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2316. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Panurge » pp. 222-228

Sous François Ier, il parodie la royauté, fait d’Arnache roi des Dipsodes pris à la guerre, « gentil crieur de saulce verte » et l’expérience réussit »à souhait : « et fut aussi gentil crieur, qui fût oncques vu en Utopie ; mais l’on m’a dit depuis que sa femme, le bat comme plâtre, et le pauvre sot ne s’ose défendre, tant il est niais. » Ni l’Église, ni les gens de loi, les papimanes, les papegauts, les evegauts, les saintes décrétales, les chats fourrez et chicanous, ne lui inspirent plus de retenue. […] Nous avons tout pris à toutes les races.

2317. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Clément Marot, et deux poëtes décriés, Sagon & La Huéterie. » pp. 105-113

La satyre prit toutes sortes de formes ; celle de rondeaux, de triolets, de dixains, de lay, de virelay, d’épigrammes. […] Ils prennent les places qui leur sont destinées.

2318. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Ici, c’est un tombeau, là, une aventure attendrissante, qui déterminent la limite d’un pays ; une ville nouvelle porte une appellation antique ; un ruisseau étranger prend le nom d’un fleuve de la patrie. […] Les deux songes sont pris également à la source des différentes religions des deux poètes : Virgile est plus triste, Racine plus terrible : le dernier eût manqué son but, et aurait mal connu le génie sombre des dogmes hébreux, si, à l’exemple du premier, il eût amené le rêve d’Athalie dans une heure pacifique : comme il va tenir beaucoup, il promet beaucoup par ce vers : C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit.

2319. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 6, que dans les écrits des anciens, le terme de chanter signifie souvent déclamer et même quelquefois parler » pp. 103-111

Lorsque Juvenal fait dans sa septiéme satyre l’éloge de Quintilien, il y dit entr’autres choses que cet orateur chantoit très-bien, lorsqu’il avoit daigné prendre les soins et les précautions que les romains prenoient pour se nétoïer les organes de la voix, et dont nous parlons ci-dessous. Quintilien, quand il parloit en public, chantoit-il, à prendre le terme de chanter dans la signification qu’il a parmi nous ?

2320. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

Ces réalistes contemporains, dont Courbet est l’épais champion en peinture, et qui n’ont pas encore trouvé de Courbet littéraire dans leurs rangs, ne prennent point en suspicion des facultés absentes ; au contraire. […] Isolant chaque détail de la masse, allant sans discernement et sans choix d’un objet quelconque à un objet quelconque, comme l’enfant, mené par son désir innocent de prendre chaque chose et de la saisir dans sa vulgarité complète, égaré par cette manie de touche-à-tout, il enfile toutes les venelles qui se présentent à sa flânerie dans ce récit sans raison d’être, sans unité de composition et sans but !

2321. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre III. Trois principes fondamentaux » pp. 75-80

C’est pourquoi nous avons pris ces trois coutumes éternelles et universelles pour les trois premiers principes de la science nouvelle. […] Dira-t-on encore que la secte stoïcienne et l’épicurienne s’accordent avec la jurisprudence romaine, qui prend l’existence de cette Providence pour premier principe ?

2322. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Le poète, à cet égard, est astreint à la même règle que l’historien, qui n’invente ni ne choisit les choses qu’il raconte, mais qui les prend ainsi qu’il les trouve, et qui les expose sans déguisement et sans altération. […] Or, si la fable la plus mince, imaginée par l’espièglerie du satirique, s’agrandit et prend une telle consistance de l’observation des localités, combien plus importe cette condition aux fables vraiment grandes et héroïques ! […] On voit en ceci, comme en nos leçons antécédentes, que nous prenons toujours le besoin naturel pour base de toutes nos règles littéraires. […] C’est ainsi qu’il prend la sensibilité du texte ; c’est en faisant pleurer la lyre d’Orphée qu’il reproduit le touchant canebat du cygne latin. […] Prenons-en une de Voltaire, accusé d’être le moins épique de nos bons poètes ; on verra l’éclat que notre langue peut leur donner.

2323. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

La France persiste, et veut sagement se retirer dans sa neutralité envers le reste de l’Italie après ses victoires : l’Angleterre change à l’instant de langage et de diplomatie, prend la place abandonnée par la France, et pousse le Piémont, la France, l’Italie entière aux extrémités où nous marchons, pour ne point nous laisser le pas, même dans l’anarchie du continent. […] Il faut en prendre son parti : c’est Dieu qui l’a voulu, en faisant croître l’herbe ici, et en ne faisant croître ailleurs que l’épine du chameau ; en faisant des déserts de quarante jours de traversée sans une source dans le sable, et en faisant déborder le Nil, cet arrosoir de l’Égypte, des nuées encore inconnues de l’Abyssinie. […] L’Angleterre saisit le fer chaud quand il s’agit de prendre une position si redoutable contre la France. […] Quel spectacle, en effet, que ce peuple qui veut bien se donner à son libérateur, comme Garibaldi, mais qui ne veut pas se laisser prendre par un envahisseur couronné ! […] Je l’ai toujours dit aux publicistes français et italiens, complices à leur insu de cette pensée antifrançaise et antiitalienne : « Prenez-y garde !

2324. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Sa mauvaise mine et son air de loup parqué lui font fermer toutes les portes : c’est naturel ; à qui s’en prendrait-il ? […] monsieur l’évêque, vous n’aimez pas les crudités du vrai ; Christ les aimait, lui ; il prenait une verge et il époussetait le temple. […] Ce qu’il venait de dire l’avait rapproché de celui qui est dans la mort (sans doute Dieu) ; l’instant suprême arrivait. » « L’évêque, ajoute l’écrivain, le comprit ; le moment pressait ; c’était comme prêtre qu’il était venu ; de l’extrême froideur il était passé par degrés à l’émotion extrême, il regarda ces yeux fermés, il prit cette vieille main ridée et glacée, et se pencha vers le moribond. […] IV Et maintenant, parlons sérieusement à notre tour ; prenons-nous corps à corps sur cette déification du terrorisme, et raisonnons après avoir raconté. […] C’est de lui que je m’arme aujourd’hui contre lui-même ; mais je m’arme pour le désarmer de la mauvaise arme qu’il a ramassée sur ce champ de carnage qu’il a pris pour un champ de bataille.

2325. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Jeté loin de la vue des rivages sur l’immensité des mers, le pilote peut prendre hauteur et marquer avec le compas la ligne du globe qu’il traverse ou qu’il suit ; l’esprit humain ne le peut pas ; il n’a rien hors de soi-même à quoi il puisse mesurer sa marche, et toutes les fois qu’il dit : Je suis ici ; je vais là, j’avance, je recule, je m’arrête ; il se trouve qu’il s’est trompé et qu’il a menti à son histoire, histoire qui n’est écrite que bien longtemps après qu’il a passé, qui jalonne ses traces après qu’il les a imprimées sur la terre, mais qui d’avance ne peut lui tracer son chemin. […] Ils furent pour nous comme deux protestations vivantes contre l’oppression de l’âme et du cœur, contre le dessèchement et l’avilissement du siècle ; ils furent l’aliment de nos toits solitaires, le pain caché de nos âmes refoulées ; ils prirent sur nous comme un droit de famille, ils furent de notre sang, nous fûmes du leur, et il est peut d’entre nous qui ne leur doive ce qu’il fut, ce qu’il est, ou ce qu’il sera. […] Quand les sanglots de la jeune veuve arrivaient jusqu’aux enfans, ceux-ci se prenaient à pleurer, et les trois esclaves noires, après avoir répondu par un sanglot à celui de leur maîtresse, se mettaient à chanter des airs assoupissants et des paroles enfantines de leur pays pour apaiser les deux enfants. […] Un de nos Arabes, descendant de cheval, se laissa glisser dans la carrière, et grimpant sur cette pierre en s’accrochant aux entaillures du ciseau et aux mousses qui y ont pris racine, il monta sur ce piédestal, et courut çà et là sur cette plate-forme, en poussant des cris sauvages ; mais le piédestal écrasait par sa masse l’homme de nos jours, l’homme disparaissait devant son œuvre. […]   Elle ne sera plus lyrique dans le sens où nous prenons ce mot ; elle n’a plus assez de jeunesse, de fraîcheur, de spontanéité d’impression pour chanter comme au premier réveil de la pensée humaine.

2326. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

  A cette date de la mi-avril, la bataille wagnérienne prend une recrudescence inopinée ; la très grande majorité des journaux continuent à demander Lohengrin, les journaux anti-wagnériens sont peu nombreux mais ils deviennent d’une violence et d’un acharnement inouï. […] Lamoureux d’engager avec la Revanche une lutte personnelle dans laquelle il espère assouvir les rancunes de son amour-propre blessé, nous acceptons volontiers le combat, et le défenseur de Richard Wagner peut compter que nous ne négligerons rien pour faire comprendre toute la portée de la tentative dont il a pris l’initiative. […] —   Alors vous avez pris cette détermination proprio motu ? […] —   Mes concerts y compris… Je prends tout à fait ma retraite. […] Lamoureux renonçât à Lohengrin, afin de laisser ce chef-d’œuvre prendre plus tard sa place, à l’Opéra, entre les Huguenots et la Muette.

2327. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Ils ont pris exemple d’Homère, leur grand modèle. […] L’auteur, dès la première idée qu’il eut de mettre en action ce morceau d’histoire, sentit qu’il réussiroit ; qu’il feroit prendre l’intérêt le plus vif aux amans qu’il avoit à peindre*. […] On plaisanta sur cette bigarrure de bouffonneries & de sérieux pathétique, sur l’honneur qu’on faisoit à des spectateurs raisonnables de les prendre pour des enfans ou des fous qui pleurent, & qui rient presque dans le même instant. […] Sa joie, en ce moment, étoit suspecte sans doute ; mais on la prit pour réelle, & l’on s’enhardit à le traiter selon son goût. […] Si elle avoit vu seulement, à ses portes, des acteurs ; si elle y avoit vu les Sophocle & les Ménandre, elle eût pris l’allarme & cru voir déjà l’ennemi dans ses murs.

2328. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Laissez-moi prendre un exemple vulgaire. […] Cet objet ne tombe pas sous toutes nos prises comme le premier. […] Qu’est-ce que le beau, pris en lui-même ? […] Permettez-moi de prendre un exemple extrême, tragique et terrible. […] Nous sommes libres, quand avant d’agir nous avons pris la résolution de le faire sachant bien que nous pouvions prendre la résolution contraire.

2329. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Il fallait donc des lieutenances à cette foule turbulente ; et comment s’y prit-on ? […] Dès lors fut réveillée en eux la conscience d’une cause publique et fut prononcé le serment de la maintenir ; dès lors ils eurent une patrie qui prit le premier rang dans leurs affections.

2330. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Bœrne. Lettres écrites de paris pendant les années 1830 et 1831, traduites par M. Guiran. »

Nous avouerons, toutefois, que nous ne prendrions pas moins de plaisir à la lecture des lettres de M.  […] Bœrne avait pris la peine de s’informer à ce sujet, il eût rencontré facilement, à Paris, des conférences philosophiques moins ridicules que celles dont il nous a tracé une agréable caricature.

2331. (1874) Premiers lundis. Tome II « Dupin Aîné. Réception à l’Académie française »

Et puis ce paysan du Danube qui, devenu bourgeois et avocat, sait encore si bien régenter l’illustre sénat assis pour l’écouter, a des moments singuliers où il lui prend une fluxion ou un mal de gorge, comme à Démosthènes, duquel on disait alors qu’il philippisait, et il garde ces jours-là un silence aussi prudent que celui que garda toute sa vie l’académicien Conrart. […] Dupin, qui se trouvaient çà et là, n’ont paru rien prendre bien au vif : l’orateur, de son côté, n’a guère dit que l’indispensable dans sa fausse position.

2332. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

On l’a entendu à peine qu’on se prend à désirer (Dieu me pardonne !) […] Mais ce que nous voudrions surtout suggérer à un talent aussi net et aussi naturel d’expression, aussi tourné par vocation, ce semble, aux choses de théâtre, ce serait d’agrandir, avant tout, le champ de son observation, non pas de vieillir (cela se fait tout seul et sans qu’on se le dise), mais de vivre, de se répandre hors du cercle de ses jeunes contemporains, de voir le monde étendu, confus, de tout rang, le monde actuel tel qu’il est, de le voir, non pas à titre de jeune auteur déjà en vue soi-même, mais d’une manière plus humble, plus sûre, plus favorable au coup d’œil, et comme quelqu’un de la foule ; c’est le meilleur moyen d’en sortir ensuite avec son butin, et de dire un jour à quelque ridicule, à quelque vice pris sur le fait : Le voilà !

2333. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Si courtes et si rares ont été les apparitions que j’y ai faites depuis que le vaste monde m’a pris, que je peux dire qu’il y a quarante ans que je l’ai quittée. […] Il vaudrait sûrement mieux vivre et mourir solitaire ; mais on n’est pas le maître ; le monde vous prend par les cheveux, fait un peu de vous ce qu’il veut.

2334. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

À la fin du xviie  siècle, à partir de 1685 environ, quand le génie du poète a été sacré par la mort, sa mémoire se relève, témoin Crébillon père qui le prend pour modèle et Fontenelle qui le vante par esprit de famille. […] Toute société, avant d’être réalisée, existe à l’état de rêve, de conception, de désir ; et cela devient de plus en plus vrai à mesure que les peuples prennent d’eux-mêmes et de leurs besoins une conscience plus claire.

2335. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » pp. 238-247

Pétersbourg, elle prit les habits de son sexe, qu’elle quitta à son retour en France, pour reprendre les habits d’homme. […] Le Roi ordonna à son Chirurgien de prendre un soin particulier de Mlle Déon, qui ne put se servir de sa jambe qu’après avoir gardé plus de trois mois le lit.

2336. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface et note de « Notre-Dame de Paris » (1831-1832) — Note ajoutée à l’édition définitive (1832) »

La greffe ou la soudure prennent mal sur des œuvres de cette nature, qui doivent jaillir d’un seul jet et rester telles quelles. […] Il prit le parti de passer outre.

2337. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Dieu cruel, prends pitié du trouble où tu me vois, À mes sens mutinés ose imposer tes lois. […] On aura beau prendre pour héroïne une vestale grecque ou romaine, jamais on n’établira ce combat entre la chair et l’esprit, qui fait le merveilleux de la position d’Héloïse, et qui appartient au dogme et à la morale du christianisme.

2338. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Hallé » pp. 71-73

Il n’y a pas jusqu’à la salle et à son architecture grisâtre et nébuleuse qui ne puisse se prendre pour un château en l’air. […] On diroit que Mr le prévôt des marchands invite Minerve et la paix à prendre du chocolat.

2339. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 4, du pouvoir que les imitations ont sur nous, et de la facilité avec laquelle le coeur humain est ému » pp. 34-42

L’amour de soi-même qui se change presque toujours en amour propre immoderé à mesure que les hommes avancent en âge, les rend trop attachez à leurs interêts presens et à venir, et trop durs envers les autres, lorsqu’ils prennent leur resolution de sens rassis. […] La nature a donc pris le parti de nous construire de maniere que l’agitation de tout ce qui nous approche eut un puissant empire sur nous, afin que ceux qui ont besoin de notre indulgence ou de notre secours pussent nous ébranler avec facilité.

2340. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Cette idée serait de dresser dans un cadre, qui prendrait chaque année plus de profondeur et d’espace, l’inventaire intellectuel du xixe  siècle. […] … Il a détriplé l’idée de La Harpe, et ce qu’il en a pris, il l’a exécuté déjà et continuera de l’exécuter sous une forme à lui et qui ne rappellera nullement celle de La Harpe.

2341. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — I »

Renan ne répondit jamais aux injures dont il pouvait être l’objet et s’interdit même de prendre en faute ses adversaires. […] Il ne se pique jamais de reviser les jugements de la société ; tout jeune, il prit le parti d’accorder qu’un académicien est toujours un esprit « extrêmement distingué » et un collaborateur des Débats « un homme éminent ».

2342. (1868) Curiosités esthétiques « II. Salon de 1846 » pp. 77-198

S’il est mélodieux, il a déjà un sens, et il a déjà pris sa place dans le répertoire des souvenirs. […] L’excentricité elle-même prend chez lui des formes symétriques. […] Penguilly de n’avoir pas pris le type de Deburau, qui est le vrai pierrot actuel, le pierrot de l’histoire moderne, et qui doit avoir sa place dans tous les tableaux de parade. […] Du reste, cette peinture est si malheureuse, si triste, si indécise et si sale, que beaucoup de gens ont pris les tableaux de M.  […] A coup sûr, ce n’est pas dans Poussin qu’il a pris naissance  ; car auprès de ces messieurs, c’est un esprit perverti et débauché.

2343. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Nous prenons pour point d’arrivée ce qui est pour le pieux solitaire le point de départ. […] Et l’on sait enfin que, chez l’artiste, la passion s’amortit toujours un peu par la conscience qu’il en prend, et parce que ses propres sentiments lui deviennent « matière d’art ». […] On ne découvre des vérités neuves que par de grands partis pris qui entraînent tout autant d’erreurs. […] En littérature, il n’a touché aux opinions traditionnelles que pour les redresser rudement, souvent pour en prendre le contre-pied. […] Il en a connu l’âme souffrante ; et, comme il prend tout très au sérieux, il est un des premiers qui se soient employés à la guérir.

2344. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Perrin les passe en revue et prend des notes. […]prenez-vous Carthage ? […] Et, ces sujets, ils les prendront dans les œuvres d’Alexandre Dumas. […] Ritt et Gailhard, en prendre exactement le contre-pied. […] Le point commun est à trouver dans le parcours de deux artistes qui, ayant porté leur art au plus haut, l’abandonnent pour prendre une position religieuse et écrivent sur la religion de l’art.

2345. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Comme nous devinons presque l’attitude qu’il va prendre, il paraît nous obéir quand il la prend en effet ; la régularité du rythme établit entre lui et nous une espèce de communication, et les retours périodiques de la mesure sont comme autant de fils invisibles au moyen desquels nous faisons jouer cette marionnette imaginaire. […] Darwin a remarquablement décrit les symptômes physiologiques de la fureur. « Les battements du cœur s’accélèrent : la face rougit ou prend une pâleur cadavérique ; la respiration est laborieuse ; la poitrine se soulève ; les narines frémissantes se dilatent. […] En d’autres termes, nous évaluons l’intensité d’une douleur à l’intérêt qu’une partie plus ou moins grande de l’organisme veut bien y prendre. […] A mesure que la source lumineuse se rapproche, le violet prend une teinte bleuâtre, le vert tend au jaune blanchâtre et le rouge au jaune brillant. […] Car si la confusion de la qualité avec la quantité se limitait à chacun des faits de conscience pris isolément, elle créerait des obscurités, comme nous venons de le voir, plutôt que des problèmes.

2346. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

C’est la forme la plus habituelle que prend aujourd’hui le matérialisme, et la plus sûre, parce qu’elle est la plus décevante. […] Dans l’épopée, l’humanité prend pleine possession de la poésie, qui n’appartenait qu’aux dieux. […] À l’époque où l’esprit prend ses habitudes, cet état constant de maladie influa beaucoup sur la nature du génie de Ballanche. […] Les connaissances où le cœur n’entre pour rien prennent bien vite pour but la seule satisfaction des désirs matériels. […] Nous prendrons ce mot dans sa double acception, dont les deux termes sont moins contradictoires qu’ils ne paraissent.

2347. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Il demanda qu’on lui conservât un souvenir, qu’on prît en pitié son père, sa femme et l’âge innocent de ses enfants. […] Ici, l’histoire de Tacite prend tour à tour l’accent de l’élégie sacrée et celui de l’imprécation : « Et quelle cause nous armait ? […] « La délibération du sénat sur le parti à prendre après la mort de Vitellius le rappelle à la tribune. […] Le siège de Jérusalem par Titus, fils de Vespasien, prend, sous la plume de l’historien, la solennité et pour ainsi dire le deuil des grandes funérailles. […] « Néron s’avance jusque sur la grève, à la rencontre de sa mère qui venait d’Antium, la prend par la main, la serre dans ses bras, et la conduit à Baules ; c’est le nom de la maison de délices qui s’élève entre le promontoire de Misène et le golfe de Baïes, formé par une inflexion de la mer.

2348. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Il ne prend pas de héros non plus. […] Il n’a pas pris soin de nous le dire. […] Les Hollandais ont peint des buveurs ivres, de grasses commères sans coquetterie ; Cervantès nous a montré des brigands et des catins, Callot a dessiné des gueux, et il est certain que tous ont pris plaisir à nous présenter leurs personnages. […] Mais il faut faire avec Nietzsche comme le seigneur Pococurante faisait avec les anciens, n’admirer que ce qui est vraiment admirable, ne prendre que ce qui est à votre usage. […] Les êtres qui sont faits pour servir, pour s’humilier, pour s’effacer, vont peu à peu prendre une arrogance stupide et dangereuse.

2349. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Dans les périodes réalistes, la science, qui constate, accumule et ordonne des faits réels, triomphe et fait invasion sur le territoire de sa voisine ; dans les périodes idéalistes, la littérature, qui ne peut créer la beauté sans avoir devant les yeux un idéal, prend sa revanche et ressaisit une partie du terrain conquis. […] Dans les moments où l’esprit littéraire prédomine et prend plus que sa part, l’exactitude est victime de la rhétorique et des effets de style. […] Un autre jour, Buffon a fouillé du regard les entrailles de notre globe ; il a demandé aux métaux, aux rochers, aux couches du terrain comment s’est formée la planète dont nous peuplons la surface, et la géologie vient à son tour prendre rang parmi ses sœurs plus anciennes. […] Au siècle dernier, dès que la préoccupation scientifique envahit les écrivains, leurs ouvrages prennent des titres significatifs. […] Les romans et le théâtre ont une teinte réaliste ; le décor, la mise en scène y prennent une importance nouvelle.

2350. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

C’est aux Sagas, et à l’Edda de Sœmund, que Wagner a emprunté, on le voit, la trame de la Goetterdaemmerung : il n’a pris au Nibelungen-not que les noms des personnages, et la scène de la mort de Siegfried, celle-là même qui le frappa au début. […]   Pour donner un aperçu de la transformation des épisodes et de leur élargissement, prenons celui de la mise en gage et du rachat de Freia dans Rheingold. […] » Prenons encore comme exemple le chant de l’oiseau. […] En présence des arrêts rendus par les « Princes de la Critique », tels que Scudobl, on se prit à douter de la possibilité de jouer Wagner au théâtre et à suspecter la valeur intrinsèque de ses œuvres. […] Le comité belge du patronat de Bayreuth prit l’initiative d’une manifestation à la mémoire de Wagner et une couronne fut déposée en leur nom sur sa tombe.

2351. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Aussi la littérature française prend-elle tout à coup sous sa plume un caractère d’étrangeté, d’indépendance sauvage, de rêverie germanique, de mélancolie septentrionale, d’amertume plaintive et de nature alpestre. […] Par lui la prose française, trop molle dans Fénelon, trop brusque dans Bossuet, trop pompeuse dans Buffon, trop légère dans Voltaire, prend une vigueur, une gravité mâle, une majesté digne, mais toujours naturelle, qui donne l’autorité à la pensée, la plénitude à l’oreille, l’émotion à la conscience du lecteur. […] La pensée isolée, en devenant collective, est devenue puissance ; les hommes de lettres ont pris confiance en eux-mêmes ; ils ont imposé considération à la nation, respect aux gouvernements ; ils ont donné à la raison publique, muette ou intimidée dans l’individu, une audace modérée, mais efficace dans le corps ; ils sont devenus le concile laïque et permanent de la littérature nationale ; ils ont donné du caractère au génie français. […] Elle prit dans les discours de l’Assemblée Constituante une élévation, une solennité, une autorité, un accent qui dépasse tout ce que nous connaissons des discussions antiques d’Athènes et de Rome. […] Cette pseudo-terreur de paroles, puérile plagiat de la Convention, n’intimida personne et servit de prétexte aux ennemis de la démocratie constituée ; ils prirent la société tremblante sous leur égide, ils lui montrèrent du doigt les faux terroristes comme les Spartiates montraient aux enfants les ilotes ivres pour les dégoûter de l’ivresse.

2352. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Pour nous, qui le coudoyons aujourd’hui dans la littérature, nous pouvons prendre sa hauteur de talent et en déterminer le caractère. […] Impossible à nier, cette particularité dans le génie de Pindare peut seule expliquer ce que j’ose appeler la mort de ses œuvres, que les traductions les mieux faites et la connaissance plus profonde et plus répandue de la langue grecque ne parviendront pas à ranimer, Il faut en prendre son parti : Pindare, malgré des qualités nettement supérieures, est un poète dont le sens intime est perdu. […] Il lui accorde ce qu’il a, des qualités de poésie extérieure, l’harmonie et surtout le nombre, mais, malgré le prestige d’Ancien que Pindare devait exercer sur le contempteur de Perrault, le critique du xviie  siècle, dont le goût ferme est une lumière qui ne vacille jamais, ne voit pas dans Pindare le poète colossal que voit Villemain dans ce Grec évidé et sonore, dont se détourna si naturellement le génie de Racine, grec pourtant aussi par tant de côtés, mais qu’on ne prenait pas seulement avec des sons ! […] Depuis quarante ans, il est une de ses plus vieilles et de ses plus tranquilles compotes, et c’est un spectacle curieux offert par le temps, un spectacle triste ou gai, comme vous voudrez le prendre, mais curieux, que cette gloire facile, indiscutée, faite tout de suite et conservée à un homme qui n’a en lui pourtant, pour tout talent, que les feuilles du dictionnaire et une espèce d’art dans la manière de les tourner ! […] ne sait plus gouverner… Causerie donc, ou, pour mieux dire encore, notes prises en vue d’un cours qui ne fut jamais fait, et dont le professeur se débarrasse en les étiquetant d’Essai sur Pindare et la poésie lyrique, quand il aurait pu tout aussi bien les décorer de tout autre nom.

2353. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Ce qui plaît toujours quand on rouvre Voltaire et ce qui fait qu’on s’intéresse, c’est (avec cette jolie manière de dire) qu’il met de l’action à tout ; les moindres choses, ou celles même qui chez d’autres feraient l’effet de la raison et de la sagesse, prennent avec lui un air d’entrain et de diablerie. […] Il considère cette société antérieure et postérieure à l’individu ; il la voit subsistante, nécessaire, harmonieuse, agissant en mille façons et par toutes sortes d’influences inappréciables, plus mère encore que marâtre, ne retirant à l’homme primitif du côté des forces physiques que pour rendre davantage par le moral à l’homme actuel, et imposant dès lors à quiconque naît dans son sein des devoirs, des obligations qui ne sont point proprement de particulier à particulier, mais qui prennent un caractère commun et général : Car les individus, dit-il, à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents, peuvent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent mon enfance ne meurent point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heureuse habitude, les secours que j’ai trouvés prêts au besoin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publics à l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter mes cendres après ma mort. […] Son siècle y prêtait, et il ne manque pas de le prendre à témoin pour toutes les contradictions qu’il rassemble : Regardez cet univers, mon aimable amie, jetez les yeux sur ce théâtre d’erreurs et de misères qui nous fait, en le contemplant, déplorer le triste destin de l’homme !

2354. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

La morale, qu’on met sans cesse aux prises avec l’art, ne me paraît point devoir lui être si constamment opposée et confrontée. […] Le personnage du comte de Grandmont était pris sur le vif, emporté de verve, et touché avec assez de finesse pour n’avoir pas déplu, dit-on, à ceux-là mêmes qui s’y sont le mieux reconnus. […] L’artiste piqué au jeu s’en est donné à cœur joie et a pris gaiement sa revanche.

2355. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Hase s’y prenait différemment ! […] Dès lors l’initiative de son dévouement prenait un caractère fébrile et dégénérait presque en persécution. […] L’Université française a bien des qualités, mais, à la prendre par le haut, elle a toujours manqué essentiellement de générosité.

2356. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Jean de Paris, en un mot, pour prendre le type le plus reconnaissable entre tant de figures picardes, beauceronnes ou champenoises, entre les autres Jean de Chartres, Reims ou Noyon, Jean de Paris, que Béranger a chansonné dans son dernier volume, est resté vrai après 89 comme devant, après Waterloo comme après les trois jours, du temps de Charlet comme du temps de Rabelais. […] Les Contrebandiers ne sont pas seulement, comme les Bohémiens, un délirant caprice de vie aventurière, de liberté sans frein et de migration sans but ; les Contrebandiers ne sont pas les enfants perdus et incorrigibles des races dispersées ; ce sont, comme Béranger le conçoit, les sentinelles avancées, les éclaireurs hasardeux d’une civilisation qui s’approche : Nos gouvernants, pris de vertige, Des biens du ciel triplant le taux, Font mourir le fruit sur sa tige, Du travail brisent les marteaux, Pour qu’au loin il abreuve Le sol et l’habitant, Le bon Dieu crée un fleuve ; Ils en font un étang. […] On ferait preuve d’un esprit bien superficiel en n’y voyant que des accidents particuliers auxquels se serait pris le poëte : Béranger a dramatisé, sous ces figures populaires, toute une économie politique impuissante, tout un système d’impôts écrasants ; il a touché en plein la question d’égalité réelle, du droit de chacun à travailler, à posséder, à vivre, la question, en un mot, du prolétaire. 

2357. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

comment les prendre en patience, en moquerie, en longanimité, en compassion ; consentir aux disparates, aux inconséquences qui sont le train ordinaire ? […] La maturité vint à son génie comme à son humeur, du moins une maturité relative ; dès lors le roman s’ouvrit véritablement pour lui, non pas le roman, sans doute, pris dans le milieu de l’expérience habituelle, dans le courant ordinaire des mœurs, des passions et des faiblesses, non pas le roman familier à la plupart, mais le sien, un peu fantastique toujours, anguleux, hautain, vertical pour ainsi dire, pittoresque sur tous les bords, et à la fois sagace, railleur, désabusé : Notre-Dame de Paris put naître. […] Le poëte a pris cette face ou, si l’on veut, cette façade de son sujet au sérieux, magnifiquement : il l’a décorée, illustrée avec une incomparable verve d’enthousiasme.

2358. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Il n’y aurait, après tout ce qui a été dit, qu’une manière de rajeunir le sujet, ce serait de le prendre d’un peu près et de l’étudier plus familièrement. […] De même, pour le talent de l’artiste et du poëte, je dirai qu’il y a une certaine générosité inhérente qui lui est assez ordinaire dans la jeunesse ; mais le développement ultérieur qu’il prendra dépend étroitement de l’usage du premier fonds. […] Prenez épigrammes, non dans le sens particulier de Martial, mais dans le sens plus général de petites pièces, y compris les idylles, comme les anciens l’entendaient d’ordinaire.

2359. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Cousin dans la carrière de l’enseignement, ne subsistait jusqu’à présent que dans des rédactions d’anciens élèves qu’on avait pris soin de recueillir et de publier, il y a quelques années. […] Celui qui est trempé pour la politique, pour les combats de tribune, juge volontiers qu’une grande époque de luttes est arrivée, et il le prend sur ce ton ; ainsi plus ou moins de tous. […] Cousin a pris soin de compléter et d’orner, avec sa curiosité littéraire actuelle, ses vues fidèlement reproduites d’alors : des biographies neuves donnent la main aux analyses ; il en résulte pour des parties entières de ce Cours (je demande pardon du terme de l’éloge) un ensemble tout à fait charmant.

2360. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy a pris soin, en mainte occasion, de déterminer et de circonscrire avec une clarté remarquable la sphère psychologique au centre de laquelle il observe ; il est encore revenu dans ses deux dernières leçons sur sa distinction du moi et du non-moi ; il a poursuivi et tracé avec une prétention de rigueur scientifique cette distinction délicate jusqu’au sein de l’homme même, et il a déclaré que l’homme était double, qu’il y avait en lui force pensante et force vitale, esprit et matière, âme et corps ; il a professé que ce nom d’homme n’appartient légitimement qu’au moi, à la force pensante, à l’esprit ; et que le reste, force vitale, matière et corps, ne constitue réellement que l’animal. […] Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] La pensée avait du chemin à faire pour rejoindre la force qui l’avait devancée dans le progrès ; aussi elle prit une éclatante revanche.

2361. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Jeunes gens qui voulons nous retremper et nous affermir dans l’intégrité politique, qui voulons espérer en l’avenir sérieux dont l’aspect momentanément se dérobe, qui sommes résolus à ne nous immiscer d’ici là à aucun mensonge, à ne signer aucun bail avec les royautés astucieuses, à ne jamais donner dans les manèges hypocrites des tiers-partis, faisons donc, pour prendre patience et leçon, ce salutaire voyage d’Amérique ; faisons-le dans Jefferson du moins ; étudions-y le bon sens pratique, si différent de la rouerie gouvernementale ; apprenons-y la modération, la tolérance, qui sied si bien aux convictions invariables, la rectitude, la simplicité de vues, qui, si elle s’abstient maintes fois, a l’avantage de ne jamais s’embarquer dans les solutions ruineuses ; apprenons-y, quelle que soit la vivacité de nos préoccupations personnelles sur certains points de religion, de morale, d’économie ou de politique, à ne prétendre les établir, les organiser au dehors que dans la mesure compatible avec la majorité des esprits : car la liberté et la diversité des esprits humains sont le fait le plus inévitable à la fois et le plus respectable qu’on retrouve désormais dans le côté social de toutes les questions. […] à cet âge avancé, une grande soif d’étude et de lecture s’était emparé de Jefferson ; il prenait aussi un intérêt très actif à l’université de Charlotteville, dont il était visiteur et recteur. […] Sans prendre une part directe aux affaires de l’État de Virginie, l’illustre législateur eut l’occasion plus d’une fois de répondre aux avis confidentiels qu’on réclamait de son expérience.

2362. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Gogol ; j’étais dans ce cas comme tout le monde ; j’avais un avantage pourtant que je réclame, c’était d’avoir rencontré autrefois, sur un bateau à vapeur, dans une traversée de Rome à Marseille, l’auteur en personne, et là j’avais pu, d’après sa conversation forte, précise, et riche d’observations de mœurs prises sur le fait, saisir un avant-goût de ce que devaient contenir d’original et de réel ses œuvres elles-mêmes. […] Le voyage à travers les steppes, l’arrivée au quartier général, les groupes divers qui s’y dessinent, les provocations belliqueuses de Tarass Boulba qu’ennuie l’inaction et qui veut donner carrière à ses fils, la déposition du kochevoï ou chef supérieur qui ne se prête pas à la guerre, et l’élection d’un nouveau kochevoï plus docile, toutes ces scènes sont retracées avec un talent ferme et franc ; le discours du kochevoï nouvellement élu, lorsqu’il prend brusquement en main l’autorité et qu’il donne ses ordres absolus pour l’entrée en campagne, me paraît, pour le piquant et la réalité, tel que M.  […] Enfin il prend un parti ; il va trouver, lui si altier, un vieux Juif auquel il a eu affaire plus d’une fois.

2363. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Si l’on comparait le sort des hommes éclairés sous Louis XIV, avec celui que leur préparait la violence révolutionnaire, tout serait à l’avantage de la monarchie ; mais quel rapport pourrait-il exister entre la protection d’un roi et l’émulation républicaine, lorsqu’elle prendrait enfin son véritable caractère ? […] Les lettres doivent souvent prendre un tel caractère, lorsque les hommes qui les cultivent sont éloignés de toutes les affaires sérieuses. […] Lorsque la pensée peut être le précurseur de l’action, lorsqu’une réflexion heureuse peut à l’instant se transformer en une institution bienfaisante, quel intérêt l’homme ne prend-il pas au développement de son intelligence !

2364. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Et, prenez-y garde, pas un mot dans ces sonnets n’a été choisi ni placé au hasard. […] Comme ceux qui jadis prirent Constantinople, Il porte en bon croisé, qu’il soit George ou Michel, Le soleil, besant d’or, sur la mer de sinople. […] Et c’est pourquoi il a consacré à ces grands aventuriers, outre quelques-uns de ses plus beaux sonnets, la plus longue pièce qu’il ait écrite : les Conquérants de l’or, sorte de chronique fortement versifiée et miraculeusement rimée et qui, sans sortir du ton d’un récit très simple et sans ornements, coupée seulement, çà et là, de paysages éclatants et courts, prend des proportions d’épopée.

2365. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

Ils admirent la délicate harmonie des nombres et des formes ; ils s’émerveillent quand une découverte nouvelle leur ouvre une perspective inattendue ; et la joie qu’ils éprouvent ainsi n’a-t-elle pas le caractère esthétique, bien que les sens n’y prennent aucune part ? […] Pour la suivre, nous devons prendre des chemins que nous avions négligés et ces chemins nous conduisent souvent à des sommets d’où nous découvrons des paysages nouveaux. […] Mais elle peut prendre bien des formes ; car une pareille équation ne suffit pas pour déterminer la fonction inconnue, il faut y adjoindre des conditions complémentaires qu’on appelle conditions aux limites ; d’où bien des problèmes différents.

2366. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Ce lorgnon en colère, là-bas, c’est Retté ; ce justaucorps évidé, c’est du Plessys, et ce nez retroussé, c’est Cazals, l’Homère de ces « soirées épiques », Cazals, ce faux Delacroix qui prend des notes pour son futur Jardin des ronces 19. […] Tout à coup, elles s’arrêtent et se courbent, prises de honte, devant l’image d’un saint homme de mendiant qui passe, pieds nus ; elles s’agenouillent et baisent dévotement, d’un mouvement bien humble, le bas de sa tunique, comme pour lui faire hommage de leur personne et contrition de leur opulence… » Écoutez ce tonnerre d’applaudissements. […] Cela sent le fer rouge et la corne brûlée, et cette littérature prend, du voisinage des monologues fades et des ritournelles sucrées, un relief encore plus homicide.

2367. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

La famille chargée de tenir les leviers et de veiller sur ces archives portatives, étant près du livre et en disposant, prit bien vite de l’importance. […] C’est qu’il s’est chargé de nos souffrances ; c’est qu’il a pris sur lui nos douleurs. […] L’idée qu’Israël est un peuple de Saints, une tribu choisie de Dieu et liée envers lui par un contrat, prend des racines de plus en plus inébranlables.

2368. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVIII. Institutions de Jésus. »

Cette idée, germe de l’Eucharistie, prenait quelquefois dans sa bouche des formes singulièrement concrètes. […] Une circonstance matérielle, la présence du poisson sur la table (indice frappant qui prouve que le rite prit naissance sur le bord du lac de Tibériade 861, fut elle-même presque sacramentelle et devint une partie nécessaire des images qu’on se fit du festin sacré 862. […] Le maître usait à cet égard de termes extrêmement énergiques, qui furent pris plus tard avec une littéralité effrénée.

2369. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Il se rend au camp devant Condé, le 21 avril, et prend cette ville le 28. Il prend Bouchain à la fin de juin, et quitte l’armée, le 4 juillet, pour revenir à Saint-Germain. […] ) Remarquez que madame de Maintenon ne dit pas à Gobelin : « Donnez-moi sur-le-champ votre avis sur ma retraite, mais : Demandez à Dieu ce que je dois faire, et prenez du temps pour me transmettre sa réponse. » Observez aussi que le même jour, elle écrit à madame de Saint-Géran, mais franchement, sans lui demander conseil ; elle lui dit positivement et vivement ce qu’elle sent.

2370. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Étudions, sans autre préambule, quelques-uns de ceux que les contemporains prennent pour des poètes. […] [Paul Verlaine] Naïvement les Parnassiens, ces âpres forgeurs de stances rigides, avaient d’abord pris Verlaine pour l’un des leurs. […] Je viens de relire son œuvre, considérable par le temps qu’elle m’a pris.

2371. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

* * * — Il est une corruption des vieilles civilisations qui incite l’homme à ne plus prendre de plaisir qu’aux œuvres de l’homme, et à s’embêter des œuvres de Dieu. […] Pour mettre le couvert, tout le monde descendait dans les corridors et dans les cabinets où l’on prenait du champagne. […] » l’autre, un séducteur par la force des poignets de tout le féminin qui lui tombait sous la main… Et mon ami ajoutait qu’il serait sûr d’avoir à lui tout seul l’héritage de son oncle, le coucheur dans les lits vides, s’il voulait prendre une maîtresse, et le choisir comme confident et comme intermédiaire pour carotter de l’argent à son père et à sa mère au sujet de l’entretien de ladite maîtresse.

2372. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

Plusieurs méthodes ont été employées pour joindre deux idées au moyen de deux mots qui prennent un rapport constant ; celle qui semble aujourd’hui le plus en usage consiste à unir deux substantifs en donnant au second la valeur d’un adjectif ; elle est infiniment vieille et sans doute contemporaine des langues les plus lointaines que nous connaissions. […] J’ai relevé ce mot et le suivant, car il s’agit de les prendre en des livres de littérature, dans une étude de M.  […] Je prends la plupart des autres dans un excellent livre de M. 

2373. (1902) L’humanisme. Figaro

Les symbolistes, eux, qui, bien qu’ils aient combattu les parnassiens avec un acharnement souvent injuste, sont leurs continuateurs, en ce sens qu’ils ont transporté l’objectivité parnassienne de la terre dans les nuées, les symbolistes, par une hautaine gageure, prirent pour objet le Mystère. […] Vous voulez que je prenne tant de précautions pour être un peu moins mal couché dans votre misérable hôtellerie ! […] C’est pourquoi il les a pris en pitié.

2374. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

Dans l’état normal, ce même fait se reproduit souvent : nous sentons notre esprit traversé par des idées fortuites, accidentelles, qui rompent la suite de nos conceptions ; mais nous avons la force de les écarter pour suivre un certain ordre d’idées, ou, si nous nous y livrons, c’est avec conscience, et sans prendre des rapports tout subjectifs pour des rapports réels. […] Je prends pour exemple la classification célèbre d’Esquirol, très contestée sans doute, mais non remplacée. […] Albert Lemoine nous dit que, si l’on prend la folie pour une maladie de l’âme, on n’aura pas de critérium pour la distinguer des désordres moraux et intellectuels proprement dits.

2375. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre premier. Astronomie et Mathématiques. »

La manière dont il s’énonce est remarquable : Itaque per hanc epistolam hoc ago ut ostendam tibi non minorem esse dubitandi causam in scriptis mathematicorum, quàm in scriptis physicorum, ethicorum 151, etc. « Je te ferai voir dans ce traité qu’il n’y a pas moins de sujets de doute en mathématiques qu’en physique, en morale, etc. » Bacon s’est exprimé d’une manière encore plus forte contre les sciences, même en paraissant en prendre la défense. […] « Notre connaissance, dit-il, étant resserrée dans des bornes si étroites, comme je l’ai montré, pour mieux voir l’état présent de notre esprit, il ne sera peut-être pas inutile… de prendre connaissance de notre ignorance, qui… peut servir beaucoup à terminer les disputes… si, après avoir découvert jusqu’où nous avons des idées claires… nous ne nous engageons pas dans cet abîme de ténèbres (où nos yeux nous sont entièrement inutiles, et où nos facultés ne sauraient nous faire apercevoir quoi que ce soit), entêtés de cette folle pensée que rien n’est au-dessus de notre compréhension 153. » Enfin, on sait que Newton, dégoûté de l’étude des mathématiques, fut plusieurs années sans vouloir en entendre parler ; et de nos jours même, Gibbon, qui fut si longtemps l’apôtre des idées nouvelles, a écrit : « Les sciences exactes nous ont accoutumés à dédaigner l’évidence morale, si féconde en belles sensations, et qui est faite pour déterminer les opinions et les actions de notre vie. » En effet, plusieurs personnes ont pensé que la science entre les mains de l’homme dessèche le cœur, désenchante la nature, mène les esprits faibles à l’athéisme, et de l’athéisme au crime ; que les beaux-arts, au contraire, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent par la religion à la pratique des vertus. […] D’une autre part, il est naturel que des esprits communs, ou des jeunes gens peu réfléchis, en rencontrant les vérités mathématiques dans l’univers, en les voyant dans le ciel avec Newton, dans la chimie avec Lavoisier, dans les minéraux avec Haüy ; il est naturel, disons-nous, qu’ils les prennent pour le principe même des choses, et qu’ils ne voient rien au-delà.

2376. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Laujon, y est venu prendre séance le jeudi 7 novembre 1811, et a prononcé le discours qui suit :   Messieurs, Cette imposante solennité porte dans mon âme un trouble dont je cherche en vain à me défendre ; glorieux de vos suffrages, étonné de mon bonheur, j’éprouve l’embarras d’un disciple qui s’assied pour la première fois parmi ses maîtres. […] Je l’avoue, Messieurs, ma tâche est douce à remplir ; je moissonne dans un champ de fleurs sans épines, et je puis les prendre au hasard pour en former la couronne que je dépose aujourd’hui sur la tombe du moderne Anacréon. […] On rougit des affections les plus douces, on est honteux des liens les plus sacrés, et le Philosophe marié met à cacher son bonheur le soin que Tartuffe prenait pour dissimuler ses vices.

2377. (1760) Réflexions sur la poésie

Pour soulager l’humeur qu’il en a, et qu’il serait barbare de lui reprocher, il s’en prend à ce pernicieux esprit philosophique, déjà chargé d’iniquités beaucoup plus graves ; car il faut bien que l’esprit philosophique ait encore ce tort-là. […] Cependant, pour acquérir le droit d’être plus sévère à l’avenir, elle a pris le parti, depuis quelques années, de laisser aux poètes le choix des sujets, mais elle voit avec peine que les auteurs semblent se négliger à proportion de la liberté qu’elle leur laisse, et de la rigueur qu’elle a résolu de mettre dans ses jugements. […] Mais je ne m’attendais pas, je l’avoue, à celui qu’ils prennent au latin des Psaumes : ils m’accusent d’impiété, pour avoir osé dire que ce latin est à demi barbare ; je croyais la chose incontestable, et même généralement reconnue par ceux qui avec raison respectent le plus dans ces poésies sacrées le fond des choses.

2378. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

… Eh bien, c’est de cette édition, nécessaire et oubliée, que je voudrais donner l’idée aujourd’hui, en parlant de de Staël, — de cette adorable et admirable femme, à laquelle la littérature féminine n’a rien à comparer dans aucun temps, et surtout dans celui-ci, où les femmes qui se mêlent d’écrire se donnent des airs d’homme si prodigieusement ridicules, que c’est à nous faire prendre des jupons, à nous autres… pour ne pas leur ressembler ! […] Elle ne l’a jamais pris ; mais tout le monde, bête comme tout le monde, le lui a, donné. […] Et voilà comment on y est pris !

2379. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte du Verger de Saint-Thomas »

Il l’a pris simplement où il l’a trouvé, c’est-à-dire dans des mœurs incorrigibles, et il n’a pas songé — ce n’était pas à lui, d’ailleurs, d’y songer, — à couper cette queue de monarchie qui traîne fièrement encore dans ce siècle de république si peu fière. […] Justement effrayés du développement que prenait cette coutume du duel, d’origine religieuse, — puisque les jugements de Dieu, qui furent les premiers duels, partaient de l’idée (mal entendue, il est vrai), mais de l’idée de sa justice, — les rois, en France, ne cessèrent, depuis Louis IX jusqu’à Louis XIV, de s’opposer à ce développement et de le combattre. […] Les peines édictées, qui sont « la mort et la confiscation des biens » au profit des hôpitaux, pour les DEUX combattants, pouvaient être d’autant plus sévères que, dans cet édit de 1679, le législateur créait ce fameux tribunal d’honneur composé des maréchaux de France, qui devaient juger en dernier ressort et punir les injures de l’honneur outragé… Le législateur avait fait de sa loi une espèce de filet, tissé de précautions et de peines, dans lequel il pût prendre tous ceux qui participaient à un duel d’une manière quelconque : combattants, seconds, témoins, porteurs de cartels ou d’appels, même jusqu’aux laquais qui, le sachant, porteraient une lettre de provocation de leurs maîtres, — condamnés par ce fait seul au fouet et à la fleur de lys, et, si récidive, aux galères à perpétuité !

2380. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Mais, en fin de compte, tout livre, quel qu’il soit, donne après tout l’esprit d’un homme dans le plus pur de sa substance, à quelque chose qu’il l’ait appliqué, et c’est par l’esprit et la forme qu’il imprime toujours et forcément à la pensée que ce livre appartient à la critique générale telle qu’on s’efforce d’en faire ici… En critique, il ne s’agit jamais que de prendre la mesure d’un homme, et les livres ne servent guères qu’à cela. […] Quand la mécanique, l’abominable mécanique, s’empare du monde et le broie sous ses bêtes et irrésistibles rouages, quand la science de la guerre a pris des proportions de destruction inconnues, par le fait d’engins nouvellement découverts et perfectionnés qui ne font plus d’elle qu’un épouvantable massacre à distance, voici une tête assez maîtresse de sa pensée, dans ce tapage du monde moderne bouleversé, pour ne pas se laisser opprimer par ces horribles découvertes, qui rendent, à ce qu’il semble, les Frédéric de Prusse et les Napoléon impossibles, et qui dépravent jusqu’au soldat ! […] Il est de la phalange sacrée de ceux qui ont un style à eux… Cet homme de guerre, mort à la guerre, avait été pris dans toutes ses facultés par le charme de la guerre ; car elle en a un, et pour certains esprits il est immense !

2381. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

de ne pas prendre les images des poètes pour leurs opinions, quoique cela se ressemble beaucoup, dans les poètes, et rien n’est plus comique que cette peine effrayée chez le rédacteur des Débats de voir Horace compromis avec le pouvoir impérial d’Auguste. […] Est-ce la peine, pour si peu, de faire d’Horace un génie délicieux, un esprit divin, un modèle d’élégance, d’urbanité, d’atticisme, l’Attique même, toute une Athènes à lui seul, et Athènes avec son Pirée, que les singes prennent toujours pour un homme ? […] Si le jugement que j’ai porté sur lui paraît trop byronien aux horatiens qui vivent toujours, à cette race d’égoïstes, d’impuissants et de vulgaires qui ont pris Horace pour leur poète et croient leur fond sauvé par sa forme, j’ai gardé pour la fin un mot doux et terrible, plus terrible dans sa douceur que la brusquerie de Byron.

2382. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Il a pris à son régime de Montesquieu un peu de ce tempérament du Montesquieu dont il s’est nourri longtemps, tonique nourriture ! […] Il ne les prit pas, comme si le Christianisme, qui a dit que la main gauche doit ignorer ce que donne la droite, avait exigé cette ignorance du cœur de l’homme pour le bien qu’il a reçu ou qu’il a fait ! […] Il y passa deux ans, et son esprit y prit des lettres de naturalité.

2383. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Eh bien, c’est cette peine, ce labeur, cette conscience et cette perfection dans l’ennui, dans cet ennui que l’on tire de l’histoire la plus intéressante avec une force de plusieurs chevaux, qu’Hippolyte Babou n’a pas voulu prendre à sa charge ! […] C’est là ce qui sans doute explique qu’un homme comme lui ait pu se laisser prendre par madame de Sévigné, comme s’il eût été du bois dont on fait les Walckenaer ! […] Ils se prennent à la magie de cette espièglerie française qui les enivre de plaisir, et, quand ils sont enivrés, leur fait écrire des phrases idolâtres, que l’auteur des Lettres satiriques appellerait des sottises s’il les trouvait sous une autre plume que la sienne, mais qui n’y seraient pas, du reste, de cette façon-là !

2384. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

Et si cela est vrai pour les hommes qui doivent prendre dans l’histoire une place incontestable, cela est bien plus vrai encore pour ceux dont la place y peut être contestée ou qui n’y entrent un jour que pour en sortir. […] Dans les guerres de plume qu’il soutint, il prit toujours l’ordre chez quelqu’un ; mais il l’interprétait en caporal intelligent… Ses chefs savaient ce qu’il pouvait. […] Si on le donne, nous le prendrons.

2385. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Nicolas Gogol25 I En voyant ce titre singulier et piquant sur la couverture de ces deux volumes : Les Âmes mortes, les braves gens naïfs qui se prennent au titre des livres, et qui ne sont pas, d’ailleurs, très au courant de la littérature de Russie, ne se douteront guères, à distance, de ce qu’exprime un titre pareil. […] on peut concevoir que, dans un but de moralité supérieure, un génie misanthropique ou indigné prenne un coquin pour héros de son livre et en dévoile l’idéal affreux, comme Vautrin, ou la réalité immensément comique, comme Panurge, mais pour cela il faut savoir individualiser. […] Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Âmes mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur ; car la réputation de Gil Blas — ce livre écrit au café, entre deux parties de dominos, a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps.

2386. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Né en 1707, sous Louis XIV, le Roi réglé et éclatant comme le soleil, qu’il avait pris pour son symbole, Buffon devait garder sur tout lui-même un impérissable reflet de ce grand règne, qui expira sur son berceau, et montrer ce reste de grandeur par la règle, comme pour faire leçon en sa personne à la société déréglée au sein de laquelle il ne vécut pas. […] Outre qu’en bonne justice, ces corrections sont insignifiantes, elles ne le seraient pas qu’elles n’ajouraient rien au respect qu’on doit à Buffon, qui, après avoir pris la part du lion dans cette histoire naturelle dont il a eu la grande pensée, créa, avec l’histoire, des naturalistes pour l’écrire, à côté de lui. […] Flourens, qui voudrait couvrir de sa tête tout entière, comme on couvre de sa poitrine celui qu’on aime, les erreurs de Buffon, ces erreurs qui sont souvent grandioses, — « et j’aime mieux, à tout prendre, une conjecture qui élève mon esprit qu’un fait exact qui le laisse à terre… J’appellerai toujours grande la pensée qui me fait penser. »« C’est là le génie de Buffon, ajoute-t-il encore, et le secret de son pouvoir, c’est qu’il a une force qui se communique, c’est qu’il ose et qu’il inspire à son lecteur quelque chose de sa hardiesse. » Et pourtant, est-ce que les paroles de M. 

2387. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

II Mais ce que l’Académie prendra bien gaîment, je n’en doute pas, je le prends, moi, avec tristesse. […] III Le livre de Sainte Marie-Madeleine n’est pas une histoire à la manière des chroniqueurs et des légendaires, lesquels prennent simplement les faits et les rapportent, en les sentant et en les exprimant, chacun avec le genre d’âme et d’éloquence qu’il a.

2388. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Ou bien il fallait l’aborder comme nous l’aurions abordé, nous chrétiens, pour qui nul mouvement de civilisation n’a dépassé le christianisme ; comme nous qui avons une révélation religieuse, primitive, écrite, inébranlable dans ses textes, une histoire, un enchaînement de faits, des sources nombreuses, toute une exégèse, toute une critique et une autorité souveraine pour empêcher tous ces dévergondages d’examen qui ont fini, en Allemagne, par le suicide de la Critique sur les cadavres… qu’elle n’a pas faits, — ou bien il fallait traiter ce terrible sujet, résolument, en homme qui a pris son point de vue de plus haut ou de plus avant que des textes ; comme un philosophe, carré par la base, qui dit fièrement à l’histoire : Tu mens, quand tu n’es pas trompée ; tu es trompée, quand tu ne mens pas ! […] Ainsi, — pour ne prendre qu’un détail entre tous, — où M.  […] Il s’est pris lui-même à son prisme.

2389. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

La qualité suprême, en politique, est de prévoir ; en histoire, qui n’est que de la politique rétrospective, l’éminente qualité c’est de voir toute la portée d’un événement, et, qu’elle soit épuisée ou non, cette portée, d’en prendre exactement la mesure. […] Assurément les prêtres ont le devoir et le droit d’écrire les annales de l’Église et la vie de leurs Saints, et le cardinal Pitra nous a montré comme ils s’y prennent quand ils se mêlent de les écrire ; mais de Maistre et de Bonald étaient des laïques, et quel prêtre de ce temps a plus mérité de l’Église que ces cardinaux… oubliés ? […] Et l’intérêt qu’elle inspire, pour toutes ces raisons, est si grand, que partout où l’on prend cette histoire, partout où l’on coupe une tranche dans ce splendide morceau intellectuel qu’on appelle l’histoire de l’Église, il y a des régals inouïs, je ne dis pas seulement pour la foi, mais pour la pensée.

2390. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

L’abbé Gratry, en sa qualité de métaphysicien, a mis la main sur la grande blessure de la métaphysique moderne, qui perd son sang, son âme et sa vie, dans des abstractions qu’on prend pour elle. […] En faisant précéder le système qui viendra plus tard par une théodicée, l’abbé Gratry a suivi la marche de la Nature et l’ordre des vérités prises en elles-mêmes. […] Il y a tant de théologie nécessaire dans les moindres notions de la plus simple philosophie, que parmi ceux qui ont réfléchi, personne ne s’étonnera que ce soit un prêtre qui ait pris l’initiative de ce rapprochement salutaire entre les doctrines de l’avenir et les doctrines du passé.

2391. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Caro, qui n’a du duc d’Albe que le goût, a pris le saumon, et, s’il ne l’a pas grillé tout entier comme le duc d’Albe l’aurait fait, — vous savez sur quels grils !  […] Excepté Vera, seul hégélien franc du collier que je connaisse, qui prend bravement Hegel et son système et qui avale le tout, — ce qui n’est pas facile, — les autres philosophes du temps ont de l’Hegel plus ou moins dans l’estomac ou dans la veine ; ils l’éructent ou le suent plus ou moins ; mais ils ne sont jamais du pur Hegel, et même ils ne voudraient pas l’être, l’orgueil anarchique des esprits étant monté si haut que personne bientôt ne voudra plus être le disciple de personne, et qu’un homme à qui vous direz qu’il est d’une École se regardera comme insulté. […] Il faut une idée en soi, une construction appropriée à cette idée, une architecture, enfin, pour que la critique puisse se prendre vigoureusement à un livre.

2392. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

Il a pris Le Sage sur le pied où le xviiie  siècle, le préjugé et la tradition littéraire, l’ont mis. […] Mais ni Turcaret, qu’on prit longtemps pour un chef-d’œuvre, ni Crispin rival de son maître, ne tirent plus rouler carrosse au pauvre Le Sage que le Gil Blas et Le Diable boiteux. […] Comme, après Gil Blas et Le Diable boiteux qui ne mirent pas le rond du moindre besant dans l’écusson de la gloire de Le Sage, qui ne fut que de gueules, il crut avoir pris un ton trop élevé et le baissa dans d’autres romans de pacotille : Le Bachelier de Salamanque, Estevanille Gonzalès, La Valise trouvée, de même, du Théâtre-Français et de Turcaret et de Crispin rival de son maître, il descendit et s’aplatit jusqu’au Théâtre de la Foire.

2393. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

L’individualité de l’auteur s’y révélant bien moins que dans la publication d’un ouvrage, jusque-là inédit, les réimpressions sont des espèces de renseignements sur l’esprit public que le libraire suit toujours plus qu’il ne le précède… Mais quand, de plus, elles sont une rénovation de l’œuvre déjà publiée, quand l’auteur y apparaît derrière le libraire, quand, riche du bénéfice des années, l’écrivain change le caractère d’un livre qu’il juge et condamne, du haut des acquisitions de sa pensée, les réimpressions prennent alors une importance que la Critique est obligée de signaler. […] Seulement il faut aujourd’hui le rappeler, au moment où ils prirent pour champ d’analyse et de peinture les mœurs populaires, ils étaient, l’un et l’autre, dans cette ébriété Je jeunesse qui se grise même avec de l’eau claire et oui la croit pure, quand elle est sale. […] Car, pour tous ceux qui ne sont pas dupes du bruit que le hasard ou les circonstances élèvent autour d’un nom ; pour tous ceux qui savent que le plus souvent la gloire, c’est le son de la flûte, tombée dans les grands chemins, et qu’un âne qui passe, en la flairant, fait résonner ; pour ceux enfin qui prennent les esprits dans leur propre substance et qui les comparent, il y a plus d’un rapport à faire saillir et à reconnaître entre M. 

2394. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

s’il a du talent… fourvoyé, mais, après tout, du talent ; s’il intéresse ou seulement s’il amuse, — ce qui est le petit intérêt après le grand ; — si enfin il prend l’âme ou l’esprit par un côté quelconque, c’est plus difficile de le juger, mais c’est ce qui me tente. […] Je le sais, et je ne m’en étonne pas ; mais qu’aujourd’hui, en plein dix-neuvième siècle, quand les passions et leur étude, et leurs beautés, et leurs laideurs, et jusqu’à leurs folies, ont pris dans la préoccupation générale la place qu’elles doivent occuper ; quand la littérature est devenue presque un art plastique, sans cesser d’être pour cela le grand art spirituel ; quand nous avons eu des creuseurs d’âme, des analyseurs de fibre humaine, des chirurgiens de cœur et de société, enfin qu’après Chateaubriand, Stendhal, Mérimée et Balzac, Balzac, le Christophe Colomb du roman, qui a découvert de nouveaux mondes, la vieille mystification continue et que la réputation de Gil Blas soit encore et toujours à l’état d’indéracinable préjugé classique, voilà ce qui doit étonner ! […] Féval, qui a pris la succession de M. 

2395. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

J’ai souvent entendu dire de Hogarth : « C’est l’enterrement du comique. » Je le veux bien ; le mot peut être pris pour spirituel, mais je désire qu’il soit entendu comme éloge ; je tire de cette formule malveillante le symptôme, le diagnostic d’un mérite tout particulier. […] J’affirmais tout à l’heure que le bon mot d’atelier devait être pris comme un éloge. […] Mais que dire de ces plagiaires français modernes, impertinents jusqu’à prendre non seulement des sujets et des canevas, mais même la manière et le style ?

2396. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

pour qui le prend-on ? […] Pierre de Ronsard, incomparable rythmeur, y avait pris garde tout de suite. […] Le lait prit très vite la couleur du sang. […]prend-on la décadence ? […] J’aurais voulu y prendre plus de plaisir et en garder plus d’admiration.

2397. (1929) Dialogues critiques

Pierre On prenait Louis Bertrand pour un homme de lettres ! […] Le président d’un comité littéraire prend à l’Académie figure d’homme de lettres. […] Paul Merci, mais je n’en ai pas pris du tout. […] Je ne voulais que prendre un peu d’exercice. […] Paul Pourquoi ne prendrait-on la critique que dans un sens vulgaire et bas ?

2398. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Je les aime… Toutefois le savant ne peut prendre ce parti, quand il le voudrait, car ce qui lui a été démontré faux est pour lui désormais inacceptable. […] Mais cette moralité et cette intelligence, est-ce la faute des misérables, s’ils ne l’ont pas, puisque ces facultés ont besoin d’être cultivées et que nul n’a pris soin de les développer en eux ? […] Il n’y a que des pédants de collège, des esprits clairs et superficiels qui aient pu se laisser prendre à l’apparente évidence de la théorie représentative. […] Il a touché de près les deniers de l’État ; il doit y avoir pris quelque chose ; car si j’y étais, moi, je sais bien que j’en serais tenté. » Ainsi parle la vulgaire envie. […] Si l’on entend par humilité le peu de cas que l’homme ferait de sa nature, la petite estime dans laquelle il tiendrait sa condition, je refuse complètement à un tel sentiment le titre de vertu, et je reproche au christianisme d’avoir parfois pris la chose de cette manière.

2399. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Sans vouloir prendre ici parti dans ce débat physiologique, nous croyons que, si on n’a pas encore prouvé entièrement la transmission héréditaire des habitudes, encore moins a-t-on prouvé sa non-existence. […] S’il en est ainsi, l’« expérience » proprement dite, au sens où la prend Spencer, n’est pas la seule origine possible de nos formes cérébrales et mentales. […] La théorie de l’innéité prend ainsi, dans le darwinisme, un aspect curieux : les formes natives du cerveau, les conceptions nécessaires de la pensée tiennent précisément à des accidents ; c’est le hasard qui a été le père de cette nécessité. […] Cette induction prit à l’origine la forme mythique et ne fut ramenée que plus tard à la forme métaphysique, puis scientifique. […] Selon certains philosophes, la notion même de réalité prendrait nécessairement la forme de la finalité : la finalité serait ainsi un principe constitutif de la conscience même139.

2400. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

En chemin, le lecteur de nous deux, pris d’un barbouillement de cœur qui lui fait l’affreuse peur de ne pouvoir lire. […] L’argent sort tout chaud de la femme, qui le suit d’un regret fauve, et pendant que le visage du fils prend un sérieux consterné, l’émotion de l’argent sortant à jamais du sac, tressaille dans les lobes des grandes oreilles du père. […] Cette maison vraiment nous tenait au cœur, nous en étions devenus amoureux, pris par le grand je ne sais quoi, qui attache à une femme plus qu’à toutes les autres, et vous la fait paraître unique. […] * * * — L’artiste peut prendre la nature au posé, l’écrivain est obligé de la saisir au vol et comme un voleur. […] Elle entre comme une bombe dans la salle à manger, aperçoit sur la table, au milieu des papiers de notre roman, un pot de confitures d’épicier en faïence, et un trognon de pain, prend le trognon, plonge la cuiller dans le pot entamé, et goûte bravement.

2401. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Si j’avais été autre chose, il n’y avait rien de si rationnel et de si aisé que de laisser le feu de la France prendre, par le seul courant du vent qui soufflait, à l’univers. […] Je devais dans cette prévision, trop vite vérifiée, faire prendre une position de forte expectative à la république sur les Alpes. […] Si j’en ai eu quelquefois, comme tout le monde, à la fleur de ma vie, l’âge, les événements, les réflexions, les humiliations de cœur et d’esprit dont ma vie est pleine, ont assez pris le soin de l’abattre. […] Je prenais devant ce monument une véritable ivresse d’immortalité. […] Je l’endossai, en m’admirant, sur un pantalon de nankin jaune et sur un gilet de même étoffe, brodé en soie par une tante, et je pris, ainsi vêtu, le quai qui conduisait au petit palais de la comtesse d’Albany.

2402. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Derrière, on entrevoit, on pressent l’édifice, et pourtant on se prend bientôt à douter que l’édifice existe autrement qu’à l’état d’espérance. […] Il y a en nous, dès le moment de la naissance, tout un faisceau de tendances confuses, formant les traits les plus généraux de notre caractère, qui ne nous portent vers aucune action spéciale et déterminée, mais sont susceptibles d’être pliées dans les sens les plus divers le jour où la réflexion et la liberté prendront en main le gouvernement intérieur. […] Bagehot lui fait l’honneur de la prendre pour l’agent principal de la continuité du progrès, Edgar Quinet voit surtout en elle une force de réaction. […] A prendre le mot loi dans cette acception rigoureuse et scientifique, peut-il y avoir une loi du progrès ? […] Et Claude Bernard expliquant l’organisme par une idée directrice qui ressemble pas mal à la forme ou à la ψυχή d’Aristote, n’est-il pas pris, lui aussi, en flagrant délit de métaphysique ?

2403. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Une certaine marge est donc nécessairement laissée cette fois à la fantaisie ; et si les animaux n’en profitent guère, captifs qu’ils sont du besoin matériel, il semble qu’au contraire l’esprit humain presse sans cesse avec la totalité de sa mémoire contre la porte que le corps va lui entr’ouvrir : de là les jeux de la fantaisie et le travail de l’imagination, — autant de libertés que l’esprit prend avec la nature. […] — Nous avons pensé qu’il y aurait un troisième parti à prendre. […] Il dure, sans doute ; mais sa durée, qui coïncide d’ailleurs avec l’aspect intérieur qu’il prend pour ma conscience, est compacte et indivisée comme lui. […] Si nous sommes libres d’attribuer le repos ou le mouvement à tout point matériel pris isolément, il n’en est pas moins vrai que l’aspect de l’univers matériel change, que la configuration intérieure de tout système réel varie, et que nous n’avons plus le choix ici entre la mobilité et le repos : le mouvement, quelle qu’en soit la nature intime, devient une incontestable réalité. […] Mais si la divisibilité de la matière est tout entière relative à notre action sur elle, c’est-à-dire à notre faculté d’en modifier l’aspect, Si elle appartient, non à la matière même, mais à l’espace que nous tendons au-dessous de cette matière pour la faire tomber sous nos prises, alors la difficulté s’évanouit.

2404. (1903) La renaissance classique pp. -

On se prit à aimer pour l’amour d’aimer, à pleurer pour la douceur des larmes. […] Aujourd’hui encore, il en est qui continuent à « s’exciter » sur les cadavres des villes mortes, qui prennent on ne sait quel plaisir innommable à soulever les linges et à remuer les puanteurs des vieilles corruptions. […] Invariablement on la lui présente comme l’unique maîtresse ; c’est elle qui lui fait la leçon, comme si l’univers pris dans sa masse et son éternité n’était pas plus stupide que le dernier des protozoaires ! […] C’est un enchaînement de scènes qui prises isolément forment un tout et qui cependant ne peuvent se détacher les unes des autres. […] Nous avons pris une attitude de bons élèves qui tirent vanité des encouragements de leurs pédagogues.

2405. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Chateaubriand. Anniversaire du Génie du christianisme. » pp. 74-90

Ici, dans le Génie du christianisme, il reparaissait tout autre ; bien que les couleurs brillantes et poétiques donnassent le ton général, et qu’il s’attachât à émouvoir ou à charmer plutôt qu’à réfuter, il prenait l’offensive sur bien des points : il s’agissait, au fond, de retourner le ridicule dont on avait fait assez longtemps usage contre les seuls chrétiens ; le moment était venu de le rendre aux philosophes. […] Je pourrais encore être heureux et à peu de frais : il ne s’agirait que de trouver quelqu’un qui voulût me prendre à la campagne ; je payerais ma pension après la guerre. […] Et encore, le vœu du retour dans la patrie est exprimé sans faste, comme on l’aime chez un naufragé : « Si la paix se fait, j’obtiendrai aisément ma radiation, et je m’en retournerai à Paris où je prendrai un logement au Jardin des plantes. […] [NdA] Si j’osais prendre un nom qui résumât toute ma pensée, je dirais qu’il y a du Joseph Delorme dans ce Chateaubriand primitif : ce que j’ai voulu en effet dans Joseph Delorme, ç’a été d’introduire dans la poésie française un exemple d’une certaine naïveté souffrante et douloureuse.

2406. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Dans le rapport sur le magnétisme animal ou mesmérisme, parlant au nom d’une commission dont faisaient partie Franklin, Lavoisier, et de savants médecins de la faculté de Paris, Bailly montra toute la sagesse et la mesure de son excellent esprit, et prouva que, dès qu’il s’agissait d’un grand intérêt actuel et pratique, les hypothèses ne prenaient plus sur son imagination. […] Cependant d’autres motifs de céder et de se laisser faire se présentaient à lui, et sous la forme du devoir : c’est elle que prend volontiers l’amour-propre auprès de ces âmes modérées et scrupuleuses. […] Enfin, il se laisse conduire au fauteuil, et prend la présidence, sous le nom de doyen. […] Arrivés aux Tuileries, puis à l’Hôtel de Ville, les larmes, les transports de la foule redoublèrent : On leur distribuait des cocardes nationales rouges, bleues et blanches ; on se pressait autour d’eux, on leur prenait les mains, on les embrassait.

2407. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Léopold Robert, en ses épanchements naïfs et suivis avec ses amis, ne se doutait pas qu’il serait un jour pris pour un écrivain. […] Je dois dire cependant que je crois que sa femme, qui est Française et dame très distinguée, fut pour beaucoup dans la détermination qu’il prit. […] En novembre 1825, il félicite son ami Navez du mariage ; c’est une idée qui reviendra souvent et qui tient une grande place dans la réflexion mélancolique et dans le regret moral de Léopold Robert : « Je te félicite d’avoir enfin pris le parti de te marier et d’avoir trouvé surtout une aimable moitié qui trouvera plus son plaisir d’être chez elle que de sortir. […] Il revenait souvent sur cet exemple d’Ingres, que j’aime moi-même à prendre comme étant l’un des termes de comparaison les plus sensibles, les plus propres à donner la mesure de Léopold Robert ; car celui-ci, plein de déférence et sentant ses côtés inférieurs, ajoutait : Je ne suis pas étonné du tout qu’une comparaison de nos talents l’ait blessé.

2408. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

Vers 1800, un peintre appelé Duperreux fit un tableau de la grotte de Gèdre, et ce paysage, que je ne connais pas, excita alors une assez vive opposition chez les juges de profession et les critiques, Ramond, dans ses Voyages au Mont-Perdu, publiés en 1801, prenait hautement parti pour Duperreux. […] qu’il s’assoie au bord de ce bassin qu’on prendrait pour le bain de Diane ! […] En 1800, Ramond rentra dans la vie politique : nommé au Corps législatif pour y représenter le département des Hautes-Pyrénées, il y prit la place qui était due à son caractère et à ses talents, et fut vice-président de cette assemblée. […] Dacier, beau-père de Ramond et secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, ayant à prononcer, cinq semaines après, l’éloge historique de Lanjuinais (25 juillet 1828), en prit occasion de faire au début quelques réflexions générales à l’adresse de Cuvier ; il trouvait qu’il y avait de l’inconvénient, et même de l’inconvenance, à entremêler dans une notice académique ce qui appartenait à l’homme politique et ce qui se rapportait au savant.

2409. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Mais avant d’en dire quelque chose, il est indispensable de parler du genre même des Mystères, duquel il n’est, après-tout, qu’une variante ; et cela nous mène à expliquer ce qu’était notre ancien théâtre ; car tout s’y tient, et il n’est pas possible d’en prendre une juste idée sans remonter aux origines et le suivre dans ses progrès et son développement. […] Le premier venu y prend sa part. […] Satan, vous aura en sa puissance ; il n’est homme qui vous vienne en aide, par qui vous soyez secourus, si, moi, je ne prends pitié de vous !  […] Édélestand du Méril est un savant qui passe tant et de si longues heures solitaires dans son cabinet, et qui a tellement fui la popularité et le bruit, qu’on l’a pris au mot en France : il est plus apprécié en Europe que dans son pays.

2410. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Sérieusement, il me semble que les différentes positions qui sont à prendre dans la presse périodique et qui peuvent tenter des publicistes dignes de ce nom, commencent à être toutes occupées, et à l’être comme il convient, par des écrivains de réputation et de talent, lesquels, s’ils ne disent pas tout ce qu’ils voudraient, le font du moins très-bien entendre ; et il s’en faut d’assez peu que ce qui est réclamé par la plupart comme un droit ne devienne insensiblement et par usage un fait. […] L’idée philosophique de Condorcet, le rêve ardent du progrès, cessait d’être une aspiration vague et presque chimérique : elle prenait corps, elle allait trouver son moyen d’exécution et son organe. […] Que de pas à faire encore et qui ne se feront, j’en suis persuadé, que sous l’impulsion et au signal d’un chef ferme, vigoureux et qui prenne sur lui ! […] Il me représente quantité d’esprits comme il y en a dans notre pays et à notre époque, mais comme il n’y en a peut-être pas assez, qui vont au fait, à l’utile ; qui ne sont pas préoccupés plus qu’il ne convient de la forme ; qui acceptent ce qui est bien, avec bon sens et sans chicane ; dont l’opposition n’a ni arrière-pensée, ni amertume ; qui élèvent plutôt qu’ils ne rapetissent les questions, qui ne les enveniment jamais ; qui peuvent sans doute préférer les méthodes et les solutions libérales, mais qui ne tiennent pas pour suspect tout bienfait qu’apporte un gouvernement fort ; qui prennent le régime sous lequel ils vivent, avec le franc et sincère désir d’en voir sortir toutes les améliorations sociales dont il est capable.

2411. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

Le Play, averti par lui et sentant qu’on ne pouvait de soi-même chercher et trouver dans bon grand in-folio les mille inductions éparses qui résultaient de cet ensemble d’observations particulières, a pris le soin de résumer les idées, d’élever les points de vue, de grouper et de serrer les comparaisons, de les développer en même temps et de les mettre dans leur vrai jour, d’en tirer les conclusions plus ou moins pratiques, plus ou moins immédiates, mais toutes fondées sur une connaissance exacte des sociétés et des peuples. […] Aussi la société avait pris le parti de leur tourner le dos et ne les écoutait plus. […] Que la vieillesse commence par prendre ouvertement ses quartiers d’hiver et par se constituer vieillesse, et l’on verra après. […] Il faudrait le prendre chapitre par chapitre et entrer en discussion avec l’auteur.

2412. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. (Suite et fin.) »

Il n’a point d’idée préconçue ; il ne se croit pas obligé de se cantonner dans un coin de la terre de Chanaan et de prendre pour belvédère la terrasse et la plate-forme étroite d’un petit peuple : il regarde droit en face et remonte d’abord au berceau manifeste de notre civilisation, à la source commune des races et des religions, à ce point central de l’Asie d’où elles découlent. […] Un jour ou l’autre, de gré ou de force, par composition ou de haute lutte, par la porte ou par la brèche, on entre, on est entré, on prend possession. […] César, à la fin, ne se donnait plus la peine de défendre sa vie ; il semblait dire : « Qu’ils la prennent, s’ils la veulent !  […] Pour guérir des folies et des misères désespérées, il faut des remèdes extrêmes, et qui eux-mêmes, à les bien prendre, visent quasi à la folie ; il faut une contre-folie, mais qu’elle semble divine et qu’elle soit entraînante en sens inverse et contagieuse.

2413. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Il y a dans sa conduite d’alors et dans sa tendance d’aujourd’hui cette véritable, cette seule ressemblance, à savoir qu’il ne s’est jamais borné et même qu’il n’a guère jamais aimé à envisager le christianisme, comme tant de grands saints l’ont fait, par le côté purement intérieur et individuel, par le point de vue du salut de l’âme et des âmes prises une à une, mais qui l’a embrassé toujours de préférence (et en exceptant, si l’on veut, son Commentaire sur l’Imitation et sa traduction de Louis de Blois) par le côté social, par son influence sur la masse et sur l’organisation de la société ; et c’est ainsi qu’il se portait avant tout pour la défense des grands papes et des institutions catholiques. « Jésus-Christ, disait-il en 1826, ne changea ni la religion, ni les droits, ni les devoirs ; mais, en développant la loi primitive, en l’accomplissant, il éleva la société religieuse à l’état public, il la constitua extérieurement par l’institution d’une merveilleuse police, etc. » Toutefois les moyens que M. de La Mennais proposait et exaltait jusqu’à la veille de juillet 1830 étaient, il faut le dire, séparés du temps actuel et de sa manière de penser présente par un abîme. […] Et puis, seulement en se taisant, Rome imposait à ces démocrates catholiques plus d’une discordance évidente : ainsi, pour prendre un point de détail, en fait d’insurrection, dans l’Avenir, on défendait les Polonais, on inculpait les Bolonais. […] L’opinion et le bruit flatteur, et de nouvelles âmes plus fraîches comme il s’en prend toujours au génie, font beaucoup oublier sans doute et consolent : mais je vous dénonce cet oubli, dût mon cri paraître une plainte ! […] On prendrait, d’après notre sèche discussion, une idée bien inexacte du dernier livre de M. de La Mennais, si l’on ne s’attendait pas cependant à y trouver un vrai charme de récit, et, sauf le deuil de la foi perdue, auquel peu de lecteurs seront sensibles, bien des richesses d’une grande âme restée naïve, La gaieté elle-même n’en est pas absente : je n’en veux pour preuve que cette page légère où se jouent toutes les grâces d’ironie d’une plume laïque et mondaine.

2414. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Mérimée s’y est pris à l’avance, en homme très-prudent ; voilà près de dix ans qu’il s’est fait antiquaire. […] Prétendre expliquer à chacun pourquoi il y a pris plaisir, c’est trancher du docteur en agrément. […] Au moment où cette belle jeune femme au regard sombre emmène avec elle son frère à cheval, fusil sur l’épaule, et sourit d’une joie maligne, on est comme miss Nevil, et un frisson vous prend : il semble qu’Orso soit ressaisi par la voix fanatique du sang, et qu’il entré sous l’influence barbare. […] Nul doute qu’un narrateur vraiment primitif ne l’eût pris de la sorte et ne fût allé au bout ; mais, pour nous, lecteurs modernes, qui, après tout, ne sommes pas Corses, qui nous intéressons à Orso et qui tenons fort à ce qu’il ne finisse ni par le mâquis ni par les galères, nous sommes heureux de la dextérité du romancier qui nous l’a montré cédant tout autant qu’il faut et s’en tirant toutefois, ne commençant pas le premier, mais, du moment qu’il s’en mêle, faisant coup double.

2415. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

On le voit, l’art, à le prendre isolément, tenait peu de place dans les idées de Regnier ; il le pratiquait pourtant, et si quelque grammairien chicaneur le poussait sur ce terrain, il savait s’y défendre en maître, témoin sa belle satire neuvième contre Malherbe et les puristes. […] Lui-même nous a dévoilé tous les ingénieux secrets de sa manière dans son poème de l’Invention, et dans la seconde de ses épîtres, qui est, à la bien prendre, une admirable satire. […] Chez l’un comme chez l’autre, même procédé chaud, vigoureux et libre ; même luxe et même aisance de pensée, qui pousse en tous sens et se développe en pleine végétation, avec tous ses embranchements de relatifs et d’incidences entre-croisées ou pendantes ; même profusion d’irrégularités heureuses et familières, d’idiotismes qui sentent leur fruit, grâces et ornements inexplicables qu’ont sottement émondés les grammairiens, les rhéteurs et les analystes ; même promptitude et sagacité de coup d’œil à suivre l’idée courante sous la transparence des images, et à ne pas la laisser fuir, dans son court trajet de telle figure à telle autre ; même art prodigieux enfin à mener à extrémité une métaphore, à la pousser de tranchée en tranchée, et à la forcer de rendre, sans capitulation, tout ce qu’elle contient ; à la prendre à l’état de filet d’eau, à l’épandre, à la chasser devant soi, à la grossir de toutes les affluences d’alentour, jusqu’à ce qu’elle s’enfle et roule comme un grand fleuve. […] Sans doute, s’il fallait se décider entre leurs deux points de vue pris à part, et opter pour l’un à l’exclusion de l’autre, le type d’André Chénier pur se concevrait encore mieux maintenant que le type pur de Regnier ; il est même tel esprit noble et délicat auquel tout accommodement, fût-il le mieux ménagé, entre les deux genres, répugnerait comme une mésalliance, et qui aurait difficilement bonne grâce à le tenter.

2416. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

La discussion se prenait où elle pouvait. […] Dans son insouciance d’homme qui savait la vie et qui n’aspirait pas à la gloire, il n’a pas même pris le soin de recueillir ses Œuvres éparses et de dire : Me voilà, à ceux qui viendront après244. […] Étienne n’en fit aucune, en effet, ni aux idées, ni aux individus ; si quelque chose même put troubler la philosophie de son humeur, ce fut l’approche et l’avènement de certains noms qui ne lui agréaient en rien ; l’antipathie qu’il avait pour eux serait allée jusqu’à l’animosité, s’il avait pu prendre sur lui de haïr. […] Or, son admiration très-réelle, mais très-choisie, il la réserve presque exclusivement pour les plus glorieux du premier groupe, et il laisse volontiers au vulgaire l’admiration qui se prend aux personnages du second.

2417. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

On l’employait dans les cours étrangères à la rédaction des actes ; on la prenait pour la langue naturelle des hommes : si un sourd-muet, disait-on, recouvrait la parole, il parlerait le français de Paris. […] C’est cet homme dont parle Pascal, qui était jeune au temps de l’antiquité, qui a pris des années depuis Pascal, qui se reconnaît dans les pensées d’un homme né trois mille ans avant lui, sous un autre ciel, dans une autre forme de société, avec d’autres dieux. […] Il y a eu de grands noms dès le xiie  siècle, Abélard, saint Bernard ; le xiiie est rempli du nom de saint Thomas, presque plus Français qu’Italien puisqu’il prit ses gradés à Paris, et qu’il y passa plusieurs années dans la prédication et l’enseignement ; au xve appartient Gerson. […] Quand ils se guindent ainsi à réfléchir sur les événements, et à regarder dans le passé et dans l’avenir, ils semblent comme pris de vertige.

2418. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

En dépit de Voltaire qui les tenait pour dûment esclaves, de la politique qui prescrivait, dans l’intérêt des colonies, « de ne pas affaiblir l’état d’humiliation attaché à leur espèce94 », la France, persuadée par Buffon, y reconnaissait des hommes, et, dès la quatrième séance des états généraux, un La Rochefoucauld invitait l’assemblée à prendre en considération la liberté des noirs. […] Descartes décrit, et le plus souvent imagine arbitrairement les effets physiques des passions ; Buffon décrit les attitudes qu’elles font prendre à l’homme ; il montre les mouvements de l’âme dans la pantomime du corps. […] Les défauts, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas le style, ces traits saillants qu’on veut mettre partout, ces mots « qui nous éblouissent un moment pour nous laisser ensuite dans les ténèbres, ces pensées fines, déliées, sans consistance, qui, comme la feuille du métal battu, ne prennent de l’éclat qu’en perdant de la solidité » ; la peine qu’on se donne pour exprimer des choses ordinaires ou communes d’une manière singulière ou pompeuse ; les phrases arrangées, les mots détournés de leurs acceptions, les traits irréguliers, les figures discordantes ; — d’où tout cela vient-il, sinon de ce qu’on écrit hors de soi, à côté de soi, et qu’il y a un auteur au lieu d’un homme ? […] Se faire un plan, attendre, avant de prendre la plume, cette plénitude qui est l’inspiration des bons écrivains, rejeter les pensées isolées, les premières vues, se défier des traits, c’est œuvre d’homme ; si le style vient de là, je comprends que pour un style il faille un homme.

2419. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Je laisse, on le voit, de côté le but politique, l’intention calculée peut-être, et je ne m’en prends qu’à ce qui est de la couleur littéraire presque inévitable et involontaire chez un talent du genre de celui de M. de Lamartine. […] Lainé dans sa maturité le soin d’apprécier ce coin de son caractère ; mais je crains qu’en faisant de lui un républicain in petto, M. de Lamartine ne se souvienne trop qu’il avait pris au début M.  […] Voici ce qui en résulte : Pour toute la partie positive et les textes des pièces politiques que d’ordinaire les historiens vont chercher dans les sources mêmes, qu’ils empruntent au Moniteur ou aux diverses publications, et dont ils ne font des extraits qu’après avoir lu le tout, M. de Lamartine s’est contenté de prendre ces extraits purement et simplement, tels qu’ils ont déjà été faits par M.  […]  » Si M. de Lamartine raconte cela, il a une de ces illusions et de ces exagérations de souvenir qui lui sont familières : car il est impossible que je lui aie dit une telle chose, n’ayant jamais l’habitude de mêler ainsi le nom de Napoléon à tout et de le prendre pour mesure de mon admiration : ce serait la première fois que j’aurais usé de ce langage.

2420. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Cousin, professeur de philosophie, a pris soin de recueillir, dans de nombreux petits volumes très exactement revus, et très curieusement remaniés, la série de ses leçons sur l’Histoire de la philosophie moderne, tant celles de 1815 à 1820, que celles de 1828 à 1830. […] On voit bien qu’il a pris parti dans la Fronde, et qu’il n’a pas été amoureux d’Anne d’Autriche, il ne paraît pas soupçonner un défaut essentiel qu’avait Mme de Longueville, et qu’il serait peu poli de rappeler en toutes lettres, mais dont Bussy et Brienne ont fait sentir quelque chose17. […] Cousin prend une à une les plus célèbres filles du couvent ; il les loue dans les termes mêmes des pieux panégyristes ; ce sont les amies de son amie ; il devient pour Mme de Longueville, mais avec un éclair de plus, ce qu’était hier encore le très regrettable M.  […] Mais à qui s’en prendre ?

2421. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre II : Variations des espèces à l’état de nature »

Il en résulte que lorsqu’il s’agit de déterminer si une forme doit prendre le nom d’espèce ou de variété, l’opinion des naturalistes doués d’un jugement sûr et en possession d’une grande expérience semble devoir seule faire autorité. […] Mais quant à discuter si des formes qui diffèrent si légèrement sont à juste titre appelées espèces ou variétés, avant qu’une définition de ces termes ait été universellement adoptée, ce serait prendre une peine inutile59. […] Si une variété vient à s’accroître jusqu’à excéder en nombre l’espèce mère, celle-ci prendra alors le rang de variété et la variété celui d’espèce. […] Watson a pris la peine de m’indiquer, dans le catalogue botanique de Londres (4e édition) si soigneusement dressé, soixante-trois plantes qu’on y trouve mentionnées comme espèces, mais qu’il considère comme si semblables à d’autres espèces voisines, que leur valeur spécifique est fort douteuse.

2422. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Seconde partie. Des mœurs et des opinions » pp. 114-142

Les mœurs, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, sont restées dans la sphère des idées anciennes ; les opinions prennent leur source dans les idées nouvelles, et leur doivent toute leur puissance. […] N’oublions pas que maintenant, comme j’ai déjà eu occasion de le remarquer, le principe intellectuel a pris l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société. […] Qui ne voit que les inconvénients de son caractère tiennent à tous les avantages que j’ai pris soin de signaler auparavant ? […] Une telle unanimité est assez étrange ; mais elle s’accorde avec notre propre assertion, que le principe intellectuel tend à prendre l’ascendant sur le principe moral, pour la direction de la société.

2423. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Elle devient épique ; elle enfante Homère… L’épopée prendra plusieurs formes, mais ne perdra jamais son caractère. […] Elle lui montre qu’il est double comme sa destinée, qu’il y a en lui un animal et une intelligence… L’homme, se repliant sur lui-même, commença à prendre en pitié l’humanité, à méditer sur les amères dérisions de la vie. […] À ne prendre que la France, Victor Hugo était-il bien sincère en nous donnant Malherbe comme représentant du lyrisme et La Pucelle de Chapelain comme modèle de l’épopée ? […] Donc, écrire l’histoire de la satire comme d’un genre littéraire, dans le sens habituel du mot, c’est ou bien composer un florilège de genres très divers dans leur inspiration, ou bien s’attacher très arbitrairement à une « forme » en négligeant des œuvres importantes. — En d’autres termes, l’esprit critique est constant ; on le retrouve à toutes les époques ; ou plus ou moins, mais il est toujours là ; il prend souvent une forme littéraire, mais en soi il n’est pas de nature littéraire ; à lui seul, il n’est pas un principe d’art ; il est négatif et démolisseur, l’art est créateur.

2424. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

C’est la secrète ambition de quiconque prend des grades. […]prendre les « sujets nouveaux » les « sentiments nouveaux » ? […] Son art prend la place de la nature ; il est la nature retrouvée. […] Je fus capable de prendre Wagner au sérieux. […] Mozart, à Salzbourg, prenait ses repas avec la valetaille du prince-évêque.

2425. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

Au pis, on prend un maître de français. […] Ces soins qu’on prenait autrefois pour les fils de princes ou de grands seigneurs, pour Mgr le Dauphin en personne, on les a pour lui.

2426. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Le cas était embarrassant pourtant, et la situation devenait orageuse ; une lettre de la célèbre danseuse Fridoline arrive à temps, Léopold retrouve son audace, et, par bravade, prend la résolution la plus extravagante, celle d’épouser la danseuse, qui, étant très-riche, vient de lui offrir sa main, pour devenir comtesse, et pouvoir faire graver une couronne sur le panneau de ses voitures. […] C’est l’absence du poëte comique que nous prenons pour l’absence de la comédie.

2427. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Philosophie du costume contemporain » pp. 154-161

On a pris à tâche d’exagérer toutes les parties que la nature a faites plus saillantes dans le corps féminin : la poitrine, les hanches, la croupe et même, dans une mesure plus discrète, le ventre. […] Elle est sans doute restée décorative dans le détail de ses ornements — où la « décoration » prend d’ailleurs, de plus en plus, un caractère de curiosité archéologique.

2428. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Dédicace, préface et poème liminaire de « La Légende des siècles » (1859) — Préface (1859) »

Les poëmes qui composent ces deux volumes ne sont donc autre chose que des empreintes successives du profil humain, de date en date, depuis Ève, mère des hommes, jusqu’à la Révolution, mère des peuples ; empreintes prises, tantôt sur la barbarie, tantôt sur la civilisation, presque toujours sur le vif de l’histoire ; empreintes moulées sur le masque des siècles. […] Quant à ces deux volumes pris en eux-mêmes, l’auteur n’a qu’un mot à en dire : le genre humain, considéré comme un grand individu collectif accomplissant d’époque en époque une série d’actes sur la terre, a deux aspects : l’aspect historique et l’aspect légendaire.

2429. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, que le libéralisme en littérature. […] Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui lui a pris de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à sa cathédrale gothique.

2430. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

Prenez la difformité physique la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, à l’étage le plus infime, le plus souterrain et le plus méprisé de l’édifice social ; éclairez de tous côtés, par le jour sinistre des contrastes, cette misérable créature ; et puis, jetez-lui une âme, et mettez dans cette âme le sentiment le plus pur qui soit donné à l’homme, le sentiment paternel. […] Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime, et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel ; dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux.

2431. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

En lisant un poëme nous regardons les instructions que nous y pouvons prendre comme l’accessoire. […] Addison, en parlant d’un opera italien dont le sujet avoit été pris dans le Tasse, je suis de l’avis de M. 

2432. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

Je serai même aussi peu surpris qu’un homme qui auroit pris son idée du mérite des anciens sur leurs ouvrages de physique, de botanique, de geographie et d’astronomie, parce que sa profession l’auroit obligé à faire sa principale étude de ces sciences, n’admire point l’étendue des connoissances des anciens, que je suis peu surpris de voir l’homme qui a formé son idée du mérite des anciens, sur leurs ouvrages d’histoire, d’éloquence et de poesie, rempli de véneration pour eux. […] Nos médecins conviennent néanmoins que les aphorismes d’Hippocrate sont l’ouvrage d’un homme à tout prendre, plus habile que les medecins d’aujourd’hui.

2433. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Au milieu de ce violent tumulte, qui fut le plus souvent une discussion très solennelle, les idées anciennes étaient défendues, tantôt avec une réserve que l’on prenait pour de la faiblesse, tantôt avec un courage que l’on prenait pour de l’exagération ; quelquefois on eût dit le chant du cygne qui va mourir : mais ce chant du cygne n’était point entendu, et n’avait point la force d’émouvoir ; il n’y avait rien de contagieux dans ces derniers accents d’idées expirantes, ou dont l’empire n’était plus que dans le passé : encore, il faut l’avouer, souvent aussi ce n’était point même le chant du cygne ; c’était quelque chose de vague et d’incertain, comme un éblouissement des oreilles ; c’était, en un mot, une cause mal comprise et mal défendue.

2434. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — II »

Peut-être se contenta-t-il moins soi-même, mais quel empire il prit sur ses contemporains ! […] Le malentendu a pris de telles proportions que, dans ces dernières années, c’était devenu, chez les intelligences les plus averties, une habitude de soupçonner M. 

2435. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

les pauvres Indiens prennent leurs vieux parents dans leurs bras ; les femmes chargent leurs enfants sur leurs épaules ; la nation se met enfin en marche, emportant avec elle ses plus grandes richesses. […] Les Indiens s’avancèrent d’un air morne vers le rivage : on fit d’abord passer les chevaux, dont plusieurs, peu accoutumés aux formes de la vie civilisée, prirent peur et s’élancèrent dans le Mississipi, d’où on ne put les retirer qu’avec peine : puis vinrent les hommes, qui, suivant la coutume ordinaire, ne portaient rien que leurs armes ; puis les femmes, portant leurs enfants attachés sur leur dos ou entortillés dans les couvertures qui les couvraient ; elles étaient, en outre, surchargées de fardeaux qui contenaient toute leur richesse. […] Je vous avoue que ce malheur a singulièrement diminué pour moi l’intérêt journalier que je prenais dans ce voyage. […] Se désespérer qu’il en soit ainsi, c’est se désespérer d’être homme, car c’est là une des plus inflexibles lois de notre nature… Il faut donc prendre son parti de n’arriver que très-rarement à la vérité démontrée. […] Guizot lui disait un jour à la Chambre en causant : « Vous êtes pour moi un aristocrate vaincu qui accepte sa défaite. » On aurait pu dire aussi et en toute équité : « Vous êtes un aristocrate converti qui plaide la cause du vainqueur, mais qui la plaide sans joie. » Tocqueville ne se donna jamais pleine carrière, en effet ; il ne sut jamais prendre à temps son élan ; il se méfiait des autres et de lui ; raisonnable, consciencieux et prudent, dès le point de départ il enraya sa roue et prit garde de ne point se briser à la borne : il ne courait qu’en signalant le danger.

2436. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Chassés du haut du pavé, ils prirent et gardèrent la ruelle. […] La philosophie de Descartes et celle de Gassendi étaient aux prises. […] Elle avait, à sa rentrée en France, fréquenté les derniers jours de l’hôtel Rambouillet, et pris un rang distingué entre les précieuses. […] Dans des vers adressés à Mlle Des Houlières la fille, Ménage l’appelle Hulleria, comme il avait appelé Mme de La Fayette Laverna ; ces noms en latin prennent un air effrayant. […]  — Quand l’heure de la comédie fut venue, elle se mit en négligé, avec une de ses amies, qui prit des billets ; elle se cacha tout de son mieux sous une grande coiffe de taffetas et au lieu d’entrer par la grande porte du théâtre comme elle avoit accoutumé de faire, elle entra par la porte des loges, et s’alla placer au fond des secondes loges, car toutes les autres étoient remplies.

2437. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Mais ces artisans, ces bourgeois, n’eurent jamais, en près de deux siècles que vécut leur confrérie, une idée qui tendit à perfectionner l’art : tel ils le prirent dans le temps où ils s’associèrent, tel en somme, ou plus bas, ils le laissèrent quand ils renoncèrent à exploiter eux-mêmes leur privilège. […] Il faut dire que la confrérie des sots n’existait réellement que quand ses membres en prenaient le costume, pour une cérémonie et une représentation solennelle : ailleurs elle n’avait qu’une existence virtuelle et nominale. […] Cette fois, les auteurs ne se sont pas contentés d’indiquer la situation : ils ont pris la peine de la traiter. Dans la Cornette, un vieux mari cajolé, berné, prévenu par sa femme, n’entend pas le mal que ses neveux viennent lui en dire, et, grâce à un stratagème de la rusée coquine, prend pour railleries sur sa cornette toutes les vérités qu’ils lui content de sa moitié ; dans le Cuvier, un faible mari, opprimé par sa femme et sa belle-mère, a accepté de faire le ménage, la lessive, balayer, cuire le pain, soigner le marmot, etc. ; mais une bonne occasion s’offre de s’insurger sans péril, et de redevenir maître chez lui du consentement de sa femme. […] Du moins Patelin me paraît-il plus proche de certains fabliaux, de certaines nouvelles, et du Roman de la Rose, que de la farce, à la prendre même dans ses meilleurs échantillons.

2438. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

D’autres enfin, qui seraient consciencieux, sincères et ne demanderaient qu’à prendre leur travail au sérieux, sont gênés sans cesse par l’attitude du directeur qui gouverne l’organe où ils écrivent. […] Anatole France ; au lecteur du Mercure, Remy de Gourmont… Et, pourtant, je crois que si les « équivalents » de Sainte-Beuve ou de Gourmont existent aujourd’hui dans la critique littéraire, rien ne les empêche de prendre la même place et d’obtenir du public la même faveur que leurs devanciers. […] Seulement, à qui s’en prend-il ? […] René Gillouin qu’il est « évident », à prendre le mot critique « dans le sens large et plein », et M.  […] Souchon, et c’est déjà prendre la question par le côté négatif.

2439. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Ils critiquent les doctrines, mais ne les prennent jamais de toute pièce. […] Sans doute il faut toujours prendre le plus court chemin, et je n’approuve nullement ceux qui soutiennent qu’il faut marcher, mais non courir. […] Le calme n’est qu’un armistice, un point d’arrêt pour prendre haleine. […] Prenez l’institution la plus odieuse, l’Inquisition. […] Je préférerais pour ma part le siècle de Louis XIV, bien qu’il soit très antipathique à mon goût individuel et que je regarde comme assez niais l’engouement dont on s’était pris pour ce temps dans les dernières années de l’Ancien Régime ; je le préférerais, dis-je, à un état parfaitement régulier, où tous les intérêts seraient assurés, toutes les libertés respectées, où chacun vivrait à son aise, ne créant rien, ne fondant rien, ne produisant rien.

2440. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Au siège devant Mardyck (août 1646), les ennemis ayant fait une sortie, non content de les repousser de sa tranchée, Bussy, sur un mot du duc de Nemours, tint une sorte de gageure que lui-même appelle une folie, et il s’aventura à vouloir rejeter et relancer avec une faible élite le gros des assaillants jusque sur leurs palissades, si bien qu’aux premières décharges la plupart des siens, et les plus marquants, étaient hors de combat ; mais lui, qui n’avait eu encore que deux chevaux tués, tenait ferme dans cette attaque sans but et se faisait un point d’honneur de voir l’ennemi se retirer le premier : il fallut que le duc d’Enghien (le Grand Condé) lui fit donner l’ordre de se retirer, ajoutant que, « s’il avait à prendre un second dans l’armée, il n’en choisirait point d’autre ». […] Je ne puis m’empêcher de le donner ici presque en entier, après celui de Condé, qu’on vient de lire : Henri de La Tour, vicomte de Turenne, était d’une taille médiocre, large d’épaules, lesquelles il haussait de temps en temps en parlant ; ce sont de ces mauvaises habitudes que l’on prend d’ordinaire, faute de contenance assurée. […] À l’ouïr parler dans un conseil, il paraissait l’homme du monde le plus irrésolu ; cependant, quand il était pressé de prendre son parti, personne ne le pouvait ni mieux ni plus vite. […] À demi chrétien, à demi philosophe, à demi superstitieux, toujours emporté par ses passions, il ne sut jamais prendre un parti décisif ; mais ce qu’il était de plus en plus en vieillissant, c’était homme de lettres. […] [NdA] Il s’est toujours vanté de cette douceur naturelle, antérieure et secrète : Il est vrai, écrivait-il à Mlle de Scudéry (16 juillet 1672), que je suis naturellement doux et tendre ; aussi ai-je pris pour ma devise une ruche de mouches à miel, avec ce mot : Sponte favos, aegre spicula ; La douceur naturelle, et l’aigreur étrangère.

2441. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Il tira les lettres de la barbarie, où elles étoient encore plongées dans le quatorzieme siécle ; il rétablit les bonnes études en Europe ; on lui doit la conservation de beaucoup d’auteurs qui seroient perdus, sans le soin qu’il prit de les rechercher & d’en faire faire des copies. […] Mais lorsqu’on le lit de sang froid, on ne sauroit se dissimuler que son Poëme, à le prendre à la rigueur, n’a ni commencement ni milieu ni fin. […] Il a travaillé à être littéral, sans être esclave des tours ; & il a tâché de prendre un style doux & simple. […] Quand il n’a pu sans supprimer des incidens qui lui ont paru agréables, consommer l’action en un jour, il en a pris deux. […] On pourra prendre aussi une idée de la poésie chinoise dans une espêce de Roman, traduit par M.

2442. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre II. Le fond et la forme dans la littérature indigène. »

41 La ruse de celui qu’on porte à noyer et qui persuade à un autre de prendre sa place en lui affirmant que c’est là un sûr moyen de gagner des trésors. […] La femme fourbe se faisant accompagner par le mari dont elle médite la perte et dissuadant celui-ci d’emporter chacune des armes qu’il prend successivement pour sa sûreté. […] Il prend pour argent comptant les fins de non-recevoir gouailleuses de son oncle Konkobo Moussa. […] Elle lui indique ainsi, sans commentaires, les précautions qu’il aura à prendre selon les périls qu’il doit éviter. Dans Namara Soundiéta, celui-ci menace le chef qui lui refuse un terrain où enterrer sa mère, de détruire ses villages (balles et poudre), de tuer quiconque accepterait le prix de la concession (un couteau) de démolir ses cases où les volailles viendront prendre leurs ébats (poules et pintades) et de mettre ses villages en tel état que les arachides et le coton y pousseront sans être cultivés ni récoltés.

2443. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Or, il ne me semble pas possible de soutenir que l’œuvre de l’école naturaliste, en général, a relevé le niveau moral du monde, que les âmes y ont pris une force, une pureté, une résolution de patience ou d’énergie sereine et tranquille, la seule qui mène loin. […] Tandis que nous écrivons, par une sorte d’instinct théâtral et de tradition, des chapitres qui gravitent tous autour d’une scène principale, un peu comme les actes d’une pièce dramatique ; tandis que nous faisons un livre très un et très serré, destiné à être lu sans arrêt, eux, ils écrivent une sorte de journal intime ; ils superposent les détails, sagement, posément, avec l’amour de l’heure présente qui ne connaît pas l’avenir, sans la même hâte vers le but, et ils songent aux misses qui parcourront vingt pages avant une course à cheval, au chasseur de renard qui revient au logis et qui a besoin d’une petite dose de lecture pour calmer la fièvre de ses veines, au commerçant de la Cité, à l’ouvrier anglais, libres avant le coucher du soleil, et qui prendront le livre et le poseront bientôt sur le coin du dressoir, heureux d’avoir trouvé l’occasion d’une larme ou d’un sourire qui n’étaient pas permis dans le travail du jour. […] Quand un homme écrit en vue d’un public déterminé, il s’asservit inconsciemment à lui ; il en prend les préjugés, les goûts, le langage, les travers, il se condamne à évoluer dans un certain ordre de sentiments et d’idées qui sont ceux d’une coterie, d’une école et d’une mode. […] Je voudrais par avance les connaître, les voir, leur dire de quelles pensées, à mon humble avis, devra s’inspirer l’artiste qui voudra prendre et retenir l’esprit de ces foules à demi instruites, dont le flot monte autour de nous. […] Prenez la vie comme elle est, de préférence la vie si peu connue des travailleurs, de ceux qui sont presque toute la France, et dites-la.

2444. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Marquons tout de suite la position que nous prenions ainsi entre le réalisme et l’idéalisme. […] D’où cette double thèse, inverse de la précédente : La mémoire est autre chose qu’une fonction du cerveau, et il n’y a pas une différence de degré, mais de nature, entre la perception et le souvenir. — L’opposition des deux théories prend alors une forme aiguë, et l’expérience peut cette fois les départager. […] Si le souvenir d’une perception n’était que cette perception affaiblie, il nous arriverait, par exemple, de prendre la perception d’un son léger pour le souvenir d’un bruit intense. […] Mais on peut aller plus loin, et prouver, par l’observation encore, que jamais la conscience d’un souvenir ne commence par être un état actuel plus faible que nous chercherions à rejeter dans le passé après avoir pris conscience de sa faiblesse : comment d’ailleurs, si nous n’avions pas déjà la représentation d’un passé précédemment vécu, pourrions-nous y reléguer les états psychologiques les moins intenses, alors qu’il serait si simple de les juxtaposer aux états forts comme une expérience présente plus confuse à une expérience présente plus claire ? […] La fonction de l’entendement est de détacher de ces deux genres, extension et tension, leur contenant vide, c’est-à-dire l’espace homogène et la quantité pure, de substituer par là à des réalités souples, qui comportent des degrés, des abstractions rigides, nées des besoins de l’action, qu’on ne peut que prendre ou laisser, et de poser ainsi à la pensée réfléchie des dilemmes dont aucune alternative n’est acceptée par les choses.

2445. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

J’étais ému d’admiration, la première fois que je lisais dans Platon ce témoignage sur l’omniprésence de Dieu et sur sa providence inévitable : « Quand vous seriez caché dans les plus profondes cavernes de la terre, quand vous prendriez des ailes et que vous vous envoleriez au haut des cieux, quand vous fuiriez aux confins du monde, quand vous descendriez au fond des enfers ou dans quelque lieu plus formidable encore, la providence divine y serait près de vous. » Cela me frappait d’une secousse plus vive que l’imagination d’Homère décrivant la marche de ses dieux, « en trois pas, au bout du monde » ; j’y sentais une grandeur morale qui dépasse toute force matérielle. […] Quand je prendrais les ailes de l’Aurore et que je porterais ma tente aux confins des mers, là même, c’est ta main qui me conduira sur la route, ta main qui m’établira. […] « L’ennemi disait : Je les poursuivrai ; je les prendrai ; je partagerai leurs dépouilles ; j’assouvirai mon âme ; je les percerai de mon glaive ; ma main les tuera. […] Quelle place y doit prendre encore la foi surnaturelle ? […] » Ce délire qui se prend à tout, s’irrite contre les lieux, contre les choses insensibles, se retrouve dans la poésie grecque.

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