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541. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Préface »

Il m’a rapatrié dans le monde antique, il m’a ramené aux sources sacrées ; j’y ai puisé les plus pures joies qui puissent rafraîchir et ravir l’esprit. « Les Grecs » — a dit Goethe dans un mot célèbre — « ont fait le plus beau songe de la vie. » Ce songe, je l’ai refait avec eux ; et il me semble que je m’en réveille en écrivant les dernières lignes de ces pages pleines de leur gloire et de leur génie.

542. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racan, et Marie de Jars de Gournai. » pp. 165-171

On l’y appelle orgueilleuse, laide, acariâtre, coureuse, débauchée, pucelle de cinquante-cinq ans, fille de joie.

543. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si le goût est une chose de caprice, s’il n’y a aucune règle du beau, d’où viennent donc ces émotions délicieuses qui s’élèvent si subitement, si involontairement, si tumultueusement, au fond de nos âmes, qui les dilatent ou qui les serrent, et qui forcent de nos yeux les pleurs de la joie, de la douleur, de l’admiration, soit à l’aspect de quelque grand phénomène physique, soit au récit de quelque grand trait moral ?

544. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Non que cette joie ait été, pour moi, libre de toute inquiétude, et je vous dirai tout à l’heure mes doutes et mes embarras. […] Malandran rappelle à Fanette avec quelle joie il l’a épousée et les circonstances de la cérémonie… Pouvais-je faire plus ? […] — Alors… c’est que tu veux me ménager, pour ne pas me faire mourir de joie ?  […] C’est une joie de voir quelle idée se font les auteurs, les acteurs et le public, d’un général dans l’exercice de ses fonctions. […] Toute la petite ville en frémit de curiosité, de peur, d’orgueil et de joie.

545. (1869) Philosophie de l’art en Grèce par H. Taine, leçons professées à l’école des beaux-arts

Les anciens content que Pythagore fut si transporté de joie lorsqu’il trouva la proposition du carré de l’hypoténuse, qu’il promit aux dieux une hécatombe. […] C’est un beau pays qui tourne l’âme vers la joie et pousse l’homme à considérer la vie comme une fête. […] Il s’agit de paysans athéniens qui célèbrent le retour de la paix. « Quelle joie, quelle joie de déposer le casque et de laisser là fromages et oignons !  […] Une telle simplicité de conception tient en grande partie au climat, à la pureté de l’air, à l’étonnante joie qu’on y respire, mais bien plus encore aux instincts de la race hellénique, adorablement idéaliste. […] La belle humeur, la joie de vivre, sont les choses grecques par excellence.

546. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Vous savez d’ailleurs que tous les rêves de cette aimable Ondine sont si hauts et si purs, que l’on peut du moins y sacrifier en toute sûreté la joie de sa présence. […] Cependant il y eut une saison d’oubli, de joie et de gaieté douce à la campagne, dans les propriétés de M.  […] » Les pressentiments se justifièrent trop vite, et quelques mois à peine écoulés, cette joie mélangée de crainte était changée en un deuil amer, inconsolable (12 février 1853)94.

547. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

» Ce sont à chaque fois des refrains de réveil : Salut et joie ! […] Les derniers événements l’ont alimenté ; les lumières de la raison se sont unies à l’instinct du sentiment pour l’entretenir et l’augmenter… Je finirai de mourir quand il plaira à la nature, mon dernier souffle sera encore le souffle de la joie et de l’espérance pour les générations qui vont nous succéder. » Les jugements de Mme Roland sur La Fayette en particulier ont lieu de nous frapper par le contraste qu’ils offrent avec l’unanime respect dont nous avons entouré cette patriotique vieillesse. […] Sous son air modeste, on apercevait son rayonnement et sa joie d’être ainsi active aux choses publiques.

548. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

On sait les craintes, les obstacles qu’on s’exagérait peut-être, les péripéties du débat, l’éclat de l’éloquence qui y fut déployée, la joie qui suivit le succès : il y eut un moment où l’on crut réellement (et dans cette supposition je me place en dehors du Sénat, et je me tiens avec le simple public), — où l’on crut tout de bon qu’on entrait à pleines voiles dans un second bassin politique, dans la seconde période toute libérale de l’Empire. […] De temps immémorial en France, l’humeur gauloise, on le sait, s’en est donné à cœur joie sur les moines, les femmes et les maris : témoins les fabliaux qui couraient déjà du temps de saint Louis, les noëls licencieux et les couplets du temps de Louis XIV, et tous les mémoires secrets sous Louis XV. […] On se plaint souvent que la littérature actuelle ne soit pas plus forte, plus élevée, plus semblable à celle des siècles précédents, des grandes époques précédentes : je ne sais ce que ces plaintes ont de fondé ; nous sommes trop juge et partie peur avoir voix au chapitre dans la question ; mais, en admettant le fondé du reproche, comment voulez-vous que la littérature, la véritable, celle qui a son inspiration propre, celle qui n’est animée ni du désir du gain ni de l’ambition des honneurs, mais qui a sa verve naturelle, originale, son goût de fantaisie ou de vérité, et d’une vérité piquante et parfois satirique (car ce ne sont pas les sujets qui manquent), comment voulez-vous que cette littérature qui sacrifie tout à elle-même, à sa propre satisfaction, au plaisir de rendre avec art, avec relief, et le plus excellemment possible ce qu’elle pense, ce qu’elle voit et dans le jour sous lequel elle le voit, comment voulez-vous qu’elle ait toute sa vigueur, sa joie, sa fierté et son indépendance, si, à tout moment, l’écrivain qui tient la plume a à se faire cette question : « Aurai-je affaire ou non à messieurs du parquet, à messieurs de la police correctionnelle ? 

549. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

On pourrait nous supposer la joie maligne de la république surgissant contre un trône écroulé. […] XV « En floréal, cet énorme buisson, libre derrière sa grille et dans ses quatre murs, entrait en rut dans le sourd travail de la germination universelle, tressaillait au soleil levant presque comme une bête qui aspire les effluves de l’amour cosmique et qui sent la sève d’avril monter et bouillir dans ses veines, et, secouant au vent sa prodigieuse chevelure verte, semait sur la terre humide, sur les statues frustes, sur le perron croulant du pavillon et jusque sur le pavé de la rue déserte, les fleurs en étoiles, la rosée en perles, la fécondité, la beauté, la vie, la joie, les parfums. […] Il lui sembla, et elle en éprouvait une joie encore tout enfantine, qu’elle allait enfin se venger.

550. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

V Aurore au bord de mes ténèbres… C’est la joie. […] Pour donner à la vie un mirage de ciel, Il la plonge et l’empourpre au sang torrentiel De la joie exultant en un divin tumulte. […] Souvent, il « interpellait les cieux » et « doutait de sa vocation » ; il sentait, « que dans la vie bourgeoise et artistique son existence était sans raison d’être » ; un moment après, il ouvrait la partition de la neuvième symphonie et « des sanglots de joie l’étouffaient », il ne doutait plus de sa mission (II, 69, écrit en 1846).

551. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

petit, petit, et bénin, bénin… Une joie douce nous a envahis soudain : ce siffleur hilare était-il le même que celui qui fonctionna lors de la représentation des Maîtres Chanteurs ? […] Ils arrivaient, saisis d’un ravissement sans bornes, franchissaient les portiques vermeils, revêtaient les blanches tuniques et les hauberts d’argent ; prosternés sur le parvis, dans la fulguration des voûtes éblouissantes, sous un cantique d’enfants pareils aux anges, ils éprouvaient dès ce monde les joies de la céleste Patrie. […] Il quitte la félicité et la gloire pour secourir Elsa, pour vivre auprès d’elle, pour partager ses peines et ses joies, pour l’aimer.

552. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1877 » pp. 308-348

Et à chaque tête qui passe, à chaque lettre qu’on apporte, j’attends toujours la terrible annonce : « Nous sommes saisis. » En regagnant le chemin de fer d’Auteuil, j’ai une de ces joies enfantines d’auteur, je vois un monsieur, qui, mon livre à la main, sans pouvoir attendre sa rentrée chez lui, le lit en pleine rue, sous une petite pluie qui tombe. […] * * * — Il n’y a vraiment que moi, pour avoir des succès pareils, à celui d’Henriette Maréchal, à celui de La Fille Élisa, des succès où toute la joie légitime de la réussite, du bruit, si l’on veut de l’œuvre, est empoisonnée par les sifflets ou la menace d’une poursuite. […] Mardi 18 décembre Dans ce dîner de l’ancien Magny, aujourd’hui tout plein de ministres et de victorieux de l’heure présente, en la grosse et exultante joie de leur triomphe politique, je me sens un vaincu, l’homme d’une France qui est morte à tout jamais.

553. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

La certitude de cet événement, lointain encore, qui s’annonçait, il y a quarante ans, par des coups obscurs, comme la vie de l’enfant s’annonce dans le sein de la mère, enivrait de joie la pensée divinement avertie du grand apologiste de la papauté. […] Dans une vue de haut enseignement et d’édification chrétienne, ces écrivains ont recueilli jusqu’aux noms des hommes qui sont revenus de l’anglicanisme au catholicisme en passant par les idées du Dr Pusey, et ils les ont publiés avec l’immense joie de la charité satisfaite10. […] ne sera pas seulement un jour de joie pour la catholicité tout entière, mais ce sera surtout un jour de bonheur pour la Grande-Bretagne.

554. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Celui qui possède ce don de joie et de souffrance en est presque victime. […] Voir avec des yeux de huit, de dix, de douze ans, le soleil se lever sur le même paysage, aussi familier bientôt que l’âme maternelle ; s’attrister ou se réjouir de la venue des saisons ; sentir en soi grandir la joie ou la plainte dont elles sont faites, et avoir l’impression si ennoblissante et si vraie qu’on est tout petit dans un monde bien grand, mais que ce tout petit est l’écho intelligent de cette immensité, quelle bonne école primaire ! […] Madeleine, un jour, tombera dans tes bras en te demandant grâce ; tu auras la joie sans pareille de voir une sainte créature s’évanouir de lassitude à tes pieds ; tu l’épargneras, j’en suis sûr, et tu t’en iras, la mort dans l’âme, pleurer sa perte pendant des années.

555. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Jugez par contraste de la bonne humeur et de la joie qu’on avait jadis. […] Qui me montrera les causes de leur joie ? […] L’homme qui le fera, avec quelle joie je le verrai ! […] « Je me mourais de joie, j’en étais à craindre la défaillance. […] La sensibilité violente est la moitié du génie ; pour arracher les hommes à leurs affaires, pour leur imposer ses douleurs et ses joies, il faut une surabondance de douleur et de joie.

556. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

Le fond commun des deux sermons est que le désordre apparent des choses humaines est réglé par la main divine, que, l’ordre se rétablissant au dernier jour, les heureux de ce monde auront à trembler, et la tristesse des misérables se tournera en éternelle joie.

557. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VI. Exordes. — Péroraisons. — Transitions. »

Le madrigal, plus simple et plus noble en son tour… Si Boileau avait songé que tous ces genres n’avaient rien de commun que d’être des genres de poésie, et qu’ils ne se reliaient point l’un à l’autre, mais chacun à part à l’idée générale de ce second chant, destiné à exposer les règles des genres secondaires, il se serait épargné bien de la peine et n’aurait pas fait la joie de ses ennemis.

558. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laforgue, Jules (1860-1887) »

Moréas la sympathie qui se doit, nous dirons hautement aussi qu’un poète est né de ce dernier quart de siècle ; il en est un dont les vers sont nouveaux après vingt lectures et suscitent toujours de nouvelles joies ; qui eut le cœur simple et l’âme noble, et une finesse plus fine que celle même de M. 

559. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIII. Beau trio » pp. 164-169

Fut-ce avec joie ?

560. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Un homme intelligent et averti peut savoir plusieurs langues sans avoir la tentation d’entremêler leurs vocabulaires ; c’est au contraire la joie du vulgaire de se vanter d’une demi-science, et le penchant des inattentifs d’exprimer leurs idées avec le premier mot qui surgit à leurs lèvres.

561. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre X »

Indulgente pour les déformations spontanées, œuvre de l’ignorance, sans doute, mais d’une ignorance heureuse et instinctive, elle admettrait avec joie les innovations du parler populaire ; elle n’aurait peur ni de gosse, ni de gobeur et elle n’userait pas de phrases où figure kaléidoscope 113 pour réprouver les innovations telles que ensoleillé et désuet 114.

562. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

les rayons de soleil au matin, au haut de ces rochers, me donnent moins de joie que ta présence… …………………………………………………………………………………………… Tu me demandes pourquoi tu m’aimes.

563. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

La constance d’âme que donne et assure l’étude de la sagesse philosophique pouvait-elle lui permettre de supposer tant de légèreté, tant de mobilité dans les dieux et les héros ; de montrer les uns, sur le moindre motif, passant du plus grand trouble à un calme subit ; les autres, dans l’accès de la plus violente colère, se rappelant un souvenir touchant, et fondant en larmes84 ; d’autres au contraire, navrés de douleur, oubliant tout-à-coup leurs maux, et s’abandonnant à la joie, à la première distraction agréable, comme le sage Ulysse au banquet d’Alcinoüs ; d’autres enfin, d’abord calmes et tranquilles, s’irritant d’une parole dite sans intention de leur déplaire, et s’emportant au point de menacer de la mort celui qui l’a prononcée.

564. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Au cours de cette enquête nous rencontrons la poétesse de qui les Rythmes pittoresques et les Joies errantes furent célébrés, paraît-il, par Scholl, Fénéon, G.  […] Ceux qui n’auront exprimé que leurs joies ou leurs souffrances personnelles, avec l’unique souci de l’esthétique, vivront pour les artistes, ayant été eux-mêmes les artistes de la poésie ; les autres, ceux qui auront chanté la mystérieuse éclosion sociale des temps futurs, en seront peut-être les poètes. […] la Poésie populaire n’est pas morte encore puisqu’il reste au clair soleil de la vieille Gaule — en dépit des envahissantes brumes scandinaves — des aèdes de gloire comme Mistral et Verlaine, des jongleurs d’étoiles comme Silvestre, Tailhade et même Mendès, des trouvères de joie comme Ponchon, Courteline et Goudeau, des jardiniers de rêve comme Sully Prudhomme, Jules Bois (quand il oublie l’irrégulière et perverse Magie), Maurice Bouchor et vous-même ! […] Je suis persuadé qu’ils attendent beaucoup de la tentative de Mistral. » Ayant dit, l’aimable Capitaine de Lettres ouvrit son portefeuille et en tira ce vierge sonnet : Nous nous aimerons par-delà les mondes, Égrenant sans fin, à travers les cieux, En étoiles d’or, sur les nuits profondes, Les pleurs que la joie oriente en nos yeux. […] Et c’est peut-être, en ce temps de poésie, d’instinct, plutôt brumeuse et languide, la plus distincte caractéristique de cette Muse de Mistral : la lumière et la joie.

565. (1900) La culture des idées

Sans le safran nous n’aurons jamais bonne purée, bons pois passés, ni bonne sauce ; pareillement, sans penser aux joies de paradis, ne pouvons avoir bons potages spirituels. […] Il n’y a pas d’amour qui ne désire l’amour et qui ne l’exige au fond de soi : sainte Thérèse veut être aimée alors même qu’elle sacrifie ses joies à sa passion. […] Qui peut déshonorer la joie ? Mais la charité est une joie à laquelle, comme à toutes les joies, il faut un peu d’hypocrisie, le demi-jour, le pas de nom, l’acte d’homme pur et simple, comme la possession d’une femme dont on ne connaîtra que la surface et qui n’entendra que l’anonyme cri de l’Homme, dans l’ombre d’une œuvre secrète. […] Après la disparition du prophète de la lumière, l’Angleterre est revenue avec délices à ses joies sombres et closes.

566. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

De là la joie des spectateurs, et la fierté des psychologues ! […] C’est avec joie, avec délices, qu’elles sont bouleversées, révolutionnées. […] Quelle joie pour cette pauvre âme ! […] Ce qui étonne davantage, c’est d’y trouver aussi la joie. […] Dans Bossuet, au contraire, quelle joie triomphante, quel mouvement et quelle couleur !

567. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Ils n’acceptent aucun des védas, comprenant Que le vrai livre s’ouvre au fond du ciel tonnant, Et que c’est dans l’azur plein d’astres que flamboie Le texte éblouissant d’épouvante ou de joie. […] Les montagnes proverbiales que la foi transporte ne sont rien à côté de ce que fait la volonté181. » Ô possibles qui sont pour nous les impossibles182 Je forcerai bien Dieu d’éclore A force de joie et d’amour ! […] Nos souffrances ne sont point émoussées par ce fait qu’elles ont été les souffrances de ceux qui ont vécu avant nous ; par contre, pas une de nos joies ne sera déflorée par les joies toutes pareilles de nos pères endormis. […] En général, c’est une occupation amusante de rechercher les véritables causes des événements ; on est tout étonné en voyant la source du fleuve ; je me souviens encore de la joie que j’éprouvai, dans mon enfance, en enjambant le Rhône… — Ce qui me dégoûte, disait une femme, c’est que ce que je vois sera un jour de l’histoire. — Eh ! […] S’il a fait abus du « démesuré », il a connu aussi la délicatesse des pensées : « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » (Les Travailleurs de la mer.) « La joie que nous inspirons a cela de charmant que, loin de s’affaiblir comme tout elle nous revient reflet, plus rayonnante. » (Les Misérables.) « Un piètre opulent est un contresens… Peut-on toucher nuit et jour à toutes les détresses, à toutes les indigences sans avoir soi-même sur soi un peu de cette sainte misère, comme la poussière du travail ? 

568. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

« La joie me coupe la parole, lui écrit Pétrarque ; peu importe que vous soyez né en Allemagne, pourvu que vous soyez né pour l’Italie. » Invité par l’empereur à venir conférer avec lui, Pétrarque accourut à Mantoue. […] La mort du fils de Francesca de Brossano, sa fille, corrompit un moment pour lui toute cette joie du rétablissement du Saint-Siège à Rome. […] Je rencontrai, par hasard, en chemin François de Brossano ; il a dû vous dire quelle fut ma joie. […] Pendant qu’elle me faisait ces offres, je vois arriver votre petite bien-aimée d’un pas bien plus modeste qu’il ne convenait à son âge ; elle me regarde en riant avant de me connaître, et moi je la prends dans mes bras, comblé de joie.

569. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

« Or la raison ne vous dit-elle pas assez que tous ces objets qui existent dans votre âme, ou de fougueux désirs, ou de vains transports de joie, ne sont pas de vrais biens, et que ceux qui vous consternent ou qui vous épouvantent ne sont pas de vrais maux ; mais que les divers excès ou de tristesse ou de joie sont également l’effet des préjugés qui vous aveuglent, préjugés dont le temps a bien la force à lui seul d’arrêter l’impression : car, quoi qu’il arrive, nul changement réel dans l’objet ; cependant, à mesure que le temps l’éloigne, l’impression s’affaiblit dans les personnes les moins sensées, et par conséquent, à l’égard du sage, cette impression ne doit pas même commencer. » VIII Sa théorie des passions n’est pas moins sévère ; son rigorisme n’admet pas même la sainte colère qui possède en apparence l’orateur indigné dans ses accès d’éloquence. […] Quoi qu’il en soit, l’homme toujours modéré, toujours égal, toujours en paix avec lui-même, jusqu’au point de ne se laisser jamais ni accabler par le chagrin, ni abattre par la crainte, ni enflammer par de vains désirs, ni amollir par une folle joie, c’est là cet homme sage, cet homme heureux que je cherche. […] Cependant j’ai trouvé dans mes malheurs mêmes plus d’honneur que de peine, moins d’amertume que de gloire ; et les regrets des gens de bien ont plus réjoui mon cœur que la joie des méchants ne l’avait attristé.

570. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Et, ainsi, malgré notre ignorance, nous avons subi tous, puissamment, l’effet de cet art nouveau ; nous avons, tous, éprouvé à souffrir une joie plus aiguë, parce qu’il a plu à Wagner de suivre la voie pessimiste de Schopenhauer, de dresser le gigantesque autel de ses œuvres à l’Idole du Cesser-Vivre. […] Le Mage Divin est sourd, niais, méprisé ; alors il Voit, sous les apparences, l’Être, et cette Vision, qui désolerait un pessimiste, lui est tellement radieuse et prestigieuse qu’il évoque, en lui-même, désormais, une extraordinaire Joie. […] Et le Mage sera Parsifal ; et le Gral divin, par lui regagné, sera la bienheureuse joie de l’Orgueil, l’Apparence enfin recréée. […] Il nous incite à refaire, sans cesse, activement, notre création intérieure ; à compâtir, à mettre en ce monde l’unité, et notre vie dans un monde nouveau ; et il nous incite, le Maître Vénéré, à souffrir, à constater de cruelles énigmes, à courir vers la mort, puisqu’en ces tourments est, plus intense et plus divine, notre Joie.

571. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Les affections pures et vraies, au contraire, ont à la fois la variété et la durée ; la variété, parce que rien n’est intarissable comme les luttes, les sacrifices, les trésors de joie et de douleur enfermés dans les replis d’un cœur aimant et d’une conscience droite ; la durée, parce que l’âme qu’elles remplissent et Dieu qui les approuve leur communiquent quelque chose de leur immortalité. […] Et quelle sombre folie de venir ainsi troubler le repos, les joies, les fêtes des spirituels et des heureux ! […] Mort, il donne à tous ces petits bohèmes, à tous ces réalistes avortés qui pullulent et grouillent dans les bas-fonds de la littérature, l’ineffable joie d’avoir un ancêtre et de vanter, en l’exaltant, des qualités qu’ils auront peut-être un jour et des vices qu’ils ont déjà. […] S’il peint trop en beau la vie, le cœur humain, le jeu des sentiments et des caractères, les joies de la passion partagée, il exalte les imaginations et les âmes ; il les transporte dans un monde chimérique, déjà caressé et entrevu dans le secret de leurs rêves, et, lorsqu’elles retombent de là dans le monde réel, elles ne peuvent plus ni en soutenir les luttes ni en pratiquer les devoirs ; elles ont perdu le goût du positif et du vrai, et elles se sentent rebutées par cette dose d’amertume qui se mêle ici-bas à toutes les affections, et même à toutes les joies. […] Ils avaient les soucis, les charges, les ardeurs de la propriété ; ils n’en avaient pas les franchises et les joies.

572. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Et à ce premier mot Chanteclair, un peu rassuré, se met à chanter de joie. […] La fable n’est pas finie ; n’oublions pas qu’avec les trouvères nous sommes dans le récit épique : il ne s’agit pas de faire une fable courte, qu’on lit dans un livre, mais de réciter une action qui se développe, qui tient un auditoire en suspens et qui fait la joie du vilain.

573. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

La joie des Hollandais fut grande en apprenant la conclusion de cette ligue et alliance. […] Et ce même panégyriste ajoute avec assez de délicatesse que le sage vieillard, en recevant modestement ces marques publiques d’affection, ne laissait pas de témoigner par quelques signes de joie « qu’il était devenu sensible à cette seule vanité, de se voir aimé des hommes ».

574. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Il n’a pas ce tour qui est indépendant du fond, le secret de l’élégant badinage : il aime assez la joie, la jovialité, ce qui est tout différent. […] Ces deux esprits éminents avaient, évidemment, rencontré l’un dans l’autre la forme d’idéal qui leur était la plus chère, et ils y abondent ; ils s’en donnent à cœur joie ; ils sont si naturellement à leur hauteur, qu’ils ne semblent pas se douter qu’ils se guindent.

575. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

On n’attend pas de Joseph de Maistre un jugement froid et des paroles mesurées : il a sur ces terribles combats dont l’issue tient le monde en suspens, sur ces grands revers et ces désastres inénarrables dont il est témoin, des attentes, des transes, des espérances et des cris de joie, qui nous étonnent, qui nous blessent. […] Mais tout cela était bien loin en 1811 ; de Maistre était redevenu irréconciliable, et, à le prendre pour tel, rien ne saurait être plus intéressant que de saisir ses vues, ses impressions de chaque jour dans la terrible partie qui se joue sous ses yeux et où lui-même est en cause. « Depuis vingt ans, dit-il, j’ai assisté aux funérailles de plusieurs souverainetés ; rien ne m’a frappé comme ce que je vois dans ce moment, car je n’ai jamais vu trembler rien de si grand. » On tremblait, en effet, à l’heure où il écrivait cela, on faisait ses paquets là où était de Maistre, et la joie bientôt, et l’ivresse fut en raison de cette première crainte.

576. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Il se relève le cœur plus embrasé que jamais, et cette joie épurée qu’il éprouve, cette clarté qui l’inonde, il veut la communiquer à ses semblables ; il a soif de les y faire participer et de leur porter, avec l’explication du mystère de la nature, la loi du maître qui la gouverne, loi de justice, de solidarité de fraternité, soumission dans les traverses de cette courte vie, espoir et foi dans une vie meilleure. […] Si vous-même vous êtes né pauvre et assujetti, si, aux prises avec la vie commune, vous ne rougissez pas d’en nommer les moindres détails, et si vous ne vous rebutez pas aux misères mêmes de la réalité ; si, en revanche, vous ne faites pas fi des joies bourgeoises ou populaires, si les souvenirs de l’enfance n’ont pas cessé de vous émouvoir, si l’aspect de la vallée ou de la montagne natale, le seuil de la ferme où vous alliez, enfant, vous régaler de laitage et de fruits les jours de promenade, rit en songe à votre cœur, alors vous trouverez votre compte avec Rousseau, même dans ces quelques lettres qu’on nous donne ici ; vous lui passerez bien des préoccupations vulgaires en faveur des élans de sensibilité et d’âme par lesquels il les rachète ; vous l’aimerez pour ces accents de cordialité sincère que toute son humeur ne parvient pas à étouffer.

577. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre IX. Inquiets et mystiques » pp. 111-135

Cette politique définitive, scientifique et naturelle, qui ne l’accepterait avec joie ? […] Il s’agit de préférer à son être son idée, de mettre la pensée devant la force et le renoncement devant la joie de vivre.

578. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

ils ont adopté pour leur usage personnel cette heureuse définition du bonheur dans une cité paisible : un facile travail, une pauvreté contente, une joie ingénue et sérieuse, une patrie honorée, un ciel clément, des hommes et des dieux indulgents. […] Mais il l’a écrit avec joie, avec passion, avec zèle aussi et recherche, il en convient.

579. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

C’est cet art de suspendre qui fait passer le spectateur de l’espérance à la crainte, du trouble à la joie : c’est l’artifice du cinquième acte de Tancrède. […] Aménaïde se livre aux transports de sa joie ; et le retour d’Aldanon, qui lui annonce que Tancrède est blessé mortellement, la rejette dans le désespoir.

580. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

Cette poésie qui plus tard a parcouru tant de climats, a réfléchi tant d’horizons divers, s’est colorée de tant de feux et nourrie de tant d’instincts profonds du cœur, est, avant tout, une poésie du Nord, éprise avec passion des beautés naturelles, et, sous son ciel natal, ni rassasiée de leurs douceurs, ni trop éblouie et comme fatiguée de leur éclat, mais s’élevant avec joie du monde visible vers l’infini, curieuse surtout de l’âme humaine, et tout à la fois contemplative et violente. […] Elle a eu l’orgueil de son bien-être, la joie de sa sécurité, inaccessible à l’invasion, et redisant avec Waller : « Les chênes de nos forêts ont pris racine dans les mers ; et nous marchons de pied ferme sur la vague houleuse. » Ou bien encore : « Comme les anges du ciel, nous pouvons, d’un vol rapide, descendre où il nous plaît ; mais personne, sans notre gré, ne peut arriver sur nos bords. » Quant à des créations lyriques liées seulement aux débats intérieurs de la liberté anglaise, nous n’en connaissons pas, à moins que ce ne soient les vers rudes et négligés du vieux Daniel de Foe, et cet hymne au pilori, que l’honnête et pieux auteur de Robinson, puni comme libelliste, fit jaillir du fond de sa conscience indignée.

581. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Quand l’Assemblée constituante eut terminé ses séances et que le Te Deum final eut été chanté, Rabaut jugea tout achevé parce qu’il l’espérait ; il crut au repos parce qu’il était las : dans la joie de ses vœux accomplis, comme tant d’autres de ses vénérables collègues, il eût volontiers adressé au ciel le cantique de Siméon.

582. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVII » pp. 298-304

Sa joie est la plus solide qu’on puisse avoir dans ce monde. » Ces mots sont très significatifs sous la plume de madame de Sévigné, qui affectait toujours quelque chose d’énigmatique dans ce qui regardait la cour.

583. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « La course à la mort » pp. 214-219

Ce pessimisme qui, certes, n’empêche pas les honnêtes gens de goûter les joies qu’ils peuvent avoir est la source de toutes nos œuvres magistrales ; il a évolué, de tapageur et théâtral qu’il était au début de la nouvelle période, à une phase plus calme et plus fière qui prête aux vers récents un chant plus intime et fournit à l’analyse des âmes plus profondes.

584. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Nos arts et nos vies tendent de plus en plus à dépouiller la joie.

585. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre deuxième. »

Et ce m’est une double joie De la tenir de toi, etc…..

586. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IV. Les ailes dérobées »

Malgré la joie qu’elle ressentait d’être mère, la yébem n’avait pas le cœur satisfait.

587. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Sur le front, il y eut des messes de minuit, des cultes protestants, des petits repas, une effusion de tous en tristesse, en joie, en espérances, en fraternité.

588. (1920) Impressions de théâtre. Onzième série

Pourquoi l’idée d’un lavement ne les met-elle plus en joie ? […] Je leur ai versé l’oubli, le courage et la joie. […] Vous y jouerez beaucoup plus souvent qu’à la Comédie-Française, et dans un bien plus grand nombre de rôles, et j’aurai tant de joie à vous voir grandir dans mon quartier ! […] Il part sans joie, furieusement, en proie à des remords anticipés. […] A chaque réplique, nous nous pâmions de joie à retrouver, dans les vagissements du fils, les intonations et le timbre paternels.

589. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Quand l’âme est pleine et neuve, ce n’est point par des raisonnements qu’elle exprime ses idées ; elle les joue et les figure ; elle les mime ; c’est là le vrai et le premier langage, celui des enfants, celui des artistes, celui de la joie et de l’invention. […] Elle est païenne de fonds et de naissance, par sa langue qui n’est qu’un latin à peine déformé, par ses traditions et ses souvenirs latins que nulle lacune n’est venue interrompre, par sa constitution où l’antique vie urbaine a d’abord primé et absorbé la vie féodale, par le génie de la race, où la vigueur et la joie ont toujours surabondé. […] Stella est malade ; il semble à Sidney293 « que la joie hôte de ses yeux pleure en elle. » Ce mot est absurde pour nous. […] L’Amour conduit le char ; elle passe sereine et souriante, et tous les cœurs charmés de ses divins regards ne souhaitent plus d’autre joie que de la voir et de la servir toujours : Regardez seulement ses yeux ; ils éclairent Tout ce que comprend le monde de l’amour. […] Plus grossièrement, plus franchement, un rude plébéien, Rabelais, avec un éclat de rire, la noie dans sa joie et dans sa bourbe.

590. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

cette joie est gâtée incontinent par les attaques de la sottise et de l’envie. […] Un diable, qui menait grande joie, vola en l’air. […] Son âme est remplie de joie, et il n’hésite point à se lier par un vœu. […] ce n’était pas ainsi que vous nous rassembliez, vous n’étiez pas pour nous avare des joies du ciel ! […] La jeune femme babillait, le grand homme soupirait sur son âge et sur « ces joies imprudentes où il s’abandonnait ».

591. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Joie intellectuelle et morale, dit Vinet, voilà ce que me procure Sainte-Beuve. […] Elle transforme furtivement les douleurs du repentir en joies de l’amour-propre ; des reproches de la conscience deviennent des découvertes de l’esprit. […] L’amour, l’adoration, la joie tremblante des vrais chrétiens y percent à travers la chaleur, et l’amertume quelquefois, des controverses. […] ta joie me fait trop de mal !  […] jamais d’une joie.

592. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Son attachement à la vie serait désormais son inséparabilité de ce principe, joie dans la joie, amour de ce qui n’est qu’amour. […] Vient alors une immensité de joie, extase où elle s’absorbe ou ravissement qu’elle subit : Dieu est là, et elle est en lui. […] Plus de séparation radicale entre ce qui aime et ce qui est aimé : Dieu est présent et la joie est sans bornes. […] Mais il y a un optimisme empirique, qui consiste simplement à constater deux faits : d’abord, que l’humanité juge la vie bonne dans son ensemble, puisqu’elle y tient ; ensuite qu’il existe une joie sans mélange, située par-delà le plaisir et la peine, qui est l’état d’âme définitif du mystique.

593. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

Vue de près, sa gaieté même manque souvent de franchise ; elle apparaît extérieure et superficielle ; on sent qu’il se force à la joie, mais qu’au fond de son âme une invincible tristesse le poursuit et l’étreint. […] Quoi qu’il tente, il ne rentrera plus au séjour privilégié des âmes simples ; il n’aura plus les joies de ceux qui ignorent, et la seule conséquence de son savoir, ce sera de tarir en lui pour toujours les sources du bonheur. […] Il croyait y rencontrer l’incarnation aussi parfaite que possible du principe abstrait dont l’amour fut le but, la joie et le tourment de son existence. […] Il le reçoit par des railleries et des injures, le repousse brutalement, jette sur sa marchandise un pot de fleurs qui achève de la mettre en pièces, et, ivre de joie à la pensée de cette ruine, il tombe lui-même dans une sorte de crise nerveuse, coupée par des cris d’aliéné. […] Les différents voyages qu’il accomplit en pays étrangers furent pour son âme la source de joies immenses et immédiates ; en Russie, à Venise, en Espagne il respira comme dans son élément, se déclara heureux et n’abandonna jamais ce bonheur qu’avec tristesse.

594. (1914) Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne pp. 59-331

Il s’y enfonce avec une joie secrète. […] C’est une joie de la route. […] Ou plutôt qui éprouve une joie, et une joie profonde, à consulter les poteaux indicateurs. […] Une joie rituelle propre non interchangeable, inconnue de quiconque n’est pas catholique, une joie de rite et de communauté, une joie de paroisse. […] La seule joie.

595. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Après qu’enfin on eut retrouvé le calme et le loisir, on se mit à rappeler le temps passé ; on le rêva dans le présent, on le chanta avec ses joies sans retour évanouies.

596. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Sous la voûte tournante et constellée du ciel, par-delà laquelle résident la Trinité, la Vierge, les anges et les saints, au-dessus de l’horrible et ténébreux enfer d’on sortent incessamment les diables tentateurs, au centre du monde est la terre immobile, « où se livre le combat de la vie, où l’homme déchu mais racheté, libre de choisir entre le bien et le mal. est perpétuellement en butte aux pièges du diable, mais est soutenu, s’il sait les obtenir, par la grâce de Dieu, la protection de la Vierge et des saints8 » : lutte tragique, où la victoire assure à l’homme une éternité de joie, la défaite une éternité de supplices.

597. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bergerat, Émile (1845-1923) »

cette œuvre si douloureusement réclamée et souhaitée, la voici, étrange, originale, nouvelle, puissamment créée, jaillie comme l’éclair, écrite en vers larges, ingénieux, curieux, étincelants des ors, des pierreries et des inépuisables richesses de la rime, et en même temps exprimant nos doutes, nos angoisses, notre inextinguible appétit de la lumière et de joie, et l’hymne à la Beauté, qui, vainement étouffée et comprimée, s’échappe irrésistiblement de nos âmes.

598. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

C’est le cri de l’âme, c’est l’envolée de la conscience, c’est une mélodie extra-humaine, toute de sensation, de raffinement, qui parle aux cœurs ensevelis dans le scepticisme égoïste du siècle, et qui fait, sous sa joie aiguë, jaillir la douleur.

599. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre V. Un livre de Renan et un livre sur Renan » pp. 53-59

Renan a créé assez d’œuvres pour qu’on lui permette la joie de faire paraître, de temps en temps, un livre né sans peine, par les soins du seul éditeur.

600. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Je vous devrai la joie d’avoir revu une fois encore ma vieille ville de Tréguier, à laquelle m’attachent de bien chers souvenirs.

601. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Girac, et Costar. » pp. 208-216

Costar, transporté de joie, se félicita d’avoir réfuté Girac, lui fit faire des remercimens de lui avoir ouvert le chemin de la fortune & de la gloire, & publia qu’il avoit plus d’obligation à son adversaire qu’à tous ses amis.

602. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

L’éternelle joie de son âme est de sentir que toutes ses prières sont exaucées, tous ses vœux résignés.

603. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XIV. Parallèle de l’Enfer et du Tartare. — Entrée de l’Averne. Porte de l’Enfer du Dante. Didon. Françoise de Rimini. Tourments des coupables. »

Milton, à l’exemple du poète de Mantoue, a placé la Mort à l’entrée de son enfer (Lethum), et le Péché, qui n’est que le mala mentis gaudia, les joies coupables du cœur .

604. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Deshays  » pp. 134-138

Je demande s’il est permis au peintre de l’avoir fait aussi droit, aussi ferme sur ses genoux ; je demande si malgré la pâleur de son visage, on ne lui accorde pas plusieurs années de vie ; je demande s’il n’eût pas été mieux que ses membres se fussent dérobés sous lui ; qu’il eût été soutenu par deux ou trois religieux ; qu’il eût eu les bras un peu étendus, la tête renversée en arrière, avec la mort sur les lèvres et l’extase sur le visage avec un rayon de sa joie.

605. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VI »

C’est pour cela que Taine est un modèle… C’est dans Taine et dans les écrivains qui lui ressemblent qu’on apprendra le style qu’on peut apprendre. »‌ Nous avons naturellement cité ce passage, si bien d’accord avec nos théories ; et c’est une joie de voir cette fois M. de Gourmont, contraint de se retourner contre M. 

606. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Il avait besoin de cette vierge pour l’opposer à ses divinités de chair et de joie. […] Lorsqu’il l’aperçut, un éclair de joie fit rayonner sa triste figure. « Mi reina ! […] L’Inquisition caricaturait ses victimes ; elle les habillait en mannequins avant de les jeter dans ses feux de joie. […] L’Église, d’ailleurs, avait toujours attaché une idée de damnation aux joies de la danse. […] Qu’importe à cet homme de farce et de joie ?

607. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

La Restauration fut notre mère ; est-ce à nous de lui arracher son manteau après sa mort et de montrer sa nudité à ses ennemis pour leur donner la mauvaise joie de ses ridicules et de ses fous rires ? […] Le poëte avec joie au tombeau doit s’offrir ; S’il ne souriait pas au moment où l’on pleure,         Chacun lui dirait : « Voici l’heure ! […] Je dis un vrai misérable, parce que le titre du livre de Victor Hugo est faux, que ses personnages ne sont pas les misérables, mais les coupables et les paresseux, car presque personne n’y est innocent, et personne n’y travaille, dans cette société de voleurs, de débauchés, de fainéants, de filles de joie et de vagabonds ; c’est le poème des vices trop punis peut-être, et des châtiments les mieux mérités.

608. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Ils entrèrent donc et coururent vers Iseult, dont la joie fut telle qu’elle en pleurait. […] Le temps qu’ils passèrent dans cette tour fut un temps de joie parfaite ; mais la femme du nain était parmi les suivantes de la reine, et, au bout de quelque temps, elle découvrit que la damoiselle d’Irlande n’était autre que le chevalier Tristan. […] » La reine ainsi justifiée, tout le monde se livre à la joie : des joutes ont lieu ; Tristan y vient prendre part sous un déguisement nouveau, et bat, l’un après l’autre, tous les chevaliers de la Table Ronde.

609. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Et malgré les souvenirs parfois du mal, la discrète joie s’affermit ; des ondées scintillent ; rappel d’heureux passés, imaginations gaies ? […] Il couvrait un cerveau où furent senties, et vécues, et recrées parfaitement, toutes les douleurs et les espérances et les joies de la nature humaine. […] Belle joie, elle s’efface : « Car je suis un pécheur misérable ; agneau divin, pardonneur des péchés, vois mon cœur ; aie pitié, agneau divin !

610. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Or, pour dire ce qui me semble de cette composition, il faudrait que l’autre acteur, après la parole prononcée d’une voix fort haute par celui qui ferait ce monologue, dît quelques paroles d’étonnement et de joie, selon le sujet, et qu’il se fâchât de ne pouvoir ouïr le reste ; quelquefois même, quand l’acteur qui ferait le monologue retiendrait sa voix, il faudrait que l’autre remarquât toutes ses actions, comme d’un homme qui rêverait profondément et qui serait travaillé d’une violente inquiétude. […] On n’est point choqué de voir un homme ou une femme chanter seul et exprimer par le chant les mouvements de joie, de tendresse, de plaisir, de tristesse, dont son âme est atteinte. […] qu’un homme comme cela mériterait bien ce qu’il craint, et que j’aurais de joie à le voler !

611. (1894) Critique de combat

Ce sont ceux qui aux souffrants, aux déshérités, à l’immense armée des misérables, criant vers la justice et réclamant leur part de joie, répondent impitoyablement : — Arrière ! […] Quelle joie, si l’on pouvait en être scandalisé ! […] Il a eu la joie de voir ses principes, non seulement adoptés pour le règlement du problème monétaire anglo-indien, mais achevant de gagner le monde entier par le vote récent du Sénat des Etats-Unis. […] Il est temps de s’arrêter ; et pourtant l’an qui vient nous apportera en sus mille sujets de joie et de tristesse que nul ne peut prévoir. […] A vous, jeunesse, la joie de boire à longs traits la vie dans ces sources fécondes et dans d’autres encore !

612. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Et il était encore tout à la joie de cette découverte, lorsqu’on l’enferma dans une maison de santé. […] Il me sembla entendre l’hymne de joie des anges accompagnant le retour au ciel de Notre-Seigneur. […] C’était encore une de ses joies. […] Lui, cependant, s’en alla tout imprégné d’une joie profonde, comme s’il avait enfin trouvé la paix morale si longtemps cherchée. […] Cette joie ne saurait être pour moi ! 

613. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

Il avait pour compagne dans le travail de la moisson une douce et aimable fille plus jeune d’un an que lui. « Sans le savoir, dit-il1171, elle m’initia à cette délicieuse passion qui, malgré les désappointements amers et tout ce que dira une prudence de cheval de meule et une philosophie de gratte-papier, est encore la première des joies humaines, notre plus chère bénédiction ici-bas. » Quand ils avaient ramassé les gerbes, il s’asseyait près d’elle avec un plaisir qu’il ne comprenait pas, pour ôter de ses pauvres doigts les barbes d’épis qui s’y étaient fichées. […] Bref, par opposition au puritanisme morose, il approuvait la joie et disait du bien du bonheur1172. […] Néanmoins l’esprit longtemps fatigué par l’uniformité d’une perspective monotone et désolée fixera ses yeux avec joie sur tout objet qui mettra un peu de variété dans ses contemplations, ne serait-ce qu’un chat jouant avec sa queue1190. » Somme toute, il avait le cœur trop délicat et trop pur : pieux, irréprochable, austère, il se jugeait indigne d’aller à l’église, ou même de prier Dieu. « Ceux qui ont trouvé un Dieu et qui ont la permission de l’adorer ont trouvé un trésor dont ils n’ont qu’une idée bien maigre et bien bornée, si haut qu’ils le prisent. Croyez-m’en, croyez-en un homme qui, ayant joui de ce privilége pendant quelques années, en a été privé pendant un nombre d’années plus grand encore, et qui n’a point l’espérance de jamais le recouvrer. » Et ailleurs : « On peut représenter le cœur d’un chrétien comme dans l’affliction et pourtant dans la joie, percé d’épines et pourtant couronné de roses. […] Il n’y a point de sourire virginal aussi charmant que celui de l’aube, ni de joie plus triomphante que celle de la mer lorsque ses flots fourmillent et frissonnent à perte de vue sous la prodigue splendeur du ciel.

614. (1925) Dissociations

Mais la joie des badauds, s’apprêtant à savourer une nouvelle sensationnelle, était brève. […] Tout est pur dans cette danse, d’ailleurs qu’elle mime la douleur, qu’elle mime la joie. […] Mériterait-il son nom et quelle joie serait compatible avec la conscience de l’erreur ? […] Plutôt une découverte, et assez récente, une joie toute nouvelle dont elle épuisait rapidement la délectation continentale. […] D’ailleurs, quand on le démolit, avec une joie vandale, elle n’avait pas encore de bien grands besoins.

615. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Le concours de tous ces sentiments forme un caractère si passionné et si raisonnable tout ensemble, que, malgré la terreur dominante de la pièce, on sent encore une espèce de joie à la vue d’une héroïne en qui la passion et le devoir ne sont qu’un même sentiment. […] Ces mêmes hommes sont dans la joie ou dans la douleur, dans l’espérance ou dans la crainte : cet état actuel doit donner une seconde conformation à leur style, laquelle sera fondée sur la première, comme cet état actuel est fondé sur l’habituel ; et c’est ce qu’on appelle la condition de la personne. […] L’émotion de la haine est triste et pénible ; celle de l’horreur est insoutenable pour nous ; celle de la joie est trop passagère et ne nous affecte pas assez profondément. […] La joie a vraisemblablement inspiré les premiers chants ; on a chanté d’abord sans paroles, ensuite on a cherché à adapter au chant quelques paroles conformes au sentiment qu’il devait exprimer : le couplet et la chanson ont été ainsi la première musique. […] Il est reçu de chanter les plaintes, la joie et la fureur ; mais la musique, faite pour toucher, ne raisonne pas.

616. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

C’est qu’étant lui-même l’expression harmonieuse ou éloquente des joies, des douleurs, des désirs de son époque, il a fait vibrer à un moment la corde cachée qui aurait peut-être toujours sommeillé sans lui ; il a tiré du silence et du néant la note intime et profonde qui n’attendait que lui pour résonner, mais que lui seul pouvait apprendre à l’âme mystérieuse qui la contenait sans le savoir. […] Chaque noble écrivain ramasse sur sa route et emporte avec soi ses ennemis, ses envieux cachés, des êtres ignobles qui lui sont acharnés, qui s’attachent à lui et en vivent : il est juste que des êtres généreux l’en dédommagent ; il est juste qu’il ait aussi, par compensation, ses joies cachées, des suavités de bonheur qui n’arrivent qu’à lui. […] L’esprit, le cœur, voilà ce qui survit à tout, ou ce qui devrait survivre ; le retrouver, le montrer est une vraie joie : y ajouter même au besoin un peu du sien n’est pas défendu ; on supplée ainsi à ce qui nous échappe. […] Elle écrivait au père de ce dernier, le 9 juillet 1807, trois semaines après la bataille de Friedland : « Vous aurez de la peine à croire, mon cher cousin, que j’ai eu bien de la joie de calculer que votre fils ni le nôtre ne se sont trouvés à cette terrible bataille.

617. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

» Pendant qu’elle riait là haut en jetant de folâtres cris de joie, Vincent, frappant du pied le trèfle, grimpa sur l’arbre comme un loir. « Mireille, il n’a que vous, le vieux maître Ramon ? […] … La feuille tomba, puis de nouveau, comme pluie ; et puis, venu l’instant où ils la mettaient au sac, la main blanche et la main brune, soit à dessein ou par bonheur, toujours venaient l’une vers l’autre, mêmement qu’au travail ils prenaient grande joie. […] « Elles flairent le vent et se souviennent, après dix ans d’esclavage, de l’exhalation salée et enivrante de la mer, échappées sans doute de l’attelage de Neptune, leur premier ancêtre, semblent encore teintes d’écume, et, quand la mer souffle et s’assombrit, quand les vaisseaux rompent leurs câbles, les étalons de la Camargue hennissent de joie ; ils font claquer, comme une mèche de fouet, leur longue queue traînante ; ils creusent le sol avec leur sabot, ils sentent pénétrer dans leur chair le trident du dieu terrible qui fait bondir les flots. » Le maître de ces escadrons de cavales demande Mireille à son père. […] » Ce demi-chant est rempli de stances semblables sur tous les phénomènes de la culture, de la lune, des saisons ; ce sont les Géorgiques de la France méridionale, mais les Géorgiques animées par la joie de l’amour et de la récolte, les Géorgiques passionnées au lieu des Géorgiques purement descriptives du Virgile de Mantoue.

618. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Les grands chemins ne me font plus de joie. […] « Avant-hier, en arrivant ici, j’ai été bien triste de ne pas trouver un petit mot de vous ; mais le mot est arrivé hier et m’a fait une joie que je ne puis vous dire. […] Je donnerais donc à l’instant ma démission avec une joie extrême. […] « J’éprouve un mélange de joie et de tristesse que je ne puis vous dire.

619. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Un peintre aurait pu étudier sur ce visage si mobile les expressions de tous les sentiments : joie, peine, énergie, découragement, ironie, espérances ou déceptions, il reflétait toutes les situations de l’âme. […] Je connus donc en tout temps les joies et les peines de mon frère, et j’eus toujours le doux privilège de le consoler ; certitude qui fait aujourd’hui ma joie. […] « Mon père, en revenant du mariage de Laurence (il avait été célébré à Paris), a eu dans sa voiture l’œil gauche déchiré par le fouet de Louis, triste présage… Le fouet de Louis toucher à cette belle vieillesse, notre joie et notre orgueil à tous !

620. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

L’homme de la nature, le sauvage, il l’a été, il l’a vécu, avant de le décrire : il a quêté les plaisirs naturels, physiques ou sentimentaux, tout à la joie de la quête et de la possession, n’ayant pas une arrière-pensée de convertir les émotions de son cœur en copie pour l’imprimeur. […] Ainsi est restaurée la vie intérieure avec ses durs efforts et ses austères joies ? […] Et leurs amours se développent en émotions poétiques plutôt qu’en analyses psychologiques : rien de plus édifiant à cet égard que la promenade à la retraite de la Meilleraie567 ; les impressions des deux amants sur ce lac, parmi ces rochers qui ont été témoins de leur passion maintenant assagie, épuisée, toujours délicieuse, cette joie mêlée d’un sentiment mélancolique de l’irréparable écoulement des choses et de l’être, c’est le thème, et plus que le thème, du Lac de Lamartine. […] Il avait en face d’elle la plus délicate sensiblité, et d’elle il a tiré les plus vives, les plus pures joies de son âme.

621. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Pour mettre à l’épreuve la vérité de l’apparition, il lui commanda de revêtir le costume royal, de s’asseoir et de s’endormir sur son trône : — « Car, lui dit-il, si c’est un dieu qui l’envoie, pour qui ce soit une joie que nous fassions la guerre à la Grèce, ce songe volera pareillement sur toi, et te donnera les ordres qu’il m’a donnés. » Artabane obéit, le Songe revint plus terrible ; l’homme nocturne reparut, non plus seulement impérieux, mais sombrement courroucé. […] C’était leur adieu aux joies brillantes de la vie, leur dernière communion avec la patrie. […] Mais, le lendemain, un prodige effrayait la joie des vainqueurs. […] Si nous les voyons si fiers et si beaux, c’est qu’ils furent conçus au sein du bonheur, fils de l’orgueil et de la joie d’un peuple affranchi.

622. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Ce rendez-vous de l’imprévu, ce coudoiement de rencontres, cette foire de romans d’aventure, ce feu roulant de reparties, ce carnaval de la gaieté et de l’amour, cette folie, cette joie démente d’une jeunesse furieuse, qui sautait douze heures sous l’archet de Musard, la fouettant et la refouettant des fifres et des tonnerres de son orchestre : ce n’est plus tout cela qu’un trottoir. […] Puis les fermiers, en chapeaux noirs, venus de loin et tout poussiéreux, et les vieux serviteurs retraités, les domestiques septuagénaires ayant derrière eux leurs fils approchés de la fortune par le commerce et les négoces heureux : — dernière représentation de cette gens, de cette clientèle amie et dévouée qui faisait à la famille le cortège de ses noces, le convoi de ses funérailles, et ne laissait ni la joie ni la douleur isolée et personnelle, comme en notre temps de familles d’une génération. […] Elle est toujours une petite merveille, la serre, avec ses mansardes en œil-de-bœuf et ses statues fantaisistes aux pieds dans la gouttière, avec le fronton de sa porte représentant une face au gros rire jaillissant d’une fraise, un chapeau à plumes sur la tête, une moustache en l’air, une moustache en bas, et avec encore les trumeaux des fenêtres, les trumeaux où tous les symboles gais, tous les instruments sonnants de la fête et de la joie, tous les outils du plaisir, sculptés de verve et en plein relief, semblent le Memento vivere muet d’un autre siècle. […] Pour lui donner toutes les joies intellectuelles à sa portée, et nous nourrir avec elle de choses en situation, nous allons louer, au cabinet de lecture de l’endroit, le premier roman venu de Paul de Kock : L’Homme aux trois culottes.

623. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

— Et mercredi, 5 octobre 1689, à Versailles : « Il y a quelques jours que M. le marquis de Vins est parti pour aller commander à Bourg-en-Bresse ; on lui donne quelques troupes, avec lesquelles il contiendra les mauvais convertis et empêchera qu’on n’entre dans le pays. » Ces mauvais convertis, ce sont précisément ceux des conversions en masse et si expéditives, dont les nouvelles survenant en 1685, à chaque lever à Versailles, donnaient tant de joie et de contentement au roi. […] L’inquiétude de tous, non seulement à la Cour, mais dans Paris et dans le royaume, fut extrême ; et, comme la guérison marcha à souhait, la joie aussi devint universelle.

624. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

C’est son mot favori ; et il n’oublie pas de nous dire qu’à ce moment où il parlait ainsi des grands coups de la bataille, il levait haut le bras et faisait le geste de vouloir frapper ; ce qui ne déplaisait pas au roi et redoublait la joie du Dauphin. […] Voyant Montluc près de lui, il se baissa pour l’embrasser et le fit chevalier sur l’heure : « dont je me sentirai toute ma vie honoré, nous dit celui-ci, pour l’avoir été en ce jour de bataille, et de la main d’un tel prince. » Un mécompte amer suivit de près cette joie ; Montluc demanda pour grâce au prince d’être chargé de porter la nouvelle de la victoire au roi : cela lui était bien dû.

625. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

La lettre suivante à Mme de Grammont, qui est de huit jours après, se ressent encore de cette joie, mais elle est plus courte : « Mon cœur, je ne la puis faire plus longue, parce que je vais monter à cheval. » Avec cette lettre, Henri envoyait à la comtesse une copie de celle que la reine Élisabeth avait adressée à Henri III au sujet de son accommodement avec les ligueurs : « Vous y verrez, dit-il, un brave langage et un plaisant style. » Et, en effet, dans cette lettre énergique et d’une âme royale, Élisabeth faisait honte à Henri III de sa lâcheté à se défendre et de sa condescendance à des rebelles : Mon Dieu ! […] Elle eut du moins ses heures brillantes, son lendemain de Coutras, et ce qui est mieux, puisqu’il ne s’y mêle point le souvenir d’une faute, elle inspira un jour à celui qui l’aimait la joie d’écrire cette page éclairée et durable sur Marans.

626. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

De même n’approchez pas d’Archimède au moment où il oublie tout hormis son problème, et où il va se laisser arracher la vie plutôt que de se détourner de la poursuite de l’unique vérité à laquelle il s’attache et qui fait sa joie. […] Dans tous ces cas si divers, sans doute l’être humain cherche invariablement sa consolation, sa joie secrète et son bonheur ; mais ne venez point parler d’amour-propre, d’intérêt et d’orgueil, là où le ressort en est si richement revêtu, si naturellement recouvert, et si transformé, qu’il ne peut plus être défini que le principe intime d’action et d’attrait propre à chaque être.

627. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

On raconte que, lorsque ses hymnes eurent été adoptées dans les bréviaires et qu’elles se chantèrent dans les offices, il ne se tint pas de joie ; il courait les églises où on les chantait ; il grondait ceux près de qui il était placé lorsque leur ton n’était pas à son gré, et quand le chant lui paraissait convenir à la beauté des paroles, il sautait et grimaçait tellement qu’il lui fallait sortir, de peur d’esclandre. […] Au reste, sans être Santeul, on comprend la joie, l’enivrement presque légitime qui devait inonder son cœur lorsque lui, fragile, mais croyant et fidèle, perdu dans la foule, il entendait le chœur entier des lévites et de l’assistance entonner quelqu’une de ces hymnes aux nobles accents, dont l’une au moins, le Stupete gentes, a été comme touchée du souffle sacré et mérite, ce me semble, de vivre. — Dans ce vent soudain sorti du sanctuaire, et qui tend aujourd’hui à tout balayer de Santeul et à n’y rien laisser de sa mémoire, s’il était permis de faire entendre un humble vœu littéraire, je demanderais grâce pour une seule hymne de lui, et pour celle-là.

628. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Mme des Ursins, en recevant les ordres du roi par Torcy, ne se sent pas de joie ; Mme de Noailles en a la première effusion et le rejaillissement : « Au reste, madame, je suis transportée de joie, et depuis le matin jusqu’au soir je ne suis occupée qu’à penser combien vous êtes aimable. » Il est curieux de voir comme d’abord elle diminue la portée et la visée de sa mission : elle est choisie pour accompagner Mme la princesse de Savoie jusqu’à Madrid ; voilà tout ; rien au-delà ; qu’elle mette le pied en Espagne, cela lui suffit ; elle ne restera que juste autant qu’il le faudra pour ses affaires et autant que le roi le lui commandera : elle n’est qu’un instrument docile, obéissant et presque inerte dans la main des puissances de Versailles.

629. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Inutiles tous deux en ce monde, qui ne comprend que ce qui le dompte ou le sert, fuyons ensemble vers l’Éden splendide des joies de l’âme, celui-là même que nos saints virent dans leurs songes. […] Dieu m’est témoin, vieux pères, que ma seule joie, c’est que parfois je songe que je suis votre conscience, et que, par moi, vous arrivez à la vie et à la voix. » Et voilà l’homme qu’une partie de la jeunesse française refuserait d’écouter avec respect, parlant dans sa chaire des études et des lettres religieuses et sacrées, sous prétexte qu’il a, comme critique, des opinions particulières !

630. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Tel qu’il apparaît jusque dans son incomplet, et tout mal servi qu’il était par l’instrument insuffisant de la langue poétique d’alors, par cette versification solennelle qui, dans le noble, excluait les trois quarts des mots, presque toutes les particularités de la vie et tous les accidents de l’existence réelle, ce poète en Ducis éclatait assez pour se donner à tout instant la joie de l’air libre et de la grande carrière, tandis que le pauvre Deleyre avec son expression hésitante, ses nuances exquises, suivies d’empêchement et de mutisme, n’était qu’un malade, un romantique venu avant l’heure et cherchant sa langue. […] … » Et cette visite encore à un curé, camarade de collège, cette tournée près de La Ferté-Milon, et qui doit le ramener sous le toit champêtre de son ami Deleyre : « Je vous écrirai de mon presbytère pour vous annoncer le jour de mon départ, et je croirai en arrivant à Dame-Marie me trouver chez un autre curé ; car tout père de famille est pasteur. » J’ai lu quelquefois, dans les lettres et mémoires des poètes anglais venus depuis soixante ou quatre-vingts ans, de ces promenades de campagne, de ces visites heureuses et saines à des cottages qui ont abrité, ne fût-ce qu’un jour, la joie innocente et le bonheur.

631. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

L’idée pleine d’Évandre, de Pallas et de Dina, je travaille dans une sorte d’extase et de joie depuis le matin jusqu’à l’autre matin, sans relâche et presque sans sommeil. […] j’étais jeune, plein d’avenir, ou du moins d’espérance ; mon cœur surabondait d’une continuelle joie, …, Je ne comptais que des heures sereines. » Quant aux descriptions en vers de ces lieux et de ces temps, et du charme particulier qui s’y attache, je ne puis que les indiquer à tous ceux qu’attire la vérité de l’impression : lisez le Hêtre sur l’écorce duquel le poète a gravé un nom ; c’est une pièce qu’on dirait de la dernière manière de Fontanes ; — lisez cette autre pièce plus grave, plus méditative, l’If de Tancarville, cet if dix fois séculaire, contemporain des premiers barons normands, et devant lequel le poète en contemplation s’écrie : Oh !

632. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Au premier avis qui lui en vint (avril 1725), Stanislas ne voulait pas y croire ; quand il vit que c’était sérieux, il faillit s’évanouir de joie, et il y en a même qui disent qu’il s’évanouit tout à fait. […] Son âme pieuse et tendre en avait reçu une blessure au milieu de sa joie.

633. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Aussi vous ai-je prévenu que mon savant vit seul ; il n’a pas d’enfants autour de lui qui l’interrogent et auxquels il faut faire une réponse à tout, une réponse quelconque, car ils en veulent une ; il n’a pas à parler non plus à ces hommes réunis qui sont plus ou moins comme des enfants ; il cause avec quelques amis, avec des chercheurs comme lui ; ils se communiquent leurs doutes, leurs espérances hardies, leurs ambitions droites et sobres, leurs joies austères : il n’y a jamais place pour le sourire. […] Pourquoi l’un, au bras de sa jeune épouse, reçoit-il dans une promenade, en un jour de joie innocente, cette pierre à la tempe, ce coup de fronde aveugle qui le renverse et le laisse privé de sentiment ?

634. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Mais il y a un jour où se ramassent dans une explosion unique tous les sentiments de toute nature, moraux, politiques, sociaux, que l’œuvre des philosophes avait développés dans les cœurs, joie de vivre, avidité de jouir, intense excitation de l’intelligence, haine et mépris du présent, des abus, des traditions, espoir et besoin d’autre chose : ce jour de folie intellectuelle où toute la société de l’ancien régime applaudit aux idées dont elle va périr, c’est la première représentation du Mariage de Figaro (27 avril 1784). […] Et puis il est sorti déjà de la valetaille, il a eu un emploi, il est homme à talents, gazetier, poète, auteur sifflé, entrepreneur de tous métiers, pour le profit, et pour la joie d’agir ; l’auteur lui a soufflé sa fièvre, son audace, son esprit aventurier.

635. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

A vingt-sept ans, Pierre Loti, qui a rêvé sur tous les océans et visité tous les lieux de joie de l’univers, écrit tranquillement, entre autres jolies choses, à son ami William Brown : … Croyez-moi, mon pauvre ami, le temps et la débauche sont deux grands remèdes… Il n’y a pas de Dieu ; il n’y a pas de morale ; rien n’existe de tout ce qu’on nous a enseigné à respecter ; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possible en attendant l’épouvante finale qui est la mort… Je vais vous ouvrir mon cœur, vous faire ma profession de foi : j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale. […] Et que sont ces pauvres petits plaisirs intellectuels auprès des grandes joies animales de la vie physique !

636. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Les mes sont toujours pleines de drapeaux et d’orchestres, mais à cette joie d’emprunt manque la conviction des premiers jours, Les gens s’amusent encore. […] Un seul des symbolistes de la première heure a chanté la joie, Francis Vielé-Griffin, mais il venait d’ailleurs, de Norfolk, aux États-Unis.

637. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Et Retté, romantique malgré lui jusqu’à la moelle des os, s’élève contre cette prétention d’un langage spécial, convaincu qu’il est que le rôle du poète consiste à dépeindre, au moyen d’images frappantes, ses joies et ses douleurs personnelles, de telle sorte qu’elles offrent à tous une interprétation fidèle des joies et des douleurs communes.

638. (1890) L’avenir de la science « XVI »

On peut regretter ces premières délices, comme, au fort de la vie, on regrette souvent les rêves et les joies de l’enfance ; mais il faut virilement marcher, et, au lieu de regarder en arrière, poursuivre le rude sentier qui mènera sans doute à un état mille fois supérieur. […] C’est un grand malheur que d’avoir découvert en soi les ressorts de l’âme ; on craint toujours d’être dupe de soi-même ; on est en suspicion de ses sentiments, de ses joies, de ses instincts.

639. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre V. La littérature et le milieu terrestre et cosmique » pp. 139-154

Elle est pour Victor Hugo, tantôt une grande oublieuse au front serein52 qui efface l’homme éphémère sous la continuité de sa vie exubérante, tantôt une auxiliaire du progrès53, qui révèle à l’humanité ses mystères, lui soumet ses forces, l’émancipé, la rend plus puissante, la mène par la science à la liberté, l’aide à briser les vieux moules du passé, à faire germer le bien et la joie pour les générations futures. […] A Sully Prudhomme55, elle apparaît, dévoilée et comme déflorée par la science, sous des traits durs et rigides : La nature n’est plus la nourrice au grand cœur ; Elle n’est plus la mère auguste et bénévole, Aimant à propager la grâce et la vigueur,   Celle qui lui semblait compatir à la peine, Fêter la joie, en qui l’homme avait cru sentir Une âme l’écouter, divinement humaine, Et des voix lui parler, trop simples pour mentir.

640. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

En fin de compte, il n’a trouvé que de fausses joies dans cette liaison heureusement rompue. […] Le vertige d’en bas l’a saisie : elle trouve une joie poignante à avilir l’amour qu’il avait brisé dans son cœur.

641. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

« Je pris, ajoute Dangeau, la liberté de lui demander, comme il rentrait dans sa chambre, s’il était content de la princesse ; il me répondit qu’il l’était trop, et qu’il avait peine à contenir sa joie. » Un quart d’heure après, le roi revient la voir : « Il la fit causer, regarda sa taille, sa gorge, ses mains, et puis ajouta : Je ne voudrais pas la changer en quoi que ce soit au monde pour sa personne. […] Un jour, douze ans après, la jeune princesse était devenue l’ornement et l’âme de la Cour, l’unique joie de cet intérieur du roi et de Mme de Maintenon, de ces vieillesses moroses.

642. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

Le cardinal ne témoigna ni joie ni surprise, fidèle à son habitude de dissimuler. […] La reine, incrédule et colère, le cardinal, qui n’a point peur encore, et qui sourit malignement, les complaisants, les flatteurs du lieu, Bautru et Nogent, qui bouffonnent, et chacun des assistants dans son rôle : M. de Longueville qui témoigne de la tristesse, « et il était dans une joie sensible, parce que c’était l’homme du monde qui aimait le mieux le commencement de toutes affaires » ; M. le duc d’Orléans qui fait l’empressé et le passionné en parlant à la reine, « et je ne l’ai jamais vu siffler avec plus d’indolence qu’il siffla une demi-heure en entretenant Guerchy dans la petite chambre grise » ; le maréchal de Villeroi qui fait le gai pour faire sa cour au ministre, « et il m’avouait en particulier, les larmes aux yeux, que l’État était sur le bord du précipice ».

643. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Pendant que Franklin correspondait ainsi avec ses amis d’Amérique ou d’Angleterre, avec sa fille absente, et qu’il anticipait pour son pays les perspectives de l’avenir ou qu’il regrettait les joies du foyer, il était populaire en France, il était à la mode. […] Laissant aller sa pensée sur les espérances et les craintes, sur les perspectives de chance diverse, de bonheur ou de malheur, qui animent ou tempèrent les joies de la famille, il disait encore, en citant le mot d’un poète religieux (le docteur Watts) : Celui qui élève une nombreuse famille, tant qu’il est là vivant à la considérer, s’offre, il est vrai, comme un point de mire plus large au chagrin ; mais il a aussi plus d’étendue pour le plaisir.

644. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Pour eux le modèle idéal s’est déplacé ; il n’est plus situé parmi les formes, composé de force et de joie, mais transporté dans les sentiments, composé de véracité, de droiture, d’attachement au devoir, de fidélité à la règle. […] Alors William dit à sa mère : Pour la petite douleur que j’aurai à souffrir, et qui n’est qu’un court passage, le Christ m’a promis, ma mère, une couronne de joie. […] Plusieurs se font brûler, et avec joie. […] —  Ici je l’entendis qui disait : Celui qui vient à moi, je ne le rejetterai jamais. —  Et alors mon cœur fut plein de joie, mes yeux furent pleins de larmes, et toute mon âme déborda d’amour pour le nom, le peuple et les voies de Jésus-Christ. […] Et j’entendis dans mon rêve qu’il leur fut dit : Entrez dans la joie de votre Seigneur. —  À ce moment, comme les portes s’ouvraient pour laisser entrer ces hommes, je regardai après eux et je vis la cité briller comme le soleil.

645. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Certes il est royaliste, mais sans joie et sans amour. […] Et les chrétiens m’arracheraient ce léger dédommagement des joies célestes ! […] Il aura la joie infinie de siéger dans un congrès. […] Cette ambassade de Londres fut une des grandes joies de sa vie. […] Une de ses plus grandes joies est d’être appelé Votre Excellence.

646. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Sur le Louis XVI de M. Amédée Renée » pp. 339-344

On a un premier jour de folle joie universelle et d’ivresse ; mais le lendemain on se retrouve divisé en partis, en présence des hommes, des intérêts et des passions.

647. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Malaise moral. » pp. 176-183

Elle amoindrit la confiance en soi, la « joie de vivre », même la vertu, dans une plus grande proportion qu’elle ne diminue les forces.

648. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moréas, Jean (1856-1910) »

Il y a de belles choses dans ce Pèlerin, il y en a de belles dans les Syrtes, il y en a d’admirables ou de délicieuses, et que (pour ma part) je relirai toujours avec joie, dans les Cantilènes, mais puisque M. 

649. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Éphémérides poétiques, 1870-1890 » pp. 181-188

Vielé-Griffin : Joies.

650. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Enfin, la joie était revenue, et tous les airs de jalousie avaient disparu.

651. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

ce n’est pas cela ; il faut d’abord qu’elle soit belle ; puis qu’elle le soit de cette sorte de beauté qui s’allie avec la fermeté, la tranquillité et la joie féroce.

652. (1927) André Gide pp. 8-126

Je ne souhaite, pas d’autre repos que celui de la mort… » Un goût de la nature toute simple, sans luxe ni artifice, à la Rousseau : « Je n’aime pas que ma joie soit parée, ni que la Sulamite ait passé par des salles… » (Curieux historiquement, comme réaction contre Baudelaire et Huysmans.) […] La joie est brève, et l’attrait de la vie immense ne permet point de s’attarder à l’amour. […] Le digne pasteur enseigne à Gertrude que ces petites voix émanent de créatures vivantes dont il semble que l’unique fonction soit de sentir et d’exprimer l’éparse joie de la nature. « Est-ce que vraiment, disait-elle, la terre est aussi belle que le disent les oiseaux ? […] Le malheureux pasteur qui regardait l’état de joie comme obligatoire pour un chrétien, en est bientôt rudement précipité dans l’affreuse détresse. […] Il me paraît que la plupart de nos possessions sur cette terre sont moins faites pour augmenter notre joie, que nos regrets de devoir un jour les quitter. » Quel dommage de quitter tout cela !

653. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Mais nulle part vous ne surprendrez chez lui cette affreuse joie de la tare longuement et cruellement constatée, qui est comme la signature de l’envie. […] En tête de ce papier, un seul mot : « Feu. » Puis des cris : « Certitude, Certitude, Sentiment, Joie, Paix, Joie, Joie, Joie, Pleurs de joie… » Cette certitude, comment la faire partager ? […] Visiblement, son fils était toute sa joie, tout son orgueil, toute son espérance. […] Leur souvenir m’inspire la joie du renoncement et l’amour de la paix. » Rappelez-vous maintenant ses romans et voyez comme ils se raccordent à cette jeunesse et à cette éducation. […] Ceux qui ont eu, comme moi, le privilège et la joie de son intimité savent combien ce génie de l’expression intense et saisissante était inné chez lui.

654. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

Depuis lors, il n’avait pas eu une joie ou une douleur qui ne leur fussent communes. […] Une folle joie anima les traits de Coralie. […] Que de joie d’abord et puis que de tristesse ! […] Frappé, mais non vaincu, je puis mourir en joie. […] Comme vous il est vie, amour, joie et courroux.

655. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Et vous, naïf et loyal, un grand trouble de joie se fait dans votre poitrine : Elle vous aime, vous n’en pouvez douter. […] Lisette, vous nous paraissez lugubre ; filles de joie, vous êtes les mal nommées. […] Primadant. — Ô joie ! […] Ô joie ! […] Rien de ce qui s’y passe et nous impressionne, aucune joie, aucune douleur n’altèrent la sérénité de ces lyriques à l’envers.

656. (1891) Esquisses contemporaines

La joie des simples et des enfants montre combien cela est aisé. […] Il aurait puisé dans la communion personnelle avec un Dieu personnel la force de vivre et la joie de mourir. […] Mais il y a loin de la résignation au triomphe, plus loin encore de la soumission nécessaire à la joie victorieuse d’un croyant. […] À peine s’il introduit quelques variations à l’éternelle cantilène de nos courtes joies et de nos plus longues douleurs. […] Quelle joie !

657. (1887) George Sand

Quand ils racontent leurs joies, c’est avec une sorte d’exaltation pieuse. […] La nature n’a rien d’assez recherché dans le trésor de ses joies naïves pour apaiser la soif de bonheur qui est en nous ; il nous faut le ciel, et nous ne l’avons pas !  […] Il écrase Francis de sa générosité, tout en lui enlevant la joie de la dernière pensée d’Alida. […] S’ils se portent vers les profondeurs sans limites du ciel, on nous y fait supposer des peuples d’âmes inconnues, animant de leurs joies ou de leurs souffrances la bleue immensité. […] Elle est l’esclave de ses enfants et de ses petits-enfants ; elle organise toute son existence pour les tenir en joie avec des jouets, avec des récits, pour les élever, plus tard pour leur gagner des dots et les bien marier.

658. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Éphémérides poétiques, 1891-1900 » pp. 179-187

Charles Guérin : Joies grises.

659. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

» Le poète (on nous pardonnera de donner à Bossuet un titre qui fait la gloire de David), le poète continue de se faire entendre ; il ne touche plus la corde inspirée ; mais, baissant sa lyre d’un ton jusqu’à ce mode dont Salomon se servit pour chanter les troupeaux du mont Galaad, il soupire ces paroles paisibles : « Dans la solitude de Sainte-Fare, autant éloignée des voies du siècle, que sa bienheureuse situation la sépare de tout commerce du monde ; dans cette sainte montagne que Dieu avait choisie depuis mille ans ; où les épouses de Jésus-Christ faisaient revivre la beauté des anciens jours ; où les joies de la terre étaient inconnues ; où les vestiges des hommes du monde, des curieux et des vagabonds ne paraissaient pas ; sous la conduite de la sainte Abbesse, qui savait donner le lait aux enfants aussi bien que le pain aux forts, les commencements de la princesse Anne étaient heureux200. » Cette page, qu’on dirait extraite du livre de Ruth, n’a point épuisé le pinceau de Bossuet ; il lui reste encore assez de cette antique et douce couleur pour peindre une mort heureuse.

660. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

(J’aurais grande joie à vous citer le morceau, si mon dessein n’était de m’attacher principalement aux parties ironiques de ce mélodrame.) […] Purifiée par cet amour, la fille de joie résiste aux entreprises du beau-frère du roi, le prince Samsthanaka. […] Sa joie est en lui. […] Et ainsi j’aurai la joie de faire tuer le père par le fils. » Puis, Atrée empoisonne Érope. […] Mais la joie même qu’il ressent à l’envisager avertit Edouard qu’il fait, moralement, fausse route.

661. (1876) Romanciers contemporains

On voit d’ici la joie intérieure, le sourire narquois de Mérimée. […] Elle comprenait toutes les joies qu’elle avait méconnues, tous les bonheurs qu’elle avait repoussés. […] Ces mesquines accusations sont la basse joie de certains impuissants que désespère le pouvoir créateur d’autrui. […] Loin d’être alors un révolté, il était la joie et l’espoir des maîtres les plus classiques, et l’étude approfondie de ces anciens, reniés aujourd’hui, lui valait chaque année plusieurs couronnes de sa classe. […] Un regard de lui est son repos, sa joie intérieure car jamais sur ce froid visage n’apparaît un signe de satisfaction.

662. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

La joie est la conscience d’une vie pleine et en harmonie avec son milieu ; or, quand il y a harmonie, il y a par cela même tendance à la sympathie. […] Elle peut avoir, comme l’enfant, la grâce de la joie, elle n’a pas encore celle de la tendresse. […] Enfin une joie très vive porte à sauter et à danser. […] Autant le rythme est l’expression naturelle de l’émotion, autant il semble étrange au premier moment de rimer sa joie ou ses douleurs. […] « Celui qui aime, court, vole ; il est dans la joie, il est libre et rien ne l’arrête.

663. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

En entrant dans cette partie, mon cœur est plein d’une joie sereine, et je choisis à dessein mes plumes les plus neuves, tant je veux être clair et limpide, et tant je me sens aise d’aborder mon sujet le plus cher et le plus sympathique. […] Dans cet interminable Salon, où plus que jamais les différences sont effacées, où chacun dessine et peint un peu, mais pas assez pour mériter même d’être classé, — c’est une grande joie de rencontrer un franc et vrai peintre, comme M.  […] Cette immense popularité, qui ne durera d’ailleurs pas plus longtemps que la guerre, et qui diminuera à mesure que les peuples se feront d’autres joies, — cette popularité, dis-je, cette vox populi, vox Dei, est pour moi une oppression. […] Aussi, quel immense public et quelle joie ! […] S’il est des douteurs qui inspirent de l’intérêt, il en est de grotesques que le public revoit tous les ans avec cette joie méchante, particulière aux flâneurs ennuyés à qui la laideur excessive procure quelques instants de distraction.

664. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Il s’identifie à son époque, il en tire toutes les joies de son cerveau et de ses sens, il en extrait la substance de son œuvre. […] C’étaient des fuites loin du monde, une absorption instinctive au sein de la bonne nature, une adoration irraisonnée de gamins pour les arbres, les eaux, les monts, pour cette joie sans limite d’êtres seuls et d’être libres… Ils avaient douze ans à peine qu’ils savaient nager, et c’était une rage de barboter au fond des trous, où l’eau s’amassait, de passer là des journées entières, tout nus à se sécher sur le sable brûlant pour replonger ensuite, à vivre dans la rivière sur le dos, sur le ventre, fouillant les herbes des berges, s’enfonçant jusqu’aux oreilles et guettant, pendant des heures, les cachettes des anguilles. […] Et devant une scène vécue, au spectacle d’une joie ou d’une misère quelconque, ils n’étaient pas autrement émotionnés qu’en regardant un tableau de genre, ou bien encore quelque étrange estampe du temps passé, toute fanée et fanée par les ans. […] Désormais, quand nous envisagerons la nudité délicate de la femme, nous éprouverons la même joie esthétique qu’à nous pencher amoureusement sur l’organisme enivré d’héliotropes voluptueux. […] De tous ses livres, de ce poème tragique de l’Œuvre à l’épopée rouge et noire de Germinal, des pages du Bonheur des Dames aux pourritures d’or et de chair de Nana, aux légendes héroïques de la Débâcle ; de tous ces livres monte un râle, et ce râle persiste même à travers la joie saine de ce qui va naître de l’incessante mort.

665. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Et quelle joie de nature égale cette joie de société que l’homme se fait ! […] Les artistes aiment ces joies qui les frottent à un semblant de monde. […] Dans ce souper après un succès, après une ovation, ce qui nous frappe, nous si friands de ces joies fiévreuses, et qui reviendrons à ce damné théâtre : c’est le creux de ce bonheur. […] Tout branlant, les mains tremblotantes, il nous fait place avec joie, auprès de son feu.

666. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Ces pages nous font l’effet de ces couronnes de roses, de ces boucles de cheveux blonds noués de faveurs déteintes que l’on trouve quelquefois au fond d’une cassette, dans l’inventaire après décès d’un vieillard, souvenirs des joies de la vie qui jurent avec la gravité du moment. […] Mais notre joie, hélas ! […] Doux besoin d’être épouse et mère Fit céder Jeanne, qui, trois fois Depuis, dans une joie amère, Accoucha seule au fond des bois. […] Ils se rangeaient respectueusement et se chuchotaient l’un à l’autre le nom du Père la joie, comme disent les Arabes ; ils levaient leur chapeau et criaient, quand il avait passé : Vive Béranger ! […] Je le recommanderai à nos bons amis les Pereire, qui font du travail le ministre de l’opulence. » La jeune fille, dans sa joie, jetait naïvement ses bras autour du cou du poète. « — Allons, allons !

667. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Elles sont bien de celui qui, devenu prélat, ne négligeait pas de correspondre avec Mme Des Houlières et avec Mlle de Scudery, et qui écrivait à la première : « Quelle joie pour moi, madame, de trouver, après le cours ennuyeux d’une visite de diocèse, une lecture aussi délicieuse que celle de vos poésies ! […] Jamais il n’y eut tant de consternation de la part des grands, et tant de joie entre les faibles. […] [NdA] À la date de 1682, Fléchier écrivait encore à Mlle des Houlières dans le style de l’hôtel Rambouillet : « J’aurais assez bien reposé la nuit, si je n’avais eu aucune inquiétude de votre mal, et je sens bien que la joie de vous voir achèvera de me guérir.

668. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

La pitié, la joie, la colère, toutes les passions nous effleurent, sans qu’aucune s’enfonce en nous. […] C’est une joie rude, un mouvement désordonné, une voix rauque, sourde et violente. « Il se rue, grattant, frottant, se vautrant, gambadant, chantant, broutant », et le tout ensemble. […] Progné me vient enlever les morceaux, Caracolant, frisant l’air et les eaux … La soeur de Philomèle, attentive à sa proie, Malgré le bestion happait mouches dans l’air, Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie, Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert, D’un ton demi-formé, bégayante couvée, Demandaient par des cris encore mal entendus.

669. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Ses Quinze Joies, de mariage dérobent la dérision cynique de la famille sous le même ton d’innocente malice. […] Chaque âme, avec le ton de son tempérament, avec une légèreté railleuse, avec un désespoir accablé ou grimaçant, avec une philosophique résignation, avec une joie insultante et pourtant angoissée, chaque âme a dit l’universelle nécessité, le mot qui donne pitié des morts, et fait frissonner les vivants. […] Ce fut une joie pour lui de servir un homme avec qui la politique était une science, avec qui nulle intervention de sentimentalité, d’honneur, de passion même mauvaise, toutes choses gênantes pour un bon joueur, ne venait brouiller l’échiquier avant les beaux coups longuement médités.

670. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Si vous ôtez l’explication, vous ne pourrez plus exprimer que des idées ou des sentiments très généraux et très simples : naissance ou déclin d’amour, joie, mélancolie, abandon, désespoir… Et ainsi (c’est où je voulais en venir) le symbolisme devient extrêmement commode pour les poètes qui n’ont pas beaucoup d’idées. […] me voici tout en larme D’une joie extraordinaire ; votre voix Me fait comme du bien et du mal à la fois ; Et le mal et le bien, tout a les mêmes charmes… J’ai l’extase et j’ai la terreur d’être choisi ; Je suis indigne, mais je sais votre clémence. […] Aimer Dieu, c’est aimer l’âme humaine agrandie avec la joie de l’agrandir toujours et de mesurer notre propre valeur à cet accroissement — et aussi avec l’angoisse de voir cette création de notre pensée s’évanouir dans le mystère et nous échapper.

671. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Le caprice d’une courtisane a détruit toutes les joies de son foyer, tous les espoirs de sa vieillesse. […] A sa vue, la voix lui manque, les mains lui tremblent, ses yeux jettent la flamme ; elle va pousser, l’un après l’autre, tous les verrous de ces portes banales, et les transports recommencent, et les promesses, et les serments, et toutes les divagations enivrés des joies illicites qui prennent leur bien où elles le trouvent et le dévorent n’importe où. […] On l’accepte pourtant comme un châtiment naturel, au bout de ces cinq actes voués à toutes les joies et à tous les excès de l’adultère.

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