Elle n’avait pas lu la préface générale, placée à la tête du premier volume des Œuvres et des Hommes (le volume des Philosophes et des Écrivains religieux), ou si elle l’avait lue, elle ne s’en souvenait plus, car il est dit positivement dans cette préface, que pour être plus dans le mouvement de son temps, l’auteur laisserait là toute exposition artificielle ou chronologique, et ne partirait jamais, tout en embrassant le siècle tout entier, dans un nombre indéterminé de volumes, que des publications contemporaines ou des réimpressions par lesquelles on atteint à tous les moments du passé et à tous les hommes qui y ont laissé une place durable ou éphémère… Avec ce système, il y a des attentes, il n’y a pas d’oublis !
L’ardeur serait un grand inconvénient dans cette cour-ci, dont le système me paraît être d’attendre et voir venir, et même de tendre des panneaux pour se mettre en avantage le plus qu’ils peuvent. […] Il est prouvé par l’expérience que ces gens-ci ne font rien par reconnaissance et par inclination, et il est même peut-être vrai de dire qu’ils ne le doivent pas ; car, leur intérêt étant de faire le moins qu’ils peuvent, puisqu’ils ne font rien qu’à leur détriment, leur système doit être de ne faire jamais que le plus pressé : or, ce qui presse le plus, c’est la crainte ; et en effet, c’est là le vrai mobile de tous les ressorts de cette cour-ci : or la hauteur, quand elle n’est pas trop excessive, inspire une espèce de crainte, au lieu que trop de politesse et d’égards courent risque d’être pris ici pour de la timidité et de la faiblesse. — Soyez certain, dit-il encore à propos de quelques manèges qu’il voit se pratiquer autour de lui, que cela ne me fera pas prendre un moment d’humeur ; mais je vous avoue que je voudrais que mon caractère pût se prêter à un peu de hauteur, qui, quand elle sera jointe avec de la sagesse et de la raison, fera toujours, je crois, un bon effet ici ; je sens que cette qualité me manque, mais je ne chercherai pourtant pas à affecter de l’avoir, parce que, ne l’ayant pas intérieurement, il serait impossible que je l’affectasse si bien que le naturel ne me trahît souvent ; et je pense, pour cette raison, qu’il ne faut jamais se proposer un système de conduite qui ne s’accorde pas avec le caractère qu’on a ; car, celui-ci venant à démentir le système comme il arrive toujours en ce cas, la conduite d’un homme ne paraît plus qu’une bigarrure tissu d’inégalités, ce qui est, je crois, fort préjudiciable à la réputation, et par conséquent aux affaires.
Il y a trois siècles environ (c’est un fait), l’esprit humain, dans notre Occident, la pensée humaine, en se dégageant des débris et de la décadence du moyen âge finissant, en brisant les liens de la scolastique et d’une autorité pédantesque à bout de voie, s’est enhardie, et en même temps que d’un côté on affirmait la figure véritable de la terre et qu’on découvrait un nouveau monde, en même temps que de l’autre on perçait les sphères étoilées et qu’on affirmait le véritable système planétaire, en même temps on regardait, on lisait d’un bout à l’autre les livres dits sacrés, on traduisait les textes, on les discutait, on les jugeait, on commençait à les critiquer ; on choisissait ce qui semblait le plus conforme à la religion qu’on n’avait point perdue, et à la raison qui s’émancipait déjà. […] Pour me résumer, messieurs, le vrai rôle moderne, la disposition qui me paraît le plus désirable pour un Gouvernement, pour un État, dans cet ordre de discussions et de conflits, ce serait, si je m’en rapportais à une parole de Napoléon Ier 61, une sorte d’incrédulité supérieure et bienveillante dans sa protection à l’égard des divers systèmes et opinions théologiques, métaphysiques et autres, même les plus contraires ; — mais j’aime mieux une définition moins hautaine, et je dirai plutôt que la disposition vraie d’un Gouvernement dans ces sortes de questions devrait être une équitable et suprême indifférence, une impartialité supérieure et inclinant plutôt à la bienveillance envers tous, de manière toutefois à maintenir et à réserver les libertés et les droits de chacun. […] Le 25 août 1828, Hippolyle Royer-Collard, fils du médecin aliéniste distingué, — neveu et digne neveu de l’illustre philosophe, — présenta et soutint sa thèse, intitulée : Essai d’un système général de Zoonomie. […] Que tout soit pour le mieux dans notre système actuel, qu’il n’y ait pas lieu à modifier tel rouage, à lever tel empêchement, à introduire des améliorations secondaires, je suis bien loin de le soutenir.
Le cartésianisme, comme système philosophique, a eu la destinée de tous les systèmes. […] En sorte qu’on peut se demander si c’est par le fond même de leur système que les grands philosophes sont immortels, ou bien par leur méthode, leur logique, par la beauté de leurs discours, par l’art de faire servir les vérités de la vie pratique à rendre leurs spéculations plus claires ou plus familières. […] C’était, de plus, un système, par opposition à l’esprit d’affirmation des sectes religieuses, et une sagesse, eu égard aux excès de cet esprit.
La principale, c’est le système dramatique suivi par Corneille. […] Cet art parasite qui a les situations pour but, et l’intrigue pour moyen, gâte toutes les pièces où Corneille a suivi le système espagnol. […] Il est vrai que, pour la plupart, la vieillesse s’était jointe au mauvais système. […] Je reconnais un autre vice du système espagnol dans ce mélange de la vérité héroïque et de la vérité bourgeoise, qui marque la plupart des pièces de Corneille.
Dans ces articles, de justes et claires explications du système Wagnérien, et des vues intéressantes sur les œuvres. […] Wagner a écrit quelque part qu’on pouvait juger Tristan d’après les lois les plus rigoureuses qui découlent de ses affirmations théoriques, — tant il est sûr de les avoir suivies d’instinct, — mais il avoue qu’il s’était, en composant, affranchi de toute idée spéculative et qu’il sentait même, à mesure qu’il avançait dans son œuvre, combien son essor faisait éclater les formules de son système écrit. « Il n’y a pas, ajoute-t-il avec quelque nuance de regret, de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue en composant mon Tristan. » Il en fut de même, à ce qu’on peut croire, quand il termina l’Anneau du Nibelung, interrompu pour Tristan, et quand il écrivit les Maîtres Chanteurs et Parsifal. […] Il n’a donc pas écrit cette page véritablement unique en application directe de son système, mais à côté, presque à rebours, puisque les mobiles intérieurs sur lesquels il prétendait se guider échappaient à l’art musical et qu’il en arrivait, sans s’en apercevoir, à ne plus exprimer qu’un sentiment très banal, qu’une situation très ordinaire. Il ne croyait pas dire aussi vrai quand il avouait « avoir oublié toute théorie en composant Tristan et Iseult et n’avoir senti que ce jour-là combien son essor créateur brisait les barrières de son système écrit. » Il faut le bien préciser : cette discussion est purement musicale et ne tend à prouver autre chose, sinon que, pour rendre l’amour en musique, il convient de s’en tenir aux « lieux communs de morale lubrique « dont parle Boileau.
Wagner est toujours pour moi le plus grand musicien qui se soit produit depuis Beethoven ; mais je ne saurais admettre son système dans toute sa rigueur. Ses sujets légendaires me semblent puérils, et son génie, enserré dans les liens étroits du leitmotiv, me paraît moins fécond que lorsque, sans esprit de système, il écrivait Lohengrin, qui, à mon avis, restera son chef-d’œuvre devant la postérité. […] Wagner a exercé une énorme influence sur la musique contemporaine, et ceux-là mêmes qui répudient son système ont profité et profiteront encore de ses hardiesses et de ses innombrables trouvailles. […] La poésie dans le drame wagnérien ; le système poétique ; la langue, le vers ; l’invention poétique, les sujets, leurs origines.
Voltaire lui-même avait eu le pressentiment de cette rénovation poétique au contact de la science, et jamais il ne s’était plus approché de la grandeur que le jour où il s’était inspiré du vrai système du monde. […] Partout se découvrent aux yeux de l’esprit des perspectives sans limite dans l’espace et dans le temps ; la science montre à l’homme que ses conceptions les plus hautes et les plus profondes sont inférieures à la réalité : elle semble, dans son progrès continu, être devenue le commentaire vivant de cette pensée du grand géomètre qui est aussi parmi les plus grands des philosophes et des poètes : « L’imagination se lassera plus tôt de concevoir que la nature de fournir. » En même temps que se dévoile devant notre pensée la grandeur illimitée de la création, le sentiment de l’harmonie universelle, de la solidarité des êtres, de la connexion des phénomènes, se révèle de plus en plus clairement aux esprits attentifs que l’esprit de système n’a pas troublés. […] Il faut, pour soutenir une longue suite de vers et pour y intéresser le lecteur, un système vigoureusement accepté, traduit par une conviction ardente. […] En tout cela, je ne vois pas la conviction enthousiaste d’un système qui doit animer une pareille œuvre, je ne trouve que les perplexités honorables du penseur, qui perd tour à tour et retrouve la justice.
Quand on fut en plein Système de Law, Bayle, chose singulière ! […] Par malheur, cette vignette, gravée par Picard, avait été faite au moment où le Système était florissant : on y voyait, à gauche, la France triste et affligée portant une corne d’abondance vide, d’où sortaient de maigres et secs billets ; mais, à droite, on avait figuré la Banque royale assiégée de la foule, avec une France triomphante et des Génies tenant une corne d’abondance d’où sortaient des espèces en quantité, des flots d’or et d’argent. […] Mais, quand la vignette parut, le Système était à vau-l’eau, la Banque était tombée en discrédit, et l’éloge se tournait dès lors en une sanglante satire.
Ce système est devenu odieux à quelques personnes, par les conséquences atroces qu’on en a tirées à quelques époques désastreuses de la révolution ; mais rien cependant n’a moins de rapport avec de telles conséquences que ce noble système. […] Malgré cela, je suis persuadé qu’on peut être clair, même dans la pauvreté de notre langue, non pas en donnant toujours les mêmes acceptions aux mêmes mots, mais en faisant en sorte, autant de fois qu’on emploie chaque mot, que l’acception qu’on lui donne soit suffisamment déterminée par les idées qui s’y rapportent, et que chaque période où ce mot se trouve, lui serve, pour ainsi dire, de définition. » Après avoir cité cette opinion d’un grand maître contre les définitions, je dirai que je ne donne jamais au mot philosophie, dans le cours de cet ouvrage, le sens que ses détracteurs ont voulu lui donner de nos jours, soit en opposant la philosophie aux idées religieuses, soit en appelant philosophiques des systèmes purement sophistiques.
C’est un chaos de systèmes et de pratiques, où il se manifeste que l’homme ignore ce qu’est son âme, et son corps, et l’univers, et Dieu : l’Apologie de Raimond Sebond, cet immense chapitre de trois cents pages, est le recueil de toutes nos ignorances, erreurs, incohérences et contradictions, et conclut au doute absolu, universel. […] Il ne s’embarrasse pas de faire un système, ni de savoir si les fondements de ses idées sont solides en bonne logique : il lui suffit que nature les ait mises en lui. […] Il n’a pas d’art, et surtout il ignore l’art oratoire : il faudra que ces capricieuses divagations soient réduites en système ordonné d’abord, puis en thèmes oratoires.
Ne nous laissons point imposer par une certaine rigueur de système et par une certaine emphase de talent : je trouve en lui l’écolier d’abord, et puis aussitôt le tigre ; dans l’intervalle il n’avait pas eu le temps de devenir homme. […] Des portions sérieuses, des complications de systèmes sur le monde physique et moral s’y mêlaient. […] Je n’ai jamais considéré, d’ailleurs, la Révolution française au point de vue de cet auteur, adversaire à outrance, qui a pu compulser et produire bien des documents et les interpréter dans le sens de ses systèmes, mais qui n’a pas la tradition des choses dont il parle : la tradition, cette voix divine, comme disaient les anciens, et qui maintient et remet le chanteur dans le ton juste.
Selon que le système nerveux est plus ou moins complexe, selon qu’il comporte des centres d’inhibition plus ou moins nombreux, plus ou moins forts, scion que la faculté d’imaginer et la mémoire sont plus ou moins puissantes, plus ou moins capables de combattre les excitations immédiates par la représentation d’excitations futures ou passées, selon le degré de force ou de faiblesse également de cette excitation immédiate, au gré de toutes ces causes purement organiques, l’individu se forme une conception du bonheur plus ou moins brutale, plus ou moins abstraite et raffinée. […] Sur cette idée de responsabilité est fondé tout le système de l’éducation individuelle et sociale qui implique le droit de punir. […] En même temps, si l’on se place au point de vue de la beauté logique, de la richesse et de l’harmonie des systèmes, il est manifeste que l’on ne saurait mettre en comparaison les fables primitives, les premiers balbutiements de l’esprit avec les théorèmes d’un Spinoza, les constructions idéologiques d’un Hegel, les hypothèses d’un Schopenhauër, d’un Nietzsche ou d’un Guyau.