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24. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Esthétique du souvenir. — L’historique. — L’antique. […] Il doit donc y avoir jusque dans le souvenir quelque élément d’art. […] Voici comment on peut expliquer scientifiquement ce travail du souvenir. […] La vie du souvenir est une composition ou systématisation spontanée, un art naturel. […] L’art de la description consiste surtout à faire coïncider les images qui passent dans l’esprit de l’écrivain non avec des souvenirs vagues et effacés dans l’âme du lecteur, mais avec des souvenirs vibrants encore.

25. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Un cas de pédanterie. (Se rapporte à l’article Vaugelas, page 394). »

Depuis lors, je garde fidèlement le souvenir de mon ami, mais je ne pense plus à mon discours. […] le souvenir de tes vertus pratiques, de ta prodigue bonté, de ta délicatesse de sentiments, vivra à jamais chez tous ceux qui t’ont connu et ne mourra qu’avec eux. » Les lecteurs peuvent en juger maintenant. […] Est-ce qu’il croit, par exemple, que je ne sens pas comme lui, bien que je me la définisse moins strictement que lui, la nuance qu’il y a entre se souvenir et se ressouvenir ? […] » Ce mot, dans ma pensée, a une intention : il dit un peu plus que se souvenir. Car, comme Metz et les amis de Metz fêtaient le docteur Paulin chaque fois qu’il y allait (et il y allait rarement) ; comme, à chaque retour de dix en dix ans, ils revenaient avec lui à leurs anciens souvenirs, à ces souvenirs de 1814 et de 1815, qui dataient déjà de bien loin, j’ai employé à dessein cette expression se ressouvenir, qui indique en effet qu’on a besoin de remonter en arrière et d’aller puiser au fond de sa mémoire.

26. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

L’homme qui a fixé ces souvenirs fut un professeur savant et modeste, qui, doué des aptitudes les plus rares de la pédagogie, dévoua sa vie à l’enseignement et ne chercha que là sa gloire. […] Ses Souvenirs de l’Insurrection normande en 1793 34 ne sont pas de l’histoire, dans leur forme brisée, laconique, à peine appuyée, — des linéaments historiques ! […] Elle instituait des rivalités petites et mesquines contre le fantôme imposant des anciennes provinces et leurs souvenirs, espèces de sentinelles jalouses placées autour d’autant de tombeaux ! […] Il faut voir cette grotesque expédition racontée comme il convient dans ces Souvenirs, avec un style qui ne poétise rien et qui dit le fait comme il fut. […] On devine qu’il est question d’elle dans ces Souvenirs.

27. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Peut-être a-t-il fait de vagues humanités ; mais il ne s’en est pas souvenu. […] Et « le souvenir rougeoyant avec le crépuscule à l’horizon de l’espérance », qu’est-ce que cela signifie, dieux justes ? […] , c’est, si vous voulez, le souvenir ; mais « l’immense pâmoison », ce serait plutôt l’espérance… Ô ma tête ! […] Le sonnet se termine par un souvenir et un espoir […] Sans doute, il peut dire : De même que le souvenir de l’alexandrin vous faisait sentir la cadence rompue de mes vers, ainsi le souvenir de celle-ci me fait sentir la nouvelle cadence irrégulière que j’y ai substituée.

28. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre II. Quelques traditions sur Pindare. »

Nous avons essayé de rendre manifeste, par un type présent et familier pour nous, ce génie du poëte thébain si difficile à expliquer et à traduire : ajoutons-y quelques souvenirs de l’antiquité sur sa vie. […] L’histoire avait cessé d’être fabuleuse, et ce qui pouvait se rencontrer de merveilleux dans les souvenirs liés au poëte thébain ne tenait qu’à l’excès de l’admiration populaire. […] Horace s’est souvenu de cette légende, lorsqu’il raconte « que sur le Vultur Apulien, en dehors de la terre d’Apulie, sa nourrice, comme il gisait enfant, accablé par le jeu et le sommeil, de fabuleuses colombes le couvrirent d’un vert feuillage. […] Le jeune homme, averti, commence un nouveau chant sur ce ton : Vais-je chanter Ismène, ou Mélias aux fuseaux d’or, ou Cadmus, ou la race sacrée des hommes nés des dents de serpents, ou la force toute-puissante d’Hercule, ou… » Comme il récitait ce début à Corinne : « Il faut semer par pincées », dit-elle avec un sourire, et non renverser tout le sac27. » C’était bien juger ce luxe de souvenirs mythologiques et d’épithètes sonores, dont le génie de Pindare ne s’est pas toujours assez défendu. […] Il n’avait pas moins honoré le courage de Sparte ; et les Lacédémoniens s’en souvinrent, lorsque, vainqueurs dans un combat contre Thèbes et maîtres de la ville, ils s’abstinrent de la seule maison qui portait pour inscription : Ne brûlez pas le toit du poëte Pindare. » Générosité facile qu’Alexandre imita plus tard et dont il fut trop vanté !

29. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Mais, comme presque toujours la maladie arrive brusquement, l’effet est immense ; on ne peut mieux comparer l’état du patient qu’à celui d’une chenille qui, gardant toutes ses idées et tous ses souvenirs de chenille, deviendrait tout d’un coup papillon avec les sens et les sensations d’un papillon. […] Je me souviens parfaitement d’avoir dit à un ami que les objets me paraissaient changés d’aspect ; il y avait aussi de l’hyperesthésie de la vue, et je portais depuis quelque temps des lunettes légèrement colorées… Le 25 novembre, aussitôt après avoir eu la sensation de cette bouffée chaude, je fus pris de bourdonnements d’oreille, et j’eus de l’obnubilation intellectuelle. […] Je savais cependant très bien que je n’étais pas éloigné ; je me souvenais très distinctement de tout ce qui m’était arrivé ; mais, entre le moment qui avait précédé et celui qui avait suivi mon attaque, il y avait un intervalle immense en durée, une distance comme celle de la terre au soleil. […] Voici le premier de ceux dont j’ai gardé un souvenir net. […] Je me souviens très nettement de m’être dit quelquefois que les souffrances de ce nouvel être m’étaient indifférentes.

30. (1925) Proses datées

Logis d’artiste, plein de souvenirs. […] On formula des jugements ; on évoqua des souvenirs. […] Souvenirs de lectures ». […] Tout semble s’y rappeler ce dont je me souviens. […] Ces voyages de souvenirs sont ceux que je préfère maintenant.

31. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Franz et faire des X comme un mathématicien, quand il s’agit de nommer les gens par leur nom, car il n’y a pas que son amant qui s’appelle X… dans ses Souvenirs. […] Dans son livre, si je m’en souviens bien, elle ne cravache que son mari : à tout seigneur tout honneur ! […] Vous rappelez-vous Elle et Lui, un livre de Souvenirs aussi, et auquel le frère d’Alfred de Musset répondit par un autre livre… de Souvenirs encore, qui coupa le sifflet à la couleuvre qui s’était mise à siffler sur le tombeau du poëte et avait cru, de son venin, y laisser une tache immortelle ? […] Aime-t-on, a-t-on réellement aimé, dans ce livre de Souvenirs, qu’un critique, qui croit un peu trop vite ce qu’on dit, appelait dernièrement les indiscrétions de l’amour ? […] Même dans les Lettres d’une religieuse portugaise, par exemple, à l’authenticité desquelles je crois cependant assez peu, il y a un accent… qui n’est pas plus dans les Souvenirs d’une Cosaque que la couleur locale et l’accent cosaque de son pays… Franchement, voyons !

32. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

On peut dire de Mme d’Houdetot que son idéal d’existence ne sortit jamais de cette vallée de Montmorency où la flamme de Jean-Jacques a comme gravé son souvenir en chiffres immortels. […] Trop faible pour se soutenir dans sa vieillesse par ses seuls souvenirs, elle ne crut pas qu’il fallût cesser d’aimer avant de cesser de vivre. […] Pendant des années, chaque soir, elle couchait au vif sur le papier ses souvenirs. […] Un jour, des airs languedociens bien choisis arrachent des larmes à l’aïeule et vont réveiller d’attendrissants souvenirs dans sa mémoire affaiblie. […] Admise, comme Mme de Motteville, à voir d’une très-bonne place cette belle comédie, elle avait songé à en fixer sur le temps même les complets souvenirs.

33. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Suivant une hypothèse du célèbre Huet, cet Orphée n’était autre qu’un souvenir lointain de Moïse, reçu et altéré par les Grecs. […] Le docte voyageur recueille d’autres souvenirs, qui marquent combien avait été répandue cette tradition d’Orphée, religieuse plus encore que poétique. […] Mystérieuse, quoique populaire, elle se conservait dans le souvenir de quelques familles sacerdotales ; et plus tard elle se renouvela, en se chargeant de vers apocryphes, selon le goût et le génie du temps. […] Mais ce que ces vers décrivent nous frappe du moins par une vérité de couleur qu’atteste un voyageur érudit, plein des souvenirs du même lieu. […] Les âges suivants ajoutèrent des fictions à ce souvenir.

34. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Mon corps est resté seul ; et pourtant les autres images redeviendront visibles sous forme de souvenirs. […] Le souvenir ne sera plus l’objet lui-même, je le veux bien ; il lui manquera pour cela beaucoup de choses. […] La vérité est que, dans l’hypothèse idéaliste, le souvenir ne peut être qu’une pellicule détachée de la représentation primitive ou, ce qui revient au même, de l’objet. […] Mais il s’en faut qu’il y ait alors « parallélisme » ou « équivalence » entre le souvenir et l’état cérébral. Les réactions motrices naissantes dessinent en effet quelques-uns des effets possibles de la représentation qui va réapparaître, et non pas cette représentation même ; et comme la même réaction motrice peut suivre bien des souvenirs différents, ce n’est pas un souvenir déterminé qui sera évoqué par un état déterminé du corps, ce sont au contraire bien des souvenirs différents qui seront également possibles, et entre lesquels la conscience aura le choix.

35. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Souvenirs de soixante années, par M.  […] Il y a de plus, dans ces Souvenirs littéraires de soixante années, deux parts fort distinctes à faire : il y a les véritables souvenirs, ceux qui sont de première main, et ce qui n’en est pas, ce que M.  […] Puisque j’ai rencontré le souvenir d’un aimable érudit, il est impossible de ne pas remarquer, à l’honneur de M.  […] Les honneurs de ce livre des Souvenirs sont pour un tout dernier ami, un anatomiste, M.  […] Delécluze ou à Étienne une contre-partie de souvenirs.

36. (1856) Cours familier de littérature. I « Épisode » pp. 475-479

Mais, hier, une circonstance heureuse et imprévue nous a, pour ainsi dire, contraint à nous souvenir que nous avions été poète aussi, et de répondre par un bien faible écho à la voix qui nous vient de l’Océan. Les poètes, les écrivains, les amis particuliers de madame Victor Hugo, ont eu l’idée de faire magnifiquement relier, pour elle, le volume de poésies de son mari, d’insérer dans ce volume quelques pages blanches, de couvrir ces pages blanches de leurs noms, et de quelques lignes de prose ou de vers attestant leur souvenir et leur affection pour cette illustre et vertueuse femme. […] Je les donne ici, non comme un modèle de littérature, mais comme un témoignage de respect à madame Victor Hugo, et de souvenir affectueux de nos jeunesses à un ancien ami. […] À madame Victor Hugo, souvenir de ses noces.

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