A première vue, cette égalité est choquante. […] Tel livre devra son insuccès aux vues nouvelles dont il est plein et qui lui vaudront au bout d’un siècle la réparation d’une gloire tardive. […] (Ainsi l’ouïe et la vue, sens intellectuels par excellence, prêtent à des sensations plus relevées, plus nobles que le goût et l’odorat.)
M. de Ryons devine, par des procédés analogues, que madame de Simerose est d’origine étrangère et qu’elle est une honnête femme, quoique séparée de son mari, par un accident qui échappe à sa seconde vue. […] On l’a vue dans tous les bals et revue dans tous les théâtres. […] Le choc que vous donne ce mot est celui que produirait la vue d’un mystère du corps dévoilé.
Adrienne joua quelque temps encore dans l’enceinte du Temple, sous la protection du grand prieur de Vendôme ; puis on sait qu’elle reçut des leçons du comédien Le Grand, et on la perd de vue. […] « C’est une mode établie de dîner ou de souper avec moi, écrivait-elle, parce qu’il a plu à quelques duchesses de me faire cet honneur. » Cet honneur avait bien ses charges et entraînait des sujétions, elle nous l’avoue : Si ma pauvre santé, qui est faible, comme vous savez, me fait refuser ou manquer à une partie de dames que je n’aurais jamais vues, qui ne se souviennent de moi que par curiosité, ou, si j’ose le dire, par air (car il en entre dans tout) : « Vraiment, dit l’une, elle fait la merveilleuse ! […] L’abbé Aunillon pense qu’une dame de la Cour qu’il a en vue et qu’il ne nomme pas, une personne de considération, jalouse et sans doute rivale de la duchesse de Bouillon, et pour le moins aussi puissante, avait fait jouer toute cette machine, non pour empoisonner Mlle Le Couvreur, mais pour perdre de réputation la malheureuse duchesse dont on empruntait le nom.
Plus modeste ou moins en vue, non moins généreuse et dévouée, Mme de La Tour-Franqueville fut une des premières ; elle ouvre la marche, et elle mérite qu’on lui fasse une place à part dans la renommée de celui à qui elle s’est consacrée. […] Elle attache à cet envoi une importance bien naturelle chez une femme, chez une femme qui aime, qui voudrait être aimée sans qu’on l’ait encore vue ; mais cette importance se trahit aussi par trop de soins. […] Chateaubriand, dans un jugement final, insistant sur le défaut essentiel du caractère, a dit de lui : Qu’un auteur devienne insensé par les vertiges de l’amour-propre ; que toujours en présence de lui-même, ne se perdant jamais de vue, sa vanité finisse par faire une plaie incurable à son cerveau, c’est de toutes les causes de folie celle que je comprends le moins, et à laquelle je puis le moins compatir.
La voilà donc à trente ans passés, un peu embellie si l’on veut, ou du moins vue par des yeux amis, un jour de beauté et de soleil. […] J’ai voulu la peindre tout d’abord avec la plume de ces hommes éminents dont le nom se rattache au sien ; il est bon de connaître un peu les gens de vue avant d’écouter leur histoire et leur roman. […] Grimm, tel qu’il ressort pour moi du témoignage de ses amis (les seuls qui soient en droit de l’apprécier, disait Mme d’Épinay, car il n’est lui qu’avec eux), Grimm est un homme judicieux, droit, sûr, ferme, formé de bonne heure au monde, estimant peu les hommes en général, les jugeant, n’ayant rien des fausses vues et des illusions philanthropiques du temps.
Ce témoignage est formel ; il est d’accord avec la légende, avec la poésie, avec cette statuette pleine de grâce qu’une jeune princesse artiste a laissée de Jeanne d’Arc arrêtant court son cheval à la vue du premier cadavre29. […] Jeune alors et beau, et très préféré d’elle entre tous les capitaines, parce qu’il était gendre du duc d’Orléans prisonnier, à la cause duquel elle s’était vouée, il témoignait avoir souvent bivouaqué à côté d’elle ; il avouait même l’avoir vue se déshabiller quelquefois, et avoir aperçu ce que la cuirasse avait coutume de cacher (« aliquando videbat ejus mammas, quae pulchrae erant ») : « Et pourtant, disait-il, je n’ai jamais rien eu de désir charnel à son égard. » Elle avait cette simplicité d’honneur et de vertu qui éloigne de telles pensées. […] À cette vue, un Troyen savant dans les augures, Polydamas, s’approche d’Hector, et, lui expliquant le sens du présage, lui conseille de s’éloigner de ce camp, qu’il considérait déjà comme sa proie.
C’était là une porte étroite ; mais, à peine introduit dans ce riche domaine, à peine en présence des sources, il agrandit sa vue et réagit contre sa propre humeur. […] Villemain, dans son excellent Rapport de 1840, a indiqué les mérites et donné à deviner les lacunes, quand il a dit : L’histoire est toujours à faire ; et tout esprit distingué, en s’aidant lui-même du progrès d’idées qu’il adopte ou qu’il combat, découvre dans les événements racontés par d’autres des leçons et des vues nouvelles. […] Lui, si heureux à première vue, si bien doué, ce semble, par la nature, si bien doté de plus par la fortune, il se tenait sur la défensive avec la société, comme s’il eût craint d’être abordé de trop près.
Il semble souvent, en effet, qu’il ne manque chez lui qu’un rayon pour tout éclairer, et l’on dirait volontiers de l’athéisme de Diderot comme il disait de ces deux vues de Vernet, où le moment choisi de la chute du jour avait rembruni et obscurci tous les objets : « À demain, lorsque le soleil sera levé. » Avec tout cela, cependant, on ne fera jamais de Diderot un croyant sans le savoir, ni une manière de déiste selon le sens et l’esprit du mot ; une telle discussion serait ici, d’ailleurs, trop délicate et trop épineuse pour que je l’aborde de près ou de loin. […] Il suppose qu’au moment de commencer l’analyse de ces vues et marines de Vernet, il est obligé de partir pour la campagne, pour une campagne voisine de la mer, et que là il se dédommage de ce qu’il n’a pu voir au Salon, en contemplant plusieurs scènes de la réalité. […] Tout en regrettant de rencontrer trop souvent chez lui ce coin d’exagération que lui-même il accuse, le peu de discrétion et de sobriété, quelque licence de mœurs et de propos, et les taches de goût, nous rendons hommage à sa bonhomie, à sa sympathie, à sa cordialité d’intelligence, à sa finesse et à sa richesse de vues et de pinceaux, à la largeur, à la suavité de ses touches, et à l’adorable fraîcheur dont il avait gardé le secret à travers un labeur incessant.
À première vue, il prit la charmante enfant en aversion, l’épousa néanmoins (le 4 février 1766) ; et il faut voir de quel ton il parle d’elle dans ses Mémoires, contrairement à ce que disent tous les contemporains, qui n’ont pour cette douce femme si sacrifiée qu’un concert d’admiration et de louanges. […] Dans la vue de réparer les fâcheux effets du partage, il conçut l’idée d’unir d’intérêt et d’amitié les deux souveraines, l’impératrice de Russie Catherine, et Marie-Antoinette, et d’être le lien de cette union. […] Je n’ai voulu ici que faire entrevoir cette façon de les considérer ; il est, en toutes choses, une conclusion élevée et raisonnable, qu’il ne faut jamais perdre de vue.
Du moment qu’on admet la branche aînée régnante, le duc de Bordeaux naissant comme par miracle pour la continuer, et l’immense joie qui dut s’en répandre parmi ce qui restait de sujets fidèles, il est tout simple qu’il se soit rencontré quelqu’un, ou fidèle ou zélé, pour avoir l’idée de cette souscription de Chambord ; mais Courier ne croit point à la branche aînée ; il a déjà la branche cadette en vue comme plus à sa portée et à son usage ; il n’aime point les vieux châteaux, soit gothiques, soit de Renaissance ; et lui qui s’affligeait à Rome pour une Vénus ou un Cupidon brisés, il ferait bon marché en France de l’œuvre du Primatice. […] C’est ainsi qu’ayant lu les Mémoires de Madame, mère du Régent, il dira (1822) : « On voit bien là ce que c’est que la Cour ; il n’y est question que d’empoisonnement, de débauche de toute espèce, de prostitution : ils vivaient vraiment pêle-mêle. » Ce n’est certes pas moi qui défendrai la Cour, mais on a droit de dire à Courier : Élargissez votre vue, voyez l’homme indépendamment des classes, reconnaissez-le partout le même, sous les formes polies ou grossières. […] Victor Cousin qui lui donnait l’hospitalité et dont l’appartement avait vue sur les jardins du Luxembourg.
Si le style, à première vue, y est plus pompeux et fleuri que celui que Mézeray emploie d’ordinaire, et qui sent parfois le frondeur et le républicain, il n’y a pas de quoi s’en étonner, disait-on, puisque l’auteur, cette fois, s’était travesti en courtisan et voulait rester fidèle à l’esprit de son rôle. […] La reine régente Marie de Médicis, paresseuse, opiniâtre et sans vue précise, était restée entourée des principaux conseillers de Henri IV, Villeroi, Jeannin, le chancelier de Sillery, mais auxquels manquait désormais l’impulsion du maître. […] La reine n’avait aucune vue suivie et se laissait conduire tantôt à l’un, tantôt à l’autre de ses ministres, selon qu’il lui semblait s’être bien ou mal trouvée du dernier conseil : ce qui est, remarque-t-il, la pire chose en politique, où il n’est rien de tel pour conserver sa réputation, affermir ses amis et effrayer les adversaires, que l’unité d’un même esprit et la suite des mêmes desseins et moyens.
De là sa passion pour elle, qui n’a rien de plus étonnant que celle que nous avons vue à certains dilettanti de nos jours pour les Sontag et les Malibran, et cette passion fait honneur à Grimm, au lieu de le rendre ridicule, comme on s’est amusé à nous le présenter. […] Il connaissait à fond cette âme malade, jointe à un si prestigieux talent ; il redressait à chaque instant les fausses vues indulgentes où retombait sa gracieuse et trop prompte amie : « Je suis persuadée, disait de Rousseau Mme d’Épinay, qu’il n’y a que façon de prendre cet homme pour le rendre heureux : c’est de feindre de ne pas prendre garde à lui, et de s’en occuper sans cesse. » Grimm se mettait à rire et lui disait : « Que vous connaissez mal votre Rousseau ! […] Les lettres de Grimm, qui traitent de la rupture de Rousseau à sa sortie de l’Ermitage, sont des chefs-d’œuvre de tact, de précision, et de vue saine sur ce cœur malade.
Arrivé à l’âge de vingt ou vingt-deux ans, le jeune Arnault, que Madame (femme du comte de Provence) n’avait point perdu de vue, lui fut présenté, obtint sa protection et devint secrétaire de son cabinet ; c’était un dédommagement, mais très insuffisant, puisque les finances de cette bonne princesse étaient elles-mêmes atteintes dans la réforme. […] Il avait mieux que de l’esprit ; mais il ressemblait en cela à ces figures qui, pour paraître belles, veulent être placées à une certaine hauteur et vues en perspective ; de près, l’œil qui ne peut en saisir l’ensemble leur accorde moins d’attention qu’à une miniature. […] Parlant de l’honorable historien Lémontey qui, en petit comité, sous la Restauration, avait tout son courage libéral et tout son trait, mais qui, à la seule vue d’un étranger, rentrait aussitôt dans sa circonspection et s’y renfermait : « Une goutte d’eau, disait Arnault, suffisait pour mouiller toute sa poudre. » Pour lui, c’était tout le contraire ; sa poudre partait par tous les temps.