Il s’est mis à cheval sur cet âne immortel que montait Sancho Pança de son vivant ; heureux âne qui porte dans sa besace cent fois plus de philosophie qu’Aristote n’en portait dans sa tête. […] Pas n’est besoin de vous faire remarquer que Shakespeare, pour l’unité de son drame, aussi bien que Molière, a recours à un mort qui revient au monde, et qui raconte aux vivants ce qu’il a vu chez les morts. […] Pourtant, et ceci finira convenablement mon parallèle entre Hamlet et Don Juan, cette comédie de Molière, si maltraitée de son vivant, devait, reconquérir (voilà le malheur de nos vices !) […] D’où il suit qu’affaiblir les crimes et le libertinage de Don Juan, c’était détruire l’effet terrible de cette statue vivante. […] Surtout, parmi ces hommes et ces femmes, les ornements vivants et glorieux de ces fêtes de la poésie, celle qui attirait l’attention, les regards et les respects, la jeune femme applaudie à son entrée comme si elle eût été la reine, c’était madame la duchesse de Montpensier !
Malgré ce succès et cette heureuse rentrée en scène, Ducis a toujours l’œil à la retraite ; il cherche s’il ne découvrira pas quelque antre sauvage où, loin des peines actuelles et des malheurs qui ne sont pas finis, il puisse se retirer « avec La Fontaine et Shakespeare. » Il y joindra aussi Sophocle ; car il méditait de retoucher son Œdipe chez Admète et d’en faire simplement Œdipe à Colone : « C’est avec ces grands modèles qu’il est doux et bon de s’occuper de la tragédie, si pourtant on a assez de courage ou de farine, dans le temps où nous sommes, pour s’occuper de gloire et d’immortalité. » Le peintre De Gotti, l’un de ceux qui avaient fait la décoration d’Abufar, avait été chargé de décorer la salle de l’Opéra, et il y voulait inscrire le nom de Ducis avec ceux de quelques auteurs vivants. […] mais nous, auteurs vivants, n’irritons pas l’envie qui est aussi vivante.
Ce qu’on pourrait souhaiter de plus agréable comme complément d’exposition parisienne à une élite de voyageurs encore curieux de bel esprit, ce serait donc une telle séance, surtout s’il s’y rencontrait quelques-uns de ces contrastes, quelqu’une de ces antithèses de morts ou de vivants comme on en a vu. […] J’ai ouï dire à quelqu’un de nos anciens confrères, un peu trop attristé et de trop sinistre présage : « Nous serons les derniers des académiciens français. » Je ne le pense pas ; il y a de bonnes raisons pour que l’Académie subsiste ; mais il importe qu’en vivant elle se rajeunisse et qu’elle se maintienne dans un rapport vrai avec une société qui change. […] Cette dernière latitude est heureuse et permettra à l’Académie, au lieu de soutenir et de favoriser un genre faible et qui semble usé, de provoquer d’utiles travaux d’un intérêt actuel et bien vivant.
Il déclare dans son découragement ne plus avoir souci de la gloire ni de la postérité ; il croit avoir renoncé aux chastes Muses ; mécontent de sa condition et assujetti à la fortune, il gémit de ne plus poursuivre, dans une belle ardeur, le sourire de la docte et gracieuse Marguerite, cette patronne des poètes, et la haute faveur du Prince ou de la Cour ; et c’est précisément alors qu’il se retrouve le plus sûrement lui-même, et qu’en puisant ses vers à la source intime d’où une ambition plus haute le détournait, il nous les offre plus vrais et encore vivants après trois siècles. […] Et je craindrais plutôt de n’en pas dire assez, car Du Bellay devance aussi le d’Aubigné des Tragiques par la sanglante énergie de quelques sonnets qui n’avaient point été imprimés de son vivant, et qui, retrouvés seulement de nos jours, ont été publiés en 1849 par M. […] L’état de surdité absolue du poète lui interdisait d’aller rendre en personne ses devoirs à Madame Marguerite, au moment du départ de la princesse, et la lettre est pour s’en excuser ; cette prose émue se rejoint naturellement à ses vers, et le tout constitue pour nous la partie vivante et sympathique de l’œuvre de Du Bellay : « Monsieur et frère, ne m’ayant comme vous savez permis mon indisposition de pouvoir faire la révérence à Madame de Savoie depuis la mort du feu roi, que Dieu absolve !
Il a inventé plusieurs rythmes très vivants sous son souffle, et il a introduit dans la poésie savante les vers sans rime correspondante de notre poésie populaire. […] Ils ont largement commenté le vers de Victor Hugo : — Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant. […] Oui, ils sont les dignes fils de ce grand et noble poète tant bafoué et calomnié de son vivant, et si mal connu encore à cette heure ; de ce pur artiste qui écrivait : « … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » Et, en remontant jusqu’aux premières années du siècle, on trouverait un autre ancêtre, Alfred de Vigny, l’auteur de Moïse, de La Colère de Samson, de La Maison du berger et de ce délicieux mystère où … les rêves pieux et les saintes louanges, Et tous les anges purs et tous les grands archanges… chantent sur leurs harpes d’or la naissance d’Éloa, cette ange charmante née d’une larme de Jésus.
Ce monde est un chaos de systèmes, une poussière d’éléments plus ou moins importants, plus ou moins compliqués, depuis l’atome et les éléments de l’atome, jusqu’aux systèmes stellaires, jusqu’à la voie lactée, jusqu’à la cellule vivante, jusqu’aux sociétés, car les systèmes ne sont pas disposés en une série, mais plutôt selon une sorte de rayonnement irrégulier. […] Quel contraste entre nos aspirations à l’amour universel, au règne des fins, à la bonté dominant le monde, et cette lutte sanglante ou sourde, où se ruent sans relâche les êtres vivants ! […] Il saura qu’il n’y a en morale rien d’absolu, et, en adoptant cette formule banale il lui donnera un sens nouveau et plus vivant.
Ceux qui, comme Heyne et Wolf, ont borné le rôle du philo-logue à reproduire dans sa science, comme en une bibliothèque vivante, tous les traits du monde ancien 70, ne me semblent pas en avoir compris toute la portée. […] Pour moi, je trouve peu d’éléments de ma pensée dont les racines ne plongent en ce terrain sacré, et je prétends qu’aucune création philosophique n’a fourni autant de parties vivantes à la science moderne que cette patiente restitution d’un monde qu’on ne soupçonnait pas. […] Dites donc que ceux qui auront contribué à cette œuvre immense, qui auront poli une des faces de ce diamant, qui auront enlevé une parcelle des scories qui voilent son éclat natif ne sont que des pédants, des oisifs, des esprits lourds qui perdent leur temps et qui, n’étant pas bons pour faire leur chemin dans le monde des vivants, se réfugient dans celui des momies et des nécropoles !
Malade, nerveux, excité, vivant dans un grand monde factice où la disproportion de la fortune se faisait perpétuellement sentir à lui, et où les passions ne l’attiraient plus, il voulait s’en retirer, et il ne le pouvait qu’à demi. […] Ou je vivrai seul, occupé de moi et de mon bonheur, ou, vivant parmi vous, j’y jouirai d’une partie de l’aisance que vous accordez à des gens que vous-mêmes vous ne vous aviserez pas de me comparer. […] C’est par rapport au très grand monde seulement que Chamfort a pu dire : « Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société, il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère, et surtout de ses faiblesses, à son meilleur ami. » C’est ce grand monde uniquement qu’il avait en vue quand il disait : « La meilleure philosophie relativement au monde est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. » C’est pour avoir trop vécu sur ce théâtre de lutte inégale, de ruse et de vanité, qu’il a pu dire son mot fameux : « J’ai été amené là par degrés : en vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » J’ajouterai, pour infirmer l’autorité de certaines maximes de Chamfort et pour en dénoncer le côté faux, qu’elles viennent évidemment d’un homme qui n’a jamais eu de famille, qui n’a pas été attendri par elle ni en remontant ni en descendant, qui n’a pas eu de père et qui, à son tour, n’a pas voulu l’être.
* * * Dans nos promenades de tout le jour, par les allées désertes de ce bois de Boulogne maudit, voir à la cantonade le défilé de ces joyeux, de ces vivants, de tous ces heureux de vivre, de tous ces reconnaissants de l’existence : ça vous donne des idées homicides ! […] * * * Entre deux êtres qui se sont aimés comme nous, la séparation éternelle, sans la reconnaissance d’une seconde, sans un serrement de main, sans un adieu du mourant au vivant. […] Une seconde, sur son visage de vivant, j’entrevis son visage de mort.
Par exemple, que l’on compare Athènes, démocratie vivante, avec Sparte, oligarchie immobiliste ! […] Ceux qui prétendent tout expliquer par l’expérience et la physiologie, rencontreront toujours un démenti sous la forme d’une personnalité vivante ; cette personnalité sera peut-être même l’un d’eux. […] Nullement ; elles sont au contraire dans tous les éléments de leur époque et de leur milieu qu’ils ont subis sans leur imposer l’empreinte de leur personnalité, dans tel cliché du vocabulaire ou de la syntaxe, dans telle forme purement traditionnelle, dans tel préjugé local docilement obéi, dans tel principe de l’époque aveuglément accepté ; en un mot, partout où la forme, — dans le sens profond du mot, — n’est pas parfaitement adéquate à la personnalité ; par contre ces mêmes artistes demeurent vivants jusque dans leurs erreurs, quand elles sont personnelles.
Rationalisme et sensibilité ont régné parallèlement vers la fin de cet âge, se reconnaissant bien pour frères, en ce qu’ils dérivaient de la même source qui n’est autre qu’orgueil personnel et grande estime de soi, mais frères ennemis, qui se défiaient fort l’un de l’autre en s’apercevant qu’ils menaient aux conclusions, aux règles de conduite, aux morales les plus différentes ; et aussi, dans les esprits communs et peu capables de discernement, dans la foule, frères ennemis vivant côte à côte, prenant tour à tour la parole, mêlant leurs voix en des phrases obscures autant que solennelles ; dieux invoqués en même temps d’une même foi indiscrète et d’un même enthousiasme confus. […] Le portrait littéraire n’y est jamais fait, et la figure du personnage y est vivante, individuelle, tracée d’une manière ineffaçable en quelques traits. […] Et ces traits ne sont qu’un art de mieux faire revivre les personnages ; et ce qui domine, sans étalage du reste, et sans rien surcharger, ce sont bien les vertus charmantes de ces laborieux : leur probité, leur loyauté, leur labeur immense et tranquille, leur modestie, leur piété, leur dévotion même naïve et comme enfantine, et délicieuse en sa bonhomie, comme celle de ce mathématicien17 qui disait « qu’il appartient à la Sorbonne de disputer, au Pape de décider, et au mathématicien d’aller au ciel en ligne perpendiculaire. » Ils sont exquis ces savants de 1715, vivant de leurs leçons de géométrie ou d’une petite pension de grand seigneur, sans éclat, presque sans journaux, inconnus du public, formant en Europe comme une petite république dont les citoyens ne sont connus que les uns des autres, tranquilles et simples d’allures dans leur régularité de quinze heures de labeur par jour, et disant quelquefois du Régent : « Je le connais. […] — Autant dire que l’art qui veut donner la sensation du réel ne donne que la sensation de la médiocrité. — Sans aucun doute ; seulement la médiocrité vraie, bien vivante, parlante, et où chacun de nous reconnaît son voisin est infiniment difficile à attraper, et Le Sage, autant, si l’on veut, par ce qui lui manquait, que par ses qualités, était merveilleusement habile à la saisir : et je ne dis pas qu’il n’y ait un art supérieur au sien, je dis seulement que ce qu’il a entrepris de faire, il l’a fait à merveille. […] C’est d’abord avoir ce don de la vie qui, de mille observations de détail, crée un personnage vivant, c’est ensuite inventer des circonstances, des incidents, vrais eux-mêmes, et qui, de plus, servent à montrer le personnage dans la suite et la succession des différents aspects de sa nature vraie.
Étrange homme que ce Daniel Valgraive qui, poursuivi par la terreur et le pressentiment de la mort, veut de son vivant assurer la tutelle d’un époux à sa femme et d’un père à son enfant. […] Et de fait on sent partout, dans ce livre singulier fait de charme et de philosophie, d’ironie et de logique, le frémissement de la chose vivante. […] Anatole France qui contient une suite de récits ou plutôt de vivantes évocations, de véritables restaurations d’événements que le temps a fait disparaître dans son lointain. […] L’Histoire future, renseignée seulement par des documents imprimés, le sera-t-elle plus que celle d’aujourd’hui émanée des manuscrits encore vivants de la vie de ceux qui nous les ont légués ? […] Francis Chevassu fait paraître chez Lemerre, j’ai retrouvé l’impression éprouvée il y a vingt ans, en lisant : Les Artistes vivants, un livre de Théophile Silvestre, bien à tort oublié aujourd’hui.
On a dit depuis des siècles qu’il était vivant, exact, animé, peintre admirable, grand observateur, etc. […] Et voilà pourquoi la phrase n’est pas vivante. […] Si ce qu’on dit peut se rapporter à un autre, le portrait n’est pas vivant : c’est un cliché. […] Gardons-nous de nous laisser rebuter par son vieux français, sous lequel palpite un style aussi vivant que s’il datait d’hier. […] Tout est imprévu, tout est créé, tout est vivant.