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1843. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Paix et la Trêve de Dieu »

Que peut-on croire, en effet, de la vérité de ses conclusions historiques quand on se rappelle qu’entre dans des idées nouvelles au moment où il allait sortir de la vie, il se proposait de reconstruire, de fond en comble, l’édifice qu’on nous avait donné, depuis tant d’années, comme un monument inébranlable ? […] Le livre qu’Ernest Semichon a publié sous ce beau titre : La Paix et la Trêve de Dieu 21, est une tentative de justice rendue au Moyen Âge par un esprit qui croit aimer le Moyen Âge dans l’Église, qui comprend la grandeur du rôle que l’Église a joué alors, — et même qui la comprend trop, car ce rôle-là, il l’exagère, et c’est le vice profond et dangereux de son travail. […] Au Moyen Âge, l’Église n’est pas, comme le croient beaucoup d’esprits qui, en consentant cela, s’imaginent avoir de grandes bontés pour elle, le faîte et le couronnement d’un vaste ensemble de société. […] Ce livre, dans lequel l’auteur a développé la nécessité de l’intervention des évêques dans les temps processifs de notre histoire, temps qui furent périodiques à travers les crises et surtout les changements de race, ce livre a répondu nettement une fois de plus à l’imbécile accusation d’usurpation cléricale que les ennemis de l’Église n’ont pas cessé de faire entendre, et de faire croire, qui plus est.

1844. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

I Ceci — je crois — est le début de l’auteur dans l’histoire politique. […] On se croyait maître de son sujet ; on en était victime. […] Je ne sache pas de livre meilleur que le sien pour jeter la goutte d’eau glacée sur les fronts échauffés par le bonnet rouge, — pour rasseoir et paralyser l’enthousiasme imbécilement ou épileptiquement révolutionnaire… Peu de temps avant sa mort, est-ce que Victor Hugo — un égaré aussi par l’histoire de la Révolution française — n’écrivait pas cette phrase, chargée, croyait-il, d’une prophétie : « Le dix Août est à la Révolution ce qu’aujourd’hui est à demain… » ? […] IV Il n’était que cela, — et je m’en doutais bien un peu, mais je ne l’avais pas vu avec cette évidence que je dois à M. d’Héricault… On a beau se rappeler le mot d’Oxenstiern sur la médiocrité de ceux qui gouvernent les hommes pour s’expliquer la toute-puissance et la popularité de Robespierre et l’écrasement de tous ses rivaux de pouvoir, qui avaient des facultés d’esprit dix fois plus éclatantes que les siennes et des âmes vingt-cinq fois plus hautes, on a peine à croire que le monde ait été — ne fût-ce qu’une heure ! 

1845. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

L’homme qui écrit des choses de ce calibre de fausseté n’a plus le droit d’être cru sur rien. […] Et quant à Lamartine, cet idéal du Citoyen, placé en contraste des trois autres dans toute la perfection de son personnage à la fin du livre de Pelletan, Lamartine, dont Pelletan est sorti comme les Méditations, — mais j’aime mieux les Méditations, — Pelletan s’en regarde trop comme la géniture pour ne pas se croire parricide s’il convenait d’une seule des erreurs de ce grand génie de poète égaré. […] Le croirait-on à distance ? […] Et pourquoi n’avouerions-nous pas avec calme que, pour une nature comme la sienne, plus apostolique que narquoise, pour un disciple de Lamartine, qui n’aimait pas non plus de Maistre, dont le génie positif était désagréable au « dadais » que le cruel Chateaubriand disait exister au fond du poète des Méditations, Pelletan s’est mieux tiré qu’on n’aurait cru de sa besogne de journaliste irrévérent et pittoresquement gouailleur.

1846. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Ils ne sont pas nombreux, heureusement, mais ces sept morceaux, d’assez courte haleine, et que l’on croirait composés pour des revues à deux sous, s’il y en avait en Allemagne, ont tous les défauts et toutes les débilités de ce talent qui n’a pas de corps et peu d’âme, et dont les œuvres, sans statique et sans équilibre, forment un Alhambra, ou, pour mieux parler, une Babel de vapeur, que le premier coup de vent un peu franc va dissiper. […] Du reste, le croira-t-on d’un réaliste comme Champfleury ? […] … Champfleury s’est beaucoup débattu pour répondre à ceux qui prétendent qu’Hoffmann n’a pas le sens humain, et, par une confusion que nous voulons bien croire sincère, le dévoué raisonneur a cité les lettres plus ou moins sentimentales de l’auteur allemand à ses amis, comme s’il s’agissait de la moralité de la vie et non pas de la nature du talent ! […] Champfleury tient à Hoffmann, non par l’invention, mais par le procédé littéraire, par cette profusion du détail qui fut l’illusion de Heine lui-même et lui fit croire que le fantastique impuissant était puissant dans la réalité.

1847. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Nulle idéale lourdeur ne pourrait y avoir, en effet, un succès plus grand que cette mince chose transparente, à travers laquelle on voit si bien… ce qui n’y est pas, et qui nous donnerait presque à croire que les Allemands, à force de sauter par les fenêtres pour se faire vifs, ont enfin réussi à devenir légers. […] Il y en a peut-être une qui tient à la langue, — à ce que la langue a de plus intime et de plus subtil, de plus impénétrable aux étrangers, de plus intraduisible dans une langue étrangère… Je veux le croire, pour l’honneur de Feuchtersleben. […] que le vers charmant de l’Irrésolu : J’aurais mieux fait, je crois, d’épouser Célimène, est un spasme ! […] » Il reviendrait au monde, que lui-même ne le croirait pas.

1848. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

Ce n’est pas, effectivement, au xixe  siècle, qu’on peut se contenter d’un chef-d’œuvre de narration sincère quand il s’agit d’un saint, c’est-à-dire d’un de ces phénomènes auxquels on ne doit croire qu’à la dernière extrémité. […] Ils souffriront peut-être que, pour une fois, on venge les amis de Dieu, qu’on croit généralement par trop simples, des brillants amis du Démon et du monde, qu’on croit véritablement par trop forts ! […] » Mais si, comme le croient les philosophes, nos plus saintes croyances n’étaient que des chimères, avec son million de cœurs consolés pendant qu’ils battaient, et morts autour du sien qui n’aurait pas un grain de poussière de plus qu’eux, le Curé d’Ars serait-il moins grand ?

1849. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

» Quel auteur ne croit pas ce qu’il fait « extraordinaire » ? […] Le mystique Hello, qui y croit, lui, est supérieur, par ce côté surnaturel et frémissant, à l’incrédule américain, et par cela seul il cause naturellement une impression plus profonde. Un reproche pourtant que la critique pourrait hasarder, c’est d’avoir laissé un des Deux étrangers trop dans le vague de l’ombre, et de n’avoir pas mis assez de clarté dans ce redoutable personnage… On croit bien pressentir qu’il est l’Homme des Sciences occultes, quelque Magicien investi de sataniques pouvoirs, puisqu’il promet la Science universelle au docteur Williams, lequel meurt de ce funeste don ; mais le conteur aurait précisé davantage cette grandiose et inquiétante figure que son conte n’aurait été ni moins effrayant, ni moins mystérieux. […] Entant que parti, les catholiques se trouvent assez pieux pour se croire le droit d’être des ingrats.

1850. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

Je ne crois pas qu’en fait de coloristes on pût remonter beaucoup plus haut qu’à l’historiographe Mathieu, un artiste énorme et oublié, dont Lemerre, qui a eu la hardiesse d’éditer un Agrippa d’Aubigné intégral, et qui publie la Chronique de Diaz del Castillo, devrait bien éditer le Louis XI, lequel, par le pittoresque, ferait pâlir le Louis XI de Michelet. […] Les Andalouses, s’il faut en croire les vieux moralistes, ont toujours été singulièrement douées de cette antique malice qui voua la race d’Adam aux flammes de l’enfer. […] Ce peintre, qui s’enivre de sa peinture, ne se met, je l’ai dit, je crois, jamais à part de ce qu’il peint. […] IV Eh bien, le croira-t-on ?

1851. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Lui, qu’on pouvait croire faible parce qu’il était doux, n’a point eu cette faiblesse, et ses derniers poèmes, à cet homme tendre, fils de Virgile et de Racine, qui avait inventé des anges qui tombaient du ciel par pitié, ne sont ni des plaintes, ni des pleurs. […] Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris ; Car ce sommet de tout, dominant toute gloire, Ils n’y sont pas, ainsi que l’œil pourrait le croire. […] Tel que l’on croit complet et maître en toute chose Ne dit pas les savoirs qu’à tort on lui suppose, Et qu’il est tel grand but qu’en vain il entreprit, — Tout homme a vu le mur qui borne son esprit » Enfin, — car il faut se borner, — dans une pièce intitulée : Jésus au mont des Oliviers, où l’âme du chrétien, rouverte un moment, se referme tout à coup, redevenue rigide, je trouve ces vers d’une stoïcité presque impie, qui vont assez avant dans l’inspiration du poète pour qu’on en comprenne la profondeur et pour que rien ne soit citable après : ……………………………………………… Le juste opposera le dédain à l’absence Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la Divinité. […] Voilà pourquoi je me détourne avec regret de ces poésies qui n’ajoutent rien à ce qu’on sait du poète charmant, transparent et lumineux, qui s’est éteint dans le sombre bronze que voici, dans ce bronze du mépris qu’une créature humaine n’obtient jamais qu’à force de se briser… Pour nous qui croyons que les plus belles poésies ne sont jamais faites pour la volupté intellectuelle de faire des vers, mais pour se soulager d’une oppression sublime, d’un étouffement titanique du cœur sous le poids d’un grand sentiment, pour nous qui avons dit combien l’homme dans Alfred de Vigny était toujours le poète, ces poésies dernières nous font mieux comprendre cet homme que nous avons connu.

1852. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

Sous un despotisme religieux et militaire, on croit, on agit, on commande, on ne persuade pas. […] On sait que de son vivant même elle trouva des censeurs ; les femmes, en France, lui reprochèrent de n’avoir point les manières et les agréments de son sexe ; les protestants, d’avoir changé de religion ; les politiques, d’avoir quitté un trône ; tous ceux qui avaient quelque humanité, d’avoir pu croire que sa qualité de reine pût autoriser un assassinat : mais elle fut l’objet éternel des hommages des savants et des gens de lettres. […] L’orateur qui, au bout de quinze cents ans, veut ou croit employer cette langue, a donc deux torts ; il ne peut bien apprécier la valeur des signes, et les signes ne peuvent recevoir l’empreinte de son esprit et de son âme, qu’il voudrait leur donner. […] En voilà assez, je crois, pour nous dispenser d’en rien citer.

1853. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Croire, c’est connaître et comprendre en quelque degré. […] Quel est celui qui, dans l’exercice spontané de son intelligence, ne croit pas à lui-même, et ne croit pas au monde ? […] croit-il qu’il existe, par exemple ? S’il croit cela, cela me suffit ; car s’il croit qu’il existe, il croit donc que cette pensée de croire qu’il existe est digne de foi ; il a donc foi au principe de la pensée, or ce principe, qu’il le sache ou non, c’est Dieu. […] Il a raison de croire que cet élément existe, mais il a tort de croire que celui-là seul existe.

1854. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Pelouze, qui me l’a communiquée, une note sur la préparation du curare, que je crois utile de transcrire ici. […] Dans d’autres cas, on ne trouve rien, et on croit que la cause de la mort est insaisissable. […] … Je ne crois pas, quant à moi, à la possibilité de cette contradiction. […] Nier ces choses ne serait pas les supprimer, ce serait fermer les yeux et croire que la lumière n’existe pas. Ce serait l’illusion de l’autruche qui croit supprimer le danger en se cachant la tête dans le sable.

1855. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

croyez-vous que le nombre des justes fût au moins égal à celui des pécheurs ? […] Ces esprits qu’on croit couler rapidement dans les nerfs, sont probablement un feu subtil. […] Si cette gazette est vraie, il est à croire que toutes les vérités n’y sont pas. […] L’orgueilleux se croit quelque chose ; le glorieux veut paroître quelque chose. […] Croira-t-on que les dieux descendoient du ciel pour venir se cacher dans ces statues ?

1856. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

On ne peut s’empêcher de s’incliner devant cette faculté si humble et pourtant si noble de s’absorber complétement dans ce qu’on admire et de vivre non pour soi, mais pour ce qu’on croit au-dessus de soi sur cette terre. […] Il s’agrandit toujours ; Ballanche s’agrandissait comme l’incommensurable ; c’était l’homme des horizons ; ces horizons politiques ou religieux fuient quand on croit les atteindre et se confondent avec le ciel. […] Je crois que la séduction de madame Récamier sur Ballanche, ce fut la pureté sans tache de son idole ; ne pouvant adorer une idéalité divine, il adore une femme au-dessus des sens. […] Elle peut y croire, nous n’y croyons pas ; madame Récamier ne pouvait pas, en matière si délicate, ouvrir son cœur à sa jeune nièce. […] Mais je ne crois pas que vous passiez la première ; dans tous les cas, il me paraît impossible que je vous survive ! 

1857. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

Je ne crus bien moi-même à la réalité des motifs de mon enthousiasme qu’en le voyant répercuté dans le cœur d’un homme de science. […] Je crus entrevoir, réuni dans un seul poète primitif, le triple génie d’Homère, de Théocrite et du Tasse. […] » lui dit-elle. « Peux-tu te croire seul quand tu fais le mal ? […] » (La jeune fille, qui se croit inaperçue, fait desserrer par sa compagne le tissu d’écorce qui gêne sa respiration.) […] « Croyez-vous donc être aimé ? 

1858. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Croyez que je forçai bien mon naturel… » Il s’attacha à réfuter par sa conduite les préventions qu’on avait formées en France contre son caractère, et il pratiqua le conseil que le roi lui avait donné en le nommant, qui était de laisser sa colère en Gascogne. […] Il tâchait de le faire accroire aux Siennois assiégés pour leur donner patience : mais, lui, il n’en croyait rien ; il savait que le roi avait assez à faire ailleurs en cent endroits plus proches, aux frontières de son royaume, et qu’il n’enverrait si loin ni hommes ni argent. […] Il les harangue en son meilleur italien, et, dans cette occasion comme dans toute autre, il montre assez quelle importance il attache à savoir bien parler la langue des divers pays où il sert, et à joindre une certaine éloquence aux autres moyens solides : « Je crois que c’est une très belle partie à un capitaine que de bien dire. » Il remonte donc par ses paroles le moral ébranlé des Siennois, leur rend toute confiance, et l’on se promet, citoyens d’une part, colonels et capitaines de l’autre, de ne point séparer sa cause et de combattre jusqu’à la mort pour sauver la souveraineté, l’honneur et la liberté. La petite exhortation que, dans ses mémoires, Montluc adresse ensuite, selon son usage, aux gouverneurs et capitaines qui le liront, est piquante de verve et brillante de belle humeur ; il ne veut point qu’ils cherchent des prétextes autour d’eux, qu’ils se déchargent de leur reddition sur les bourgeois qui les y ont forcés, ou sur leurs soldats qui étaient à bout de combattre : Ce ne sont qu’excuses, ce ne sont qu’excuses, croyez-moi : ce qui vous force, c’est votre peu d’expérience. […] Il a là-dessus des principes qu’on doit trouver admirables et qui s’appliquent bien à tout ordre de travaux et de services où l’honneur est le prix : c’est de ne jamais se reposer sur ce qu’on a fait, de ne pas se contenter, sous prétexte qu’on a sa réputation établie, et que, quoi qu’on fasse désormais ou qu’on ne fasse pas, on sera toujours estimé vaillant : N’en croyez rien, s’écrie-t-il, car d’heure à autre les gens jeunes deviennent grands, et ont le feu à la tête, et combattent comme enragés ; et comme ils verront que vous ne faites rien qui vaille, ils diront que l’on vous a donné ce titre de vaillant injustement… Si vous désirez monter au bout de l’échelle d’honneur, ne vous arrêtez pas au milieu, ains, degré par degré, tâchez à gagner le bout, sans penser que votre renom durera tel que vous l’avez acquis : vous vous trompez, quelque nouveau venu le vous emportera, si vous ne le gardez bien et ne tâchez à faire de mieux en mieux.

1859. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

C’est ainsi que nous contribuons au salut les uns des autres… Ne croyez pas qu’il suffise d’être pauvre et souffrant pour être sauvé ; il faut supporter patiemment cet état pour l’amour de Dieu. […] Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées : il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée… Il faut encore défaire nos filles de ce tour d’esprit railleur que je leur ai donné, et que je connais présentement très opposé à la simplicité ; c’est un raffinement de l’orgueil qui dit par ce tour de raillerie ce qu’il n’oserait dire sérieusement… Et elle ajoute par un aveu vrai et qui n’a rien d’une fausse humilité : « Que vos filles ne se croient pas mal avec moi, cela ne ferait que les affliger et les décourager ; en vérité, ce n’est point elles qui ont tort. » À partir de ce moment, on entre dans un second effort plus obscur, moins attrayant, et qui même, dans le détail un peu abstrait où nous le voyons de loin, peut sembler décidément austère ; mais Mme de Maintenon, à la bien juger, y paraît de plus en plus méritante et digne de respect et d’estime. L’austérité, au reste, y est plutôt pour les maîtresses dont la vie se passe dans la vigilance, dans les précautions continuelles, et qui deviennent dès lors de vraies religieuses régulières par la solennité et la perpétuité des vœux : quant aux élèves et demoiselles, lors même qu’elles ont été guéries ou préservées, dans ce second et plus sûr régime, des dissipations d’esprit et des goûts d’émancipation trop mondaine, Mme de Maintenon a toujours lieu de dire : « Je ne crois pourtant pas qu’il y ait de jeunesse ensemble qui se divertisse plus que la nôtre, ni d’éducation plus gaie. » Les craintes qu’avait fait naître à un moment l’invasion du bel esprit étant passées, et le correctif ayant réussi, on revint à Saint-Cyr à une voie moyenne, et où le bon langage eut sa part d’attention et de culture. […] Fagon de ce qu’il parle de médecine d’une manière si simple et si intelligible qu’on croit voir les choses qu’il explique : un médecin de village veut parler grec. » Dans le texte actuel des lettres de Mme de Maintenon telles que nous les possédons enfin, sans les altérations de La Beaumelle, il nous est permis, à notre tour, de juger avec plus d’assurance de sa façon de dire et d’écrire. […] je le croirais volontiers ; mais ne serait-ce point aussi chez elle un peu de nature qui manque, un peu de tendresse qu’on voudrait dans cette raison, et sans prétendre certes diminuer en rien le christianisme qui la règle et l’accompagne ?

1860. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

Il y en a qui sont allés jusqu’aux Orientales et pas au-delà ; il y en a qui sont allés jusqu’aux Feuilles d’automne et qui croient encore que ç’a été là sa plus pleine et sa plus belle saison. […] Dans les discussions des bons jours, dans ces conversations toutes littéraires et habituellement si mûries qui animent les séances intérieures, combien de fois n’ai-je pas eu à m’instruire là où je me croyais sur mon terrain et le mieux préparé ! […] Il imagine un cosmos plus clair et plus à la française que celui de M. de Humboldt : « Donnez ce livre à un poète, dit-il, à un homme familiarisé avec les ressources du langage, avec la valeur des mots, avec la science des effets, et il vous fera trois volumes plus amusants que tous les romans, plus intéressants que toutes les chroniques, plus instructifs que toutes les encyclopédies. » Cet agréable idéal que M. du Camp réclame, je crois voir qu’un de nos savants des plus lettrés, M.  […] Cela s’appelle, je crois, du réalisme. […] — En résumé, à lire les vers et même la prose de M. du Camp, que je n’ai pas l’honneur de connaître, je me dis : Ce doit être une nature forte, franche, un peu rude et dure de fibre, un peu crue, courageuse, véhémente, violente même, mais qui croit avoir plus de haine quelle n’en a, car elle est généreuse ; une nature plus robuste que délicate.

1861. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Je n’en sais rien, mais je croirais aisément que Fanny a dû être conçue et écrite par manière de gageure comme Adolphe, c’est-à-dire « pour convaincre deux ou trois amis incrédules de la possibilité de donner une sorte d’intérêt à un roman dont les personnages se réduiraient à deux, et dont la situation serait toujours la même ». […] D’ordinaire elle est dans celui qui a le droit de se croire trompé, dans le mari : ici elle est dans l’amant. […] La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie chez Roger, ses soupçons tantôt irrités, tantôt assoupis, et que le moindre mot réveille, son horreur du partage, l’exaspération où il s’emporte à cette seule idée, tous ces degrés d’inquiétude et de torture jusqu’à la fatale et horrible scène où il a voulu n’en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d’expression, qui ne craint pas d’étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n’en déplaise à ceux qui n’admettent qu’une manière d’écrire, une fois trouvée) a certainement sa forme à lui et son style. […] Quelques autres prétendent que le cas de Roger est trop singulier et trop poussé à bout pour être tout à fait vrai, que l’impitoyable rigueur logique avec laquelle procède sa passion est plus logique que la vérité même, ou du moins que la vraisemblance en pareil cas ; que cette impression se prononce surtout en avançant, et qu’on y croit sentir un parti pris ; que ce n’est que quand on invente que l’on est tenté ainsi d’exagérer, et que tout s’expliquerait pour la critique s’il n’y avait de tout à fait observés que les trois quarts de l’histoire de Roger, le reste étant inventé et composé. […] On ne croyait avoir en lui qu’un antiquaire pittoresque, et c’est un romancier de plus.

1862. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Qu’il y ait eu un peu de faiblesse physique, de la mauvaise santé dans cette disposition à se méfier de soi-même, je le crois ; mais il y a autre chose encore ; on est obligé d’y voir un trait essentiel de son caractère qui reparaîtra en toute occasion décisive de sa vie, et que Saint-Cyr nous a révélée s’accusant et redoublant avec une persistance étrange dans la nuit de perplexité qui précéda la glorieuse mort du jeune général. […] Cependant il faut servir… Entre Arcole et Rivoli (toujours dans ses lettres à son père) : Vous ne me croyez occupé que de gloire : vous vous trompez ô mon père ; je ne soupire qu’après le repos. […] Ce qui ne veut pas dire au moins, en prenant pour vrai le signe inverse, qu’il suffit de ne douter de rien et de se croire propre à tout, pour être en réalité capable de tout. […] Je l’ai vu en passant à Sospello, une amie le soignait ; et comme tout le monde longtemps m’avait cru mort, il avait, dans ses douleurs souvent parlé de moi et souvent envié mon sort. […] Il croit que puisque je vis, il ne mourra pas.

1863. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Il est donc convenu que, pour aujourd’hui, on m’accorde d’entrer dans quelques détails touchant la marche et la méthode que j’ai cru la meilleure à suivre dans l’examen des livres et des talents. […] Un jour viendra, que je crois avoir entrevu dans le cours de mes observations, un jour où la science sera constituée, où les grandes familles d’esprits et leurs principales divisions seront déterminées et connues. […] Par moments je croyais revoir en elles l’enthousiasme, la chaleur d’âme, quelques-unes des qualités paternelles premières à l’état pur et intègre, et, pour ainsi dire, conservées dans de la vertu6. […] Et le héros grec Diomède, parlant d’Énée dans Virgile, et voulant donner de lui une haute idée : « Croyez-en, dit-il, celui qui s’est mesuré avec lui !  […] Chateaubriand s’est défini un jour à mes yeux « un épicurien, qui avait l’imagination catholique », et je ne crois pas m’être trompé.

1864. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

. — « Oui, dit Gœthe, vous pouvez me croire ; je l’ai de nouveau étudié, et je suis toujours forcé de lui accorder davantage. » La nature de Gœthe était la plus opposée possible à cet étroit sentiment de rivalité et de jalousie qu’on lui prête. […] Les bonnes gens croient que l’auteur de ces Mémoires veut leur altérer leur Mirabeau, en révélant le secret de son activité surhumaine, et en revendiquant pour d’autres personnes une part des mérites que jusqu’à présent a absorbés exclusivement le nom de Mirabeau. […] Lisant une des histoires quelconques de Napoléon qu’on publiait alors, il fait cette remarque, si justifiée depuis : « Le héros n’en est pas diminué ; au contraire, il grandit à mesure qu’il devient plus vrai. » Il essaye de lire Bourrienne, et le livre bientôt lui tombe des mains : « Cela », dit-il, « tiraille des brins à la frange et aux broderies du manteau impérial, déposé d’hier, et cela croit par là devenir quelque chose !  […] Le bon Eckermann, qui avait peur que la conversation ne changeât de cours, essaya de la ramener en disant : « Je crois cependant que c’est surtout quand Napoléon était jeune, et tant que sa force grandissait, qu’il a joui de cette perpétuelle illumination intérieure : alors une protection divine semblait veiller sur lui ; à son coté restait fidèlement la fortune ; mais plus tard… —  Que voulez-vous ? […] Hetzel, la pensée de Gœthe, par suite des coupures, semble plus concise, plus taillée : elle est ramenée à ce qu’on croit devoir être le style d’un livre.

1865. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Il a cru devoir insister sur cette guerre atroce, que quelques-uns avaient qualifiée d’inexpiable, et il en a tiré une leçon politique sur les dangers qu’il y a pour un État à se servir de troupes étrangères, surtout quand elles sont comme celles-ci, confuses et ramassées de toutes parts. […] On pourrait croire que les raffinements de cruauté qui s’y exercèrent l’ont tenté, et qu’il y a vu une suite de scènes appétissantes pour un pinceau que la réalité, quelle qu’elle soit, attire, mais qui, tout en cherchant, en poursuivant partout le vrai, paraît l’aimer surtout et le choyer s’il le rencontre affreux et dur. […] Flaubert, voyageur en Orient, en Syrie, en Egypte et dans le nord de l’Afrique, a cru pouvoir, à l’aide du paysage où il sait si bien lire, à l’aide des mœurs et des physionomies de race plus persistantes là qu’ailleurs, et moyennant des inductions applicables aux peuples de même souche et aux civilisations de même origine, rapprocher et grouper dans un même cadre une masse de faits, de notions, de conjectures, et il s’est flatté d’animer cet ensemble qu’il appellerait Carthage, de manière à nous intéresser en même temps qu’à nous initier à la vie punique si évanouie, et qui n’a laissé d’elle-même aucun témoignage direct. Je crois avoir défini la tâche qu’il s’est proposée, dans tout ce qu’elle a de complexe et d’horriblement difficile. […] en nous développant et en nous peignant à plaisir des personnages et des mœurs si étranges, si semblables de tout point à des monstruosités, à force de s’y enfermer et d’y vivre, il croira n’être que vrai, réel, et ne faire que reproduire une image exacte ou équivalente de ce qui se passait ou qui existait en effet.

1866. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

mais Eugénie surtout l’a séduit, l’a enlevé, pauvre savant solitaire, comme ces nobles figures idéales, ces apparitions de vierges et de saintes qui se révélaient dans une vision manifeste à leurs fervents serviteurs ; il l’a aimée, il l’a adorée, il a poursuivi avec une passion obstinée et persévérante les moindres vestiges, les moindres reliques qu’elle avait laissées d’elle : il les a arrachées aux jaloux, aux indifférents, aux timides ; il a copié et recopié de sa main religieusement, comme si c’étaient d’antiques manuscrits, ces pages rapides, décousues, envolées au hasard, parfois illisibles, et qui n’étaient pas faites pour l’impression, il les a rendues nettes et claires pour tous : le jour l’a souvent surpris près de sa lampe, appliqué qu’il était à cette tâche de dévouement et de tendresse pour une personne qu’il n’a jamais vue ; et si l’on oublie aujourd’hui son nom, si quand on couronne publiquement sa sainte44, il n’est pas même remercié ni mentionné, il ne s’en étonne pas, il ne s’en plaint pas, car il est de ceux qui croient à l’invisible, et il sait que les meilleurs de cet âge de foi dont il a pénétré les grandeurs mystiques et les ravissements n’ont pas légué leur nom et ont enterré leur peine : heureux d’espérer habiter un jour dans la gloire immense et d’être un des innombrables yeux de cet aigle mystique dont Dante a parlé ! […] Eugénie, plus âgée que Louise, l’aime beaucoup, l’aime comme une jeune sœur, la croit par moments un peu inégale en amitié, ne cesse pourtant de la chérir, et doucement, la voyant si légère avec sa couronne de seize ans, la sermonne un peu jusqu’à ce que Louise, à son tour, finisse par devenir elle-même sérieuse, posée, recueillie, et se laisse entrevoir à nous dans un coin du salon lisant par goût du saint Jérôme. […] Je commence à craindre que l’hiver n’ait glacé Rayssac ; j’accusais les charbonniers, Gosse (probablement le domestique), tout, hormis vous ; et maintenant je ne sais que croire. […] Écrivant à la baronne de Maistre, son amie de Paris, qui sera sa confidente passionnée comme Louise est sa correspondante virginale et innocente, elle lui dira après toutes ses douleurs épuisées et quand le calice est bu : « Je ne sais rien qui me fasse plaisir ; le cœur est mort, mais de votre côté il y a des cordes vives et je dirais vibrantes, si j’étais Sophie l’aimable, la trop bien disante. » Ainsi elle croit avoir besoin, pour risquer une expression qui nous paraît si simple, de se couvrir de l’autorité d’une amie. […] « Chaque plante tient du sol, chaque fleur tient de son vase, chaque homme de son pays. » Qui le croirait ?

1867. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Il me plaît donc de croire que la plupart des érudits ont, au fond, l’âme bonne. […] Sans doute le seul plaisir de l’enquête expliquerait en grande partie le courage de l’érudit ; mais il y a, je crois, autre chose. […] L’univers n’a peut-être aucun but ; mais, s’il en a un, on peut croire que c’est d’être connu de l’homme, de se réfléchir enfin entièrement et exactement dans l’homme. […] Nous connaissons plus de choses que les hommes des trois derniers siècles ; nous savons mieux qu’eux nous représenter des états d’esprit et de conscience différents du nôtre ; l’étude de l’histoire, la multiplicité des expériences faites avant nous, le cours du temps, même la vieillesse de la race, un certain affaiblissement des caractères et de la faculté de croire et d’agir, tout cela a développé chez nous la curiosité et l’imagination sympathique. […] — Les hommes de la première moitié de ce siècle croyaient à une mission providentielle de la France dans le monde, comme les hommes du temps des croisades.

1868. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Au second acte, Arlequin rentre avec Diamantine ; tous les deux respirent une odeur qui les surprend, quand le rôtisseur arrive, demande à Arlequin s’il est content du dîner qu’il a mangé ; Arlequin croit qu’on lui parle de celui que son ami lui a donné, il en fait l’éloge. […] Diamantine croit que son mari l’a obligée d’aller chez sa mère pour être plus libre et régaler des femmes. […] Arlequin est fort surpris de trouver deux instruments au lieu d’un : “Comment diable, dit-il, je crois que ma guitare est accouchée !” […] Il feint de croire que la charité seule le guide vers la belle dormeuse et veut pousser très loin ses soins charitables, quand son élève arrive. […] Si nous en croyons le biographe de Scaramouche, Angelo Costantini, Scaramouche ne craignait pas de faire allusion à ce rôle scandaleux en parlant à la reine mère : « Voilà, Madame, trois coups mortels pour le pauvre Scaramouche, et il faut que je sois assez malheureux pour être marié ; car, sans cela, dans le chagrin où je suis, je m’irais confiner dans un ermitage pour le reste de mes jours.

1869. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Je crois que nous sommes beaucoup à avoir senti un petit frisson triste quand un bref et indifférent écho nous annonça la mort du poète. […] Sans doute les jeunes gens affichent des snobismes diversement écœurants, mais je crois sincère leur goût de Verlaine. […] Les uns, ne comprenant pas, croient l’objet obscur, et « font obscur ». […] l’on vous a dit qu’autrefois j’ai composé des vers, des livres riches et rares, qu’on ne trouve plus aux bibliothèques, N’en croyez rien. […] Et personne mieux que Leconte de Lisle ne fut « le bon poète », comme le définissait, je crois, Racine : « un bon père de famille qui fait de beaux vers ».

1870. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

S’il faut en croire un récit, le grand-prêtre alors l’aurait adjuré de dire s’il était le Messie ; Jésus l’aurait confessé et aurait proclamé devant l’assemblée la prochaine venue de son règne céleste 1107. […] S’il faut en croire Jean, il aurait avoué sa royauté, mais prononcé en même temps cette profonde parole : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Puis il aurait expliqué la nature de sa royauté, se résumant tout entière dans la possession et la proclamation de la vérité. […] Pilate se crut obligé de faire quelque concession ; mais hésitant encore à répandre le sang pour satisfaire des gens qu’il détestait, il voulut tourner la chose en comédie. […] Peut-être Pilate voulut-il laisser croire que cette condamnation était déjà prononcée, tout en espérant que le préliminaire, suffirait. […] Pilate avait-il cru par cette parade mettre sa responsabilité à couvert ?

1871. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Peut-être faut-il croire que, si nous éprouvons un si tyrannique appétit de changement, c’est que tout change à tout instant en nous et autour de nous. […] Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile, Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir, Ils croyaient échapper à cet être immobile Qui regarde mourir. […] L’anarchie débridée conduit au despotisme cru ; le naturalisme, tombé dans la platitude et la vulgarité, fait surgir les rêveries mystiques du symbolisme et de l’occultisme. […] Je crois qu’on peut ramener ce double phénomène à quelque chose de plus simple encore. Je crois qu’en somme la loi d’alternance suffit à expliquer comment il se fait qu’une époque soit toujours contredite et continuée par celle qui la suit.

1872. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

On a ensuite comparé le poids du cerveau dans les deux sexes, et l’on a cru trouver que les femmes ont en général la cervelle plus légère que les hommes, ce qui s’explique, disent les peu galants physiologistes, par l’infériorité de leur culture intellectuelle. […] La race blanche ou caucasique est supérieure à la race mongole ; au moins elle le croit, et elle est en train de le lui prouver. […] Couerbe, qui avait cru trouver en effet dans le phosphore le principe excitateur du système nerveux. […] Ici certains anatomistes se sont crus obligés, pour sauver la dignité et la supériorité de l’espèce humaine, de trouver dans le cerveau de l’homme des caractères particuliers et significatifs qui manqueraient au cerveau du singe. […] Lélut croit qu’il a été mal pesé.

1873. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

 » L’adulateur moderne qui renouvelait ce souvenir pour l’inexorable cardinal, ajoutait : « Aux paroles de ces hommes obscurs, proférées sans contrainte et sans flatterie, César fut si touché que, par comparaison, il comptait pour peu les plus honorifiques décrets du sénat, les noms inscrits des nations subjuguées, les trophées qu’on lui élevait et ses propres triomphes. » On le croira sans peine : le pouvoir d’Octave était fondé sur la réalité de la dictature et l’apparence de la démocratie. […] On peut croire cependant que pareil hommage ne s’était pas fréquemment renouvelé pour Auguste : car l’empereur, alors vieux et malade, en parut charmé et voulut récompenser un si bon exemple. […] Il le croit consul, sur la foi de César Auguste, le fondateur ou le restaurateur de tous les temples, qui, dans sa visite du temple de Jupiter Férétrius, dont il releva la ruine amenée par le temps, avait lu ce nom, disait-il, sur la cuirasse de lin formant partie du trophée élevé par le vainqueur : « Je me serais cru presque sacrilège187 », s’écrie l’historien flatteur, « de ne point laisser à Cossus, en preuve de ses glorieuses dépouilles, l’attestation de César, le fondateur du temple même. » De tels souvenirs, un tel langage, suffisent à nous montrer quel prestige de grandeur et de respect public pouvait encore, dans les mœurs romaines, s’attacher au zèle affecté d’Auguste pour effacer une des traces de la violence et de l’incurie destructive reprochées à la guerre civile. […] Je veux le croire ; mais il faut convenir que bien vite, des pieuses actions de grâce de Livie et d’Octavie, il descend à la chanteuse Néère et à son portier.

1874. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rambosson, Yvanhoé (1872-1943) »

Rambosson est très personnel ; je crois même qu’il a trouvé une nouvelle forme musicale du verbe. […] Rambosson n’ait pas cru devoir nous présenter ses poèmes dans l’apparente incohérence de leur chronologie ; il a préféré les motiver par des sous-titres qualificatifs : Dans le Bruit du Vent ; Ritournelles de More, d’Âme d’Orgueil, d’Âme légendaire, etc.

1875. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

) ils ne croient pas. […] On le croit la tendresse même : un procédé amical lui mouille les yeux. […] On croit alors une puissance surexaltée. […] L’infortuné se croit toujours à la veille des magnifiques énergies. […] Il s’étonnait qu’on le jugeât « immoral » et ne se croyait qu’humain.

1876. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

lui dit mon ami, je croyais qu’on t’avait fait disparaître. […] On a soutenu, je crois, que sous Périclès les Athéniennes étaient laides. […] On eut pu les croire du cru, mais c’étaient des fourreurs de Paris, qui s’en donnait à cœur joie. […] Ne croyez pas que je le désapprouve. […] Crois-tu que l’artiste est impie, qui osa représenter la déesse toute nue ?

1877. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

Ce n’est pas, comme on le croit, une faculté spéciale donnée seulement à quelques privilégiés. […] C’est une erreur du comte Tolstoï de croire le contraire. […] siècle en vue de ressusciter ce qu’on croyait être le drame musical des Grecs. […] Je dis : affecte, car, vraiment, je ne puis croire que l’auteur russe ignore à ce point les Eddas ! […] Son aversion tourne, malgré lui, à l’avantage de celui qu’il croyait critiquer.

1878. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

On les croirait incohérentes. […] On le croit. […] Croyons-nous voir ce que nous ne faisons qu’imaginer, croyons-nous imaginer ce que nous percevons vraiment ? […] A rien je crois. […] Je crois que c’était là une méprise.

1879. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

A le prendre cependant partout où je puis l’atteindre, je crois pouvoir indiquer sans trop de tâtonnements son genre de mérite, ses qualités et tout à la fois ses faiblesses, — son faible du moins, — ses gentillesses d’esprit, sa supériorité, là où elle existe, et aussi ce que lui-même appelait sa médiocrité. […] Colincamp : « Vous vous trompez, répond-il aux amis qui s’obstinent à le croire capable de mieux, je fais ce que tout le monde devrait faire, je ne m’abuse pas sur moi-même. […] Les auteurs chez qui le style et la langue sont admirables, je les aime, je les lis, je les relis avec enthousiasme, je tâche d’entrer dans le sanctuaire de leur pensée et d’en concevoir toutes les beautés ; mais je ne les éditerai jamais, parce que je ne me crois pas assez de pénétration ni assez de science pour suffire à une telle entreprise. […] J’ai causé avec plusieurs de ceux qui le connaissaient mieux que moi : le nombre n’est pas très-grand, croyez-le bien, de ceux-là qu’il avait admis à son intimité ; je ne sais s’il en est jusqu’à trois que je pourrais nommer, et tel qui s’en vante aujourd’hui n’en était pas. […] … » On croit entendre un personnage de Térence, transportant et appliquant à un cas moderne cette morale délicate à la fois et indulgente. — Je continue ce portrait tout composé de traits à bâtons rompus, et qui rentre assez dans le genre du modèle.

1880. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

J’insiste sur ce point parce que beaucoup de gens qui s’élèvent contre le système de la fatalité historique ont cru y voir la ruine de tout sentiment moral. […] Montesquieu, sans aller jusqu’au sens mystique, croyait également à des lois dans l’histoire ; tous les esprits supérieurs les aiment au point de les créer plutôt que de s’en passer. […] Que pourtant cette habileté de Louis XIV, comme politique, fût de première portée et de la plus grande volée, je ne le croirai pas, même après ces solides témoignages : elle se bornait trop à l’objet de son ambition présente et n’envisageait pas assez le lendemain. […] J’avoue (et j’en demande pardon à la philosophie de l’histoire) que tout cela fait bien rêver ; on arrive, après cette lecture, à croire sans trop de peine, et presque comme si l’on avait été ministre dans le bon temps, que tous les grands politiques ont été plus ou moins de grands dissimulateurs, pour ne pas dire un autre mot. […] Antonio Perez, jeté en prison, retenu captif durant onze années, traité avec des alternatives de ménagement et de rigueur, selon ce qu’on craignit ou qu’on espéra de ses aveux ; puis, quand on le crut dessaisi de tous papiers et de tous gages, livré à la justice secrète de Castille, poursuivi pour un acte dans lequel il n’avait été que l’exécuteur d’un ordre royal, mis à la torture, Perez parvint, à force d’adresse, et par le dévouement de sa femme 81, à s’échapper en Aragon ; et là, devant un libre tribunal, le duel s’engagea à la face du soleil, entre le sujet sacrifié et le monarque.

1881. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

La philosophie péripatéticienne, qu’il avait apprise chez les jésuites de Toulouse, ne le retient pas le moins du monde en présence du système de Descartes auquel il s’applique ; mais ne croyez pas qu’il s’y livre. […] Je ne le crois pas. […] L’excellent Bayle n’a, je crois, jamais fait un vers français en sa jeunesse, de même qu’il n’a jamais rêvé aux champs, ce qui n’était guère de son temps encore, ou qu’il n’a jamais été amoureux, passionnément amoureux d’une femme, ce qui est davantage de tous les temps. […] La façon dont Bayle était religieux (et nous croyons qu’il l’était à un certain degré) cadrait à merveille avec le génie critique qu’il avait en partage. […] Sayous l’a cru.)

1882. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

En effet, on le croyait raisonnable et même bon par essence  Raisonnable, c’est-à-dire capable de donner son assentiment à un principe clair, de suivre la filière des raisonnements ultérieurs, d’entendre et d’accepter la conclusion finale, pour en tirer soi-même à l’occasion les conséquences variées qu’elle renferme : tel est l’homme ordinaire aux yeux des écrivains du temps : c’est qu’ils le jugent d’après eux-mêmes. […] Il s’assoupit, à moins que la voix vibrante ne réveille en lui par contagion les instincts de la chair et du sang, les convoitises personnelles, les sourdes inimitiés qui, contenues par une discipline extérieure, sont toujours prêtes à se débrider. — Chez le demi-lettré, même chez l’homme qui se croit cultivé et lit les journaux, presque toujours les principes sont des hôtes disproportionnés ; ils dépassent sa compréhension ; en vain il récite ses dogmes ; il n’en peut mesurer la portée, il n’en saisit pas les limites, il en oublie les restrictions, il en fausse les applications. Ce sont des composés de laboratoire qui restent inoffensifs dans le cabinet et sous la main du chimiste, mais qui deviennent terribles dans la rue et sous les pieds du passant. — On ne s’en apercevra que trop bien tout à l’heure, quand les explosions iront se propageant sur tous les points du territoire, quand, au nom de la souveraineté du peuple, chaque commune, chaque attroupement se croira la nation et agira en conséquence, quand la raison, aux mains de ses nouveaux interprètes, instituera à demeure l’émeute dans les rues et la jacquerie dans les champs. […] Nous supposons qu’elles sont apaisées, amorties ; nous voulons croire que la discipline imposée leur est devenue naturelle, et qu’à force de couler entre des digues elles ont pris l’habitude de rester dans leur lit. […] Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir »  Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller la sincérité. « Si quelqu’un, après avoir reconnu publiquement ces mêmes dogmes, se conduit comme ne les croyant pas, qu’il soit puni de mort ; il a commis le plus grand des crimes : il a menti devant les lois. » — Je le disais bien, nous sommes au couvent.

1883. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

On s’aperçoit alors que cette pensée est singulièrement moins étroite et moins choquante qu’on ne croyait, et que l’Art poétique n’a pas été écrit précisément pour susciter l’abbé Delille ou M. de Jouy. […] Précieux et galants, emphatiques et bouffons, il n’en était pas un qui se servit de ses yeux pour voir, et de sa bouche pour traduire la sensation de ses yeux : c’était trop vulgaire, et ce n’était pas la peine d’avoir de l’esprit — ou de s’en croire — pour faire un si plat métier. […] On s’est avisé parfois de croire que Boileau enfermait la littérature dans l’éternelle redite des mêmes lieux communs ; et c’est bien ainsi que les classiques dégénérés du dernier siècle ont interprété sa théorie par leur pratique. […] Et peut-être cela ne lui est-il pas aussi impossible qu’on pourrait croire. […] En second lieu, à croire qu’on retrouve la nature toujours la même dans les œuvres des anciens et dans l’expérience actuelle, qu’elle s’offre partout et toujours la même à la sensation et à l’imitation, on aboutit aisément au mépris et à la négation de l’histoire.

1884. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Quant à sa langue, je ne sais si elle est aussi personnelle qu’on le croit : Montaigne a inventé moins qu’on ne l’a dit et dans son vocabulaire et dans sa syntaxe. […] On peut même soupçonner qu’il prend grand plaisir à l’enfler, et regarde au nombre plus qu’au choix : témoin ces amours d’un éléphant et d’une bouquetière en la ville d’Alexandrie, dont il nous fait part gravement, et je ne sais combien d’autres sottises, auxquelles il se donne l’air de croire. […] Soyons libres aussi à l’égard de toutes les formes de la vie sociale : ne croyons pas le bien et la vérité attachés à ces formes politiques ou religieuses, d’une croyance trop passionnée qui nous arrache à nous-mêmes et nous donne aux objets de notre fantaisie. […] Il en veut aux réformés, il taxe leur orgueil, d’avoir cru tenir la vérité, il les reprend de ne pas avoir paisiblement réglé leur croyance sur la coutume, en une matière où nul ne sait rien certainement, d’avoir troublé le monde pour une idée de leur cervelle : mais il n’excuse pas les catholiques de les égorger. […] Il croit à la conscience, et à la raison, tellement qu’il s’en sert pour condamner la nature, ou la rectifier.

1885. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Voltaire se laissait aller à croire qu’il était à sa place naturelle dans le monde aristocratique où l’on accueillait son esprit : il devenait familier, impertinent. […] Il prit son parti de trouver chez Frédéric moins de philosophie généreuse et plus d’activité intéressée qu’il n’avait cru et chanté : il se décida à rire du démenti violent que l’invasion de la Silésie donnait à la réfutation de Machiavel. […] Qui le croirait ?  […] Mais l’art n’est pas tout pour Voltaire, il ne croit pas que tout aille bien, parce que quelques beaux vers ont été écrits. […] Cependant il croit au progrès ; il aime la civilisation : la marche inégale, hésitante, de l’humanité sera le résultat de deux contraires, l’ignorance superstitieuse, fanatique, stupide, et la raison éclairée, bienfaisante.

1886. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Je crois pourtant qu’il y a là moins les effets d’un assidu travail que l’expansion naturelle de généreux dons lyriques. […] C’est là, je le crois, un legs de cette littérature latine qu’une parenté de langage nous imposa trop longtemps. […] Et nous sentons pourtant, oui, on commence je crois à le sentir, quelle force inconnue naîtrait de ce magique baiser, quel courant réciproque de nos yeux à la terre et de la terre jusqu’à nos lèvres ! […] Fernand Severin, arrivé des bords de la Meuse se fixer à Bruxelles, y modula des vers d’une enchanteresse candeur ; mais il croyait de bonne foi écrire des poèmes « malades » en composant le Lys. […] Mais il n’a pas je crois abandonné l’armure sans la regarder à loisir ; il en a considéré les justes proportions, il a compté les gemmes incrustées et je sais fort bien qu’il en a détaché une sombre et radieuse améthyste pour parer sa mélancolie.

1887. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Ils ne devinent pas le secret, ils n’y essayent même pas ; il leur suffit de se croire de ceux auxquels on donne de ces secrets-là à deviner. […] Les Considérations me laisseraient croire que je n’ai point à m’aider pour être bien gouverné, et que ceux qui gouvernent m’ont pris ma place. […] Je croirais plutôt qu’il a pris plus de peine pour manquer de méthode que pour en avoir. […] J’en crois sa déclaration : « Il n’a pas naturellement l’esprit désapprobateur. […] Les autres en furent d’autant plus piqués qu’ils la croyaient plus sincère.

1888. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Tout ce qu’on nous explique, nous croyons le comprendre, et nous ne sommes pas loin de nous imaginer que les seules choses dont on puisse bien juger sans études, c’est la société et l’État. […] Qui sait s’il ne croyait pas faire honneur à Bossuet ? […] On est surpris de s’amuser où l’on croyait s’instruire, et l’on est près de se reprocher son amusement comme un plaisir pris hors de saison, dont on est médiocrement obligé à celui qui vous le donne. […] « Il m’est venu un bien grand souci, écrivait saint Augustin à un personnage puissant, c’est que Ta Sublimité croie devoir infliger à ces coupables la rigueur de la loi du talion. […] Où la philosophie croyait être arrivée par les seules forces de la raison, une tradition entrée dans le monde avec l’Évangile l’y avait amenée sans qu’elle s’en doutât.

1889. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Tout annonce qu’il s’y distingua, et l’on croira sans peine qu’en appréciant la précocité de son talent, ses maîtres eurent de bonne heure à reconnaître le tour peu maniable de son caractère. […] Il méprisait l’homme, ce « vil roi de l’univers » ; il le croyait sot, destiné de tout temps à toutes les sottises, et il jouissait de le lui dire en face ; il prenait plaisir à salir le genre humain, à la veille de le vouloir régénérer. […] Ce prochain démagogue fait un aveu peu propre à encourager : « Le peuple est un éternel enfant. » Et rien n’empêche chez lui de croire l’aveu sincère. […] Il s’étend longuement et déclame contre l’échafaud, les bourreaux, les supplices ; il y a des moments où, à l’entendre épancher ses vœux d’optimisme et d’indulgence, on croirait avoir affaire à un de Gérando. […] L’esprit de l’homme est si faible, si imitateur, si enclin aux contagions, que l’exemple de Saint-Just, le croirait-on ?

1890. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

« Ce ne sont là que des aperçus ; ils ont leur vraisemblance, et je ne les crois pas dénués de vérité. […] Nous aimons mieux croire que vérifier : c’est plus satisfaisant pour notre bon sens et plus commode pour notre paresse. […] Croit-on par hasard que les masses achèteront de préférence les livres les plus moraux et les plus instructifs ? C’est supposer faite l’œuvre qu’il s’agit de faire : c’est croire les masses morales et instruites. […] Nul n’est contraint de les croire, sinon par l’évidence : le seul châtiment de l’incrédulité, c’est l’ignorance et ses suites.

1891. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IX. Eugénie de Guérin »

Si l’on en croit les conteurs et les poëtes, les fées sont indifféremment vieilles et jeunes, parce qu’elles sont fées, et Mlle de Guérin, qui était de cette race merveilleuse, ne pouvait rien perdre à vieillir. […] Les petits séducteurs du xixe  siècle, qui se croient les aides de camp du Démon, ne savent pas ce que serait en attrait irrésistible, cette combinaison à vaincre le monde, d’un grand poëte doublé d’un saint. […] Gardons-nous de le croire et de mettre des bornes au ciel. » Cette bonne pensée, sous une forme grande, ne révèle pas seulement une large intelligence chrétienne, mais tout Mlle Eugénie poëte et dévote (nous n’avons pas peur de ce mot et nous ne demandons pas excuse pour ce qu’il exprime), Mlle Eugénie n’est ni une ascète de religion, ni une ascète de poésie. […] Les médecins, qui parlent de la puissance du soleil quand ils ne croient plus à la leur, l’envoyèrent réchauffer ses derniers frissons dans le Languedoc et mourir où il était né. […] « Je crois bien qu’elle vit venir la mort, — a écrit Mlle Marie, sa sœur, — mais elle n’en parlait pas : elle aurait craint de nous faire mal.

1892. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Les feuilletonistes ont, presque tous, un sens exact du mouvement dramatique ; une science de l’horrible et du terrifiant ; une adresse à démêler les écheveaux ; une habileté à laisser pour morts, sur le champ de bataille de l’action, des héros qui ressuscitent pour de longues destinées ; un doigté dans l’usage du point de suspension ; une fidélité au type honorable des bonnes mères, des petites ouvrières laborieuses et des amours éternelles, qui ne sont pas des qualités si méprisables qu’on le croit. […] Ils ne le croyaient point indigne de leur génie. […] Il croit que l’on peut, que l’on doit s’adresser à la foule. […] Croyez bien, en outre, que si les gens du peuple perdent quelques-unes des finesses d’esprit ou de style que les lettrés goûteront, ils ne les perdront pas toutes ; qu’il y aura des qualités maîtresses, les qualités d’âme et de cœur qui ne leur échapperont pas. […] Et il y a devant nous tous, écrivains ou poètes, des millions de créatures aimantes, souffrantes, altérées de savoir et de croire, et qui demandent : « Pourquoi suis-je né ?

1893. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Et on ne saurait, je crois, imaginer un plus grand effet de poésie lyrique et tragique à la fois, que la rencontre de cette prophétesse solitaire, portant le deuil de sa famille et de son peuple, avec la foule triomphante des femmes de la maison grecque et royale, où sa présence amène la jalousie et la mort. […] Voyez l’Ajax furieux ; près du héros, dont la tristesse annonce l’égarement, ne croit-on pas entendre l’éclat joyeux d’une fête ? […] Dans l’Œdipe-Roi, ce chef-d’œuvre de Sophocle que Voltaire avait cru perfectionner, l’abaissement de la puissance, le châtiment des fautes dont elle est coupable, même sans le savoir, toute cette leçon vivante dans le drame est résumée par le chœur en axiomes sublimes. […] Mais Hermann128 a tout réfuté, en expliquant mieux des inscriptions antiques, où, dans la série des vainqueurs aux jeux d’Orchomène, on avait cru reconnaître des poëtes et des chanteurs affectés à une forme toute lyrique de drame sévère ou gai. […] Pourquoi ces discours d’un gouverneur de prince, au lieu du souvenir de cette invisible et divine maîtresse, dont l’innocent Hippolyte croit entendre la voix dans le silence des forêts ?

1894. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Je crois bien les percevoir. […] Je ne le crois pas. […] Je ne crois pas en avoir atténué la force. […] Il se croit toujours tenu de rester à son niveau. […] Je crois pourtant qu’il ne peut s’en contenter.

1895. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

« Avec qui croirais-tu que j’étais ce matin au coin du feu de la cuisine ? […] On croit aussi que ces oiseaux portent bonheur aux troupeaux. […] Aussi, quand on me disait qu’elle s’en allait mourir, je la regardais, et son air content me faisait croire qu’elle ne mourrait pas. […] « Vite, j’ai fermé le livre, et j’ai cru voir un puits sans eau. […] Crois-tu que, si je courais vers toi, une fleur sur mon chemin ou une épine au pied m’arrêtassent ?

1896. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

Quand j’entrai chez lui, son lit de mort était, pour ainsi dire, encore chaud, et il venait d’être emporté sous son pesant mausolée à Santa-Croce, dans une société de morts très supérieurs à lui : Michel-Ange, Machiavel, et, je crois, Galilée ! […] « Nous arrivâmes à Naples le second jour des fêtes de Noël : on pouvait se croire au printemps. […] Arrêté à Londres, il se croit encore amoureux d’une belle et suspecte Anglaise, amoureuse de son groom. […] Il commença par aller passer six mois à Florence, au milieu des académiciens de la Crusca ; il bégaya leur vocabulaire et il crut avoir retrouvé l’italien, comme les voyageurs qui remontent à la quatrième cataracte d’Égypte croient rapporter les sources du Nil. […] Je bénirai toujours le moment où j’y arrivai, car je m’y composai un petit cercle de six ou sept hommes doués de sens, de jugement, de goût et d’instruction, ce qu’on aura peine à croire d’un pays aussi petit.

1897. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

« Est-ce que vous croyez, monsieur Goulden, lui disais-je dans un grand trouble, qu’on prendra les boiteux ? […] Quelquefois je croyais marcher en rang, avec une quantité d’autres malheureux auxquels on criait : « En avant ! […] Tout ce bruit, tout ce mouvement me produisait un effet étrange, et je ne pouvais encore croire qu’il fallait quitter la ville. […] Mais personne ne voulait le croire ; il fallut que la tante Grédel me regardât longtemps pour dire : « Oui, c’est lui ! […] » Personne au village ne croyait que j’en reviendrais ; pourtant le bonheur de respirer l’air du pays et de revoir ceux que j’aimais me sauva.

1898. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

On pourrait le croire. […] Comment croire que la contemplation quotidienne de ces jolies choses ne donne pas des habitudes à l’esprit comme aux yeux ? […] La dernière, je crois, qui ait été édictée en France, date de 1704. […] Poètes, historiens, orateurs, philosophes avaient si bien vanté les anciens qu’on crut bon de se vêtir comme eux. […] En voyant l’Assemblée des Anciens, on eût pu croire qu’elle devait son nom à son costume.

1899. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Franchement, je ne le crois pas. […] Et je crains, si je dis d’elles ce que j’en pense, que ceux de mes lecteurs qui ignorent la langue allemande ne croient que j’exagère. […] L’inspection de ses textes m’a persuadé qu’il a travaillé consciencieusement et qu’il a cru bien faire. […] Nous ne croyons pas que l’art de faire parler la nature ait jamais été atteint de cette façon. […] Franchement, je ne le crois pas  ».

1900. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Xerxès différa l’attaque de quatre jours, ne voulant pas croire à cette folie du courage. […] Crois-tu nous humilier en comparant sa force à la nôtre ? […] S’il faut en croire Hérodote, des trois cent mille hommes de Mardonios, trois mille seuls survécurent. […] Si on ne lisait l’histoire de Sophane dans un chapitre d’Hérodote, on la croirait tirée d’un poème de l’Edda. […] Par une méprise prodigieuse, en marchant vers la conquête de la Grèce, ils croyaient illuminer l’Occident.

1901. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Par exemple, le plaisir intellectuel et artistique, pris en soi et indépendamment des organes qui se fatiguent à la longue, croit en raison directe de l’activité exercée et de son succès. […] Un goût nauséabond est désagréable en lui-même à tous les degrés, faut-il croire qu’il commence par nous donner un plaisir inconscient ? […] Toute matière organisée croit par diffusion, c’est-à-dire en absorbant et en appropriant, pour sa croissance, les matériaux nécessaires à la vie. […] Leibniz croit qu’en effet le plaisir est une « continuelle victoire » sur ces « demi-douleurs ». […] Telles sont, croyons-nous, les vraies raisons scientifiques pour lesquelles la sensibilité supérieure est libre du besoin et de la « faim », tandis que la sensibilité inférieure en est esclave.

1902. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Voici une chose grave, plus grave qu’on ne croit : le Plaisir est mort. […] Mais un trou qui a excité surtout sa curiosité et son activité de suppositions, c’est sur un plateau en haut d’une montagne de Bagnères, le Casque de Leris, je crois… Ah ! […] Et moi, je le crois bien sincèrement. […] Prévost-Paradol, est plus générale qu’il ne le croit, et il n’a, pour s’en convaincre, qu’à prendre connaissance du terrible article, publié sur l’écrivain des Débats, par M.  […] Je ne nomme pas l’auteur, parce que j’aime beaucoup son talent et sa personne, et que je crois maintenant ce double sentiment partagé par lui à mon égard.

1903. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre II. De la multiplicité des états de conscience. L’idée de durée »

Pour imaginer le nombre cinquante, par exemple, on répétera tous les nombres à partir de l’unité ; et quand on sera arrivé au cinquantième, on croira bien avoir construit ce nombre dans la durée, et dans la durée seulement. […] Et il est incontestable que, lorsque nous nous figurons les unités composantes du nombre, nous croyons penser à des indivisibles : cette croyance entre pour une forte part dans l’idée qu’on pourrait concevoir le nombre indépendamment de l’espace. […] Mais, abusés par la simplicité apparente de l’idée de temps, les philosophes qui ont essayé d’une réduction de ces deux idées ont cru pouvoir construire la représentation de l’espace avec celle de la durée. […] Non seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée. […] Nous allons voir que le verbe distinguer a deux sens, l’un qualitatif, l’autre quantitatif : ces deux sens ont été confondus, croyons-nous, par tous ceux qui ont traité des rapports du nombre avec l’espace.

1904. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

— Je ne la crois pas assurée contre ce genre d’incendie, répondit le voisin. […] — Croiriez-vous qu’il m’a lâchée ? […] Il se montre plus exigeant, il croit à son avenir, et il parvient même à y faire croire quelques autres. […] je ne le crois pas, car les labyrinthes et les bosquets sont peu fréquentés. […] Me crois-tu maintenant ? 

1905. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Il est au contraire réel, croyons-nous, avec toute autre manière de philosopher. […] Toutes trois croiront d’abord y avoir perdu quelque chose. […] L’univers est un assemblage de systèmes solaires que nous avons tout lieu de croire analogues au nôtre. […] Or, j’ai tout lieu de croire que les-autres mondes sont analogues au nôtre, que les choses s’y passent de la même manière. […] Que le jeu pur et simple des forces physiques et chimiques puisse faire cette merveille, nous avons peine à le croire.

1906. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 75-77

Othello croit sa femme infidelle, à la vue d’un mouchoir qu’on lui persuade qu’elle a donné à un de ses Rivaux ; Orosmane entre en fureur à la vue d’une Lettre écrite par Zaïre à Nérestan, qu’il croit son Rival.

1907. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Mais je crois rehausser encore le mérite de ces maîtres respectés, en disant qu’ils n’ont fait que renouer et continuer la tradition d’Aristote. […] « La tragédie est donc à l’épopée comme les vieux acteurs croient que les nouveaux sont à leur égard. […] Ce serait beaucoup exagérer que de croire qu’Aristote a confondu l’âme et le corps, comme l’ont fait plus tard de grossiers systèmes. […] Susciter de pareilles controverses n’est pas absolument, comme on pourrait le croire, un privilège du génie. […] La philosophie n’est donc point impuissante, comme le répète la théologie ; elle n’est point vaine, comme le croit la physiologie.

1908. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

Non point déesses de la mer, comme on pourrait croire, mais des sources, des fontaines, des lacs, des rivières, salutaires et douces comme les eaux qu’elles épanchent. […] Océanos, dans la mythologie primitive, ne représentait point la Mer universelle, comme son nom pourrait le faire croire. […] Le blasphème n’est point pourtant si hardi qu’on pourrait le croire. […] Nouveaux venus, vous vous croyez inaccessibles au malheur dans vos citadelles. […] Il a brisé la voûte d’or que les Olympiens prenaient pour leur dôme, il a rompu les vitres du ciel solide auquel Aristote croyait encore.

1909. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Moi qui suis resté dans ma baignoire, sans me mêler à la salle, je crois à un succès. […] Il peint l’enrôlement, où on demande à l’enrôlé d’où il est, et où on écrit son lieu de naissance, sans y croire, où on lui demande son nom, et où il donne dix fois sur cent, le nom de Weber ou de Meyer, et où on lui dit : « Non, il y en a trop, tu t’appelleras Martin ou Lafeuille » : enrôlement où l’on n’écoute pas ce que l’enrôlé raconte de sa vie antérieure. […] À dîner, Léon Daudet qui vient de quitter Drumont, nous dit qu’il se croit empoisonné par les juifs, et que depuis trois jours, où il a bu un verre d’eau dans une réunion électorale, il a été pris de vomissements et que le marquis de Morès est dans le même cas que lui. […] Et comme, le discours fini, de Barante lui demandait d’en transmettre la teneur à l’Académie, après qu’il était sorti, se tournant vers Gavarret, il jetait sur la note la plus hautainement méprisante : « Ne croit-il pas, celui-là, qu’il est permis à tout le monde de tout dire !  […] On se serait cru dans une gare de chemin de fer, où un roulement des trains, éteignait toutes les cinq minutes, la célébration du talent, du caractère, de la bonté de mon ami, par Larroumet, Hamel, Spuller.

1910. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

La Chrétienté n’avait-elle pas quelque raison de secouer le joug de ses faux pasteurs, qui semblaient croire que tous les abus, tous les crimes, toutes les injustices, sont permis à ceux qui se présentent au nom du Très-Haut ? […] Or, je crois avoir découvert le vrai coupable, l’auteur responsable de la violation de l’Édit de Nantes, des Dragonnades, de la Révocation et de l’émigration. […] Je crois qu’ils ont tort, — du moins en partie. […] Alors même qu’il serait possible, en rejetant les preuves les plus évidentes, d’innocenter l’Église des crimes de cette Inquisition, à qui fera-t-on croire que l’épiscopat ignorait les Dragonnades ? […] Je l’avais souvent entendu dire, et j’étais assez disposé à le croire.

1911. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Plante sacrée, tu crois au pied de l’Hymette, et tu communiques tes feux divins au poëte fatigué, lorsqu’après s’être oublié dans la plaine, et voulant remonter vers les cimes augustes, il ne retrouve plus son ancienne vigueur. […] De très-honnêtes gens se l’étaient dit avant Cadet Buteux, et s’étaient crus obligés de l’être en dépit de leur estomac lui-même, invita Minerva. […] j’aime mieux croire en tout à la louange manifeste qu’à l’allusion cachée. […] Il ne faudrait pas croire pourtant qu’il ne travaillât pas ses chansons, celles dont on se souvient. […] Royer-Collard, que je voyais au jour de l’an (1845) malade et octogénaire, me disait de ce ton qui n’était qu’à lui et dans le même sens : « Si vous m’en croyez, monsieur, ne vieillissez pas, ne vieillissez pas ! 

1912. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

En se tournant vers la Vierge neuve, on eût cru faire une infidélité à la vieille. […] Ce fut le travail auquel le pauvre Kermelle crut pouvoir se livrer sans déroger. […]  » Sa femme mourut, je crois, à Jersey. […] Il ne faut pas croire néanmoins qu’elle en abusât. […] On pourrait croire que la première fois qu’il revit Kermelle et sa fille, il éprouva quelque trouble.

1913. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Il croit maintenant apercevoir les lèvres qui le donneraient. […] Mais non pour attendre d’eux le conseil de salut : je crois bien que les indications arriveraient multiples et contradictoires. […] Il ne méprise pas moins les simplistes qui se croient simples, les superficiels qui se proclament sincères, les naturistes qui s’affirment naturels. […] Paul Redonnel croit à la multiplicité des existences. […] En vérité, je crois que si je les fais voir c’est pour les regarder et parce que, toutes petites, elles éveillent, en moi qui eus la joie des paysages, de vastes souvenirs.

1914. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

ne crois-tu pas Te retrouver enfin toi-même, Malgré l’absence et le trépas ? […] Les bras tendus vers vous, je crois vous ressaisir, Comme on croit dans les eaux embrasser des visages Dont le miroir trompeur réfléchit les images, Mais glace le baiser aux lèvres du désir. […] Je priai longtemps, je crois, si j’en juge par l’innombrable revue de choses, de jours, d’heures douces ou amères, de visions apparues, embrassées et perdues qui passèrent devant mon esprit. […] Je le croyais couché depuis longues années sous une de ces pierres de granit couvertes de mousse, qui parsemaient comme des tombes son petit champ d’orge et de folle avoine autour de son haut chalet. […] Je croyais retrouver, en entrant dans la cour et en passant le seuil, tout ce que le temps était venu en arracher.

1915. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Borel, Petrus (1809-1859) »

Il souffre, il se plaint ; je veux bien croire qu’il y a dans sa douleur quelques exagérations ; cette fois, le désespéré se regarde un peu trop dans la glace ; pourtant, comment ne pas se sentir ému par ce cri, par ce sombre aveu qui éclaire tristement l’époque de ses débuts ? […] … On ne croit plus aux futures merveilles.

1916. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemoyne, André (1822-1907) »

que beaucoup de ceux qui croient avoir reçu « l’influence secrète » n’écrivent en vers que de la prose, en se créant des difficultés pour rimer ! […] Nous citerons ces strophes : ……………………………………………… Les chiens déconcertés renoncent à la piste : Voici l’heure paisible où finissent les jours ; Libre vers son refuge, il monte grave et triste… À l’horizon lointain expirent les abois, Sur les chênes dormants la nuit remet son voile… Lui qui ne verra plus l’aurore dans les bois, Donne un dernier regard à la première étoile… C’est un sentiment profond de la nature qui donne de tels accents et qui fait que le lecteur croit voir le tableau que le poète a tracé.

1917. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Plusieurs de ses supérieurs le regrettèrent, et l’un d’eux même le pleura ; Massillon, qui en avait mieux jugé, dit en riant : « Mon Père, est-ce que vous avez jamais cru qu’il nous resterait ?  […] Aussi y a-t-il des gens assez injustes pour croire qu’il prodigue sans sentiment et sans distinction les politesses à tout le monde : mais ceux qui le connaissent bien et le suivent de près, savent qu’il sait les nuancer, et qu’un jugement sain et un grand usage du monde président à la distribution qu’il en fait. […] Tant de talents soutenus ou plutôt rendus utiles par des qualités plus précieuses encore, par la douceur de vos mœurs, par la sûreté de votre commerce, par la conciliation que vous apportez aux affaires, par la pénétration aussi vive que réfléchie dont vous les démêlez, par l’attention que vous avez et qui est si nécessaire, en persuadant les autres, de leur laisser croire que vous ne pensez que d’après eux ; enfin par tout ce qui réconcilie les hommes de mérite avec ceux qui pourraient en être jaloux : voilà ce qui fait souhaiter de vous avoir pour confrère, et, si j’ose parler de moi, voilà ce qui rend votre amitié si désirable. […] , a dit Voltaire par un mot qui résume tout, et qui insinue le correctif dans la louange ; il a dit autre part du président en des termes tout flatteurs : « Il a été dans l’histoire ce que Fontenelle a été dans la philosophie ; il l’a rendue familière. » Il faut bien, au reste, se garder de prendre à la lettre tous les éloges que Voltaire donne au président en ces années où il croyait avoir besoin de lui en Cour, le président étant devenu surintendant de la maison de la reine ; il ne l’appelle pas seulement un homme charmant, à qui il dit : « Vous êtes aimé comme Louis XV » ; il le déclare son maître, « le seul homme qui ait appris aux Français leur histoire », et qui y a trouvé encore le secret de plaire. […] Je croirais volontiers qu’il a pu se dire tout bas que, chimère pour chimère, celle qui laisse l’espérance, et n’est point sujette à être détrompée, est encore la meilleure qu’on ait à choisir et à cultiver en vieillissant.

1918. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Je ne sais sur quoi porter un reste de sensibilité qui s’éteint ; des désirs, je n’en ai plus ; j’ai usé la vie : c’est de tous les états le plus pénible, et de toutes les maladies la plus douloureuse comme la plus irrémédiable. » Il croit avoir usé la vie, il ne l’a pas même commencée. […] A peine a-t-il fait un pas dans la cléricature qu’il ne se sent aucun attrait à poursuivre, il exprime sous forme mystique et symbolique des fautes dont il s’accuse, et dont il est permis à chacun de soupçonner la nature : « (La Chesnaie, 1810)… Je crois que le Seigneur m’éclaire malgré ma profonde indignité ; je crois reconnaître au fond de mon âme quelques faibles rayons de cette lumière qui annonce sa présence et prépare à la goûter. […] On est fort contre les maux qu’on ne sent pas, et l’on se croit capable de soulever des montagnes, dans le temps même où l’on succombe sous un brin de paille. […] Il y a partout du bien à faire, et ici plus que nulle part… » Et enfin il lâche le grand argument, plus vrai que lui-même ne le croyait, et que toute la suite de sa vie n’a que trop vérifié : « J’ajoute un motif d’un grand poids : j’ai besoin de quelqu’un qui me dirige, qui me soutienne, qui me relève ; de quelqu’un qui me connaisse et à qui je puisse dire absolument tout. […] Qui est-ce qui, à ce spectacle, refuserait de croire à l’Église et à ses célestes promesses ?

1919. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Je crois bien que deux ou trois des moindres héros se noyèrent avant d’atteindre le rivage ; mais le reste, les plus vaillants, y arrivèrent sans trop d’efforts, la plupart à la nage, et l’un même sans presque avoir besoin de nager. […] La pensée dramatique au contraire, qui, en passant par le lyrique, n’y voyait qu’un début et un prélude, ne se sentait pas satisfaite à si peu de frais ; elle croyait, elle, énergiquement à la poétisation possible du siècle ; et, plus vaste en désirs, moins effarouchée du bruit des profanes, elle insistait plutôt sur l’autre devise confiante et conquérante : L’avenir est à nous ! […] L’avenir, nous le croyons, ne l’oubliera pas ; tout d’elle ne sera pas sauvé sans doute ; mais, dans le recueil définitif des Poetæ minores de ce temps-ci, un charmant volume devra contenir sous son nom quelques idylles, quelques romances, beaucoup d’élégies ; toute une gloire modeste et tendre. […] Je la croyais grande, cette chère maison, l’ayant quittée à sept ans. […] Telle est parmi nous la situation des femmes, et, malgré l’exception qu’a formée le nouveau récipiendaire de l’Académie, je crois que, généralement parlant, il est vrai de dire que, pour atteindre maintenant au degré d’intérêt dont elle est susceptible, l’Élégie doit parler par la bouche des femmes, ou du moins en leur nom ; elles seules, dit-on, savent donner de la grâce aux passions malheureuses : en vérité, on peut leur laisser cet avantage-là. » Nulle femme ne se trouva plus que Mme Valmore dans la situation supposée par Mme Guizot, et aucun poëte élégiaque n’a tiré en effet de son cœur des accents plus plaintifs et plus déchirants.

1920. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Rien de plus difficile, de plus impossible, on le croira, que de régler les hommes d’imagination, de les discipliner et de les classer, de les diriger aux œuvres qui les appellent et qui leur siéraient ; mais il faut convenir, à leur décharge, que jamais, à aucun moment, on ne s’est moins occupé de ce soin qu’aujourd’hui. […] L’anarchie entre les hommes de talent est complète ; chacun se fait centre, chacun se nomme roi, Mævius comme Virgile, Vadius comme Molière (si Molière et Virgile il y a) ; mais le Vadius et le Mævius, c’est-à-dire un peu de sottise, se glissent même sous la pourpre et la soie des plus grands et de ceux qui se croient le plus gentilshommes. […] La fatuité, qu’on le sache bien, n’est qu’une variété, qu’on a tort de croire élégante, du pédantisme. […] On pourrait pousser longtemps cette suite de remarques ; mais, en réunissant des traits que je crois vrais de toute vérité, je ne prétends pas former un tableau. […] Et depuis que l’orage est loin, on peut croire que les passagers sauront bien organiser leurs délassements eux-mêmes.

1921. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Assurément, La Fontaine était bien humble de préférer ces vers laborieusement élégants de Boileau à tous les autres ; à ce prix, les siens propres, si francs et si naïfs d’expression, n’eussent guère rien valu. « Croiriez-vous, dit encore Boileau dans la même lettre en parlant de sa dixième Épître, croiriez-vous qu’un des endroits où tous ceux à qui je l’ai récitée se récrient le plus, c’est un endroit qui ne dit autre chose sinon qu’aujourd’hui que j’ai cinquante-sept ans, je ne dois plus prétendre à l’approbation publique ? […] « On ne m’a pas fort accablé d’éloges sur le sonnet de ma parente, écrit Boileau à Brossette ; cependant, monsieur, oserai-je vous dire que c’est une des choses de ma façon dont je m’applaudis le plus, et que je ne crois pas avoir rien dit de plus gracieux que : A ses jeux innocents enfant associé, et Rompit de ses beaux jours le fil trop délié, et Fut le premier démon qui m’inspira des vers. « C’est à vous à en juger. » Nous estimons ces vers fort bons sans doute, mais non pas si merveilleux que Boileau semble le croire. […] Vous croyez que Du Styx, de l’Achéron peindre les noirs torrents, seroit mieux. […] ), M. de Boze a dit très-judicieusement : « Nous croyons qu’il est inutile de vouloir donner au public une idée plus particulière des Satires de M. 

1922. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

L’auteur a saisi, je crois, dans sa pièce, le point de vue sous lequel il faut présenter désormais la comédie : ce sont les vices pour ainsi dire négatifs, ceux qui se composent de la privation des qualités, qu’il faut maintenant attaquer au théâtre. […] Cette différence ne consiste pas, je le crois, uniquement dans le rang des personnages que l’on représente, mais dans la grandeur des caractères et la force des passions que l’on sait peindre. […] On ne croirait pas, dans la réalité, à la douleur d’un homme qui pourrait exprimer en vers ses regrets pour la mort d’un être qu’il aurait beaucoup aimé. […] Si l’on voulait se servir encore de la mythologie des anciens, ce serait véritablement, retomber dans l’enfance par la vieillesse : le poète peut se permettre toutes les créations d’un esprit en délire ; mais il faut que vous puissiez croire à la vérité de ce qu’il éprouve. […] Je ne crois pas impossible cependant de réussir dans une route nouvelle, en sachant ménager avec talent quelques effets non encore risqués sur la scène ; mais pour que cette entreprise ait du succès, il faut qu’elle soit dirigée par le goût le plus sévère.

1923. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

On a cru voir que sa philosophie ruinait sa controverse et sa prédication. […] Ils ne sont pas si différents : le premier a plus de tendresse, et le second plus de dureté qu’on ne croirait. […] Le « sage » Bertaut252 se dit et se croit disciple de Ronsard et de Desportes : il n’a ni l’art et le génie de l’un, ni la sécheresse brillante de l’autre. […] Il a cru rédiger la Poétique de la Pléiade : mais, sans y songer, il a adouci, abaissé, réduit les prétentions et les doctrines de l’École : il en a laissé tomber les parties les plus choquantes, et il les tourne naturellement du côté du sens commun et de la vérité moyenne. […] Il est curieux que ce genre tout impersonnel de l’histoire ne devait arriver à se constituer dans notre littérature que pendant le plein triomphe de la littérature personnelle : histoire et lyrisme se tiennent plus qu’on ne croit.

1924. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

Les cinquante Danaïdes agglomérées en un groupe unique, n’ayant qu’une âme et qu’une voix, forment l’héroïne de cette tragédie collective ; et, quand on se rappelle leur origine aquatique, on croit voir une sorte d’Hydre féminine à têtes de vierges, qui prieraient et gémiraient à la fois. […] Une admirable histoire, racontée par Hérodote, montre à quel point les Grecs croyaient le droit des Suppliants sacré pour les dieux, — Pactyas, le Lydien, chef d’une révolte contre les Perses, s’était enfui devant leur armée, et il avait cherché un refuge chez les Cyméens. […] Le roi refuse d’abord de les croire : leurs visages brûlés sont ceux des Libyennes, elles sentent la vase du Nil qui les a nourris. […] » Mais le péril, qu’elles croyaient conjuré, reparaît urgent et terrible. […] Ce sont alors des cris déchirants que l’on croit entendre, une palpitation de couvée blottie sous l’aile paternelle, lorsque le rapace rôde autour du nid.

1925. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Au troisième acte, M. de Montègre se remet en chasse ; mais il n’attrape que l’ombre de la proie qu’il croyait tenir. […] On a cru voir se soulever brusquement les rideaux d’un lit conjugal. […] Vous croyez qu’elle va l’attendrir… il raille d’un mot leste et dur : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a !  […] On se croirait, par moments, dans le laboratoire d’un anatomiste. […] C’est un mystère difficile à croire que celui de la pureté immaculée d’un jeune interne de vingt-quatre ans, qui a du sang dans les veines.

1926. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

Je ne l’ai point voulu chercher parmi les hommes, parce qu’il manque toujours à leur commerce je ne sais quelle douceur qu’on rencontre en celui des femmes ; et j’ai cru moins impossible de trouver dans une femme la plus forte et la plus saine raison des hommes, que dans un homme les charmes et les agréments naturels aux femmes. […] Il est permis de croire que ce ne fut de sa part qu’un semblant pour conjurer la colère de ses ennemis et donner le signal à ses amis de la défendre. […] La ressemblance de plusieurs traits essentiels me fait croire que la véritable clef de ce portrait peu connu est bien en effet celle-là : L’aimable Clarice est, sans doute, une des personnes du monde la plus charmante, et de qui l’esprit et l’humeur ont un caractère le plus particulier ; mais, avant que de m’engager à vous les dépeindre, il faut vous dire quelque chose de sa beauté. […] Ninon essaie de le consoler par une lettre sentie et sensée qu’elle ne peut s’empêcher de terminer par ces mots : « Si l’on pouvait penser comme Mme de Chevreuse, qui croyait en mourant qu’elle allait causer avec tous ses amis en l’autre monde, il serait doux de le penser. » En parcourant ces pages, on se prend à désirer entre ces deux vieillards aimables un ressort, un mobile de plus, ne fût-ce qu’une illusion. […] Je crois ne m’en être pas encore laissé accabler.

1927. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — I. » pp. 471-493

Aujourd’hui, vieillard lui-même, il a cru devoir rendre à la mémoire paternelle un hommage longtemps différé, en publiant les manuscrits, lettres et correspondance, en un mot tout ce qui, dans les papiers de Mallet du Pan, peut intéresser le public de la postérité. […] Il est pour les gouvernements mixtes, les seuls qu’il croyait compatibles avec la vraie liberté quand on la veut réelle et sincère chez une grande nation : c’est dire qu’il ne partage nullement les exagérations de la droite pure, et il est aussi loin, on peut l’affirmer, en bien des cas, de l’abbé Maury que de l’abbé Sieyès. […] Dès le début, on sent l’homme désabusé qu’un devoir ramène sur la scène bien plus que l’illusion ou l’espérance : Lorsqu’on a atteint quarante ans, et qu’on n’est pas absolument dépourvu de jugement, on ne croit pas plus à l’empire de l’expérience qu’à celui de la raison : leurs instructions sont perdues pour les gouvernements comme pour les peuples ; et l’on est heureux de compter cent hommes sur une génération à qui les vicissitudes humaines apprennent quelque chose. […] Cela dit, Mallet entre en matière résolument, et procède à l’inspection du mal et à la recherche de ce qu’il croit le remède. […] On croit qu’il va se limiter lui-même ; mais ce genre de raisonnement, qui peut être vrai pour une période historique de quelque étendue, est tout à fait trompeur et décevant pour les courtes périodes d’années qui sont si essentielles dans la vie d’une génération : Tandis que cette foule de gens d’esprit, dit-il, pour qui la Révolution est encore une émeute de séditieux, attendent, comme le paysan d’Horace, l’écoulement du ruisseau ; tandis que les déclamateurs phrasent sur la chute des arts et de l’industrie, peu de gens observent que, par sa nature destructive, la Révolution amène nécessairement la République militaire.

1928. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Je me suis cru reporté à quarante ans en arrière. […] Au passage du Saint-Bernard, dans la campagne de Marengo, il fit le miracle, qu’on croyait impossible, de transporter l’artillerie pendant cinq lieues de chemins impraticables aux voitures : Je fis démonter toute l’artillerie, dit-il ; on porta à bras tous les affûts ; des traîneaux à roulettes, faits à Auxonne, furent abandonnée parce qu’ils étaient d’un service dangereux sur les bords des précipices ; ils furent remplacés par des sapins creusés en étui. […] Avec l’homme d’honneur, avec celui qui tient purement et simplement sa parole et ses engagements, on sait sur quoi compter, tandis qu’avec l’autre, avec l’homme de conscience qui fait ce qu’il croit être le mieux, on dépend de ses lumières et de son jugement. Et développant sa pensée : Mon beau-père l’empereur d’Autriche, disait-il, a fait ce qu’il a cru utile aux intérêts de ses peuples, c’est un honnête homme, un homme de conscience, mais ce n’est pas un homme d’honneur. Vous, par exemple (et il prenait le bras de Marmont), si, l’ennemi ayant envahi la France et étant sur la hauteur de Montmartre, vous croyiez, même avec raison, que le salut du pays vous commandât de m’abandonner, et que vous le fissiez, vous seriez un bon Français, un brave homme, un homme de conscience, et non un homme d’honneur.

1929. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Il avait dès l’enfance un goût passionné pour la lecture ; la bibliothèque de son père, on peut le croire, n’était guère riche ni bien fournie ; elle consistait surtout en livres de polémique religieuse. […] Il avait beaucoup réfléchi sur la manière de prendre les hommes dans leur propre intérêt, et il avait reconnu qu’il ne faut pas pour cela sembler trop certain et trop assuré de son opinion ; les hommes agréent plus aisément et consentent mieux à recevoir de vous ce qu’ils peuvent croire avoir trouvé en partie eux-mêmes. […] Il y reviendra, après ses premières licences, d’une manière sincère et touchante : je ne sais aucun déiste qui témoigne un sentiment de foi plus vif que Franklin ; il paraît croire, en toute occasion, à une Providence véritablement présente et sensible ; mais là encore, qu’est-ce qui a le plus contribué à le ramener ? […] En un mot, je crois qu’il est impossible qu’un homme, eût-il toute la ruse d’un démon, puisse vivre et mourir comme un misérable, et pourtant le cacher si bien qu’il emporte au tombeau la réputation d’un honnête homme. […] Avec cela il a soin de nous avertir que cette application au bien général se faisait sans dommage pour ses intérêts particuliers ; il ne croit nullement que la première condition pour bien faire les affaires du public soit de commencer par mal faire les siennes propres.

1930. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

On a vu, dans le chapitre précédent, que, parmi les êtres organisés à l’état de nature, il y a des variations individuelles, et je ne crois pas en vérité que personne l’ait jamais contesté. […] Parmi les plantes, il y a une énorme destruction de graines ; mais, d’après quelques observations que j’ai faites, je crois que les jeunes plantules ont à souffrir davantage encore en ce qu’elles germent dans un sol déjà suffisamment fourni d’autres plantes plus âgées. […] Nous aurions pu croire, au contraire, qu’une plante pouvait exister seule où les conditions de vie lui étaient assez favorables pour que beaucoup puissent exister ensemble afin de sauver ainsi l’espèce d’entière destruction. […] Nous avions commencé cette série par les oiseaux insectivores, et nous l’avons terminée en revenant à eux ; mais qu’on ne croie pas que dans la nature tous les rapports mutuels soient toujours aussi simples. […] Newmann, qui a observé pendant longtemps les habitudes des Bourdons, croit que « plus des deux tiers d’entre eux sont détruits de cette manière en Angleterre. » Maintenant le nombre des Mulots dépend, comme chacun sait, du nombre des Chats ; et M. 

1931. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

» Voilà, le croira-t-on ? […] … Et quelle meilleure raison de le croire et de l’espérer que de le voir fouler aux pieds avec un mépris presque joyeux toutes les idées, les opinions et les passions de sa jeunesse ? […] Pour être cru sur une conversion qui doit agir jusque dans le plus intime de son talent comme de sa pensée, nous avons voulu les citer. […] Nous voulons croire, même dans l’intérêt de son génie, qu’il l’adorera. Nous voulons croire que comme cet autre glorieux grabataire, ce Milton de l’Histoire, qui a dit : « Dieu doit me regarder avec plus de tendresse et de pitié, parce que je ne puis voir que lui », Heine, le grand et charmant poète, reviendra à la source de cette lumière qui passe si bien, pour inonder une âme, à travers de pauvres yeux fermés.

1932. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

Elle a besoin de confiance dans les relations : « J’ai besoin, dit-elle, de croire aux gens que je vois. » Ceux qui ont l’honneur de l’approcher, pour peu qu’ils l’aient connue en diverses rencontres, ont droit de parler de son cœur et des délicatesses qu’il lui suggère. […] On peut croire que cela ne déplaisait pas à son orgueil d’avoir à protéger la nièce de Napoléon. […] Un ancien ami avec qui elle se croyait brouillée et qu’elle savait blessé, mortifié et à jamais éloigné par la politique, avait passé près d’elle, près de sa voiture, n’avait point paru la reconnaître, et, l’instant d’après, en descendant, elle l’avait trouvé qui l’attendait pour lui prendre et lui serrer cordialement la main. […] Sa manière n’a rien de petit ni de léché, ni qui sente le faire de la femme ; on croirait plutôt avoir devant soi les productions d’un jeune homme de talent qui s’exerce avec largeur et se développe.

1933. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Comme professeur, je sens qu’il est de mon devoir de veiller avant tout aux intérêts du goût, à l’explication et au maintien de la tradition, et je crois sentir aussi que je ne ferai pas défaut à ce rôle de conservation littéraire. […] Ce livre anathématisé par eux a eu la vogue, et il l’a due en grande partie, j’aime à le croire, à une situation vraie, poignante, saisie sur le vif, — oui, à la vie qui y palpitait et au sang qui circulait dans ses veines. […] qu’il ne se croyait un peu moins béotien que depuis ce temps-là ; j’apprécie moi-même assez sa fluidité et son agréabilité de causeur littéraire, bien moins, il est vrai, ses romans moraux ; mais je n’aurais pas attendu un tel procédé de ce galant homme65. […] Quoique je n’aie pas cru devoir parler de Daniel, quoique même, pour être franc, j’aie blâmé l’auteur d’y avoir mis l’épigraphe provoquante qu’il y avait attachée, la moralité des livres d’art étant multiple et devant être laissée au gré du lecteur, j’ai estimé que cette étude de Daniel annonçait et donnait déjà en M. 

1934. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Il n’a guère fait dans sa vie, je crois, de plus long voyage que celui de la rue Montorgueil à Péronne ou peut-être à Dieppe, et en vérité il n’a pas eu besoin d’en voir davantage. […] Pour achever le contraste, tandis que les génies poétiques de ce temps trahissent, presque tous, en leurs vers une allure plus ou moins aristocratique, soit par culte de l’art, soit par prédilection du passé féodal, soit par mystérieuse chasteté d’idéal dans les sentiments du cœur, Béranger est le seul poëte qui, indépendamment même du choix des sujets, ait gardé la rondeur bourgeoise, l’accent familier, la tournure d’idées ouverte et plébéienne ; par où encore il semble descendre en droite ligne de cette forte lignée à tempérament républicain, qu’on suit, sans hésiter, dans les trois derniers siècles, et de laquelle étaient Étienne de La Boëtie, les auteurs de la Ménippèe, Gassendi, Guy Patin, Alceste un peu je le crois, et beaucoup d’autres. […] En sa spirituelle préface, le chansonnier semble regretter qu’aucun de nos jeunes talents ne se soit essayé dans une voie qu’il croit fertile encore ; ce conseil et ce regret, j’ose le dire, tombent à faux. […] Quand Béranger dit que « le pouvoir est une cloche qui empêche ceux qui la mettent en branle d’entendre aucun son ; » et ailleurs « qu’il est des instants, pour une nation, où la meilleure musique est celle du tambour qui bat la charge ; » et encore, lorsqu’il compare les prétendus faiseurs de la révolution de Juillet à ces « greffiers de mairie qui se croiraient les pères des enfants dont ils n’ont que dressé l’acte de naissance ; » cela me paraît étonnamment rentrer dans le goût des locutions familières à Franklin.

1935. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

On se rappelle encore comment fut accueilli le glorieux précurseur de cette poésie à la fois éclatante et intime, et ce qu’il lui fallut de génie opiniâtre pour croire en lui-même et persister. […] Mais dès qu’elles se prolongent et se régularisent en cercles arrangés, leur inconvénient est de rapetisser, d’endormir le génie, de le soustraire aux chances humaines et à ces tempêtes qui enracinent, de le payer d’adulations minutieuses qu’il se croit obligé de rendre avec une prodigalité de roi. […] Rêver plus, vouloir au-delà, imaginer une réunion complète de ceux qu’on admire, souhaiter les embrasser d’un seul regard et les entendre sans cesse et à la fois, voilà ce que chaque poëte adolescent a dû croire possible ; mais, du moment que ce n’est là qu’une scène d’Arcadie, un épisode futur des Champs-Elysées, les parodies imparfaites que la société réelle offre en échange ne sont pas dignes qu’on s’y arrête et qu’on sacrifie à leur vanité. […] Milton, vieux, aveugle et sans gloire, se faisant lire Homère ou la Bible par la douce voix de ses filles, ne se croyait pas seul, et conversait de longues heures avec les antiques génies.

1936. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Le siècle va vite ; il se hâte ; je ne sais s’il arrivera bientôt à l’une de ces vallées immenses, à l’un de ces plateaux dominants, où la société s’assoit et s’installe pour une longue halte ; je ne sais même si jamais la société s’assoit, se pose réellement, et si toutes les stations que nous croyons découvrir dans le passé de l’histoire, ne sont pas des effets plus ou moins illusoires de la perspective, de pures apparences qui se construisent ainsi et jouent à nos yeux dans le lointain. […] Carrel, un surcroît, pour ainsi dire, d’honneur et de valeur dont la plupart, à sa place, se seraient crus dispensés, et que les personnes modérées en toutes choses ont peut-être blâmé comme un exemple onéreux pour elles, il faut se rappeler néanmoins qu’il est des positions d’avant-garde, des existences lancées hors de ligne, et fortement engagées, pour lesquelles le trop n’est que suffisant, et auxquelles il sied d’être personnellement ombrageuses sur ce qui offense en général un parti et une cause. […] C’est, je crois, le premier exemple d’un tel fait dans notre pays, c’est une grande marque de bon sens et de progrès dans la raison publique. […] Mais deux ou trois savants véreux, qui se croient quelque chose pour avoir débuté dans les bagages de l’armée d’Égypte ou pour avoir paperassé avec les travaux d’autrui, entravent tout éclaircissement, et donneraient gain de cause, s’ils l’osaient, au fripon sur l’honnête homme, plutôt que de reconnaître qu’ils ont été dupes, et de se rétracter.

1937. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre III. Les dieux »

Les dieux I Ce qu’il y a de plus singulier, je crois, au dix-septième siècle, c’est l’idée qu’on s’y est faite de Dieu. […] II Un poëte subsistait parmi tant d’orateurs, presque païen de coeur, et d’ailleurs si véritablement poëte qu’il pouvait se faire illusion et croire à des dieux morts. […] D’abord on ne croit guère en eux, non plus qu’au langage prêté aux bêtes ; la fiction appelle la fiction, et on sourit en voyant Jupiter cousin de l’éléphant, comme en écoutant plaider le lapin et la belette. […] Il n’y a pas de milieu entre les deux genres : il faut être grave et tout croire, ou s’égayer et douter partout.

1938. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

On viendrait dire au patriote : « Vous vous trompiez ; vous versiez votre sang pour telle cause ; vous croyiez être Celte ; non, vous êtes Germain. » Puis, dix ans après, on viendra vous dire que vous êtes Slave. […] Chacun croit et pratique à sa guise, ce qu’il peut, comme il veut. […] je ne le crois pas. […] Peut-on dire cependant, comme le croient certains partis, que les limites d’une nation sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s’adjuger ce qui est nécessaire pour arrondir certains contours, pour atteindre telle montagne, telle rivière, à laquelle on prête une sorte de faculté limitante à priori ?

1939. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

L’humanité, pour porter son fardeau, a besoin de croire qu’elle n’est pas complètement payée par son salaire. […] Les pharisiens, exagérant les prescriptions mosaïques, en étaient venus à se croire souillés par le contact des gens moins sévères qu’eux ; on touchait presque pour les repas aux puériles distinctions des castes de l’Inde. […] Jean est venu ; des publicains et des courtisanes ont cru en lui, et malgré cela vous ne vous êtes pas convertis 527. » On comprend combien le reproche de n’avoir pas suivi le bon exemple que leur donnaient des filles de joie, devait être sanglant pour des gens faisant profession de gravité et d’une morale rigide. […] Tous croyaient à chaque instant que le royaume tant désiré allait poindre.

1940. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

On croit sentir dans ces pages toutes sérieuses, tout étendues, et où nulle trace d’inquiétude littéraire ne se fait jour, ce je ne sais quoi d’achevé que donne au talent la connaissance du mal caché et l’épreuve même de la douleur. […] C’est là le progrès à la fois moral et littéraire que je crois sentir en plus d’un passage de cette étude, devenue aujourd’hui un livre. […] Moyennant quelque pièce inédite qu’on produirait, on se croirait exempté d’avoir du goût. […] Je crois l’entendre d’ici me répondre que cette pente où l’on va est une loi fatale pour toute littérature qui a beaucoup duré et qui a eu déjà plusieurs siècles de floraison et de renaissance ; qu'en attendant il faut tirer de chaque âge le meilleur parti possible, lui demander l’œuvre à laquelle il est le plus propre, et que, d’ailleurs, nous n’en serons pas de sitôt pour cela à l’école de Byzance, que nous n’en sommes qu’à celle d’Alexandrie.

1941. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Le voyageur qui se hasardait au-delà de Delphes, et qui franchissait les forêts vertigineuses du mont Cnémis, croyait voir partout, la nuit venue, s’ouvrir et flamboyer l’œil des cyclopes ensevelis dans les marais du Sperchius. […] L’idée qui se présenta à lui n’était pas sans quelque grandeur, il le croit. […] Du reste, qu’on ne lui suppose pas la présomption d’exposer ici ce qu’il croit avoir fait ; il se borne à expliquer ce qu’il a voulu faire. […] Les Burgraves ne sont point, comme l’ont cru quelques esprits, excellents d’ailleurs, un ouvrage de pure fantaisie, le produit d’un élan capricieux de l’imagination.

1942. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

Est-il possible de croire à quelque chose sans se refuser à toute objection, à tout examen, à tout progrès ? […] Tous les spiritualistes sans exception croient à la fois à la nécessité de l’esprit d’examen ; mais il semble que les uns attachent plus d’importance à la doctrine qu’à la liberté, aux conclusions déjà trouvées qu’à la recherche de vérités nouvelles, à la défense qu’à la découverte, à l’intérêt moral et pratique qu’à la pure science et à la libre spéculation, au repos qu’au mouvement, à la tranquillité d’une conviction satisfaite qu’aux ardeurs toujours anxieuses et dangereuses d’une pensée en travail. Les autres ne sont pas disposés à se contenter aussi facilement ; l’immobilité d’une doctrine une fois faite ne leur paraît guère conforme à la nature de l’esprit humain, surtout dans l’ordre purement philosophique ; avec le besoin de croire, ils éprouvent en même temps le besoin de penser ; la fermeté de leurs convictions ne tarit pas chez eux l’activité de l’investigation scientifique. […] Comme eux, nous croyons à Dieu et à l’âme ; mais pour eux la liberté de penser est un crime, pour nous c’est le droit et la vie, et nous aimons mieux l’erreur librement cherchée que la vérité servilement adoptée.

1943. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Non-seulement les jugemens de cour, mais les jugemens de ville et je crois ceux de village. […] Des députés… Otez des huit vers suivans ces mots de Rats, Chats, Ratopolis, vous croiriez qu’il s’agit d’une grande république, et que c’est ici une narration de Vertot ou de Rollin. […] Le lecteur croit que La Fontaine va ajouter, parce que cet orateur est l’oracle du barreau. […] On croyait encore que les astres avaient de l’influence sur nos destinées.

1944. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VI. Du trouble des esprits au sujet du sentiment religieux » pp. 143-159

Je ne crois pas avoir besoin de l’appareil de beaucoup de preuves pour appuyer une telle assertion ; il suffît de voir ce qui est : or, je le demande, s’aperçoit-on qu’il germe de nouvelles doctrines religieuses à côté des doctrines politiques dont l’invasion tourmente en ce moment la société ? […] Ainsi leur grande erreur a été de se croire appelés, connue les philosophes anciens, à renverser des superstitions ; ils n’ont pas fait attention à cette différence énorme d’une religion dont les préceptes enveloppent, pour ainsi dire, l’homme de tous les côtés, à des religions qui ne s’adressaient qu’à une partie de l’homme, qui flattaient son imagination, sans rien dire à son cœur. […] Il ne croyait point à la religion de Jésus-Christ, qu’il regardait comme une institution humaine, et, à cause de cela, comme un édifice en ruine. […] Je sais qu’on espère, par la grande diffusion des lumières, obvier à l’inconvénient qui résulte de l’affaiblissement du principe religieux ; c’est, en d’autres termes, croire que les lumières peuvent remplacer la morale.

1945. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

L’auteur des Études sur le Combat excepte, il est vrai, un très petit nombre d’âmes, nées impassibles comme le bronze, et rares comme des aérolithes, car elles semblent venir directement du ciel ; mais cet homme de batailles, qui a pratiqué les batailles et qui n’est dupe d’aucune poésie faite après coup, ne croit guère aux héros que sous bénéfice d’inventaire, et sous l’action déterminée et décisive d’une discipline qui crée l’énergie et fait d’un homme cette force qu’on appelle un soldat… Observateur aiguisé par toutes les expériences de sa vie, le colonel Ardant du Picq sait que la puissance des armées est toujours en raison, non seulement directe, mais unique, de la puissance de leur discipline, et il le prouve, par tous les témoignages de l’histoire, chez les peuples que la guerre a le plus illustrés. […] Le colonel Ardant du Picq nous dit quelque part qu’il n’a jamais eu une foi entière à ces gros bataillons, auxquels croyaient ces deux grands hommes, qui valaient mieux à eux seuls que les plus gros bataillons… Eh bien, aujourd’hui, cette tête vigoureuse ne croit pas davantage à la force mécanique ou mathématique qui va les supprimer, ces gros bataillons, malgré leur grosseur et leur nombre ! […] je ne crois pas, pour ma part, qu’au fond de son âme et de sa robuste pensée ce grand spiritualiste de la guerre puisse accepter sans trouble que la guerre, qui sort de l’âme de l’homme et qui se fait avec l’âme de l’homme, ne soit pas éternelle comme l’homme et sa race, et qu’un jour elle doive disparaître, comme un fétu dans les airs, sous le souffle omnipotent des démocraties.

1946. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Nous croyons, nous, qu’elle a gagné à ne pas porter ce reflet bleu du salon de Rambouillet sur la rougeur de sa joue chaste, et qu’on voit mieux ainsi la pureté divine de son type, bien au-dessus, par le calme et par la tendresse, des affectations de ce temps. […] … Nous non plus, comme Renée, nous ne croyons pas à l’impersonnalité de Richelieu ; nous ne croyons à l’impersonnalité de personne… pas même à celle de Dieu ! […] Elle se dépouilla des derniers songes, et, quand ce fut fini, cette veuve de saint Paul, à la fidélité immortelle, ne crut pas manquer de foi à son époux, cet époux sanglant du billot de Toulouse qu’elle avait toujours dans la pensée, en choisissant un autre époux, sanglant aussi, le divin Époux de la Croix.

1947. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

L’homme politique n’a pas cru déroger à sa pensée en écrivant La Fille du millionnaire. […] Cet homme de l’idée, comme il s’est longtemps appelé, ce penseur formidable, qui dresse contre la morale chrétienne, à laquelle on doit la civilisation du monde, la morale de l’écu, à laquelle nous devrons peut-être sa fin, dans des combats affreux ; cet homme de l’idée, le croirait-on ? […] Pas un seul mot n’y dépasse l’autre, — pas un mot, et les déclamateurs en ont parfois, n’y est chauffé à la flamme du cœur ou de la tête de cet utopiste de l’argent, qui se croit, sans viser, un Aristophane ! […] Il faut montrer avec quels vieux centons ramassés partout un garde-notes perpétuel a pu s’arranger ces trois actes insignifiants, avec lesquels il a cru prendre patente d’homme de lettres, après avoir, comme journaliste, vendu son fonds.

1948. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexandre de Humboldt »

Car quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise, qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ? […] Ce fut un sceptique et même un sceptique contradictoire, ce qui, par parenthèse, au lieu d’une faiblesse, en fait deux ; car dans son Kosmos il doute, à une certaine place, « qu’on puisse jamais, à l’aide des opérations de la pensée, réduire tout ce que nous voyons à l’unité d’un principe rationnel », et ailleurs il assure qu’il croit au mot de Socrate : « qu’an jour l’univers sera interprété à l’aide de la seule raison », vacillement d’un esprit qui ploie également sous l’affirmation et sous le doute ! […] Mais je crois — ajoute-t-il, page 126 de la Correspondance, — que je m’exprime toujours de telle sorte que ce ne puisse embarrasser ceux qui en savent moins. » Ainsi, utilité dans tous les genres, et quoiqu’on ne puisse, dit-on, servir deux maîtres, ce livre est écrit pour ceux qui savent et pour ceux qui ne savent pas ou qui savent peu. […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poètes, — aux poètes qu’ils sont des savants, — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poètes et des savants tout à la fois, — il n’y a pas que cette langue confuse, qui plaît aux esprits troublés dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

1949. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Il eut avec cette femme, dont il dit qu’elle lui faisait croire l’âme immortelle, la fameuse main de fer dans du velours, et quelquefois avec des déchirures au velours. […] Dans la correspondance publiée par M. de Baillon, Walpole, entouré des plus délicieuses femmes de France, qu’il met, pour ce qu’il en veut faire, bien au-dessus des hommes de leur temps, n’en voit qu’une qui le fait rêver ou dont il voudrait rêver pour une nuit, et, le croira-t-on ? […] IV Et, en effet, je le crois bien qu’il était né craie, de substance ! […] de retrouver à Paris les discussions et Richardson : « Je nous croyais déchus, — écrit-il, — mais les Français le sont cent fois plus que nous.

1950. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIV. Alexandre de Humboldt »

Car, quoi de plus intéressant et de plus instructif que le double fond de cette boîte humaine à surprise qui, lorsqu’on n’y croit qu’un seul homme, tout à coup en fait partir deux ! […] Ce fut un sceptique et même un sceptique contradictoire, ce qui, par parenthèse, au lieu d’une faiblesse, en fait deux, car dans son Kosmos il doute, à une certaine place, « qu’on puisse jamais, à l’aide des opérations de la pensée, réduire tout ce que nous voyons à l’unité d’un principe rationnel », et ailleurs il assure qu’il croit au mot de Socrate, « qu’un jour l’univers sera interprété à l’aide de la seule raison », vacillement d’un esprit qui ploie également sous l’affirmation et sous le doute ! […] Mais je crois, — ajoute-t-il page 126 de la Correspondance, — que je m’exprime toujours de telle sorte que ce ne puisse embarrasser ceux qui en savent moins. » Ainsi utilité dans tous les genres, et quoiqu’on ne puisse, dit-on, servir deux maîtres, ce livre est écrit pour ceux qui savent et pour ceux qui ne savent pas ou qui savent peu. […] Du reste, il n’y a pas que ce beau langage, à triple détente ou à triple illusion, qui fait croire peut-être aux savants qu’ils sont des poëtes, — aux poëtes qu’ils sont des savants — et aux ignorants sans imagination (la foule) qu’ils sont des poëtes et des savants tout à la fois, il n’y a pas que cette langue confuse qui plaît aux esprits troublés, dont elle augmente le trouble, avec quoi l’on puisse expliquer la popularité de Humboldt et le prosternement général devant son génie.

1951. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

À l’époque, lointaine déjà, où M. de Rémusat écrivait son Essai de philosophie, il y avait en lui ce pétillement d’idées qui ferait croire à la force d’individualité d’une intelligence, mais ce n’était là qu’une illusion, due probablement à sa jeunesse. […] A-t-il tremblé dans sa conscience logique ou dans sa conscience morale, en voyant les conséquences terribles, dégagées enfin de ce qu’il crut la vérité si longtemps ? […] Il est évident qu’un tel homme n’admet ni ancêtres, ni prédécesseurs ; mais il n’est pas moins évident non plus que si la parenté n’est pas reconnue par la volonté, elle subsiste dans la pensée, car, si elle n’y était pas, croyez-le bien, les philosophes modernes, plus ou moins issus de Descartes, auraient laissé bien tranquille dans sa niche de Saint, le grand Anselme de Cantorbéry, et ne lui auraient pas fait cette gloire posthume qu’ils se sont mis à lui faire, moins pour lui encore que pour eux ! […] à cette vertu si profondément sociale de l’obéissance, saint Anselme, respecté par le pape, saint Anselme, le primat d’Angleterre, prit un simple moine pour maître, et le croirez-vous, esprits de nos jours ?

1952. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Funck Brentano. Les Sophistes grecs et les Sophistes contemporains » pp. 401-416

Lorsqu’on lit ce titre de Sophistes contemporains, on croit qu’on va nager en pleine mer de sophismes, et on ne nage qu’entre deux rives : — la Grèce, la vieille Grèce et l’Angleterre, — et encore l’Angleterre réduite à ces derniers temps et à ces deux sophistes qui ont récemment abaissé dans leur personne le mâle esprit anglais, lequel faisait mieux, en sophistes, quand il produisait Locke et cette grande canaille philosophique de Bacon ! […] Funck Brentano, qui devrait croire à la philosophie puisqu’il la professe, le sophiste n’existe point en soi… Le sophiste, c’est toujours un philosophe dépravé qui déprave une philosophie antérieure, qui abuse de cette philosophie, qui en fausse le principe, les idées, le langage, et cela est vrai si la philosophie est elle-même une vérité. […] Seulement, il y a des hommes morts (cela s’est vu à Iéna pour les grenadiers russes), qui, morts, ne tombent pas : il faut qu’on les pousse ; et Descartes est encore debout, quoiqu’il soit mortellement frappé… Mais, cartésien ou non, l’auteur des Sophistes grecs et des Sophistes contemporains est, je crois, plus spirituel encore que spiritualiste, et je lui en fais mon compliment. […] Funck Brentano, pourrait donc être à nous, qui ne croyons qu’à l’autorité d’un principe, — mais est-il à nous ?

1953. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Seulement, pour être ému d’un très vif plaisir, je ne me croirai pas moins juste. […] Fils de l’Université qui n’a pas oublié Stanislas, c’est un normalien et un cousiniste, et, s’il est chrétien, comme je le crois, et comme quelques-uns de ses premiers écrits14 autorisent à le croire, c’est un chrétien qui derrière sa foi a sa métaphysique, comme derrière un salon dans lequel on vit peu, on a un cabinet de travail dans lequel on se tient toujours… À un homme de cette préoccupation philosophique, de cette culture, de ce goût affiné et sûr, Dieu sait l’effet que je dois produire avec mon sens littéraire ardent et violent plutôt que réglé, et mon catholicisme brutal, qui a tout avalé des philosophies qui me grignotaient l’esprit avant que Brucker m’eût ramené à cette religion de mon intelligence et de mon âme ! […] Il lui a rongé sa réputation et son mérite, comme cette agréable petite souris blanche de Renan ronge les faits historiques, et avec une dent tellement caressante, que l’amour-propre de Renan pourrait bien ne se croire que chatouillé, suavement chatouillé, le voluptueux !

1954. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Violet Le Duc cita, je crois, pour la première fois, dans son édition de Mathurin Régnier, un satyrique aussi, mais d’un autre genre que d’Aubigné. […] Réaume et de Caussade, ont extrait, à force d’efforts, ces pépites… Et si, dans l’ordre interverti des volumes, le troisième a paru avant le second, c’est que dans le troisième se trouvent les vers inédits et absolument inconnus de d’Aubigné, et qu’on a cru intéresser au succès immédiat de l’édition qu’on publie par cet attrait de nouveauté. […] Le croira-t-on sans y avoir regardé ? […] tu n’en crois rien, J’espère que par ce moyen De toy tu seras amoureuse.

1955. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

… Ici, le rapport entre l’écrivain et le libraire va beaucoup plus loin qu’on ne croit. […] Mais une fois mort, la Justice, qui est encore, je crois, plus boiteuse que la Prière, atteint enfin ce mausolée immobile, et le douloureux logogriphe de la vie qui n’avait pas de sens trouve enfin son mot quand la vie n’est plus ! […] En vain se cachait-il d’elle pour lui donner l’envie de le découvrir, et croyait-il faire étinceler, en rondes bosses d’or, toutes les lettres de son nom à travers les ternes pseudonymes qu’il écrivait au front de ses œuvres : la Gloire lui répondit en vraie femme qui a le caprice de ne plus faire de contradiction. […] Le livre de l’Amour, — ce chef-d’œuvre de pointillé dans l’observation et de grâce inattendue dans le bien dire, que Sterne aurait admiré, et où les nuances, qui ondoient, chatoient, se fondent et s’évanouissent comme des lueurs d’opale dans le merveilleux observateur du Sentimental Journey, sont nettement fixées sous le regard par un procédé supérieur d’analyse sans rien perdre de leur ténuité et de leurs qualités presque immatérielles, — ce livre d’un agrafeur de nuances (ces mots-là sont faits pour lui seul), ce livre qui a tout dit et fait le tour du cœur, de ce muscle qui renferme l’infini, comme on fait le tour de la terre, de cette misérable petite chose que Voltaire appelait « un globule terraqué », nous ne croyons pas que Paulin Limayrac l’admire et l’aime mieux que nous.

1956. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

Sous sa forme légère, elle est plus profonde qu’on ne croit. […] L’hypocrisie n’est pas, au fond, si détestable qu’on l’a faite ; car elle prouve que la société croit à une Vérité absolue et régulatrice de la vie, puisqu’on est obligé d’affecter d’y croire comme elle, si ou veut emporter son respect. […] Je crois que je pourrais donner leurs adresses.

1957. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Edmond About » pp. 91-105

Or, pour atteindre ce but plus utile qu’on ne croit, nous avons choisi dans les œuvres de M.  […] Élevé pour être un savant et un professeur, je crois qu’il a déchiré sa robe comme Caïphe. […] On le mit, comme l’espoir de ce siècle qui a besoin de croire à l’avenir, avec M.  […] Le croira-t-on ?

1958. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « [Addenda] »

Vous ne pouvez absolument séparer votre cause de celle du comte d’Hunolstein, et je crois qu’il serait bon là-dessus, votre intérêt étant le même, de vous entendre. […] En général, les documents authentiques modifient et le plus souvent démentent sur certains points, les informations précédentes ; on n’y trouve jamais exactement ce qu’on croit y trouver, et ceux qui répondent trop bien à notre attente ont presque toujours de bonnes raisons pour cela. » Cette remarque peut s’appliquer directement à la plupart des lettres produites par M. d’Hunolstein et reproduites par M.  […] Que si l’on retrouvait une lettre d’Henri IV où il fût question de la poule au pot, il faudrait que cette lettre fût trois fois authentique pour qu’un bon esprit, aguerri à ces sortes de recherches, se décidât à y croire.

1959. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. Lettres philosophiques adressées à un Berlinois »

L’école dont nous parlons (si on peut appeler du nom école la réunion assez nombreuse et peu homogène qui se groupa autour de quelques principes communs), réussit plus vite qu’on ne l’aurait osé croire d’abord, à se fonder une influence grave, salutaire, incontestable. […] Lerminier porte dans son enseignement un don trop invincible et trop naturel pour qu’on en puisse faire abstraction quand on parle de lui : c’est une faculté de parole, une puissance d’enthousiasme et d’images, un génie d’improvisation, entraînant, éblouissant, exubérant, qui me fait croire, en certains endroits, à ce qu’on nous rapporte des merveilles un peu vagabondes de l’éloquence irlandaise ; de la gravité toutefois, un grand art, des illustrations de pensée empruntées à propos à d’augustes poètes ; et puis un geste assuré, rhythmique, un front brillant où le travail intérieur se reflète, et, comme on le disait excellemment sous Louis XIV, une physionomie solaire et une heureuse représentation. […] J’ai cru qu’on pouvait écrire simplement des choses graves.

1960. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

N’en croyez rien. […] Croire à ce point au règne futur de la justice, c’est être bon pour l’univers, c’est pardonner à la réalité d’être présentement fort mêlée. […] La première, je crois, elle a vraiment compris et aimé le paysan, celui qui vit loin de Paris, dans les provinces qui ont gardé l’originalité de leurs mœurs.

1961. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Lisez (si vous souriez, je vous prierai de me croire sur parole) la déjà longue série des romans jeunes de Zola, Les Mystères de Marseille, Le Vœu d’une morte… puis lisez les Contes à Ninon, et enfin les Rougon-Macquart, soutiendrez-vous que l’artiste n’ait point évolué, n’ait point lentement et mûrement corrigé sa manière ? […] Puisque vous avez, mon cher confrère, finalement invoqué la Postérité, et puisque vous admettez audacieusement qu’elle est équitable, je crois que sa clairvoyance lui fera comprendre Zola autrement que les rastaquouères, mais je crois qu’elle l’admirera. — Ce succès à faux, quoique mérité, ne tourmente que les désireux de vente, inquiets de voir la clientèle riche se dépenser en volumineuses acquisitions.

1962. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

C’est peut-être le seul (j’entends des fournisseurs habituels de nos grands quotidiens) qui ne soit pas assommant et qui ne se croie point obligé de pontifier, avec des phrases solennelles. […] … point par habitude… Croyez-le bien !  […] Malgré l’apparence générale de sincérité de son livre, je n’avais osé croire à la réalité des faits qu’il y relate.

1963. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Quelques-uns le croient, parce qu’elle apprend aux vieillards qu’aucune ruse, aucun artifice, aucune contrainte ne servent à la vieillesse pour faire illusion sur les disproportions d’âge, même à la villageoise la plus simple. […] Croyez-moi : celles qui font tant de façons n’en sont pas estimées plus femmes de bien. […] « Agnès, si l’on en croit Molière, ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête, et si vous voulez entendre dessous quelque chose, c’est vous, dit-il, qui faites l’ordure et non pas elle, puisqu’elle parle seulement d’un ruban qu’on lui a pris. » Il y a peu de bonne foi dans cette réponse.

1964. (1867) Le cerveau et la pensée « Avant-propos »

On m’a adressé, à l’occasion de ces études, quelques observations judicieuses auxquelles je crois devoir répondre, pour bien faire comprendre l’esprit et l’objet de ce travail. […] Tout en reconnaissant que le physique est pour beaucoup dans l’exercice de la pensée, faut-il croire qu’il y soit tout ? […] De ces deux prémisses, la majeure a été cent fois réfutée ; c’est pourquoi nous n’avons pas cru nécessaire d’y insister.

1965. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Conclusions Avant de conclure, nous ne croyons pouvoir mieux faire que citer les principaux passages de la préface dont Alfred de Musset fit précéder la première édition de ses comédies et qu’il supprima dans les autres : « Goethe dit quelque part, dans son roman de Wilhelm Meister, « qu’un ouvrage d’imagination doit être parfait, ou ne pas exister ». […] « Si enfin un artiste obéit au mobile qu’on peut appeler le besoin naturel du travail, peut-être mérite-t-il plus que jamais l’indulgence : il n’obéit alors ni à l’ambition ni à la misère, mais il obéit à son cœur ; on pourrait croire qu’il obéit à Dieu… « Bien que j’aie médit de la critique, je suis loin de lui contester ses droits, qu’elle a raison de maintenir, et qu’elle a même solidement établis. […] Nous ne voulons nommer personne, mais nous conseillons à un lecteur oisif d’établir une petite statistique, après enquête, des auteurs lettrés et de ceux qui croient découvrir le monde, avant de savoir marcher.

1966. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre VI. Suite des Moralistes. »

On croit voir les ruines de Palmyre, restes superbes du génie et du temps, au pied desquelles l’Arabe du désert a bâti sa misérable hutte. […] Quand on songe que Bagnoli, Le Maître, Arnauld, Nicole, Pascal, s’étaient consacrés à l’éducation de la jeunesse, on aura de la peine à croire, sans doute, que cette éducation est plus belle et plus savante de nos jours. […] Quand leurs ouvrages ne prouveraient pas qu’ils ont eu des idées philosophiques, pourrait-on croire que ces grands hommes n’ont pas été frappés des abus qui se glissent partout, et qu’ils ne connaissaient pas le faible et le fort des affaires humaines ?

1967. (1761) Salon de 1761 « Récapitulation » pp. 165-170

Je crois Teniere fort supérieur à Greuze pour la couleur. Je lui crois aussi beaucoup plus de fécondité. […] La tête du père qui paye la dot est celle du père qui lit l’Ecriture sainte à ses enfants, et je crois aussi celle du paralytique, ou du moins ce sont trois frères avec un grand air de famille.

1968. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Le tableau du milieu est cru, sec et dur, comme il les faut pour appeller la populace aux carrefours. […] Je n’en crois rien. […] Tout le monde se croit compétent sur ce point, presque tout le monde se trompe, il ne faut que se promener une fois au sallon, et y écouter les jugemens divers qu’on y porte, pour se convaincre qu’en ce genre comme en littérature, le succès, le grand succès est assuré à la médiocrité, l’heureuse médiocrité qui met le spectateur et l’artiste commun de niveau.

1969. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

« Mais qui a pu vous faire croire ? […] Viennet, qui doit forcément croire à son existence, puisqu’il se croit lui-même un classique… Mais elle est morte et bien morte ! […] ils ne croient à rien ? […] Zola croit démocratique de railler les ardentes espérances du citoyen. […] On croit avoir ressuscité, l’on a créé tout au plus.

1970. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

… Moi, je crois qu’il faut surtout dans la phrase un rythme oculaire. […] L’on croirait voir s’en aller une à une les illusions de la vie. […] À deux heures, Simon arrive : « Voici, c’est fait… » Elle ne veut pas de brancard pour partir : « Je croirais être morte !  […] Le grand-père ne pouvait croire à la modicité de la somme. […] Ce n’est pas un homme de leur monde… C’est ce qui fait, je crois, qu’Autran a des chances.

1971. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Il se croyait au faîte : aller plus loin eût été pour lui descendre. […] C’est ce qui est arrivé, croyons-nous, à la pensée hindoue. […] Ajoutons — et c’est peut-être, au fond, la même chose — qu’il n’a pas cru à l’efficacité de l’action humaine. […] Enfin il y aurait lieu d’hésiter encore, si l’on croyait que l’univers est essentiellement matière brute, et que la vie s’est surajoutée à la matière. […] Cette interpénétration n’a pas été possible sur notre planète ; tout porte à croire que la matière qui s’est trouvée ici complémentaire de la vie était peu faite pour en favoriser l’élan.

1972. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre premier. De l’Écriture et de son excellence. »

Ce n’est pas la seule chose extraordinaire que les hommes s’accordent à trouver dans l’Écriture : ceux qui ne veulent pas croire à l’authenticité de la Bible, croient pourtant, en dépit d’eux-mêmes, à quelque chose dans cette même Bible.

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