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546. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

L’ignorant le croit plat ; j’épaissis sa rondeur, Je le rends immobile, et la terre chemine. En voilà plus que Pascal lui-même n’osait dire sur le mouvement de la terre, tout géomètre qu’il était. […] Toutes les fois qu’il a eu à parler des maîtres de la terre et du Lion qui les représente en ses Fables, La Fontaine a marqué qu’il n’était point séduit ni ébloui, et l’on a raconté à ce sujet une anecdote que je veux mettre ici parce qu’elle est moins connue que d’autres ; elle est, d’ailleurs, très authentique et vient de Brossette, qui la tenait de la bouche de Boileau : M.  […] Il disait de La Fontaine : « Si ses Fables n’étaient pas l’histoire des hommes, elles seraient encore pour moi un supplément à celle des animaux. » Lamartine, tout en tenant beaucoup de Bernardin, n’a pas également ce côté naturel ; il échappe à la matière dès qu’il le peut, il n’a point de racines en terre, et il ramène volontiers en chaque rencontre son idéal séraphique et céleste : ce qui est l’opposé de La Fontaine.

547. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Vigny, ce grand coupable aux yeux qui l’aiment, ne devait plus jamais retrouver que quelques flocons tombés des ailes de l’Ange qui s’en était allé pendant que son poète regardait la terre, et vous le verrez tout à l’heure. […] Kitty Bell, c’est l’ange de la pitié aussi, mais sur la terre, dans sa robe grise de puritaine, tombant aussi par pitié dans Chatterton ; car elle tombe, quoique sa chute soit voilée par sa pitié même et par celle du romancier, qui n’ose pas la raconter ! […] … Le charme suprême, le charme qui fait tout pardonner, et qui ferait fondre la terre et ses granits en larmes : c’est le charme de la pitié. […] Alfred de Vigny n’est point désespéré pour les raisons sentimentales et romanesques qui font les désespérés de la terre ; mais pour une raison d’une tout autre noblesse, pour une raison métaphysique, une raison qui est une idée, et du mutisme de laquelle, quand il l’a sans cesse interrogée, il ne prit son parti jamais… Pour vous en convaincre, lisez cette page si triste et si belle, triste comme tout ce que Pascal a écrit.

548. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LVIII » pp. 220-226

Si l’histoire du saint personnage n’est écrite de main habile et par une tête qui soit au-dessus de toutes vues humaines, autant que le ciel est au-dessus de la terre, tout ira mal. […] Au lieu de son groupe de marbre éblouissant et parfait, on a un plâtre rude, une sorte de modèle en terre ; les attitudes du moins et l’ensemble des mouvements conservent trace de l’immortelle beauté.

549. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

Quand on embrasse, de quelque courbe de sa rive, la Loire étalée et bleue comme un lac, avec ses prairies, ses peupliers, ses îlots blonds, son ciel léger, la douceur épandue dans l’air, et, non loin, quelque château ciselé comme un bijou, qui nous rappelle la vieille France, ce qu’elle a été et ce qu’elle a fait dans le monde, l’impression est si charmante, si enveloppante, qu’on se sent tout envahi de tendresse pour cette terre maternelle, si belle sous la lumière et si imprégnée de souvenirs. […] Car elle a, en quelque façon, réinventé la patrie, par-delà l’attachement au coin de terre natal et par-delà le service d’un roi où d’un seigneur.

550. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

La ligue des bons esprits de la terre entière contre le fanatisme et la superstition est en apparence le fait d’une imperceptible minorité ; au fond, c’est la seule ligue durable, car elle repose sur la vérité, et elle finira par l’emporter, après que les fables rivales se seront épuisées en des séries séculaires d’impuissantes convulsions. […] Le cheik Gemmal-Eddin me paraît avoir apporté des arguments considérables à mes deux thèses fondamentales : — Pendant la première moitié de son existence, l’islamisme n’empêcha pas le mouvement scientifique de se produire en terre musulmane ; — pendant la seconde moitié de son existence, il étouffa dans son sein le mouvement scientifique, et cela pour son malheur !

551. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

Madame de Maintenon était revenue de son domaine, où le roi lui avait « envoyé Le Nôtre pour ajuster cette belle et laide terre. […] il n’y en a point de pareille sur la terre.

552. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 211-219

Tels sont, comme je crois, ces Ecrivains qui pensent Que ce ne sont les lieux ou les astres qui dansent A l’entour de la terre ; ains que la terre fait Chaque jour sur son axe un tour vraiment parfait ; Que nous semblons ceux-là qui, pour courir fortune, Tentent le dos flottant de l’azuré Neptune, Et nouveaux, cuident voir, quand ils quittent le port, La nef demeurer ferme, & reculer le bord.

553. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Le corps du saint est à terre ; l’exécuteur tient le couteau avec lequel il a séparé la tête ; il montre cette tête séparée à Herodiade. […] C’est, mon ami, comme je crois vous l’avoir déjà dit, que tout l’effet d’un pareil tableau, dépend du paysage, du moment du jour, et de la solitude ; si des déesses viennent déposer leurs vêtements et exposer leurs charmes les plus secrets aux yeux d’un mortel, c’est sans doute dans un endroit de la terre écarté.

554. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

M. de Chateaubriand, se souvenant de quelques chapitres très beaux de L’Esprit des lois, terminait le Génie du christianisme en se posant cette question : « Quel serait aujourd’hui l’état de la société, si le christianisme n’eût point paru sur la terre ?  […] Quelque chose de court, de simple (ou de grossier) et de tout trouvé, d’informe et de vague, de tout voisin de la terre ou de trop voisin du nuage. […] Ne pas avoir le sentiment des lettres, cela, chez les anciens, voulait dire ne pas avoir le sentiment de la vertu, de la gloire, de la grâce, de la beauté, en un mot de tout ce qu’il y a de véritablement divin sur la terre : que ce soit là encore notre symbole. […] Mais les Athéniens n’ont su remplir qu’une moitié de son vœu, et cette œuvre rêvée, — et mieux que rêvée, proposée par Périclès —, œuvre de constance, d’énergie durable et d’empire politique universel, ce sont les Romains qui se sont chargés de l’accomplir dans des proportions tout autrement vastes, et non plus sur mer, mais sur terre ; et en même temps que les Grecs déchus, privés de l’exercice des vertus publiques, devenaient (sauf de rares exceptions) plus légers, plus volubiles, plus sophistiques, plus flatteurs, plus fabuleux qu’ils n’avaient jamais été, les vainqueurs se saisirent du précieux élément divin, d’une part de ce feu de Prométhée, et en animèrent leur vigueur pratique et leur sens solide, dans un tempérament qui unit la vivacité et la consistance. […] Si le temps, ce grand dévorateur, fait disparaître le souvenir de bien des faits, et anéantit avec les témoins les explications véritables, il est aussi, à bien des égards, le grand révélateur ; il fait sortir d’autres soudains témoins de dessous terre, et livre bien des secrets inespérés.

555. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

La France lui apparaissait comme un gouffre, « comme un épouvantable enfer » ; il y échappe et arrive sur la terre étrangère sans ressources, cherchant à gagner le pain de chaque jour. […] Il est un des plus étonnants et des plus lamentables exemples d’aveuglement qui aient encore effrayé la terre. […] Il semble que sa piété, ses vertus, son âme tout entière, se communiquent à tout ce qui l’entoure : c’est un ange sur la terre… » C’est seulement quand l’abbé Carron se décide à revenir en France que M. de La Mennais y rentre lui-même. […] J’aime mieux M. de Bonald, chêne vigoureux qui va chercher sa sève à travers les rocs primitifs, jusque dans les entrailles de la terre. » Il changea probablement d’avis sur M. de Bonald avec les années 124 ; mais peu importe, l’image reste belle. […] Avant cela, je pouvais encore espérer un peu de repos sur la terre ; à présent, point.

556. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Le nouveau Cyrus a dit au prince des prêtres : « Jéhovah, le Dieu du ciel, m’a livré les royaumes de la terre, et il m’a commis pour relever son temple. […] Dans ses Mémoires, le chapitre par lequel il entame sa vie politique et qu’il intitule « De Bonaparte », débute également par une page qui va rejoindre la dernière invocation de ce poème des Martyrs : « La jeunesse est une chose charmante ; elle part au commencement de la vie, couronnée de fleurs, comme la flotte athénienne pour aller conquérir la Sicile… » Et le poète conclut que, quand la jeunesse est passée avec ses désirs et ses songes, il faut bien, en désespoir de cause, se rabattre à la terre et en venir à la triste réalité. […] Et il ajoute, parlant toujours des femmes et de l’amour : Quand vous vous desséchez sur le cœur qui vous aime, Ou que ce cœur flétri se dessèche lui-même ; Quand le foyer divin qui brûle encore en nous Ne peut plus rallumer la flamme éteinte en vous, Que nul sein ne bat plus quand le nôtre soupire, ………………………………………………… Alors, comme un esprit exilé de sa sphère Se résigne en pleurant aux ombres de la terre, Détachant de vos pas nos yeux voilés de pleurs, Aux faux biens d’ici-bas nous dévouons nos cœurs. […] Mais, dans tous les cas, c’est toujours parce que la jeunesse n’est plus là, que le poète veut bien s’occuper de nous, de la terre et de la matière humaine gouvernable. […] bon Dieu, princes de la terre, je ne détrône personne ; gardez vos couronnes, si vous pouvez, et surtout ne me les donnez pas, car je n’en veux mie.

557. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Mais c’est diantrement froid, fichtrement sec… Pourquoi sur cette terre ? […] » C’est tout un renversement de la géométrie qu’il nous indique… Les géomètres ne sont que des arpenteurs qui mesurent à un cheveu près la distance de la terre au soleil ; mais ce cheveu, qui n’est rien pour nous, est énorme comparé par nous à l’acarus du bourdon… La géométrie mal baptisée : mesure de la terre : ce n’est pas de mesure qu’il s’agit, « c’est de faire connaître, c’est de donner la forme de la durée et de l’intensité des choses. » Et redescendant brusquement à terre, il termine la conversation par un charmant portrait en quatre mots de son vieil ami Chandellier, ce comique mélancolique aux cheveux blancs et tout plein au fond de vignettes de romances. […] Des tremblements de terre !

558. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Sans doute c’est là un des effets et une des tendances de la démocratie, c’est surtout un de ses écueils ; mais la démocratie a une racine plus noble et plus pure, elle ne vient pas seulement du désir de partager les biens de la terre : elle vient du désir plus élevé de faire respecter sa personne et ses droits ; l’amour de l’égalité dans ce qu’il a de meilleur n’est autre chose que le respect de soi-même et la défense de sa dignité. […] Il est permis de soutenir le mouvement de la terre sans aller en prison comme Galilée, l’infinité du monde sans être brûlé comme Bruno ; on peut être panthéiste et même athée sans craindre le supplice de Michel Servet et de Vanini. […] « Il n’y a pas de pouvoir sur la terre, dit-il, qui puisse empêcher que l’égalité croissante des conditions ne porte l’esprit humain vers la recherche de l’utile, et ne dispose chaque citoyen à se resserrer en lui-même. » Il y a en effet bien des raisons, et trop longues à énumérer, pour qu’il en soit ainsi ; je ne sais cependant s’il faut dire : « La doctrine de l’intérêt bien entendu me semble la mieux appropriée aux besoins des hommes de notre temps. […] Il lui semblait que plus l’homme s’accorde de liberté sur la terre, plus il doit s’enchaîner du côté du ciel, qu’il est incapable de supporter à la fois une complète indépendance religieuse et une entière liberté politique, enfin « que, s’il n’a pas de foi, il faut qu’il serve, et, s’il est libre, qu’il croie. » Quelque pénétré qu’il fût de la nécessité de cette alliance entre la liberté et la religion, il ne se faisait aucune illusion sur les difficultés qu’elle rencontrait de notre temps. […] Lui-même, à son insu, semble avoir donné raison à quelques-uns des griefs du socialisme : « L’aristocratie manufacturière, dit-il, que nous voyons s’élever, est une des plus dures qui aient paru sur la terre. » Voir tout le chapitre sur l’aristocratie qui pourrait sortir de l’industrie.

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