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313. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Sa première poésie fut une traduction ou imitation de Hèro et Lèandre, le poème de Musée ; une autre de ses pièces de vers avait pour sujet Calirhoè offrant sa virginité au fleuve Scamandre, d’après un tableau de Lancrenon. […] Rioult était un peintre de l’école de Prud’hon ; il avait fait notamment un Eudore et Cymodocèe, un Roger enlevant Angélique sur l’hippogriffe, et un autre tableau encore, emprunté de la chevalerie, dont Théophile Gautier a donné la description dans une de ses plus anciennes pièces de vers : c’est dans une causerie du soir avec un ami, pour l’engager à rester quelques moments de plus et à prolonger la veillée au coin du feu. Nous causerons, lui dit-il, poésie, littérature, et des jeunes et des vieux, des nouveaux d’aujourd’hui et de ceux d’autrefois ; et venant à la peinture : Je te dirai comment Rioult, mon maître, fait Un tableau qui, je crois, sera d’un grand effet : . […] Mais à ce tableau plein d’inventions heureuses Je préfère pourtant ses petites Baigneuses… Voilà bien le genre à sa date, la poésie pédestre et familière, telle qu’on l’essayait alors. […] Il a peint sur place et d’après’nature les jeunes France ; il les a pris sur le vif, il les a tirés à bout portant et a épuisé en trois ou quatre tableaux la physiologie du genre.

314. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Regarde-toi au milieu de ces secrètes et intérieures insinuations qui stimulent si souvent ton âme, au milieu de toutes les pensées pures et lumineuses qui dardent si souvent sur ton esprit, au milieu de tous les faits et de tous les tableaux des êtres pensants, visibles et invisibles, au milieu de tous les merveilleux phénomènes de la nature physique, au milieu de tes propres œuvres et de tes propres productions ; regarde-toi comme au milieu d’autant de religions ou au milieu d’autant d’objets qui tendent à se rallier à l’immuable vérité. […] Vous vous dites sans cesse inspirés par les cieux, Et vous ne frappez plus notre oreille, nos yeux, Que par le seul tableau des choses de la terre ; Quelques traits copiés de l’ordre élémentaire.  […] Dans sa vie connue dans ses tableaux, ce qui domine, c’est l’aspect verdoyant, la brise végétale ; c’est la lumière aux flancs des monts, c’est le souffle aux ombrages des cimes. […] Mais en y songeant mieux, revoyant sans fumée, D’une vue au matin plus fraîche et ranimée, Ce tableau d’un poëte harmonieux, assis  Au sommet de ses ans, sous des cieux éclaircis, Calme, abondant toujours, le cœur plein, sans orage, Chantant Dieu, l’univers, les tristesses du sage, L’humanité lancée aux Océans nouveaux…, — Alors je me suis dit : Non, ton oracle est faux ; Non, tu n’as rien perdu ; non, jamais la louange, Un grand nom, — l’avenir qui s’entr’ouvre et se range, —  Les générations qui murmurent : C’est lui !  […] quelle succession de tableaux à chaque heure des jours et des nuits !

315. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Pour Boileau, mettons à part la satire littéraire, si fine et si mordante à travers la langueur de la querelle : ce qu’il a fait, c’est un tableau réaliste. […] À chaque pas, dans un coin de satire ou d’épître morale, on rencontre de petits tableaux d’une couleur toute réaliste : c’est le directeur malade, et toutes ses pénitentes autour du lit, dans la chambre, empressées et jalouses : L’une chauffe un bouillon, l’autre apprête un remède. […] L’expression est si propre, si serrée, si objective, qu’aussitôt on a le tableau devant les yeux : dans la noirceur enfumée du fond éclatent les trognes vermeilles, et l’éclair d’un verre ou d’un broc à demi rempli qu’on soulève. […] Il se peut qu’on ait droit de le faire : en tout cas, on ne pourra contester qu’il y ait un art réaliste ; et c’est cet art réaliste qui a produit au xviie  siècle les vers de Boileau, comme ailleurs il a produit des tableaux et des romans. […] Sainte-Beuve n’avait pas tort de croire que Despréaux avait composé l’Épître à Arnauld pour encadrer deux tableaux qui lui plaisaient, la fuite légère du temps, et la lente allure du bœuf de labour.

316. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Vastes tableaux de mœurs. […] Le roman, ainsi, ne sera plus la confidence d’un individu et souvent le jeu de sa fantaisie : il sera ce que sa définition veut qu’il soit, un miroir de l’âme humaine, un tableau de la vie. […] Un peu lourd, quoi qu’en ait pensé Flaubert, en sa richesse descriptive, ce roman est supérieur à tout ce qu’on a pu tenter en ce genre, par la largeur pittoresque et l’énergie dramatique des tableaux. […] Ferdinand Fabre916 a fait quelques tableaux remarquables de la dévotion rustique et populaire dans les Cévennes méridionales, mais surtout de vigoureuses études des caractères ecclésiastiques, des formes très spéciales que l’Eglise impose aux passions, aux convoitises, aux haines des hommes ; M.  […] Nulle psychologie, du reste, dans les bonshommes qui peuplent ses tableaux : quelques états de sensibilité, les siens, aspirations vagues et douloureuses, désirs de l’impossible, regrets de l’écoulé, nostalgies, désespérances, toutes les nuances enfin de cette disposition élémentaire qu’on peut appeler l’égoïsme sentimental.

317. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Il importe assez peu pour la qualité de l’ouvrage que l’auteur en ait pris ici ou là le canevas, qu’il y ait inséré tel ou tel épisode d’emprunt : le mérite n’est pas dans l’invention générale, mais dans la conduite, dans le ménagement de chaque scène et de chaque tableau, dans le détail du propos et du récit, dans l’air aisé et le tour d’enjouement qui unit tout cela. […] Le Diable boiteux, pour le titre, le cadre et les personnages, est pris de l’espagnol ; mais Lesage ramena le tout au point de vue de Paris ; il savait notre mesure ; il mania son original à son gré, avec aisance, avec à-propos ; il y sema les allusions à notre usage ; il fondit ce qu’il gardait et ce qu’il ajoutait dans un amusant tableau de mœurs, qui parut à la fois neuf et facile, imprévu et reconnaissable. Ce livre est celui que Lesage refera et recommencera dans la suite en cent façons sous une forme ou sous une autre, le tableau d’ensemble de la vie humaine, une revue animée de toutes les conditions, avec les intrigues, les vices, les ridicules propres à chacune. […] Toutes les formes de la vie et de l’humaine nature se rencontrent dans Gil Blas, — toutes, excepté une certaine élévation idéale et morale, qui est rare sans doute, qui est jouée souvent, mais qui se trouve assez réelle en quelques rencontres pour ne pas devoir être tout à fait omise dans un tableau complet de l’humanité. […] Villemain dans le tome premier du Tableau de la littérature au xviiie  siècle, et les Éloges si distingués et si bien sentis de M. 

318. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Il y a donc de la sobriété et un tour très net dans ce Voyage, écrit sous forme de lettres à un ami ; ce sont de vives esquisses, plutôt que des tableaux. Le peintre ému se reconnaît pourtant dès les premières lignes ; les descriptions ne sont pas sèches ; le paysage n’est là que pour se mettre en rapport avec les personnages vivants : « Un paysage, dit-il, est le fond du tableau de la vie humaine. » Avant de s’embarquer à Lorient, et sans avoir encore quitté le port, en s’y promenant et en nous y montrant le marché aux poissons avec tout ce qui s’y remue de fraîche marée, l’auteur nous rend une petite toile hollandaise ; en nous peignant avec vérité le retour des pêcheurs par un gros temps, il y mêle le côté sensible dont il abusera : « C’est donc parmi les gens de peine que l’on trouve encore quelques vertus. » On reconnaît le petit couplet philosophique qui commence, mais il ne le prolonge pas trop, et cela ne va pas encore jusqu’au sermon56. […] Je pourrais citer d’autres délicieux petits tableaux tout à côté, notamment celui qui commence par ces mots : « Si jamais je travaille pour mon bonheur, je veux faire un jardin comme les Chinois… » Malgré ces touches heureuses, il manquait pourtant au Voyage de l’île de France, et à son exactitude complète, cette vie intime et magique que Bernardin, en y revenant, saura mêler plus tard à ces mêmes peintures, quand il les reverra de loin, non plus dans l’ennui de l’exil, mais avec la tendresse du regret et avec la vivacité de l’absence. […] C’était Bernardin qui avait écrit : « La nature offre des rapports si ingénieux, des intentions si bienveillantes, des scènes muettes si expressives et si peu aperçues, que qui pourrait en présenter un faible tableau à l’homme le plus inattentif le ferait s’écrier : Il y a quelqu’un ici ! […] J’aurai présenté de beaux tableaux, j’aurai consolé, fortifié et rassuré l’homme dans le passage rapide de la vie.

319. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

Les tragédies, les ouvrages d’imagination, vous représentent l’adversité comme un tableau où le courage et la beauté se déploient ; la mort, ou un dénouement heureux terminent, en peu d’instants, l’anxiété qu’on éprouve. […] Les indifférents, les connaissances intimes mêmes, vous représentent, par leurs manières avec vous, le tableau raccourci de vos infortunes : à chaque instant, les mots, les expressions les plus simples, vous apprennent de nouveau ce que vous savez déjà, mais ce qui frappe à chaque fois comme inattendu ; si vous faites des projets, ils retombent toujours sur la peine dominante ; elle est partout, il semble qu’elle rende impraticable les résolutions mêmes qui doivent y avoir le moins de rapport ; c’est contre cette peine alors qu’on dirige ses efforts, on adopte des plans insensés pour la surmonter, et l’impossibilité de chacun d’eux, démontrée par la réflexion, est un nouveau revers au-dedans de soi.

320. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Ce qu’il nous importe d’examiner dans cette peinture, ce n’est pas pourquoi elle est supérieure au tableau de Galatée (supériorité trop évidente pour n’être pas reconnue de tout le monde), mais pourquoi elle doit son excellence à la religion, et, en un mot, comment elle est chrétienne. […] Là c’est Ruth, là Séphora, ici Éden et nos premiers pères : ces sacrées réminiscences vieillissent pour ainsi dire les mœurs du tableau, en y mêlant les mœurs de l’antique Orient.

321. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Taraval » pp. 282-283

Taraval Repas de Tantale . tableau de 4 pieds de large sur 3 pieds 9 pouces de haut. Je veux mourir si ni vous, ni moi, ni personne eût jamais deviné le sujet de ce tableau. à droite, un palais.

322. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

. — Surface de tableau ou du papier, lignes et points à l’encre ou à la craie. — Analogie de ces substituts et des doigts ou des cailloux de l’arithmétique. — Dernière idée générale introduite dans la géométrie, l’idée du mouvement. — Son origine. — Tour nouveau qu’elle donne aux premières idées géométriques. — La ligne est la série continue des positions successives du point en mouvement. — La surface est la série continue des positions successives de la ligne en mouvement. — Le solide est la série continue des positions successives de la surface en mouvement. — Si l’on substitue au point, à la ligne et à la surface leurs symboles, ces constructions deviennent sensibles. — Autres constructions. — La ligne droite. — La ligne brisée. — La ligne courbe. — L’angle. — L’angle droit. — La perpendiculaire. — Les polygones. — La circonférence. — Le plan. — Les trois corps ronds. — Les sections coniques. — Nombre indéfini de ces constructions. — Aux plus générales de ces constructions mentales correspondent des constructions réelles. — Il y a dans la nature des surfaces, des lignes et des points, au moins pour nos sens. — Il y a dans la nature des surfaces, des lignes et des points en mouvement. — Aux moins générales de ces constructions mentales correspondent approximativement des constructions réelles. — Pourquoi cette correspondance n’est-elle qu’approximative. — Exemples. — La construction réelle est plus compliquée que la construction mentale. — Des deux constructions, l’une en se compliquant, l’autre en se simplifiant, s’ajuste à l’autre. — Utilité des cadres préalables. […] Nous le détachons et nous le notons au moyen de symboles, qui tantôt sont les noms de surface, ligne et point, tantôt sont une classe d’objets sensibles, fort maniables, choisis pour tenir lieu de tous les autres, la surface réelle d’un tableau noir ou d’un papier blanc, le mince tracé d’un trait de craie ou d’encre, la très petite tache que laisse sur le papier ou sur le tableau l’attouchement momentané de la plume ou du crayon. — La tache étant exiguë, nous sommes tentés de ne point faire attention à sa longueur ni à sa largeur, qui sont réelles ; par cette omission, nous en faisons involontairement abstraction, et nous n’avons pas de peine à traiter la tache comme un point. — Le tracé étant fort effilé, nous sommes disposés à ne point nous inquiéter de sa largeur, qui est réelle ; par cette omission, nous la retranchons, et, sans efforts, nous en venons à considérer le trait comme une ligne. — Le tableau et le papier étant tout à fait plats et unis pour notre œil et notre main, nous n’éprouvons aucune sensation qui nous avertisse de leur épaisseur ; par cette omission, nous la supprimons, et nous sommes tout portés à regarder le tableau et le papier comme de vraies surfaces. — De cette façon, le tableau, le trait étroit, la petite tache de craie deviennent des substituts commodes. […] En reculant par la pensée la surface du tableau noir, nous voyons naître tout le tableau solide. — De cette construction générale, passons aux particulières.

323. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Concert Wagner ; 1er tableau du 3e acte des Maîtres. […] Degas, le dominateur prodigieux de la vie plastique ; un tableau de M.  […] Redon, ou cette exposition des vieux Maîtres, ouverte au Louvre, récemment, sont des faits Wagnériens ; mais non pas, hélas, ce Marché annuel des Tableaux, qui est un Salon de Peinture comme les boutiques des perruquiers ou des bottiers sont des Salons de Coiffure ou de Chaussure. […] Mais qu’importe, ici, le sujet, l’exactitude des lieux, la ressemblance de ce tableau au tableau de Bayreuth ? […] Les acteurs ont donc à nous donner une succession de grands tableaux plastiques.

324. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

À la renaissance de la peinture au xve  siècle, les paysages, comme fond, étaient traités avec beaucoup de soin dans quelques tableaux historiques ; mais ils ne devinrent des sujets mêmes de tableaux qu’au xviie  siècle : ce fut la conquête des Lorrain, des Poussin, des Ruysdael, des Karl Du Jardin et de ces admirables Flamands que Töpffer saluait les premiers paysagistes du monde. […] Les classiques d’alors s’attachaient à prouver, par toutes sortes de raisons techniques et de considérations d’atelier, que ces régions supérieures des Alpes étaient essentiellement impropres à être reproduites sur la toile et à devenir matière de tableaux. […] Ses courts et brusques dessins, ses récits, sont une suite de jolis tableaux flamands, relevés tout aussitôt d’une saveur alpestre, de quelque chose de fruste (pour employer un de ses mots favoris) et d’un caractère sauvage : en même temps, il n’oublie jamais le côté humain, familier, vivant, qui doit animer le paysage, et qui lui ôte tout air de descriptif.

325. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Thiers, dans l’ordonnance majestueuse et comme dans l’architecture de son Histoire, ne met ni tableaux proprement dits ni portraits. […] Thiers craint avant tout de pousser au tableau, à la couleur, au relief, à tout ce qui se détache et qui vise à un effet littéraire ou dramatique. […] Thiers, dans son soin de ne pas aller à l’excès et de ne pas charger le tableau, est resté en deçà du vrai. […] Chaque historien a sa glace et aussi son diorama du fond25, ou plutôt glace et diorama ne font qu’un, et il est des historiens, tels que Tacite, chez qui l’expression et la couleur sont tellement inhérentes à la pensée et la pensée tellement inhérente au fait, que l’on ne peut les séparer ni concevoir l’un sans l’autre : ce n’est qu’un tableau.

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