XIV Cette faiblesse, cette grâce, cette adolescence perpétuelle de caractère étaient empreintes à l’œil sur les traits d’Alfred de Musset comme sur son style. […] Le trait marquant de cette physionomie alors était la bonté : on se sentait porté à l’aimer involontairement. […] Nous avons entrevu dans tous les climats bien des femmes dont les traits éblouissaient les yeux, dont le timbre de l’âme dans la voix ébranlait le cœur, dont les regards répandaient plus de lueurs qu’il n’y en a dans l’aube et dans les étoiles d’un ciel d’Orient ; mais nous n’avons jamais vu et nous craignons qu’on ne revoie jamais (car la nature s’égale mais ne se répète pas) une créature innomée comparable à cette bayadère du ciel ici-bas. […] Il répandait sur ses traits éclatants de jeunesse et d’inspiration une arrière-pensée de tristesse.
Encore n’est-ce pas assez dire, et, sachant par ailleurs que tel Conte ou tel Mystère a vu le jour pour la première fois en France, ou en Italie, c’est en vain que nous nous efforçons de reconnaître en lui des traces de son origine, une empreinte locale, quelqu’un enfin de ces traits de cc race », à la détermination psychologique ou esthétique desquels on a trop souvent, en notre temps, essayé de réduire toute l’histoire de la littérature. […] Neufs et inhabiles à l’observation d’eux-mêmes, ils voudraient bien, mais ils ne savent pas, en célébrant leur « dame » ou leur « martyre d’amour », noter le trait caractéristique, donner la touche qui distingue et qui précise, traduire enfin leurs sentiments d’une manière qui n’appartienne qu’à eux. […] Mais, à coup sûr, nous ne pouvons pas ne pas lui être reconnaissants de nous avoir appris à « composer » ; et là, comme on le sait, dans cet équilibre de la composition, dans cette subordination du détail à l’idée de l’ensemble, dans cette juste proportion des parties, là sera l’un des traits éminents et caractéristiques de la littérature française. […] Froissart] ; — ni d’un historien moraliste ; — c’est-à-dire capable de tirer des faits une signification qui les dépasse ; — C’est ce qui le distingue de son contemporain Machiavel, entre autres traits ; — et sans rien dire de son ignorance du latin ou de de la tradition classique. — Ses qualités d’écrivain ; — et ce qu’elles retiennent de l’esprit du Moyen Âge.
Deux traits informes élancés en avant, et voilà deux bras ; deux autres traits informes, et voilà deux jambes ; deux endroits pochés au dedans d’un ovale, et voilà deux yeux ; une ovale mal terminée, et voilà une tête, et voilà une figure qui s’agite, qui court, qui regarde, qui crie. Le mouvement, l’action, la passion même sont indiqués par quelques traits caractéristiques, et mon imagination fait le reste. […] Le grand homme n’est plus celui qui fait vrai, c’est celui qui sait le mieux concilier le mensonge avec la vérité ; c’est son succès qui fonde chez un peuple un système dramatique qui se perpétue par quelques grands traits de nature, jusqu’à ce qu’un philosophe poëte dépèce l’hipogrife et tente de ramener ses contemporains à un meilleur goût.
En louant Jouffroy et en le faisant souvent par des traits d’une juste ressemblance, M. […] Ce sont là de ces traits un peu trop appuyés, qui font rire aux dépens des gouvernements les gens mêmes qui sont le plus en peine quand les gouvernements viennent à leur manquer.
Et ne croyez pas que ce dernier mot soit une épigramme ; car tout aussitôt, dans une page très belle et pleine d’onction, tout en réservant son principe de foi, il va rendre hommage à ce trait d’ingénue et d’absolue soumission qui est obtenue plus facilement par la religion catholique et qui procède du dogme établi de l’autorité même ; il y reconnaît un vrai signe de l’esprit religieux sincère : Et en effet, dit-il, être chrétien, être vrai disciple de Jésus-Christ, c’est bien moins, à l’en croire lui-même, admettre ou ne pas admettre telle doctrine théologique, entendre dans tel ou tel sens un dogme ou un passage, que ce n’est assujettir son âme tout entière, ignorante ou docte, intelligente ou simple, à la parole d’en haut, pas toujours comprise, mais toujours révérée. […] Près de mourir, Töpffer reviendra sur cette idée d’assujettissement, d’acquiescement intime et volontaire qui était le trait essentiel de sa foi : « Qui dispute, doute ; qui acquiesce, croit… Je crois et je me confie, deux choses qui peuvent être des sentiments vagues, sans cesser d’être des sentiments forts et indestructibles. » Dès le temps où il visitait la Grande-Chartreuse, Töpffer, voyant ce renoncement absolu qui imprime le respect et une sorte de terreur, s’était posé dans toute sa précision le problème qui est fait pour troubler une âme préoccupée des destinées futures : le chartreux, le trappiste, en effet, le disciple de saint Bruno ou de Rancé vit chaque jour en vue de sa tombe, tandis que d’autres, la plupart, ne vivent jamais qu’en vue de la vie et comme s’ils ne devaient jamais mourir : Destinée étrange que celle de l’homme !
Cette partie tout aventureuse de la narration se couronne par un trait imprévu et délicat, tel que sa plume n’en aura pas toujours : il s’agit simplement de la mort d’une gazelle, compagne de la traversée et délassement de la quarantaine ; elle appartenait au principal passager, M. […] Ici se termine à peu près le récit d’Arago ; les dix ou douze pages qui suivent sont peu intéressantes ; il s’y donne le plaisir trop facile de lancer un dernier trait contre quelque uns de ses confrères encore vivants.
Fénelon, comme tous les vrais chrétiens, trouverait cette façon d’atteindre à la sagesse et au bonheur bien morne et bien insuffisante ; ce n’est point en se réfugiant et en se retranchant dans le moi qu’il croit possible de trouver la paix : car en nous, pense-t-il, et dans notre nature sont les racines de tous nos maux ; tant que nous restons renfermés dans nous-mêmes, nous offrons prise sous le souffle du dehors à toutes les impressions sensibles et douloureuses : Notre humeur nous expose à celle d’autrui ; nos passions s’entrechoquent avec celles de nos voisins ; nos désirs sont autant d’endroits par où nous donnons prise à tous les traits du reste des hommes ; notre orgueil, qui est incompatible avec l’orgueil du prochain, s’élève comme les flots de la mer irritée : tout nous combat, tout nous repousse, tout nous attaque ; nous sommes ouverts de toutes parts par la sensibilité de nos passions et par la jalousie de notre orgueil. […] [NdA] Ainsi, dans le Sermon pour la fête de l’Épiphanie, on trouve ce mot souvent cité : « L’homme s’agite, mais Dieu le mène. » Et dans le second point du même sermon, dans cette seconde partie qui est d’une grande beauté morale, il y a sur la corruption des mœurs et sur la décadence de la foi, de ces traits de vigueur qui sembleraient appartenir à Bossuet : Les hommes gâtés jusque dans la moelle des os par les ébranlements et les enchantements des plaisirs violents et raffinés ne trouvent plus qu’une douceur fade dans les consolations d’une vie innocente : ils tombent dans les langueurs mortelles de l’ennui dès qu’ils ne sont plus animés par la fureur de quelque passion.
Dans les Pensées de M. de Meilhan, il y a des traits de feu qui éclairent toujours, et des fusées qui vont plus haut qu’elles ne font de bruit ; le tout est toujours terminé par une belle décoration. […] On peut appliquer à M. de Meilhan ce que lui-même a dit quelque part de La Rochefoucauld et de ce besoin de tout expliquer par l’amour-propre : M. de La Rochefoucauld est peut-être un peu suspect ; il est comme ces médecins qui, dans toutes les maladies, voient celle qu’ils ont le plus particulièrement étudiée ; mais enfin il a des traits de lumière qui pénètrent jusqu’au fond du cœur, et je lui dois en partie de me connaître.
Le président Jeannin (c’est en effet un des traits de son caractère, et qui le distingue encore de Villeroi) aimait les lettres et les savants. […] Au reste, pour apprécier l’ensemble de la conduite et du caractère du président Jeannin en ces années, on n’a rien de mieux à faire que de s’en rapporter au témoignage décisif du cardinal de Richelieu, un moment son adversaire, qui le vit de près à l’œuvre, qui lisait et relisait ses Négociations manuscrites durant son exil d’Avignon, et à qui il échappe à son sujet des paroles d’une admiration généreuse : On ne saurait assez dire de ses louanges, écrit-il à l’occasion de sa mort ; mais il faut faire comme les cosmographes qui dépeignent dans leurs cartes les régions tout entières par un seul trait de plume.
Cuvier, Cabanis, Lalande, Lémontey, Moreau (de la Sarthe) et d’autres encore ont parlé de Vicq d’Azyr avec détail ; je n’ai qu’à choisir dans les traits qu’ils me présentent, et à m’attacher plus particulièrement en lui à l’écrivain et au littérateur. […] Le Vacher de La Feutrie, doyen de la faculté de médecine de Paris, Vicq d’Azyr est traité plus gaiement ; dans un parallèle développé il est comparé à Cromwell : « Mille traits de ressemblance vous rapprochent : ambition démesurée, hypocrisie profonde, etc., etc.
Il a les mêmes traits, la même physionomie, les mêmes gestes ; seulement, la couleur de ses yeux est différente, et l’ensemble de ses traits est un peu plus délicat.
» Un homme qui ne veut rien blâmer, mettez ce trait en regard du trait dominant de Saint-Simon, l’onctueuse fadeur en regard de l’amertume qui s’épanche et de l’ardente causticité : c’est le combat des éléments.
et, selon que cette lecture directe et familière leur a été possible ou non, n’y aurait-il pas un certain trait à en déduire par rapport à chacun, une certaine réflexion qui porte sur l’ensemble du talent ? […] Il n’a pas, à la vérité, les traits aigus de Lucain et de Stace, mais il a quelque chose que j’estime plus, qui est une certaine égalité nette et majestueuse qui fait le vrai corps des ouvrages poétiques, ces autres petits ornements étant plus du sophiste et du déclamateur que d’un esprit véritablement inspiré par les muses.