Style haché, coupé, tronçonné, où la trame et la liaison de la phrase ne sont plus, avec des idées jetées comme des couleurs sur la palette, et quelquefois une sorte d’empâtement au pouce… Mais plus haut, et au fond, une terrible menace que ce dernier livre du grand poète, et un peu l’ouverture de la grande Ruine qui sera demain. […] Saint-Victor arrive, ébouriffé, non peigné, non bichonné, en déshabillé de tout l’être, et charmant garçon ainsi et beau comme un éphèbe de la Renaissance dans son rayonnant désordre, car il n’est pas fait pour l’habillement moderne qui le vulgarise et le perruquifie… * * * — Un ouvrier ébéniste, d’un de ces mots de peuple, a devant moi défini le style de ce temps sans style, le style du xixe siècle. […] Son style même a l’accent du nôtre.
Ce mondain, qui nous raconte Un mariage dans le monde, s’est trouvé d’observation, de style et de taille, avec ce sujet d’une réalité si commune, et nous avons eu un livre vrai. […] L’écrivain qui s’ajuste si bien à ce monde-là n’est, ni par le trait, ni par le style, d’une ligne au-dessous ou au-dessus. […] Ce n’est pas le talent qui lui manque, ni l’observation, ni l’imagination, ni même le style, mais c’est la force, le mordant, et la profondeur dans tout cela. […] Les Amours de Philippe en font foi… Son style sans éclat, mais non pas sans cliquetis, y est presque aussi sec que celui de Mérimée, de ce diable de la sécheresse, qui, par parenthèse, n’était pas diable que par ça, mais qui, ne croyant pas au diable, n’avait pas conscience de lui-même. […] un diable du tout, puisqu’il fait des romans où la vertu et la passion sont dosées en globules homéopathiques à l’usage des jeunes personnes, comme disent d’un air si renchéri mesdames leurs mères, a diminué les enluminures d’un style qui brossait le paysage avec l’aisance pittoresque d’un homme de ce temps, — si fort en paysages !
Le pamphlétaire a besoin d’un style. […] Bloy a un style. […] Mauclair fait parfaitement comprendre la justesse de cette vieille métaphore, « la magie du style ». Son style est magique non par l’éclat des couleurs, ou par l’éclat des sonorités, mais pour la beauté de sa couleur unique et la pureté de son timbre. […] Si les Goncourt étaient devenus populaires, si la notion du style pouvait pénétrer dans les cerveaux moyens !
Sans doute, ce n’est point le style de Molière ; mais quel poète comique a écrit comme Molière ? Ce n’est pas non plus le vers étincelant, pétillant et facile de Regnard ; mais le style du Philinte réussit par d’autres qualités. […] Comme il était un maître en fait de style, c’est-à-dire comme il avait trouvé un style à lui, vif, ingénieux, subtil, un langage qui n’était imité de personne, naturellement il avait contre lui les prétendants aux rares honneurs d’un style original. […] Cet homme a été sauvé, par la seule chose qui sauve les écrivains, par l’originalité du style. […] Toutes les fois qu’un écrivain donnera son nom à une manière, à un style, tenez-vous pour assuré que c’est un écrivain original.
Puis tout cela sombrait dans son style inerte et diffus. […] Comme tous les grands poètes, Corneille a triomphé du temps par le style. […] Un autre, du nom d’Archambaud, fit bâtir, dans le style roman, un édifice fort joli, qui est devenu plus tard l’Hôtel de Ville. […] Il se disait disciple de Champfleury, et il avait plus de style que son maître. […] Pourtant, il ne manquait ni de style, ni de finesse.
Par le style aussi, La Bruyère nous est tout proche. […] Cet abstracteur a le style le plus concret qu’on puisse voir. […] Il est merveilleusement évangélique d’intention. — Et, cependant pas de style moins évangélique et moins « populaire » que le sien. […] Il s’en est remis un jour, du salut de l’humanité, à quelque capucin qui tout à coup surgira… Bref, il est comme exilé dans son grand style. […] Marcel Prévost se fût lui-même condamné à une certaine sévérité d’imagination et de style.
Quoi qu’il en soit, il était bien le créateur de sa forme et, à sa date, le père du style noble et nombreux. […] Et, de l’autre côté, voilà Costar, cet esprit peu loyal, mais subtil et fin, qui va insinuer sur Balzac et ses enflures, sur ses procédés de style et ses moules de phrase qu’il ira même jusqu’à contrefaire, toutes sortes de critiques ironiques et sensées. Si l’on y regarde bien, il en est plus ou moins toujours ainsi : à chaque époque, quelles que soient les réputations régnantes et les vogues qui paraissent tout envahir, il y a toujours dans la diversité des esprits un nombre suffisant de contradicteurs, de critiques qui voient juste ; seulement, ils n’écrivent pas, on ne les imprime pas, ou quand ils écrivent, ils écrivent souvent mal, hors de portée et hors de saison, ils mêlent à leurs vérités des choses inutiles, ils sont à contretemps, comme l’est ici ce sieur de Girac qui s’en va dire la vérité sur Voiture, mais en latin, ou, quand il écrira ensuite en français, qui la dira dans un style chargé de latinismes et à la mode du xvie siècle. […] On n’y voit point la grandeur, la majesté, la magnificence et la pompe de votre style, cette rapidité impétueuse semblable aux torrents… M. de Voiture a fait judicieusement de vous laisser toute libre cette large et vaste carrière du genre sublime, ayant reconnu que vous en aviez remporté le prix, et qu’il ne restait plus d’honneur à y acquérir après vous.
Il reçut, à la fin de septembre 1761, une lettre non signée, dans laquelle on lui disait : « Vous saurez que Julie n’est point morte et qu’elle vit pour vous aimer ; cette Julie n’est pas moi ; vous le voyez bien à mon style : je ne suis tout au plus que sa cousine, ou plutôt son amie, autant que l’était Claire. » C’était l’amie de Mme de La Tour, qui faisait ici le rôle de Claire, et qui dénonçait à Jean-Jacques l’admiratrice nouvelle, digne elle-même d’être admirée. […] Ce qui ne le caractérise pas moins, c’est le ton, le style des lettres, tant celles des deux amies que les billets de Rousseau lui-même. […] » Je crois sentir, en un mot, dans ce style si régulier, si ferme, si admirable aux pages heureuses, un fond de prononciation âcre et forte, qui prend au gosier, un reste d’accent de province. […] Un jour, en une heure d’abandon, causant de ses ouvrages avec Hume, et convenant qu’il en était assez content pour le style et l’éloquence, il lui arriva d’ajouter : « Mais je crains toujours de pécher par le fond, et que toutes mes théories ne soient pleines d’extravagances. » Celui de ses écrits dont il faisait le plus de cas était le Contrat social, le plus sophistique de tous en effet, et qui devait le plus bouleverser l’avenir.
Il a, dans ces dernières années, publié une suite d’études aussi remarquables par la clarté de l’exposition que par la simplicité élégante du style, sur Georges Cuvier, sur Fontenelle, sur Buffon, qui n’était pas secrétaire perpétuel, mais qui était digne de l’être. […] Pour quelques traits vraiment jolis et fins qu’on rencontre dans ces lettres, on en trouverait par centaines qui seraient du pur Mascarille ; et par exemple : « L’amour est le revenu de la beauté, et qui voit la beauté sans amour lui retient son revenu d’une manière qui crie vengeance. » Après cet amour qui est proprement le revenu et la rente de la beauté, vient tout un détail de l’acquittement en style de notaire : « Vous savez que, quand on paye, on est bien aise d’en tirer quittance ou de prendre acte comme on a payé. […] Si inférieur à Pascal comme imagination et comme âme, et dans un rapport qu’on dirait incommensurable avec lui (nous sommes en style de géomètre), Fontenelle, à titre d’esprit libre et dégagé, d’esprit net, impartial et étendu, reprend lentement ses avantages, et, sur la fin de ce siècle de grandeur, mais certes aussi d’illusion et de timidité majestueuse, il ose voir en réalité et exprimer en douceur les vérités naturelles telles qu’elles sont. […] On a remarqué que, dans sa première manière, il y avait une sorte de contradiction et d’antithèse entre le ton, qui était mesquin et précieux, et le fond de la pensée, qui allait au réel et au solide ; il en résultait une disproportion et un manque de concert qui faisait du tissu de son style comme une épigramme continuelle.
Cette Renommée qui est une grande causeuse me rappelle une des grâces du style de Mme de Motteville, style simple, assez uni, assez peu correct dans l’arrangement des phrases, retouché peut-être en bien des endroits par l’éditeur, mais excellent et bien à elle pour le fond de la langue et de l’expression. […] Le ministre, de même, semblait par son adresse faire un bon usage des malédictions publiques ; il s’en servait pour acquérir auprès de la reine le mérite de souffrir pour elle… On sent, dans ces passages et dans tout le courant du style de Mme de Motteville, une imagination naturelle et poétique, sans trop de saillie, et telle qu’il seyait à la nièce de l’aimable poète Bertaut. […] c’est le sentiment de l’honnêteté qui communique ici au style de Mme de Motteville cette expression de dégoût.
Son père, obligé de s’expatrier à la suite d’un malheur causé par une imprudence généreuse, s’était établi près de Bourg-en-Bresse ; c’est là que Joseph Michaud, l’aîné des enfants, fit ses études : « Il fut, selon le témoignage de son frère, un excellent rhétoricien : son style avait l’abondance, la solennité semi-poétique, si recommandées par les professeurs aux élèves ; il composait des vers français avec facilité. » Son père mort, et sa mère n’ayant que peu de bien avec beaucoup de famille, il entra dans une maison de librairie à Lyon. […] Les descriptions sont monotones, et ne se distinguent par aucun tableau particulier, ni par aucune création de style. […] De tous ces styles d’autrefois traduits et transcrits dans le sien, il ne fait nulle part une seule trame ; son style n’a pas la trempe.
Les moyens contraires sont le style expressif, la peinture poussée, la mélodie à contours précis ; dans ceux-ci l’artiste accomplit lui-même le travail que le suggestif laisse à ses admirateurs. […] Dans ces recherches, la précision scientifique est possible ; car elles portent sur des artifices de composition, de style, de technique que connaissent des sciences presque constituées. […] Ici l’examen des effets émotionnels demeurant le même, celui des particularités de style devra être complété par des considérations sur le rythme, et approfondi à la mesure de l’importance de la forme, des mots, des idées verbales dans les œuvres de cette sorte. […] On peut ne pas aimer Balzac, mais de ceux qui l’ont lu, aucun ne dira qu’il ressent un sentiment de grâce ou de langueur ni que cela vient du style noble et fleuri de ce romancier.
Tourguénef (j’excepte les Nouvelles traduites par Mérimée, où le style précis de ce lettré altère l’original), l’on est tenté de nier qu’il y ait là de l’art, mot qui, chez nous, touche aux idées d’artifice et de raffinement. […] Il lui manque, — autant que l’on peut décider sur des traductions qui, révisées par l’auteur, doivent être tenues pour exactes, — le style coloré, la nervosité de notre français moderne, la manie du mot nouveau et des copulations significatives de vocables, nos recherches de sonorités et de cadences, tout l’art précis et défini de nos maîtres prosateurs modernes. […] Tourguénef, de son procédé par lumières subites, de sa maîtrise à faire saillir d’un fond d’ombre le caractère individuel de l’objet ou de l’être qu’il reproduit, du mystère enveloppant de son style, de cette poésie de demi-jour qui rend ses livres doux et comme parfumés. […] Que l’on considère que ces études de pathologie mentale sont écrites par un auteur qui s’entend merveilleusement à décomposer les mouvements d’âme, à manier les sentiments, à percevoir la forme particulière qu’ils revêtent dans l’individu qu’il analyse, à faire entrevoir par le clair-obscur d’un style réticent, par l’indécis des incidents contradictoires, tout le complexe de l’être qu’ils affectent, qui connaît les infinies sinuosités, les étranges mélanges de clarté et d’ombre que présente tout esprit humain, on mesurera ce que les romans de Tourguénef ont de concluant et de propre.