tacite parle des vertus d’Agricola, son âme fière et ardente paraît s’adoucir un peu ; mais il reprend la mâle sévérité de son pinceau pour peindre le tyran soupçonné d’avoir fait empoisonner ce grand homme, s’informant avec une curiosité inquiète des progrès de sa maladie, attendant sa mort de moment en moment, et osant feindre de la douleur, lorsqu’assuré qu’Agricola n’est plus, il est enfin tranquille sur l’objet de sa haine.

1020. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Il est même une juste rigueur plus profitable aux talents qu’une faveur inconsidérée. […] De là, le goût vicié et l’influence de la vogue, qui soumet le talent aux caprices de la société. […] Ceux-ci n’ont eu que le talent de les bien voir, moins rare et moins pénible que celui de les faire. […] Un vrai talent peut-il altérer le bon goût ? […] Aussi le talent qu’il déploya se ressent-il partout du noble et utile emploi de sa vie.

1021. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

C’est là l’effet du talent de l’écrivain, mon ami. […] Victor Hugo, qui a, dit-on, une charmante épouse, des fils de talent, des filles de vertu dans sa famille, voulût accorder leur main aux fils ou aux filles de son héros Jean Valjean, si Jean Valjean, malgré son trésor dont le premier centime était l’argenterie de son évêque ou la pièce de quarante sous du pauvre enfant qui lui avait servi de guide, était de condition égale à la condition d’un honnête homme de génie. […] Intéresser au crime quand le crime n’est que passion, c’est le chef-d’œuvre du paradoxe ; mais intéresser au crime quand le crime est atroce, comme l’assassinat du Christ par le Samaritain, c’est le crime du talent. […] C’est un cadre dans lequel l’écrivain, tour à tour philosophe, penseur, sophiste, poète, prend, comme l’aigle, son lecteur à terre, l’emporte avec lui çà et là dans l’irrésistible élan de son style, lui fait parcourir un pan de l’espace, lui donne le vertige, l’enthousiasme, le délire de son talent, puis ne se souvient plus ni de lui, ni de sa composition, ni de son sujet parcouru à grand vol, le dépose à terre sûr de le reprendre à son gré et lui dit de nouveau : « Allons !  […] Il s’est dit : « Je vais me jeter avec mon talent au milieu de tout cela, je vais me donner le vertige et le donnerai à cette foule sans savoir comment je la nourrirai ! 

1022. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (3e partie) » pp. 81-152

Sans avoir en 1803 cette humeur chagrine et bourrue, Fabre, esprit sérieux, intelligent, causeur instruit et plein de ressources, connaisseur du premier ordre en matière d’art, ne brillait ni par le charme ni par l’élévation du talent. […] Legouvé, par complaisance de talent, pour que l’actrice universelle eût le plaisir d’émouvoir en français les Français. […] J’en ai une pitié profonde ; c’est un si beau talent mal employé ! […] Ce tombeau ne garde à la postérité que deux ombres : l’ombre d’une femme faible et charmante, à laquelle on pardonne pour ses malheurs et pour son sexe ; Et l’ombre d’un mauvais poète tragique, enflé d’orgueil et vide de vraie grandeur d’âme comme de vrai talent, et qui n’eut du génie tragique que la manie, Et du poète que la déclamation ! […] La place d’Alfieri est vacante ; les hommes de talent y surabondent, et les Ristori ne lui manquent pas !

1023. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

L’émotion la trouve sans réfléchir, et le talent qui réfléchit en fait de la poésie. […] « Les écrivains sans enthousiasme ne connaissent, de la carrière littéraire, que les critiques, les jalousies, tout ce qui doit menacer la tranquillité, quand on se mêle aux passions des hommes ; ces attaques et ces injustices font quelquefois du mal ; mais la vraie, l’intime jouissance du talent, peut-elle en être altérée ? […] « Que de fois, par cette ardeur conciliante qui lui était un lien avec les meilleurs représentants de tous les partis, et par ce droit légitime de son esprit qui ne lui donnait guère moins de pouvoir sur M. de Blacas ou sur M. de Montmorency, que sur M. de Lafayette ou sur le baron Louis, je l’ai vue dans la même soirée, faire admettre dans la maison du roi un homme de mérite aussi indépendant que malheureux, réintégrer dans leurs emplois quelques agents impériaux et dévoués, mais avec honneur, au pouvoir qu’elle avait combattu, et servir de son crédit des hommes de lettres qui, pendant son exil, avaient eu le malheur de nier son talent. […] L’accession de madame de Staël à son nouveau règne aurait été une bonne fortune pour sa politique ; sa réputation de libéralisme, son talent, son nom, son influence sur l’opinion de l’Europe, auraient donné à sa conversion à l’empire la valeur d’un manifeste européen. […] Et cependant, pour en revenir aux considérations qui ouvrent ce récit et qui doivent le clore : quelle est la plus grande de cette femme de bruit ou d’une femme de silence, voilant jusqu’à son âme de la chaste pudeur de son sexe, renfermée dans l’ombre de son pauvre foyer conjugal, entre un époux qu’elle aime, des enfants qu’elle élève, des vieillards qu’elle honore, des infirmes qu’elle soulage, des misères qu’elle nourrit, des talents même qu’elle sacrifie à d’humbles devoirs ?

1024. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Chateaubriand J’ai retrouvé, Monsieur, dans votre Ode sur Quiberon le talent que j’ai remarqué dans les autres pour la poésie lyrique ; elle est de plus extrêmement touchante, et elle m’a fait pleurer. […] Quoique, dans votre préface, vous nous traitiez impitoyablement de mousses et de lierres rampants, je n’en rendrai pas moins justice à votre aimable talent, et je parlerai de votre œuvre michelangesque comme je parlais autrefois de vos Odes. […] Jay Le drame de Cromwell n’a excité en moi d’autre sentiment que celui de la commisération pour un jeune homme né avec d’heureuses dispositions, d’un caractère très estimable, et qui, dans quelques productions lyriques, a montré un vrai talent. […] Le sujet et jusqu’au titre de son dernier recueil sont un indice de son talent. […] D’année en année, il révélait une nouvelle face de son talent et en même temps un certain ordre d’idées.

1025. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Puisque tu as eu le tort de naître sans rentes, mets ton talent en coupe réglée, débite en menue monnaie la cervelle d’or qui t’est départie. […] Aie le respect de ton talent. […] Celui qui veut demeurer artiste en dépit de tout est apprécié d’une petite élite ; mais, à moins d’une chance Ou d’un talent extraordinaire, il se condamne à une demi-obscurité qui a pour conséquence une certaine médiocrité de vie ; il n’est pas coté sur la place : il est dédaigné des libraires et des éditeurs ; il est même en danger de mourir de faim, s’il n’a pas une autre source de revenus. […] Les autres, les plus nombreux, sont obligés d’employer leur talent comme moyen d’existence et pour ceux-ci il faut toujours se demander quel est, en dernière analyse, le groupe qui les paie ; car de sa valeur intellectuelle et morale, de la part de revenus qu’il veut ou peut consacrer à la satisfaction de ses goûts esthétiques dépend en une mesure non négligeable l’orientation des œuvres littéraires. […] Nous aurons l’occasion d’y revenir65 ; en attendant, je voudrais montrer encore quelques-unes des contraintes dont la question d’argent ligotte le talent et parfois la conscience des écrivains.

1026. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

André Dumas (Paysages) possède un talent très délicat et très sûr, sobre, en demi-teintes, une âme d’automne finement mélancolique. […] Tant de talents ne nuisent point à ses poèmes. […] Et puis qu’importe… puisqu’ils ont du talent. […] Ce qui est plus étonnant que ce gymkhana littéraire, c’est qu’elles ont souvent du talent. […] Nous avons signalé les vrais talents, — nous en avons oublié peut-être, mais on comprendra aussi qu’il ne nous était pas possible de tenir compte ici de relations mondaines ou politiques.

1027. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

Délabrement déjà entrevu d’un talent qui n’avait pas assurément l’organisation dans la force, mais qui n’en a pas moins, quelquefois, une force admirable par éclairs ! […] Les attardés et les vues faibles, qui n’avaient pas vu que depuis longtemps le talent de l’homme s’en allait, — avec de grands airs, des gonflements, des ballonnements, des roues de paon, mais n’en fichait pas moins le camp tout de même, — ont commencé de le voir, et, mieux ! […] Je pourrais, comme on dit, chercher la petite bête dans un livre qui en est plein, de petites bêtes… Mais je dédaigne cette manière taquine de critiquer un homme, et je la laisse à mes pieds, par respect pour l’ancien talent d’Hugo. […] ne pratique pas, mais contre laquelle, du moins, il ne vomit plus ici le flot d’impiétés ordinaire… En ce roman de Quatre-vingt-treize, le royalisme de ses premières années, qui repousse dans Hugo, a porté bonheur à son talent. […] Quoique le sujet du livre en question protège, exalte et grandisse à plus d’une place, comme je l’ai dit déjà, le talent de Victor Hugo, le sujet n’en reste pas moins très au-dessus de son génie, et la preuve, c’est que Victor Hugo l’affaiblit, toujours et partout, quand il y mêle ses inventions.

1028. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Malheureusement, il est des écrivains, qui se laissent impressionner par ces dénigrements systématiques dont le résultat est, le plus souvent, de faire douter le véritable artiste de son talent. […] L’acharnement et surtout le talent eurent raison des résistances du sol, et la moisson d’aujourd’hui a plus que payé les labeurs du passé. […] Je dois constater la grande somme de talent d’observation dépensée, bien que l’action, réelle et forte, piétine un peu sur place. […] Lui, le Mentor de René, lui, qui veut le détourner de la voie où se sont compromis sa dignité et son talent, ne peut parvenir à s’y arracher. […] Quand, à Paris, nous lisons ces romans, c’est surtout le talent de leurs auteurs que nous cherchons, et c’est à lui que nous sommes sensibles : « Bien étudié.

1029. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Très sensible au talent, à la beauté, la vérité lui importait bien davantage. […] C’était un premier signe où l’on reconnaissait que son talent se ressentait des atteintes de l’âge. […] Le talent de s’observer et de se raconter soi-même n’est-il pas un des mérites les moins contestés de nos écrivains ? […] Il a, dès à présent, un véritable talent d’exposition. […] Celui-ci, de son côté, ne goûta jamais le talent de Guizot.

1030. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Les mémoires, composés peu après la mort de Bossuet et tout d’une haleine, sont un récit large et animé, un tableau de la vie, des talents et des vertus du grand évêque. […] Les années de retraite et d’étude à Metz, et le fruit dont elles furent pour nourrir le talent de Bossuet, sont exprimés d’une manière sensible par l’abbé Le Dieu. […] C’est en vertu du même principe de modestie, et de juste et rigoureuse distinction entre l’homme et le talent qu’au lit de mort et dans sa dernière maladie, comme le curé de Vareddes lui exprimait son étonnement qu’il voulût bien le consulter, lui à qui Dieu avait donné de si grandes et si vives lumières, il répondait : « Détrompez-vous, il ne les donne à l’homme que pour les autres le laissant souvent dans les ténèbres pour sa propre conduite. » Nous savons de nos jours, et par toutes sortes d’expériences, ce que c’est que l’homme de lettres livré à lui-même, dans toute la liberté et la verve de son caprice et de son développement ; nous savons ce qu’il est, même dans le cas où il se combine avec l’écrivain religieux et où il le complique par des susceptibilités sans nom.

1031. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Variétés littéraires, morales et historiques, par M. S. de Sacy, de l’Académie française. » pp. 179-194

On a des trésors de talent quand on parle de l’objet de sa passion. […] Mais les pires de tous à entendre sont ceux qui, sans être plats et en laissant percer des efforts d’élévation, n’attestent après tout que les convulsions d’un talent ambitieux qui se débat contre une demi-impuissance. […] On lisait donc cette pièce, un poème fort long, fort dur, fort inégal, où tous les tons se heurtaient et où tout dansait à la fois, et on allait jusqu’au bout par conscience, par égard pour les traces de talent qui s’y révélaient, pour les étincelles qui sortaient de la fumée, pour les éclairs qui sillonnaient la nuit.

1032. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Il est dangereux de s’engager trop avant dans ces minuties d’examen interlinéaire et d’en prétendre rien conclure sur les procédés du talent, du génie. […] L’éducation, le tour d’esprit, la forme de talent de Bossuet, expliquent suffisamment cette manière de penser et d’agir. […] Mais quelle rareté cependant, quelle bonne fortune unique de rencontrer un talent à la fois si élevé, si audacieux de jet, si sublime, et si sûr ; tant d’essor et d’aventure même (pour peu qu’il l’eût voulu) dans la parole, tant de sagesse et de régularité dans le conseil et dans la conduite !

1033. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Il a des talents très marqués, et l’intérêt général l’emporte toujours sur l’intérêt particulier. […] Frochot est zélé, dévoué, tout entier à son œuvre d’exécution et d’obéissance intelligente, animé d’un sentiment personnel d’humanité dans les réformes qui tiennent à l’assistance publique, au régime des prisons, paternel et plein de sollicitude pour les établissements d’instruction publique avant la création de l’Université, bienveillant pour les personnes, attentif aux talents naissants ; en un mot, doué de vertus, mais, on l’entrevoit, un peu faible : le nerf, on le pressent, le jour où il en aura besoin, est ce qui lui manquera. […] C’était d’une crédulité et d’une facilité qui trahissait et dénonçait aux yeux de tous le fonctionnaire, entier peut-être encore par les talents et l’aptitude, mais usé par le caractère et qui avait fait son temps.

1034. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

En parlant de l’amour de la gloire, je ne l’ai considéré que dans sa plus parfaite sublimité ; alors qu’il naît du véritable talent, et n’aspire qu’à l’éclat de la renommée. […] Ce dernier sentiment est presque aussi rare que le génie, et presque jamais il n’est séparé des grands talents qui font son excuse ; comme si la Providence, dans sa bonté, n’avait pas voulu qu’une telle passion put être unie à l’impossibilité de la satisfaire, de peur que l’âme n’en fut dévorée : mais l’ambition au contraire est à la portée de la majorité des esprits, et ce serait plutôt la supériorité que la médiocrité qui en éloignerait ; il y a d’ailleurs une sorte de réflexion philosophique, qui pourrait faire illusion aux penseurs mêmes sur les avantages de l’ambition, c’est que le pouvoir est la moins malheureuse de toutes les relations qu’on peut entretenir avec un grand nombre d’hommes. […] La pensée d’un ambitieux est constamment tendue à la recherche des symptômes d’un talent supérieur ; il éprouve tout à la fois et les peines de ce travail et son humiliation ; et pour arriver au terme de ses espérances, il doit constamment réfléchir sur les bornes de ses facultés.

1035. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Le talent original de M.  […] Henry Fouquier En quelques-unes de ses œuvres il a montré du talent. Ce talent ne le met pas à l’abri de la platitude ou de l’obscurité… [Le Figaro (24 mai 1891).]

1036. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

En l’an 1576, au moment où allaient s’ouvrir les États généraux de Blois, quatre ans après la Saint-Barthélemy, Henri III, qui appréhendait la réunion de cette grande assemblée, n’imagina rien de mieux, soit pour l’adoucir, soit pour la distraire, que de mander d’Italie la plus fameuse troupe d’acteurs de la commedia dell’arte qu’il y eût alors : les Gelosi (Jaloux de plaire), à la tête desquels venait de se mettre un homme distingué par sa naissance et par ses talents, Flaminio Scala, dit Flavio au théâtre. […] Née à Padoue en 1562, Isabelle brillait sur le théâtre depuis 1578, se faisait admirer par sa beauté, par ses rares talents, et, ajoutent tous les témoignages contemporains, par sa vertu. […] Elle avait un remarquable talent.

1037. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Enfin, il faut aller plus loin, il ne faut pas craindre de l’affirmer : le talent de Jules Janin était peut-être tout ce qu’il y avait de plus opposé à ce qu’on pourrait appeler « la faculté critique ». C’était suprêmement un talent d’imagination, de la fantaisie la plus entraînante, mais aussi la plus aisément entraînée, car il n’y a pas de mors possible — si moelleux qu’il soit — pour ces filles de l’air ! […] À l’heure de la vie où l’on est frivole et où l’homme tient à relever ses avantages extérieurs par les soins de la mise et les détails de la toilette, à une époque où tant de gens de lettres affectaient d’être des Beaux, parmi les de Musset, les Roger de Beauvoir, les Roqueplan, les Sue, qui furent des dandies, des gants jaunes, des furieux (un mot du jargon de la mode du temps), Janin, très à la mode par l’esprit et par le talent et très en vue, Jules Janin, qui n’était pas sans beauté alors, ne pensait point à la faire valoir, cette beauté, par les ressources que la mode offre à la coquetterie.

1038. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Les coloristes doux, les talents fins, les hommes de pastels et de nuances, trouvent leur compte à ces dégradations d’une splendeur qui vient de disparaître dans la magnificence de son centre, à ces demi-teintes qu’elle a laissées et qui ne manquent ni d’éclat, ni de profondeur, ni surtout de mélancolie. […] C’est que la grandeur ne vient ni des facultés, ni de leur emploi, ni de leur réussite, mais d’une imposante manière d’être, soit dans la vertu, soit dans le talent, soit même dans le vice ; et Mazarin manqua toujours de ce naturel et mystérieux ascendant. […] À côté de ces éclaircies, où le rayon se joue sous la plume dans la goutte de lumière qu’elle vient de verser, vous avez aussi des pages graves et fortes dans lesquelles l’historien remonte au niveau de son propre esprit et de son talent éprouvé.

1039. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

» Et Stevens témoigne du respect de Rousseau pour Millet, qui d’abord ne lui trouvait pas de talent : ce qui, d’après Stevens, décida Rousseau à venir habiter Barbizon, pour le conquérir, et il arrivait au bout de quelque temps que la communion d’esprit entre les deux peintres, amenait Millet à revenir sur ses premiers jugements. Stevens s’étonne de l’absence complète du sentiment de l’art chez la plupart des grands écrivains, affirmant qu’il n’en est pas ainsi à l’égard de la littérature chez les peintres de talent, même chez ceux qui n’ont pas fait d’humanités, déclarant qu’on ne les trouverait jamais à lire un livre d’auteur médiocre. […] Et dans la rue : « — Monsieur Français, est-ce que vraiment mon fils aurait du talent ? […] Il me montre ensuite un certain nombre de petits albums explicatifs de son talent, où, en deux ou trois coups de mine de plomb, qu’on pourrait appeler des instantanés du crayon, il surprend une attitude, un mouvement, un geste, — et rien que cela de l’homme ou de la femme, qui lui sert de modèle. […] Et certes, dans l’ouverture de mon esprit, et peut-être dans la formation de mon talent futur, elle a fait cent fois plus que les illustres maîtres, qu’on veut bien me donner.

1040. (1929) Dialogues critiques

Pierre Très bien calculé, mais je crois qu’il y en a beaucoup plus que cela qui sont de trop à l’Académie, du moins si le talent… M.  […] Paul Oui, chez ceux-là, le caractère est égal au talent. […] Le directeur, dans sa réponse, parlera tranquillement de ses ouvrages, comme s’ils existaient, de son talent, comme s’il en avait, et ira au besoin jusqu’à le comparer à Balzac. […] Cette fois-là, le scandale était au comble, et l’on raconte que des académiciens de la minorité, qui avaient voté pour l’homme de talent battu par le comitard, étaient les premiers à le dire. […] Sans même parler de conscience, de justice, de respect des bonnes lettres, du lecteur, et des talents, à qui l’on fait tort en louant des niaiseries, cela lui est physiquement impossible.

1041. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Son talent et son œuvre. —  Ses débuts. —  En quoi il s’opposait aux poëtes précédents. —  En quoi il les continuait. […] —  Élégance, froideur et longueurs de ce poëme. —  Il faut que le sujet et le talent soient d’accord. —  Quels sujets conviennent à l’artiste dilettante. —  The Princess. […] —  Manque de passion personnelle et absorbante. —  Flexibilité et désintéressement de son esprit. —  Son talent pour se métamorphoser, pour embellir, et pour épurer. […] Son talent et son œuvre. […] Comment rassembler en quelques mots tous les traits de ce talent si multiple ?

1042. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

Il les faut espiègles, alertes, vifs, pour ces artifices de scène où il ne peut y avoir de naturel que leur talent. […] Devenu plus juste avec plus de talent, Regnard se rapprocha de celui de tous les critiques qui a eu le plus de souci de la gloire des écrivains. […] De la joie et du cœur on perd l’heureux langage Pour l’absurbe talent du triste persiflage57. […] Je n’ai garde d’estimer peu le talent qu’exige un drame ; mais je fais l’histoire de ce qui dure, et quel drame a duré ? […] Il m’en coûte trop pour être ce bon entendeur à qui le demi-mot suffit, et pour avoir le premier talent après celui de faire des traits, qui est de les saisir au vol.

1043. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Si on l’écrit dans le sens du monarque et contre ses ennemis, elle est une lâcheté, et un homme de talent, quelque courtisan qu’il soit, rougit de la commettre. […] Ce n’était pas ainsi que Juvénal, son maître, parlait des indigences et des labeurs de l’esprit ; dans ses plus mordantes invectives contre les fautes du talent, il laissait tomber une larme chaude sur les iniquités de la fortune. […] La satire qu’il adresse ironiquement à son esprit, pour le gourmander sur sa manie de médire, est l’apogée de son talent de critique. […] On est homme de sens, homme d’esprit, homme de talent, homme de goût, le premier des critiques en action ; on contribue à faire les grands poètes, comme Boileau fit Racine, mais on est dépassé par ses disciples et on reste à jamais terre à terre, tandis qu’ils prennent leur vol vers la gloire avec les ailes que vous leur avez façonnées. […] vous ne l’atteignez pas, ou vous le dépassez. » Et s’il arrive que ces hommes de critique, ces logiciens des arts, ces logiciens de la langue, soient eux-mêmes capables à un certain degré de joindre l’exemple à la leçon et de produire des œuvres de talent irréprochables, leur talent accroît leur autorité, et les nations reconnaissent longtemps leurs lois.

1044. (1933) De mon temps…

Il prisait, de Maupassant, sa droiture de caractère, sa franchise, la sûreté de ses relations, et il admirait profondément le talent du conteur normand. […] C’est donc lui, ce vieux petit monsieur au dos rond et à la voix aigrelette qui a, dit-on, outre son talent de poète, celui d’imiter à merveille le bruit de la scie ! […] La hauteur intellectuelle et littéraire de Villiers accablait d’un souverain mépris ce qu’il y avait, dans le réel talent de Mendès, d’artificiel et d’un peu équivoque. […] Mme Alice Mirbeau avait des talents de ménagère et des restes de jolie femme. […] Quoiqu’il ne le montrât pas trop, cette consécration officielle de son talent lui causait une légitime satisfaction, mais il entendait bien ne pas « désarmer ».

1045. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

C’est, en effet, le premier terme qui vient à l’esprit quand on cherche à définir le talent de M.  […] Il faut traduire ce mot pour bien comprendre et les qualités et les insuffisances de ce talent. […] Qui dit talent, dit création, et qui dit création, dit mystère. […] Le talent descriptif lui paraissait tenir tout entier dans le choix du détail évocateur. […] Quel peintre surpassa en talent plastique Léonard, ce mathématicien ?

1046. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Il fallut même, pour cette dernière, vaincre une sorte d’opposition des artistes de la danse, qui s’entendaient pour lui refuser toute espèce de talent. […] Dès 1800 et vers les premières années de cette renaissance, quelques hommes de talent et de goût revinrent également au grand règne, mais par un sentiment prompt et vif d’admiration pour les chefs-d’œuvre, par l’adoption reconnue salutaire des doctrines, par l’attrait du beau langage et de l’éloquence ; les Fontanes, les Joubert, les Bausset obéirent à cet esprit et s’en firent les organes. […] L’ont-ils surpassé en exactitude ou en talent ? […] Ce que rêve et ce qu’ambitionne au fond chaque jeunesse, ce n’est pas un niveau commun qui fasse limite, « c’est une carrière ouverte à l’émulation de tous les talents pour atteindre à toutes les supériorités ».

1047. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

Le traité de La Servitude volontaire, qui, bien lu, n’est à vrai dire qu’une déclamation classique et un chef-d’œuvre de seconde année de rhétorique, mais qui annonce bien de la fermeté de pensée et du talent d’écrire, fut composé par lui, à seize ans, disent les uns ; à dix-huit ans, disent les autres. […] Montaigne était sur le point de le publier innocemment dans ses Essais, pour donner une idée du talent précoce de son ami, lorsqu’il s’aperçut qu’il avait été devancé par les violents et les irrités du temps, qui, dans un recueil imprimé au lendemain de la Saint-Barthélemy, avaient mis le traité de La Boétie avec d’autres discours du même genre, à cette fin de remuer et renverser l’État. […] Seulement, dans cet écrit si étroit et si simple d’idées, il y a de fortes pages, des mouvements vigoureux et suivis, d’éloquentes poussées d’indignation, un très beau talent de style : on y sent quelque chose du poète dans un grand nombre de comparaisons heureuses. […] Je ne dis pas que le libertinage d’esprit, qui fait la plaie du talent de Voltaire, eût jamais pu être corrigé ; il eût été modéré du moins, comme le fut celui de Montaigne.

1048. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Et nulle part il n’offre ce grand côté de talent, il n’a cet éclat de vue et de nouveauté qui absout, qui couvre et honore tous les emprunts. […] S’il eut de grands défauts, il eut aussi de très grandes vertus, et la France a eu peu de rois qui eussent eu plus de talents et de qualités nécessaires pour bien gouverner. » Et après une comparaison suivie de Louis XI avec Louis XIII, puis avec Louis XII, il termine de la sorte : Si présentement quelqu’un, dépouillé de toute prévention et pesant tout au poids du sanctuaire, voulait faire le parallèle de ces deux rois, il trouverait qu’après avoir épargné Louis XII sur tout ce qu’il a fait jusqu’à ce qu’il soit monté sur le trône, on n’en pourrait faire que ce qui s’appelle un bonhomme, et que Louis XI, malgré tous les défauts qu’on peut lui reprocher, a été un grand roi. […] Il y a mêlé plus qu’ailleurs de son accent et de son talent incisif. […] Duclos historien n’a qu’un procédé, il n’est qu’un abréviateur ; il l’est avec trait, je l’ai dit, quand il a affaire à l’abbé Le Grand ; il l’est avec un certain goût et avec un adoucissement relatif quand il a affaire à Saint-Simon ; dans l’un et dans l’autre cas pourtant, il n’a pas toutes les qualités de son office secondaire, et il ne porte au suprême degré ni les soins délicats du narrateur, ni même les scrupules du peintre qui dessine d’après un autre, et de l’écrivain qui observe les tons : il va au plus gros, au plus pressé, à ce qui lui paraît suffire ; c’est un homme sensé, expéditif et concis, et qui se contente raisonnablement ; il a de la vigueur naturelle et de la fermeté sans profondeur ; nulle part il ne marche seul dans un sujet, et jamais il ne livre avec toutes les forces de sa méditation et de son talent une de ces grandes batailles qui honorent ceux qui les engagent, et qui illustrent ceux qui les gagnent.

1049. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — III » pp. 81-102

Toutefois les talents militaires de Villars se dessinèrent avec éclat, et s’il eût rencontré un autre homme que cet électeur, on aurait vu des événements extraordinaires. […] Lui aussi, tout le prouve, il eût pu être à son heure un utile pacificateur dans nos Vendées : Il insistait auprès de Chamillart et du roi pour être employé d’une manière conforme à ses talents et à son ardeur : « Je vous avoue, écrivait-il au ministre, que l’amour-propre voudrait quelquefois qu’on ne trouvât pas tous les hommes égaux. » Faute de mieux, dans cet intervalle de campagne, il imagina un moyen de signaler son dévouement et sa reconnaissance, sous prétexte qu’il venait d’être nommé chevalier de l’Ordre : « En réfléchissant, dit-il, à ces bontés du roi et à l’état du royaume, calculant aussi mes revenus et comptant avec moi-même, je crus pouvoir faire une proposition dont l’acceptation m’aurait comblé de joie. » En conséquence, il envoie l’état de sa fortune à Chamillart, et le supplie d’obtenir du roi qu’il veuille accepter en don la somme totale de ses revenus personnels et pensions, le tout montant à soixante-et-onze mille livres par an, et cela jusqu’à la paix générale, se devant contenter, pour ses dépenses, de son traitement annuel comme commandant d’armée. […] M. le maréchal de Marcin, outre ses grands talents pour la guerre, a tous ceux qui sont nécessaires pour bien ménager l’esprit d’un prince et celui de sa Cour. De ces derniers talents-là, monsieur, je n’en ai aucun.

1050. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

L’abbé de Pons exhorte l’ami anonyme auquel il écrit à ne pas imiter ceux qui, charmés pour leur compte de la lecture d’un livre nouveau, changent d’avis le lendemain et se retournent en apprenant que des personnes célèbres et d’autorité sont d’un avis contraire : Non, monsieur, non, ne soyez pas infidèle à vos lumières ; osez penser par vous-même, et ne prenez point l’ordre de ces stupides érudits qui ont prêté serment de fidélité à Homère ; de ces gens sans talents et sans goût, qui ne savent pas suivre le progrès des arts et des talents dans la succession des siècles ; de ces scholiastes fanatiques qui entrent dans une espèce d’extase à la lecture de L’Iliade originale, où l’art naissant n’a pu donner qu’un essai informe, et qui n’aperçoivent pas dans les travaux de notre âge le merveilleux accroissement de ce même art. […] L’ignorance, c’était de ne pas se douter que l’art prosodique, le talent et la science du chant pussent être des plus développés dans Homère et d’une maturité merveilleuse, même aux origines d’une civilisation. […] Rendant hommage au mérite de M. de La Motte, qu’il ne craint pas d’appeler, « de l’aveu de tout le monde littéraire, un des premiers hommes de son siècle », l’abbé de Pons s’exprimait en paroles bien senties et moins contestables sur son caractère moral et ses vertus de société : Cette supériorité24, disait-il, est d’ordinaire compagne de l’orgueil immodéré ; mais le souverain éloge de M. de La Motte, c’est d’avoir su allier aux talents les plus éminents la plus modeste opinion de lui-même ; c’est de n’avoir jamais cherché dans les ouvrages de ses rivaux que le beau pour le protéger, et de s’être imposé un silence religieux sur les fautes dont il aurait pu triompher.

1051. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Benjamin Constant, quoi qu’il en dît, savait très bien où placer cet enthousiasme que, d’ailleurs, dès ce temps-là, il n’avait plus du tout et qu’il n’avait même jamais eu ; mais il possédait des lumières, de l’activité, des talents à produire, il avait des préférences libérales (je ne le conteste pas) ; il jugea que ce gouvernement du Directoire était bon à appuyer ; il s’y rallia publiquement ; il le défendit par des brochures, par des discours dans des cercles politiques, avant et après le 18 fructidor : preuve que Benjamin Constant, n’en déplaise à son commentateur, admettait très bien qu’il y a des moments et des cas où, à la rigueur, les principes absolus doivent fléchir devant la nécessité et le salut de l’État. […] Benjamin Constant est un homme à peu près de votre âge, passionné pour la liberté, d’un esprit et d’un talent en première ligne ; il a marqué par un petit nombre d’ouvrages écrits d’un style énergique et brillant, pleins d’observations fines et profondes ; son caractère est ferme et modéré ; républicain inébranlable et libéral. Lorsque ce talent à la fois jeune et en pleine maturité s’est annoncé ici avec un si grand éclat, on a cherché à l’écarter en disant que c’était un étranger : le fait est faux ; c’est un Français rendu à la France par le décret philosophique qui réintègre les descendants des protestants réfugiés. […] La nécessité d’écrire tous les jours me paraît, il est vrai, l’écueil du talent.

1052. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Ses talents, son intelligence, sa spécialité de courage et d’habileté, on venait de les voir à l’œuvre par un de ces soleils qui ne laissent rien dans l’ombre, et la suite des épreuves, même en des circonstances moins heureuses, ne fera que les confirmer. […] Les rares et aimables qualités du général Franceschi, son excellente éducation, ses talents d’agrément, son esprit supérieur, sans compter son haut mérite militaire, tout parlait pour lui et lui conciliait l’affection. […] Un vaste champ de bataille semblait ouvert d’abord à ses talents : il n’aspirait qu’à les déployer au grand jour. […] Le crayon fut offert au général qui, revenant à ses premiers goûts, se mit à tracer aussitôt sur les murs de sa chambre des dessins pleins d’âme et de talent.

1053. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

Jomini est un officier extrêmement distingué sous tous les rapports militaires ; il a surtout un talent rare comme officier d’état-major. » Autre apostille de Ney (janvier 1805) : « M. Jomini est susceptible par ses talents et son dévouement d’être utilement employé. […] Je le crois susceptible de devenir un militaire très distingué… » Et le 8 brumaire an xiv (30 octobre 1805), il écrivait de Landsberg, dix jours après la capitulation d’Ulm : « … Je désire vivement m’attacher cet officier qui a un mérite réel, et qui, m’ayant suivi comme volontaire depuis un an, n’a cessé de donner des preuves de talent et de courage. » Ce courage, il en avait fait preuve dans les combats qui avaient précédé la capitulation d’Ulm. […] Berthier, dans ses hautes fonctions et dans son aptitude limitée, flaira de bonne heure en Jomini un talent supérieur, un rival possible auprès de Napoléon ; les missions de confiance que Jomini va remplir au quartier général impérial dans les campagnes de 1806-1807 éveilleront surtout la jalousie du major général, qui ne perdra aucune occasion dès lors de rabaisser, de retarder, s’il était possible, et finalement de décourager, d’ulcérer et d’outrer, jusqu’à le jeter hors des gonds, un étranger de mérite, et de l’ordre de mérite le plus fait pour lui porter ombrage.

1054. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Quelque part, à bon droit, qu’on fasse à la vocation singulière et déclarée des talents, ce n’est pas sans une certaine préparation générale et une certaine prédisposition du terroir natal lui-même, qu’à titre d’écrivains français si éminents, on a pu voir sortir de Genève Jean-Jacques, Benjamin Constant de Lausanne, et les de Maistre de Savoie, ceux-ci surtout, qui n’en sont sortis que pour aller vivre tout autre part qu’en France. […] » — Mais pour saisir ces choses véritables, comme M. de Maistre l’a fait dans son récit, pour n’en pas suivre un seul côté seulement, celui de la foi fervente qui se confie et de l’héroïsme ingénu qui s’ignore, pour y joindre, chemin faisant et sans disparate, quelques traits plus égayés ou aussi la vue de la nature maligne et des petitesses du cœur, pour ne rien oublier, pour tout fondre, pour tout offrir dans une émotion bienfaisante, il faut un talent bien particulier, un art d’autant plus exquis qu’il est plus caché, et qu’on ne sait en définitive si, lui aussi, il ne s’ignore pas lui-même. Les Prisonniers du Caucase, par la singularité des mœurs et des caractères si vivement exprimés, semblent déceler, dans ce talent d’ordinaire tout gracieux et doux, une faculté d’audace qui ne recule au besoin devant aucun trait de la réalité et de la nature, même la plus sauvage. […] Son ami, le comte de Marcellus, doit être mis en possession des manuscrits qui permettront de faire un travail définitif sur cet homme sensible et ce talent aimable.

1055. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. CHARLES MAGNIN (Causeries et Méditations historiques et littéraires.) » pp. 387-414

Mais viennent les mécomptes, les embarras de la carrière, les défaillances du talent, les refus sourds et obstinés. […] Une ravissante actrice, miss Smithson, apportait et confondait, pour nous séduire, sa jeunesse, son talent, sa grâce idéale, et le charme de toutes ces beautés dramatiques si neuves qu’elle interprétait à nos eux pour la première fois. […] Cela est difficile à trouver178. » Il ajoute encore : « Les artistes sont les juges compétents de l’art, il est vrai ; mais ces juges compétents sont presque tous corrompus… Il y a environ trois mille ans qu’Hésiode a dit : Le potier porte envie au potier, le forgeron au forgeron, le musicien au musicien. » Sans doute un artiste, sur l’objet qui l’occupe et qu’il possède, aura des vues, perçantes, des remarques précises et décisives, et avec une autorité égale à son talent ; mais cette envie, qui est un bien vilain mot à prononcer, et que chacun à l’instant repousse du geste loin de soi comme le plus bas des vices, il l’évitera difficilement s’il juge ses rivaux ; sa noble jalousie (appelons ainsi la chose) le tiendra éveillé aux moindres défauts, et il sera prompt à voir et à noter ce qu’involontairement il désire ; ou bien, si la générosité du cœur s’en mêle, il ira au-devant du défaut, il passera outre et tombera alors dans des indulgences extrêmes, dans des libéralités qui ne sont plus d’un juge. […] Mais ceci nous mène à soumettre quelques remarques au talent si distingué et si sagace que nous essayons en ce moment de bien démêler.

1056. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (6e partie) » pp. 129-176

Il est plein d’imperfections, sans doute, parce que c’est un homme d’un talent borné qui l’a écrit ; mais il est plein de leçons, parce que c’est Dieu qui les donne. […] XIII « Une intention droite au commencement ; un dévouement volontaire au peuple représentant à ses yeux la portion opprimée de l’humanité ; un attrait passionné pour une révolution qui devait rendre la liberté aux opprimés, l’égalité aux humiliés, la fraternité à la famille humaine ; des travaux infatigables consacrés à se rendre digne d’être un des premiers ouvriers de cette régénération ; des humiliations cruelles patiemment subies dans son nom, dans son talent, dans ses idées, dans sa renommée, pour sortir de l’obscurité où le confinaient les noms, les talents, les supériorités des Mirabeau, des Barnave, des La Fayette ; sa popularité conquise pièce à pièce et toujours déchirée par la calomnie ; sa retraite volontaire dans les rangs les plus obscurs du peuple ; sa vie usée dans toutes les privations ; son indigence, qui ne lui laissait partager avec sa famille, plus indigente encore, que le morceau de pain que la nation donnait à ses représentants ; son désintéressement appelé hypocrisie par ceux qui étaient incapables de le comprendre ; son triomphe enfin : un trône écroulé ; le peuple affranchi ; son nom associé à la victoire et aux enthousiasmes de la multitude ; mais l’anarchie déchirant à l’instant le règne du peuple ; d’indignes rivaux, tels que les Hébert et les Marat, lui disputant la direction de la Révolution et la poussant à sa ruine ; une lutte criminelle de vengeances et de cruautés s’établissant entre ces rivaux et lui pour se disputer l’empire de l’opinion ; des sacrifices coupables, faits, pendant trois ans, à cette popularité qui avait voulu être nourrie de sang ; la tête du roi demandée et obtenue ; celle de la reine ; celle de la princesse Élisabeth ; celles de milliers de vaincus immolés après le combat ; les Girondins sacrifiés malgré l’estime qu’il portait à leurs principaux orateurs ; Danton lui-même, son plus fier émule, Camille Desmoulins, son jeune disciple, jetés au peuple sur un soupçon, pour qu’il n’y eût plus d’autre nom que le sien dans la bouche des patriotes ; la toute-puissance enfin obtenue dans l’opinion, mais à la condition de la maintenir sans cesse par de nouveaux crimes ; le peuple ne voulant plus dans son législateur suprême qu’un accusateur ; des aspirations à la clémence refoulées par la prétendue nécessité d’immoler encore ; une tête demandée ou livrée au besoin de chaque jour ; la victoire espérée pour le lendemain, mais rien d’arrêté dans l’esprit pour consolider et utiliser cette victoire ; des idées confuses, contradictoires ; l’horreur de la tyrannie, et la nécessité de la dictature ; des plans imaginaires pleins de l’âme de la Révolution, mais sans organisation pour les contenir, sans appui, sans force pour les faire durer ; des mots pour institutions ; la vertu sur les lèvres et l’arrêt de mort dans la main ; un peuple fiévreux ; une Convention servile ; des comités corrompus ; la république reposant sur une seule tête ; une vie odieuse ; une mort sans fruit ; une mémoire souillée, un nom néfaste ; le cri du sang qu’on n’apaise plus, s’élevant dans la postérité contre lui : toutes ces pensées assaillirent sans doute l’âme de Robespierre pendant cet examen de son ambition. […] Jamais peut-être sur cette terre, à aucune époque, sauf l’ère de l’incarnation de l’idée chrétienne, un pays ne produisit, en un si court espace de temps, une pareille éruption d’idées, d’hommes, de natures, de caractères, de talents, de crimes, de vertus.

1057. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Il va, vient, avec verve, adresse et talent. […] Je ne sais quel sera le jugement des temps futurs sur ces puissants et brillants écrivains, mais je croirais volontiers que, mis à part leur incontestable talent, ils représenteront un jour un célèbre exemple d’une des plus graves et des plus éclatantes erreurs esthétiques de notre Littérature, au moins dans le principe de sa doctrine. […] Ce ne fut plus une tentative isolée d’esprits mécontents du passé, ce fut la réunion, pour l’œuvre commune, des talents les plus divers. […] Vielé-Griffin prouvait la sienne en ajoutant des nuances et des tons à son talent discret et pathétique et nous contait la Chevauchée d’Yeldis ou les épisodes symboliques d’Ancaeus ou de Phocas le Jardinier.

1058. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

La cour, les ruelles, les salons, par qui cette action s’exerce, sont toujours le rendez-vous d’une société triée ; aristocratie de naissance, aristocratie de fortune, aristocratie de talent s’y rencontrent et y fraternisent. […] C’est là que pourrait bien avoir pris naissance un art encore très français, celui de séculariser la philosophie et de populariser la science, j’entends le talent de mettre à la portée des intelligences à demi cultivées les mystères réservés d’abord aux initiés. […] Que de talents affadis par l’air parfumé qu’on y respire ! […] Alphonse Daudet prétend quelque part105 que le « vrai salon littéraire, le salon où des gens de lettres ou se croyant tels s’assemblent une fois par semaine pour dire de petits vers, en trempant des petits gâteaux secs dans un petit thé, ce salon a bien définitivement disparu. » Je ne suis pas aussi sûr qu’il l’était de cette disparition ; je croirais plutôt à une transformation ; mais il est bien certain que telle brasserie, comme celle qu’il nous décrit dans le même livre106, ou comme celle qui fut, suivant Champfleury107, le temple où officièrent les pontifes du réalisme naissant, a eu sa part dans le développement de certaines écoles et de certains talents.

1059. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

Cette fois, l’erreur est trop préméditée et trop éclatante pour n’être pas hautement signalée ; il faut avertir ce grand talent qui se perd, ce ferme esprit qui s’égare, M.  […] Un talent pareil ne peut s’éclipser tout à fait. […] Pour la seconde fois, avec un talent redoublé, l’auteur a remis en scène une question scabreuse et pathétique entre toutes, celle de l’enfant naturel renié par son père et abandonné par la loi. […] Le don des larmes qui, depuis la Dame aux Camélias, semblait s’être desséché dans le talent de M. 

1060. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

On pourrait diviser les chansons de Béranger en quatre ou cinq branches : 1º L’ancienne chanson, telle qu’on la trouve avant lui chez les Collé, les Panard, les Désaugiers, la chanson gaie, bachique, épicurienne, le genre grivois, gaillard, égrillard, Le Roi d’Yvetot, La Gaudriole, Frétillon, Madame Grégoire : ce fut par où il débuta. 2º La chanson sentimentale, la romance, Le Bon Vieillard, Le Voyageur, surtout Les Hirondelles ; il a cette veine très fine et très pure par moments. 3º La chanson libérale et patriotique, qui fut et restera sa grande innovation, cette espèce de petite ode dans laquelle il eut l’art de combiner un filet de sa veine sensible avec les sentiments publics dont il se faisait l’organe ; ce genre, qui constitue la pleine originalité de Béranger et comme le milieu de son talent, renferme Le Dieu des bonnes gens, Mon âme, La Bonne Vieille, où l’inspiration sensible donne le ton ; Le Vieux Sergent, Le Vieux Drapeau, La Sainte-Alliance des peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4º Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis Le Ventru jusqu’aux Clefs du paradis. 5º Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme Les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme Les Contrebandiers, Le Vieux Vagabond. […] L’habileté, l’art, la ruse du talent de Béranger a été de faire croire à sa grandeur ; il a fait des choses charmantes, et il semble que, pour la grandeur, il n’y ait que l’espace qui lui ait manqué. […] C’est facile, coulant ; l’auteur a une fluidité nuancée et spirituelle de détail, mais aucune résistance ni solidité de jugement, aucune proportion dans sa mesure des talents et dans la comparaison des ouvrages, aucune fermeté, aucun fond.

1061. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Elle lui rendait surtout, et utilement pour son talent d’artiste, les impressions et la fraîcheur du passé qu’il avait perdues dans sa vie un peu factice : « Mes souvenirs de jeunesse connaissent tout ce que tu me dis, lui écrivait-il ; cela me fait l’effet du lointain qu’on se rappelle tout à coup distinctement, quoiqu’on l’ait pendant longtemps oublié. » Il ne se prodigue pas pour elle, mais jamais il ne la rebute ; il lui donne la réplique tout juste assez pour qu’elle ne se décourage pas et qu’elle continue. […] Paraissait-il un poète nouveau, un talent marqué d’originalité, un Byron, un Manzoni, Goethe l’étudiait aussitôt avec un intérêt extrême et sans y apporter aucun sentiment personnel étranger ; il avait l’amour du génie. […]  » Et cette dignité chez Goethe, dans le talent comme dans la personne, se marie très bien avec les grâces, non pas avec les grâces tendres ou naïves, mais avec les grâces sévères et un peu réfléchies : « Ami, lui dit-elle encore avec passion, je pourrais être jalouse des Grâces ; elles sont femmes, et elles te précèdent sans cesse ; où tu parais, paraît avec toi la sainte Harmonie. » Elle le comprend sous les différentes formes qu’a revêtues son talent, sous la forme passagère et orageuse de Werther, comme sous la figure plus calme et supérieure qui a triomphé : « Torrent superbe, oh !

1062. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Non, il ne disait pas de bêtises ; mais, à Naples, le genre de talent qu’il avait au plus haut degré était plus commun ; on y remarquait moins le jeu, l’action, chose plus habituelle, et on ne savait pas y discerner tout ce que Galiani mettait là-dessous d’excellent et d’unique. […] En tout, Galiani croyait à une doctrine secrète, à un fin mot que peu de gens sont appelés à pénétrer, et que de très grands talents eux-mêmes ne soupçonnent pas. Il prétendait, selon sa façon demi-sérieuse, demi-bouffonne, et où la pensée se doublait du calembour, qu’il y avait trois sortes de raisonnements ou résonnements : 1º raisonnements de cruches ; c’était, à ce qu’il croyait, les plus ordinaires, ceux du commun des hommes ; 2º raisonnements ou résonnements de cloches ; c’étaient ceux de bien des poètes et orateurs, de gens de haut talent, mais qui s’en tenaient trop, selon lui, aux apparences, aux formes majestueuses et retentissantes de l’illusion humaine. […] Les ministres changent, se succèdent : sa fortune, bonne assurément, mais non pas au niveau de ses talents, s’arrête au même point.

1063. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Sa témérité, ses éclats de sarcasme, ses railleries et ses insultes, plume en main, se passaient uniquement en quelque sorte dans les hauteurs de son esprit ; c’étaient les saillies, les éclairs et comme les coups de tonnerre du talent, d’un talent trop riche, surabondant et solitaire. […] Il a dans l’humeur et dans la verve le talent de faire rire en raisonnant ; il en use avec succès, en ce sens que, même dans les sujets les plus graves, il n’est jamais ennuyeux ni triste comme M. de Bonald l’est trop souvent. […] Il n’avait rien de l’auteur que le talent.

1064. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Marmontel qu’il faut toujours citer quand il ne s’agit que de tableaux de société et de critique littéraire, et qui, dans cet ordre d’idées, nous offre le type excellent du talent secondaire le plus distingué, a jugé Mme Necker dans une page à laquelle il n’y a rien à ajouter ni à retrancher. […] Tout d’abord j’y trouve cette pensée, par exemple : « Il ne faut pas seulement s’acquitter de ses devoirs particuliers, mais il faut aussi s’acquitter de ses talents et de ses circonstances envers sa conscience et la société. » S’acquitter de ses talents est ingénieux et neuf, et se comprend ; mais s’acquitter de ses circonstances, pour dire : faire ce qu’on doit dans une grande situation et avec une grande fortune, cela ne s’entend plus. […] L’autre grande amitié de Mme Necker fut pour Thomas, pour cet écrivain estimable et moral, qu’il est de mode de venir railler aujourd’hui, mais qui eut des talents littéraires distingués et des qualités de cœur touchantes : Nous fûmes unis dans notre jeunesse par tous les rapports honnêtes, lui écrivait Mme Necker (1778), et jamais une idée moins pure ne vint ternir votre amitié.

1065. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Littérairement, ces deux mémoires réunies sont la condition d’un talent original  ; isolée, la première est représentative de ces hommes qui ont vu, senti, pensé et qui ne peuvent cependant se traduire clairement ; la seconde répond à ce qu’on appelle vulgairement la « mémoire » en style pédagogique ; elle ne peut produire qu’un talent purement oratoire ou abstrait, nécessairement limité, superficiel et sans vie . […] Un style original est le signe infaillible du talent, puisque, en art, tout ce qui n’est pas nouveau est négligeable. […] Une phrase d’Albert Wolf disait : « Plongez le scalpel dans ce talent tout en surface, que restera-t-il, en dernière analyse ?

1066. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Il semble qu’il les réalisera en talent, sinon en idées. […] Ces derniers ne brillent pas en général par un souci fort apparent de découvrir des talents ignorés ou de guider le goût du public. […] Péguy qui ont révélé des talents ignorés. […] Léon Bailby rédacteur en chef de l’Intransigeant de son infatigable confiance dans le talent des jeunes et de sa volonté tenace à signaler les tentatives intéressantes.

1067. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Réception du père Lacordaire » pp. 122-129

L’Académie nouvelle n’en a pas tenu compte, et elle a sans doute bien fait de ne songer qu’au talent. On assure qu’en allant choisir à ce moment le père Lacordaire, dont elle aurait pu se souvenir plus tôt, elle a songé à autre chose encore ; je veux dire qu’elle a désiré voir appliquer ce beau talent d’orateur à un sujet qui lui était particulièrement cher, au panégyrique d’un éminent académicien mort avant l’âge et enlevé dans la ferveur de ses œuvres.

1068. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Aujourd’hui que cette vaste et gigantesque carrière s’est tout entière déroulée sans parvenir encore à s’accomplir, je suis le premier à reconnaître qu’avec Victor Hugo, si admirateur que j’aie été et que je sois toujours de toute une partie de sa prodigieuse production, je n’ai jamais réussi ou consenti à prendre son talent pour ce qu’il était, à l’accepter et à l’embrasser dans toute la vigueur et la portée de son développement, tel qu’il était donné par sa nature première et qu’il devait successivement se manifester et jaillir au choc des circonstances. […] Ce procédé, qui n’est point celui du critique impartial et tout à fait naturaliste, tenait à la fois, sans doute, à l’affection tendre que j’avais mise dès l’abord au succès et au triomphe de ce talent, et aussi à ma tournure d’esprit personnelle.

1069. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet consiste à montrer qu’en mettant à part la qualité si incomparable du talent, tout homme a dans Pascal un semblable et un miroir, s’il sait bien s’y regarder. […] Il me semble qu’après beaucoup d’éloges un peu de sympathie doit vous plaire ; j’offre la mienne à l’emploi que vous faites de votre talent, qui ne s’est pas contenté d’intéresser l’imagination et d’effleurer l’âme, mais qui veille aux intérêts sacrés de la vie humaine ; et moi, qu’une espérance sérieuse a pu seule faire écrivain, je suis heureux que vous ayez reconnu en moi cette intention, que vous l’ayez aimée ; et j’accepte avec reconnaissance les vœux par où vous terminez votre article.

1070. (1874) Premiers lundis. Tome I « Tacite »

Voilà en quoi consiste la question véritable, ou plutôt il n’y a pas là de question, En effet, pour qu’une résurrection si miraculeuse de l’auteur original fût possible, il faudrait entre son traducteur et lui non-seulement une égalité, mais une identité de talent ; et, quand on l’obtiendrait par une sorte de métempsycose, le peu d’analogie qu’il y a du traduire au produire, surtout le peu de ressemblance Ses idiomes, suffirait encore pour empêcher fréquemment le succès. […] Dureau de La Malle, qui vint après, profita amplement du travail de Dotteville ; mais, adoptant un système plus ambitieux, il visa à l’énergie, à l’éclat, à la concision de son modèle ; et comme, malgré un talent incontestable, il n’était pas de force à réussir, il ne rencontra que roideur, bizarrerie, obscurité.

1071. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Ajoutez force jactance, injures, des digressions sans motif, des omissions sans excuse, jamais un trait de talent, sinon dans quelques comparaisons ingénieuses. […] Entendu de cette façon, il nous semble que le talent fécond, brillant et pittoresque de Walter Scott, abordant le genre austère de l’histoire, a bien pu s’égarer, comme il l’a fait, à la merci de passions mesquines et de préjugés aveugles ; égarement miraculeux et de tout point incompréhensible, si l’on reconnaît à l’auteur cette intelligence profonde des époques et ce sens historique pénétrant dont on l’a jusqu’ici trop libéralement doué.

1072. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Vous n’êtes pas seulement des talents. […] « J’aime le groupe des talents nouveaux.

1073. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface d’avril 1823 »

Reconnaissant donc qu’il ne saurait trouver dans son talent ni dans sa science, par ses ailes ou par son bec, comme dit l’ingénieuse poésie des arabes, une préface intéressante pour les lecteurs, l’auteur de ceci s’est déterminé à ne leur offrir qu’un récit grave et naïf3 des améliorations apportées à cette seconde édition. […] Il faut avouer qu’outre l’agrément de voir les sept ou huit caractères romains qui forment ce qu’on appelle son nom, ressortir en belles lettres noires sur de beau papier blanc, il y a bien un certain charme à le faire briller isolément sur le dos de la couverture imprimée, comme si l’ouvrage qu’il revêt, loin d’être le seul monument du génie de l’auteur, n’était que l’une des colonnes du temple imposant où doit s’élever un jour son immortalité, qu’un mince échantillon de son talent caché et de sa gloire inédite.

1074. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Les hommes de talent mesuré, dont la phrase sort de premier jet du cerveau, calme et équilibrée, ne connaissent point ces tensions fiévreuses, ces bonheurs, ces promenades d’idées ou de forme qui faisaient sortir Jean-Jacques Rousseau de sa mansarde pour courir après le porteur d’un billet de dix lignes dans lesquelles l’auteur des Confessions croyait avoir employé un mot impropre. […] Balzac plaidant pour son propre compte dans le mémoire ayant trait au Lys dans la vallée, Balzac prétendant soustraire la tête de Peytel au bourreau, est un avocat de talent sans doute ; mais il fatigue et n’atteint pas le but qu’il se propose.

1075. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Les leçons sur les sciences suffisent lorsqu’elles ont indiqué au talent naturel l’objet particulier qui deviendra l’étude et l’exercice particulier du reste de la vie. […] Si peu d’hommes savent tirer parti de leurs talents, soit pour conserver leur bien, soit pour l’accroître, la misère est une si puissante ennemie de la probité, le renversement des fortunes est si fréquent et a de si funestes effets sur l’éducation des enfants, que j’ajouterais ici les éléments de la science économique, ou de l’art de conduire sa maison ; art dont les Grecs et les Romains faisaient si grand cas.

1076. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IV »

Servile, elle tue le talent. […] La lecture est inutile ; le style ne se forme pas ; tout s’improvise ; on a du génie ou du talent, au hasard.

1077. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

À force de se regarder le bout du nez, le plus beau visage finit par se donner un genre de regard qui ne doit pas faire beaucoup de conquêtes, et il faut se défier de la grimace, à poste fixe, du talent. Car Jules Vallès a du talent, et je tiens à ce qu’il ne nous le gâte pas et qu’il nous le conserve… Puisque j’ai parlé de Callot, je ne dirai pas, certes !

1078. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

C’est ainsi qu’en baissant dans leur moralité les peuples baissent dans leur intelligence… Nous le disions récemment, à propos de cette immense mystification que des nigauds appellent, avec un sérieux bouffon : « la science de l’économie politique », tout pour l’homme est dans les questions morales, même le secret de son talent et de son génie quand il en a. […] Dans ces passages, — et nous citerons entre autres la belle légende de l’enchanteur Merlin, rajeunie par la manière dont elle est contée, — il est évident que la plume de ce rationaliste, qui vaut mieux que sa philosophie, a tout ce qu’il faut pour tracer à l’imagination sa plus belle histoire : abondance, vigueur, grâce parfois, et toujours le rayon qui est le talent, cette autre sorcellerie qui a aussi son bûcher, mais en nous-mêmes, et que, comme l’autre, on n’éteint pas !

1079. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Il paraît que le premier qui travailla dans ce genre fut Isocrate ; cet orateur, comme on sait, eut la plus grande réputation dans son siècle ; il était digne d’avoir des talents, car il eut des vertus. […] Isocrate ajoute qu’il eut le talent de gouverner ; qu’avant lui les habitants de l’île de Chypre, entièrement séparés des Grecs, étaient tout à la fois efféminés et sauvages, ignorant également la guerre et les arts, et joignant la barbarie à la mollesse ; que ce roi leur donna et le courage qui élève l’âme, et les arts qui l’adoucissent ; qu’il créa parmi eux un commerce et une marine, et de ces barbares voluptueux, fit tout à la fois des guerriers et des hommes instruits.

1080. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Ils s’informent plutôt du talent d’un écrivain que de ses façons de voir ; et, qu’un ouvrage soit bon ou mauvais, peu leur importe sur quelles idées il est assis, dans quel esprit il a germé. […] Si le vrai talent pouvait abdiquer à ce point sa propre nature, et laisser ainsi de côté son originalité personnelle, pour se transformer en autrui, il perdrait tout à jouer ce rôle de Sosie. […] Alors la médiocrité a fait déluge ; alors ont pullulé ces poétiques, si gênantes pour le talent, si commodes pour elle. […] L’œuvre artificielle de ces hommes-là, quelque talent qu’ils aient d’ailleurs, n’existe pas pour l’art. […] talent qui n’apporte son ombre avec sa lumière, sa fumée avec sa flamme ?

1081. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

C’était une excellente arme aux mains de M. le commissaire du roi que Mlle Rachel ; son talent tout antique, plein de froide majesté, de sobre passion et de sourde ironie, remarquable par une diction irréprochable bien plutôt que par des accents du cœur, devait reproduire d’une manière satisfaisante les types grecs et romains de la littérature du xviie  siècle, poétiques figures qui semblent moins empruntées à la nature vivante qu’à l’atelier du statuaire ; mais aussi ce talent monocorde devait échouer lorsqu’elle essayerait de représenter les créations pittoresques, excentriques ou passionnées du xixe  siècle. […] Buloz se trouvait donc dans l’heureuse position d’un homme qui, chargé de chasser la littérature moderne du Théâtre-Français, a reçu, comme nous l’avons dit, des mains de son prédécesseur, le moyen de neutraliser l’influence de la tragédie contemporaine et du drame actuel, en faisant revivre, grâce à un talent inattendu et inespéré, la littérature des maîtres morts. […] Buloz, et j’ajoutai que la demande qu’il me faisait pour sa femme était inutile, attendu que, malgré la promesse faite, on ne laisserait jouer à Mme Mélingue aucune pièce de mon répertoire ; j’ajoutai que l’intention bien positive était de confisquer le talent de Mme Mélingue sans aucun profit ni pour elle, ni pour nous, ni pour le Théâtre-Français. […] « Quant à la façon leste et pédante avec laquelle M…… traite les hommes de talent et de cœur, qui valent mieux que lui, nous croirions faire injure à ces hommes en prenant leur défense. […] Scribe a assez de talent cependant pour réclamer sa part des injures qui essayent de monter jusqu’à Hugo, jusqu’à Sand, jusqu’à Eugène Sue, jusqu’à Soulié et jusqu’à moi.

1082. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

» Cette humeur du talent méconnu, cette impatience de la justice, quand elles vont jusqu’à la mort, sont un crime sans doute ; mais, dans le délire, où est le crime ? […] XXIII Ce fut donc, selon nous, une idée fausse chez M. de Laprade que de consacrer son talent à une traduction poétique de l’Évangile. […] Et cependant, en se trompant de sujet, M. de Laprade ne se trompe pas de talent. […] Si quelqu’un pouvait faire une épopée évangélique par la foi et par le talent, c’était M. de Laprade ; mais nul ne peut faire qu’une doctrine soit une poésie, ou qu’une morale soit un drame. […] Que Dieu lui conserve tous ces bonheurs : il les mérite par son caractère, de la même trempe que son génie ; car, au milieu de cette cohue de talents sceptiques, railleurs, ironiques, oiseaux siffleurs qui profanent depuis dix ans la poésie par des indécences ou des persiflages, et qui font descendre comme Heine le feu du ciel pour allumer leur cigare, Laprade, lui, conserve son honnêteté à la haute littérature.

1083. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

L’art et le talent restent classiques. […] Il a même été surfait par des idolâtries peu convenables à son genre de talent. […] On inculque ce beau principe aux individus dès le bas âge ; ils apprennent que le talent mène à tout : ils ont le talent ; ils apprennent que la supériorité sociale suit la supériorité intellectuelle : ils sont des esprits supérieurs. […] Nos esprits supérieurs crèvent de faim : il faut suivre la filière, restreindre son appétit, s’user dans de petits emplois pour de maigres résultats, s’aplatir, servir, pour arracher peut-être bien péniblement après vingt ans d’un travail de forçat, ou pour manquer finalement, malgré tout le talent et toutes les bassesses, ce que l’on s’estimait légitimement dû.

1084. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

Le moyen de découverte est la lecture des livres « où il y a du talent ». […] Goûter le talent, c’est, paraît-il, s’assimiler l’art. […] Albalat ; l’art est l’exercice spontané et ingénu d’un talent naturel. […] Cinq peintres de talent peindront différemment le même paysage. […] M. de Régnier est le premier parmi les poètes nouveaux par le talent et par la réputation .

1085. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Le bruit court que Claretie est dans la salle, et sur cette annonce, tout le monde de déployer ses talents pour se faire engager aux Français ; Antoine, lui-même, moitié pour Claretie, moitié pour moi, est superbe dans le quatrième acte. […] Puis, il y a dans la présente jeunesse, ce côté curieux qui la différencie des jeunesses des autres époques ; elle ne veut pas reconnaître de pères, de générateurs, et se considère, dès l’âge de vingt ans, et dans le balbutiement du talent, comme les trouveurs de tout. […] Au fond, le vrai talent de Millet est d’être un fusiniste, un dessinateur au crayon noir avec des rehauts de pastel, le dessinateur styliste de la « Batteuse de Beurre » et de tant d’autres dessins. […] Malheureusement, je crois déjà l’avoir dit, je ne peux pas formuler quelque chose, sans que mon écriture soit une façon de dessin, d’où sort mon talent d’écrivain. […] Il ajoute qu’il est menteur, menteur, qu’il a une très moyenne intelligence, mais une volonté enragée, avec le talent, un talent tout particulier de parler à la corde sensible des gens auxquels il s’adresse, et qu’il a très souvent la bonne fortune des mots qui enlèvent, enfin qu’il est un allumeur de foules.

1086. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Et leur talent est bien aussi celui de Charles Demailly : … Talent nerveux, rare et exquis dans l’observation, toujours artistique, mais inégal, plein de soubresauts, et incapable d’atteindre au repos, à la tranquillité des lignes, à la santé courante des œuvres véritablement grandes et véritablement belles9. […] Un tel genre de talent ne peut s’appliquer tout entier, on le comprend, qu’à la peinture des choses vues, de la vie moderne, surtout parisienne. […] Comme leur talent naturel allait plutôt à la peinture curieuse et trépidante des « milieux » qu’à l’invention et à la narration continue d’« histoires » intéressantes, ils en ont, dès le premier jour, pris hautement leur parti, même avec affectation. […] Une fois la sottise faite, la forme que prend son repentir, son volontaire abrutissement par l’absinthe, son suicide, tout cela est-il d’accord avec l’idée qu’on nous a donnée de son caractère   Dans Marthe et dans Manette, telles qu’elles nous sont d’abord présentées et telles qu’elles se montrent un assez long temps, qui pourrait soupçonner la petite créature haineuse et féroce et l’épouvantable juive sous qui succombent la raison de Charles et la dignité et le talent de Coriolis ? […] Sur Garnotelle, dans Manette Salomon, ils sont inépuisables : … Presque toute la critique, avec un ensemble qui étonnerait Coriolis, célébrait ce talent honnête de Garnotelle.

1087. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Taine a tenté d’établir entre l’artiste et l’habitatdp soit de sa jeunesse et de sa famille, soit de sa race, à l’exemple de Sainte-Beuve qui avait déjà essayé d’expliquer par cette cause le talent de certains écrivains. […] Les auteurs bourgeois ont un talent bourgeois ; les auteurs aimés des artistes, ont eux-mêmes la grâce, la finesse de sens et la légèreté d’âme des artistes. […] Cependant serait-il téméraire de croire que quelques Naevius, quelques Ennius, quelques Caecilius, quelques Lucilius de plus de talent, eussent fait tourner la balance, alors, avant ou plus tard, en faveur de la littérature purement latine ? […] Or, évidemment, des artistes d’un talent aussi contraire ne peuvent représenter le même milieu ; il faut donc admettre qu’ils représentent des milieux divers comme eux-mêmes, qu’il y a autant de milieux que d’artistes et qu’il naît autant des uns que des autres. […] Nous ne savons pas comment ces grands hommesdz se produisent ; la loi qui règle la naissance et la nature des génies et des talents nous est inconnue ; nous savons seulement qu’aucune des hypothèses que l’on a émises sur ces lois ne rend compte de tous les faits.

1088. (1914) Boulevard et coulisses

Si l’énergie et le talent personnels de l’homme de lettres demeurent les facteurs principaux, il y en a d’autres dont le total a peut-être autant d’importance. […] Je serais tenté de vous citer trop de noms, un Emmanuel Arène, foudroyé comme il arrivait au sommet de son talent et de sa carrière, d’autres, au contraire, bien vivants, bien campés, Adrien Bernheim, qui n’avait pas encore tout à fait un an de théâtre, ou Pierre Decourcelle que le krack de l’Union générale venait de jeter de la Bourse au boulevard et au journalisme, le mettant sur la voie qui devait le conduire à la présidence de la Société des auteurs. […] Certes, le vaste champ de la pornographie nous est ouvert et tout le monde a le droit de faire chanter des chansons obscènes par des femmes légèrement vêtues de deux boucles d’oreilles ; mais si nous avions le talent, ce n’est pas la censure qui nous empêcherait de faire jouer Tartuffe et le Mariage de Figaro ou de publier Candide. […] Les origines littéraires de son talent n’importent guère, non plus que les mystérieux rapports qui existent entre le talent et le succès ; c’est le succès seul qui excitera la curiosité, le succès avec ce qu’il a de sportif et de pittoresque, avec ses bénéfices, ses rivalités, sa bataille, le déchaînement des jalousies, les applaudissements frénétiques, le dénigrement forcené, cet aspect de lutte et de course que nous voulons à tous les spectacles. […] Il ne sait plus ou il n’ose plus présenter au lecteur des aspects généraux et larges d’une époque ; il rétrécit et use son talent dans le détail.

1089. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Tallien ne manquait ni de talent ni de capacité ; quant à la probité, il en avait au moins autant que la plupart des hommes de gouvernement d’alors. […] Fourès, — dont nous reconnaissons d’ailleurs l’admirable talent, — et comme M.  […] Allemand d’origine, il avait dans son talent un je ne sais quoi d’original. […] ne parlons pas, s’il vous plaît, de ces gens-là, ils ont du talent à faire frémir dans leur cercueil les cendres de M.  […] « Quand il est purement plastique, dit un jeune critique de talent, M. 

1090. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Il existe un éloge de lui par Pierre Saumaise, conseiller au parlement de Bourgogne et cousin de l’érudit : cet éloge, où il y a bien du mauvais goût, offre aussi des parties de talent et des traits d’éclat qui méritent d’en être détachés. […] Jeannin, dès sa jeunesse, s’annonça par ses talents et par son mérite ; il alla étudier aux universités, notamment à Bourges sous Cujas. […] J’appelle le moment où, sous un roi magnanime et brave qui sait distinguer les hommes, la carrière se rouvrira pour le président Jeannin, carrière d’honneur, d’utilité manifeste, de services publics non équivoques, et qui parleront d’eux-mêmes : on y verra enfin se dessiner tout entier le vieillard illustre et consommé, qui a en lui les talents d’un Forbin-Janson, et qui tient aussi des vertus de L’Hôpital.

1091. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Déjà renommé à Paris pour sa traduction des Lettres de Coxe, accueilli par le meilleur monde, devenu le guide de toute cette belle société qui se prenait d’amour pour la nature de Suisse et pour les glaciers, il attira nécessairement l’attention du cardinal prince de Rohan, évêque de Strasbourg, qui fut flatté de trouver dans un jeune Alsacien de si grands talents, et qui se fit un honneur de l’attacher à sa personne. […] Il est à noter cependant que peu après ou durant même le procès du Collier, Jefferson, le ministre américain en France, ayant à faire un voyage, apprécia assez les talents et la capacité de Ramond pour le charger de suivre en son absence les affaires de son gouvernement ; il fut même question alors pour Ramond de partir pour l’Amérique et d’y obtenir je ne sais quel poste auprès de Washington. […] Il ne disait pas assez en parlant ainsi ; il ne disait pas que dans ses propres écrits comme dans ceux d’un bien petit nombre de savants exacts, il était entré quelque chose de la beauté de l’art et de la magie du talent, et qu’il y aurait à citer des disciples de premier ordre dans la postérité de Buffon : lui-même, fût-il le seul, en serait la preuve.

1092. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il y a des âmes nées guerrières ; elles le sont par l’instinct qui les pousse aux périls, par les ressources de génie qu’elles y trouvent, et les talents, chaque fois imprévus, qu’elles y déploient, comme par l’ardeur croissante dont elles s’y enflamment ; elles le sont aussi, pendant et après l’action, par l’expression et par la parole. […] Lorsque les Commentaires de Montluc furent imprimés pour la première fois quinze ans après sa mort, en 1592, l’éditeur les fit précéder d’une dédicace « À la noblesse de Gascogne » qui est en des termes dignes de son objet : Messieurs, comme il se voit de certaines contrées qui produisent aucuns fruits en abondance, lesquels viennent rarement ailleurs, il semble aussi que votre Gascogne porte ordinairement un nombre infini de grands et valeureux capitaines, comme un fruit qui lui est propre et naturel ; et que les autres provinces, en comparaison d’elle, en demeurent comme stériles… C’est votre Gascogne, messieurs, qui est un magasin de soldats, la pépinière des armées, la fleur et le choix de la plus belliqueuse noblesse de la terre, et l’essaim de tant de braves guerriers… Sans faire tort aux autres provinces et sans accepter ces injurieuses préférences de l’une à l’autre, il est un caractère constant et qui frappe dans les talents comme dans les courages de cette généreuse contrée, et l’on ne saurait oublier, en lisant Montluc, que cette patrie de Montesquieu et de Montaigne, comme aussi de tant d’orateurs fameux, fut celle encore, en une époque chère à la nôtre, de ces autres miracles de bravoure, Lannes et Murat. […] Il sied mal de dérober l’honneur d’autrui ; il n’y a rien qui décourage tant un bon cœur. » Dans les diverses guerres auxquelles il prend part et qu’il nous décrira, il est de certains faits qu’il aura ainsi trop de curiosité et de plaisir à raconter, à déduire au long et par le menu, pour qu’on n’y voie point se déceler et se déclarer le genre de talent militaire particulier et propre à Montluc : c’est ordinairement dans ce qu’il appelle une faction ou fait d’armes à part, dans un coup de main, un stratagème bien ourdi, une escarmouche bien menée, une attaque de place réputée imprenable, ou une défense déplacé réputée intenable, quelque entreprise soudaine et difficile, une expédition en un mot qui fasse un tout, à laquelle il commande, sans qu’il soit besoin d’avoir sous sa main autre chose qu’une élite, c’est là qu’il se complaît et où il excelle.

1093. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

C’est beaucoup ; c’est peu pourtant, si l’on considère la diversité des génies et l’infinité des formes que peut revêtir la nature des talents. […] Ce n’était point par le talent des vers que brillait Perrault, quoiqu’il en fît parfois d’agréables et de faciles ; mais le grand nombre étaient prosaïques et flasques, et d’une facture antérieure à celle qu’avait réglée et fixée Despréaux. […] Mais entre tout ce qui défilait devant lui de ces contes de la Mère l’Oie, si mêlés et faits presque indifféremment pour tenir éveillé l’auditoire ou pour l’endormir, il eut le bon goût de choisir et le talent de rédiger avec simplicité, ingénuité.

1094. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Fervel vient de s’en acquitter avec exactitude et science, avec âme et talent. […] Animé d’une plus belle ardeur que jamais, heureux, comme peu d’hommes de son âge le sont, d’avoir trouvé une occasion tardive de déployer ses talents et de consacrer à son pays ses vertus guerrières, il s’apprêtait à frapper quelque coup au centre ou au revers des montagnes, qui eût fait une diversion puissante et opportune aux opérations principales que concertait en ce même temps le brave et habile Dugommier. […] Que le Dugommier vif et franc, brave et simple autant qu’habile, et dont les talents n’éclatèrent également qu’à la fin de la carrière, paraît donc supérieur à ce Dumouriez, qui fut un libérateur aussi à son heure, mais qui ternit sa gloire, de tout temps un peu équivoque, par les intrigues manifestes et les manigances prolongées de sa dernière vie !

1095. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Avant d’être lui-même et de dégager son talent original, Cervantes subit la loi commune ; il adopta les modes des temps et des lieux où il vivait. […] On suppose avec vraisemblance que c’est dans ces années de séjour à Séville qu’il commença à écrire quelques-unes de ses Nouvelles publiées bien plus tard (1613), et où il devait montrer un talent particulier et tout nouveau, vérité d’observation, vivacité de descriptions, esprit, grâce, et une richesse native d’idiome qui n’a pas été égalée. […] Par les traductions et les analyses dont se compose ce volume, on peut se faire une idée juste de cette face du talent de Cervantes.

1096. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Le succès, dans ses caprices, va quelquefois au pur mérite, au talent modeste et caché ; il va même au talent absent et disparu qui, vivant, s’ignorait en partie ou qui avait aimé à ne pas se faire connaître. […] On critique, on chicane les individus, les talents à l’état simple et privé ; on ne chicane pas les types.

1097. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Ces réserves faites, nous reprenons la marche et le cours magnifique du talent, en nous y laissant porter. […] Bossuet excelle à découvrir et à exprimer ces doubles sens qui sont l’attrait et le mirage des imaginations tournées au mystique, et où il triomphe après saint Augustin, après saint Bernard, après tant d’autres ingénieux talents ; car ce qu’il y a eu d’esprit, à proprement parler, dépensé à ces sortes de subtilités depuis tantôt deux mille ans est prodigieux. […] Tel est, — tel du moins qu’il s’est dessiné à moi en toute sincérité, — ce noble ouvrage qui restera toujours comme un puissant monument de la vue, de la force surtout, de l’ordonnance et de la méthode propres à Bossuet, en même temps que de son mâle et majestueux talent.

1098. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Ces jugements ne peuvent être dès lors rédigés que par des gens superficiels, en notes courtes sans valeur et sans intérêt, ne comportant pas la place d’exposer les sujets, d’étudier le talent des auteurs, permettant tout juste l’éloge ou le blâme. […] Jadis, il lisait son critique, et achetait de confiance les livres qu’il recommandait, en sorte qu’un homme lettré, maître d’un feuilleton périodique, pouvait faire du bien à des gens de talent et même leur ouvrir un avenir. […] Ils publieraient dans les revues, ou dans un organe spécial qui serait une sorte d’encyclopédie maniable, les résultats synthétiques des talents contribués à la littérature, ils suivraient à travers les livres les développements des grands sentiments humains.

1099. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Arlequin, après avoir fait deux fagots, veut en charger son âne ; il est surpris de trouver, au lieu de sa souquenille, un habit magnifique, une perruque, un masque, un chapeau bordé : il demande à son âne s’il sait comment tout cela a été changé, et le félicite de ses talents s’il est pour quelque chose dans la métamorphose. […] Ces canevas nous paraissent appartenir, au moins pour le fond, à la période où les rôles des deux zanni acquirent une importance exceptionnelle sur le théâtre italien de Paris, grâce au talent supérieur du Trivelin Locatelli et de l’Arlequin Dominique, qui y régnèrent l’un à côté de l’autre de 1662 à 1671, époque où le premier mourut et Dominique resta seul maître de l’emploi. […] » Fils d’un père et d’une mère qui jouaient la comédie, il avait été élevé pour la profession de comédien et possédait toutes les qualités, tous les talents nécessaires à cette profession, l’adresse, la souplesse, la dextérité.

1100. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

L’inimitié de Colbert, le peu d’habileté de La Fontaine à faire sa cour, un talent peu fait pour être apprécié par le roi, de petites pièces qui paraissaient successivement, ne pouvaient avoir l’éclat d’un grand ouvrage, et semblaient manquer de cette importance qui frappait Louis XIV ; des contes un peu libres, dont on avait le souvenir dans une cour qui commençait à devenir dévote : toutes ces circonstances s’étaient réunies contre La Fontaine, et l’avaient fait négliger. […] Il faut pardonner à un vieillard déjà accablé de peines et d’infirmités, le ton faible et le style languissant de cette épître dédicatoire ; il faut même s’étonner de retrouver dans plusieurs des fables de ce douzième livre, une partie de son talent poétique, et, dans quelques-unes, des morceaux où ce talent brille de tout son éclat.

1101. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Chaque classe a son préfet à demeure et qui ne monte qu’à titre de talent et de capacité à un poste plus haut. […] Il peut enseigner quatre ou six heures par jour, ce qui lui fait un sort assez considérable, sans qu’il en coûte beaucoup à chaque étudiant en particulier, et toujours relativement à ses talents et à sa capacité, parce qu’un professeur sans talents est un professeur sans auditeurs.

1102. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Dans tous les genres de littérature, la raison a fait un petit nombre de règles, le caprice les a étendues, et le pédantisme en a forgé des fers que le préjugé respecte, et que le talent n’ose briser. […] Préjugé de traducteur à part, comme il est sans comparaison le plus grand historien de l’antiquité, il est aussi celui dont il y a le plus à recueillir ; mais ce que j’offre aujourd’hui suffira, ce me semble, pour faire connaître les différents genres de beautés dont on trouve le modèle dans cet auteur incomparable, qui a peint les hommes avec tant d’énergie, de finesse et de vérité, les événements touchants d’une manière si pathétique, la vertu avec tant de sentiment ; qui posséda dans un si haut degré la véritable éloquence, le talent de dire simplement de grandes choses, et qu’on doit regarder comme un des meilleurs maîtres de morale, par la triste, mais utile connaissance des hommes, qu’on peut acquérir par la lecture de ses ouvrages. […] La principale chose à laquelle je me suis appliqué, a été de conserver la précision, la noblesse et la brièveté de l’original, autant que me l’a permis mon peu de talent pour lutter contre un écrivain tel que Tacite, et le faible secours d’une langue aussi difficile à manier que la nôtre, aussi ingrate, aussi traînante et aussi sujette aux équivoques.

1103. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Seconde partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère de la littérature et des arts » pp. 326-349

Les historiens donc ont voulu, chez les anciens comme chez les modernes, faire briller leurs talents, au lieu de faire briller la vérité. […] Un homme de talent, quel que soit d’ailleurs son talent, ne peut rendre poétique une chose qui ne l’est pas, une chose qui n’est pas déjà de la poésie.

1104. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Guizot l’a fait, c’est qu’il possède un autre talent. […] Aucune sorte de talent ne pénètre le lecteur d’impressions plus vives et plus contraires. […] Non ; par malheur, son talent tient à ses défauts. […] À tout le moins elle donne le talent. […] Polybe déjà disait qu’il ne donnerait pas six mille talents de tout le Péloponnèse.

1105. (1923) Les dates et les œuvres. Symbolisme et poésie scientifique

En même temps il dénonce violemment les suiveurs, sans talent, posant à la décadence et l’étant vraiment. […] Et il ne plut ni aux Parnassiens, ni aux Symbolistes — qui au même temps déniaient même du talent à l’auteur du noble et tendre poème Bonheur, qui venait de paraître. […] Mais probablement Moréas l’a-t-il particulièrement agacé: « Quand il a dit, avec son ineffable sourire et le geste dont il frise perpétuellement sa moustache : « Moi, j’ai du talent !  […] de Charles Morice, quel outrecuidant résumé de sa solennelle et verbaliste pauvreté d’idées et de talent ! […] D’ailleurs, il n’importe… De l’école symboliste actuellement en Apogée, il ne restera d’ici peu que des talents individuels et admirés malgré et non pour les théories.

1106. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

La question d’ailleurs n’est pas dans les genres ; elle est toute dans les personnes et dans les talents. Mais un talent étranger, si habile qu’il soit, peut-il arriver à posséder un idiome comme le nôtre et à le parler en des vers (soit classiques, soit romantiques) assez librement et naturellement pour s’y produire en pleine originalité ?

1107. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

Voiture s’était fait remarquer, dès l’âge de quinze ans, par une longue épitre au roi, ouvrage de jeune homme, mais où, parmi les antithèses et les jeux de mots, on ne peut s’empêcher de reconnaître de l’esprit, du talent et surtout de l’élévation. […] Une lettre que lui adressa Voiture, sous le nom de Callot, fameux graveur du temps, la félicite de son talent pour le dessin.

1108. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — M. de Voltaire, et l’abbé Desfontaines. » pp. 59-72

Son talent devenoit pour lui de jour en jour plus lucratif. […] C’est dans ces écrits périodiques que Desfontaines a paru aux yeux de ses partisans l’Aristarque de nos jours : c’étoit à leur gré un critique judicieux, qui avoit le tact sûr, avec un talent singulier pour saisir les beautés & les endroits foibles d’un ouvrage ; pour les présenter au public dans leur vrai point de vue, pour les lui présenter d’une manière élégante & enjouée ; un observateur qui mettoit de l’intérêt dans les moindres choses, qui sçavoit l’art d’amuser & d’instruire, de fondre habilement, dans l’occasion, toute cette érudition qu’il avoit puisée dans les meilleurs écrivains anciens & modernes.

1109. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Michel Van Loo » pp. 66-70

Le talent seroit-il si journalier ? […] Son talent s’étend en raison de la grandeur de son cadre.

1110. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

Son talent, s’il en avait eu, aurait bénéficié du malheur auguste et mystérieux de la Cause de Dieu, perdue par les hommes, au XVIe siècle ; car c’est presque une loi de l’histoire, avec la mélancolie naturelle à l’âme humaine, que les causes perdues nous prennent plus fortement le cœur que les causes triomphantes et soient plus belles à raconter ! […] Ce livre a la puissance personnelle des facultés qui font le talent, mais il a l’impuissance de son siècle, — d’un siècle à qui manque radicalement le sens des choses religieuses, et il en faut au moins la connaissance et la compréhension pour en parler dans une histoire où elles tiennent une si grande place.

1111. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Alexandre Dumas fils » pp. 281-291

… Il est vrai que tous les jours une idée est commune et que le talent s’en empare et sait revêtir cette idée de détails, grandioses ou charmants, qui la font disparaître comme disparaît le bois de la bobine sous le fil d’or qu’on peut enrouler à l’entour. […] D’un autre côté, la Critique pourrait admettre encore que si Alexandre Dumas fils n’avait pas cette puissance de détails qu’ont les grands inventeurs dans l’ordre du roman comme Balzac, il était bien capable — lui qui passe pour l’esprit le plus dramatique de notre temps quand il s’agit de mettre en œuvre une idée quelconque, lui qui fait de l’arrangement d’un drame une espèce de création, lui, enfin, l’orthopédiste dramatique qui redresse les enfants mal venus, mal bâtis, bossus ou bancroches, et qui dernièrement a failli faire de ce talent-là une industrie, — de tailler quelque chose de grand, de profond et de nouveau, dans l’idée commune de son roman que lui ont soufflée ses habitudes de théâtre, et de se rattraper de son impuissance radicale de romancier sur son habileté de grand poète dramatique, puisqu’on dit qu’il l’est ?

1112. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

L’homme qui la lui donna était Louis Wihl, l’auteur des Hirondelles 34 et du Pays bleu 35, le poète dont nous allons parler ; Louis Wihl, l’homme le mieux fait pour assister Heine à son heure dernière, car il était son parent par l’esprit, le talent, la faculté poétique, et il était son supérieur par la foi en Dieu, les grandes croyances gardées, la droiture morale de la vie, et, tronc solide, il était bien en droit d’offrir à la liane qui allait s’abattre un dernier appui. […] Adam Mickiewicz, dans son temps, a été plus heureux… Mais si, dans le sien, Duruy, l’homme des initiatives, mais que j’estime, moi, pour ce crâne amour des initiatives, en prenait une généreuse vis-à-vis de Louis Wihl, qui a besoin de Paris pour ses travaux, Duruy honorerait également le talent, le malheur et son ministère… 33.

1113. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Cette institution était conforme à l’esprit républicain ; mais quand le gouvernement vint à changer, quand le monde entier fut dans la main d’un empereur, et que cet empereur qui n’était presque jamais appelé au trône par droit de succession, craignant à chaque instant ou des rivaux ou des rebelles, eut l’intérêt funeste de tout écraser ; quand on vint à redouter les talents, quand la renommée fut un crime, et qu’il fallut cacher sa gloire, comme dans d’autres temps on cachait sa honte, on sent bien qu’alors il ne s’agissait pas de louer les citoyens : les grandes familles aimaient mieux la sûreté et l’oubli, que l’éclat et le danger. […] On sait que ce prince voulut étouffer toutes les vertus, avec tous les talents ; sous lui on publia les éloges de deux grands hommes ; c’étaient Thraséas et Helvidius.

1114. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

À l’égard d’Horace, né avec de l’imagination, un esprit délicat, la manie de plaire aux grands et l’art de réussir, il eut les talents et les vices d’un courtisan poli. […] Sénèque, qui alors était exilé en Corse, et qui aurait mieux aimé faire admirer ses talents dans l’opulente et voluptueuse Rome, sous prétexte de consoler cet esclave, mendie lâchement sa faveur par des éloges.

1115. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Mais, comme en même temps il y a dans chaque siècle un caractère qui s’imprime à tout, la servitude de l’Asie s’étendit dans les Gaules, et l’éloquence corrompue et faible n’y fut, comme ailleurs, que le talent malheureux ou d’exagérer quelques vertus, ou de déguiser des crimes. […] C’est un monument flatteur du respect de la puissance pour les talents.

1116. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

De là, selon les circonstances futures, pourront éclore les talents ou les maladies. […] Comme chaque essence d’arbre porte ses fruits, chaque complexion produit ses talents. Un jour on demandait au chanteur Geraldi ce qu’il pensait de Jenny Lind. — « C’est un talent blond », répondit-il. […] Notre contemporain Diaz de la Pena a du sang espagnol dans son talent comme dans ses veines. […] Brunelleschi avait tous les talents, depuis la poésie jusqu’à l’art de faire des montres ; mais l’architecture était son domaine.

1117. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Donc ce jeune homme a bien du talent. […] Le talent de M.  […] Il y aura toujours du « je ne sais quoi » dans le talent de M.  […] C’est l’œuvre d’un homme de talent. […] Elle ne l’a pas joué qu’avec son talent.

1118. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Lorsque Maupassant commença de publier, il était en pleine possession de son talent. […] Ce dont il faudrait parler, c’est d’un merveilleux talent d’évocation. […] Son talent est fait d’un ensemble de qualités qui le plus souvent s’excluent. […] Lamartine est un « génie qui a dédaigné d’avoir du talent ». […] Ils se sont souciés de faire du bien et point de faire preuve de talent.

1119. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Son magnifique talent d’écrire est bien resté français dans la forme. […] Ils en redoutent les conséquences sur la destinée des jeunes gens de talent, dénués de ressources. […] Qu’on le veuille ou non, pensionner le talent jeune, c’est toujours risquer de l’enrégimenter. […] Les siècles, les noms, le genre du talent importent peu. […] Leur talent, émané de la vie provinciale, est devenu un apport à l’intensité de l’action parisienne.

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