je la garde, à ces conditions ; et je souffre moins des chagrins qui me viennent par mes passions, que je ne ferais par le soin de les contrarier sans cesse. […] Ce jeune homme, et très jeune homme au temps où il servait avec Vauvenargues, avait le trait caractéristique de sa famille : « Je lui trouve dans l’humeur quelque chose des Riquetti, qui n’est point conciliant. » Vauvenargues, qui jugeait ainsi le petit chevalier, essayait de lui insinuer un peu de douceur, de politesse de ton et de mœurs, de l’assouplir. « Quant au genre de persuasion que vous soufflez au chevalier, lui disait Mirabeau, vous ne réussirez pas, s’il est du même sang que nous ; votre système est d’arriver aux bonnes fins par la souplesse ; le mien est d’arriver au bien, droit devant moi, ou par la violence ; de fondre sur le mal décidé, de l’épouvanter, et enfin de m’éloigner de ce qui n’a la force d’être ni l’un ni l’autre. » Ce système à outrance et que Vauvenargues a décrit dans un de ses caractères intitulé Masis (évidemment d’après Mirabeau), est le contraire de sa science à lui, de sa tactique dans le maniement des esprits, qui va à les gagner par où ils y prêtent, et à en tirer le parti le meilleur : Où Masis a vu de mauvaises qualités, jamais il ne veut en reconnaître d’estimables ; ce mélange de faiblesse et de force, de grandeur et de petitesse, si naturel aux hommes, ne l’arrête pas ; il ne sait rien concilier, et l’humanité, cette belle vertu, qui pardonne tout parce qu’elle voit tout en grand, n’est pas la sienne… Je veux une humeur plus commode et plus traitable, un homme humain, qui ne prétendant point à être meilleur que les autres hommes, s’étonne et s’afflige de les trouver plus fous encore ou plus faibles que lui ; qui connaît leur malice, mais qui la souffre ; qui sait encore aimer un ami ingrat ou une maîtresse infidèle ; à qui, enfin, il en coûte moins de supporter les vices que de craindre ou de haïr ses semblables, et de troubler le repos du monde par d’injustes et inutiles sévérités.
Elle s’ennuie ; elle se juge, et plus sévèrement qu’on ne le lui demande ; elle se défie des autres et surtout d’elle-même ; elle ne croit pas possible qu’on l’aime véritablement, elle admet tout au plus qu’on la supporte : « Je ne puis que vous être à charge, répète-t-elle sans cesse à Mme de Choiseul, qui voudrait la posséder à Chanteloup ; je ne puis contribuer au plaisir, à l’amusement ; je ne devrai qu’à vos vertus, tranchons le mot, à votre compassion, de me souffrir auprès de vous ! […] Vous savez à quel point je suis pénétré de leurs bontés ; mais vous ne savez pas qu’en leur sacrifiant mon temps, mon obscurité, mon repos, et surtout la réputation que je pouvais avoir dans mon métier, je leur ai fait les plus grands sacrifices dont j’étais capable ; ils me reviennent quelquefois dans l’esprit, et alors je souffre cruellement.
Cousin a cela véritablement de très-curieux qu’il nous montre à quel point, à cette date de 1649, à l’âge de trente-six ans, La Rochefoucauld avait déjà souffert dans son orgueil et était déçu et ulcéré dans son ambition. […] À la page 267, ligne 22, dans un article sur les vieillards, il faut rectifier la phrase ainsi : « Les plus heureux sont encore soufferts, les autres sont méprisés. » Mais je suis bien bon, vraiment, de faire ainsi l’errata de M. de Barthélemy.
» Ceux qui sont si empressés à refuser aux hommes engagés dans la vie active et dans l’âpreté des luttes publiques la faculté de sentir et de souffrir n’ont pas lu Émile, où se rencontrent, au milieu d’une certaine exaltation de tête, tant de pensées justes, délicates ou amères nées du cœur : « A l’âge où les facultés sont usées, où une expérience stérile a détruit les plus douces illusions, l’homme, en société avec son égoïsme, peut rechercher l’isolement et s’y complaire ; mais, à vingt ans, les affections qu’il faut comprimer sont une fosse où l’on est enterré vivant. » « Cette proscription qui désole mon existence ne cessera entièrement que lorsque j’aurai des enfants que je vous devrai (il s’adresse à celle qu’il considère déjà comme sa compagne dans la vie) ; je le sens, j’ai besoin de recevoir le nom de père pour oublier que le nom de fils ne me fut jamais donné. » Émile parle de source et, quand il le pourrait, il n’a à s’inspirer d’aucun auteur ancien ; la tradition, je l’ai dit, ne le surcharge pas ; elle commence pour lui à Jean-Jacques, et guère au-delà : c’est assez dans le cas présent. Mais de même que je me rappelais tout à l’heure Virgile en le lisant, je ne puis m’empêcher encore de me reporter à cette autre parole d’Andromaque dans Euripide, laquelle, au plus fort de ses douleurs et de ses alarmes maternelles, s’écrie : « … Oui, cela est vrai pour tous les hommes : leurs enfants, c’est leur âme même, et celui qui, pour n’en avoir pas l’expérience, dit le contraire, celui-là souffre moins, mais il est heureux sans bonheur.
Un autre point sur lequel je dois revenir, un trait qui est essentiel chez Mme Roland, c’est celui qu’a accusé Fontanes et qu’elle-même a marqué dans ses Mémoires, le sentiment de la place inférieure qu’elle avait longtemps occupée dans la société et dont elle avait souffert. Si elle n’en souffrit plus depuis son mariage, qui l’avait si honorablement classée dans une bourgeoisie plus que moyenne, elle ne cessa d’y penser, de mesurer les distances sociales, de sentir sur elle les prérogatives des rangs et d’aspirer sourdement à son niveau.
Mais sur-le-champ elle lui montrait que pour Dieu elle souffrait ces tribulations, et l’attaquait sans cesse du côté de la religion, qui dominait en elle et qui y régnait absolument. » Toute cette appréciation est fort juste et dans la nuance précise. […] Je garde, pour la fin, un dernier portrait de la reine, un pastel de société par Mme Du Deffand, qui est du La Tour en littérature, et je me hâte vers les dernières années où ce portrait s’applique parfaitement à elle ; mais il faut absolument dire un mot de la période la plus pénible et de ce que souffrit la reine « du temps des quatre sœurs.
… » Elle souffrait de ne pas l’être, elle en était humiliée tout bas ; elle voyait sa jeune belle-sœur, la comtesse d’Artois, mère déjà de deux enfants, et elle n’avait pour elle-même aucun commencement d’espérance. […] un homme qui a pu avoir l’audace de se prêter à cette sotte et infâme scène du bosquet, qui a supposé qu’il avait eu un rendez-vous de la reine de France, de la femme de son roi, que la reine avait reçu de lui une rose63 et avait souffert qu’il se jetât à ses pieds, ne serait pas, quand il y a un trône, un criminel de lèse-majesté ?
Sa Majesté ne donnerait pas cette liberté à un autre qu’à vous, mais elle est bien persuadée que vous ne souffrirez pas qu’on en abuse. » Il importait aussi de favoriser la désertion dans les troupes de la garnison de Mons, de faire semer des billets aux environs et, s’il était possible, jusqu’à l’intérieur de la ville, pour assurer aux déserteurs, s’ils voulaient venir à Saint-Ghislain, une prime de cinq écus qu’ils toucheraient argent comptant : « que ceux qui voudraient prendre parti trouveraient emploi, et que ceux qui voudraient retourner dans leur pays auraient des passe-ports pour y aller librement. ». […] Cela joint à la porte par où il a plu à Sa Majesté de me faire voir que j’en sortirai, me fait souffrir ma détention avec une bien facile patience. » La porte dont il parle était son brevet de maréchal de camp, déjà signé depuis quelques jours, et ce gouvernement d’importance.
» Dans toutes ces scènes qu’elle a commencé à nous décrire, à partir des Horizons prochains, et où la nature occupe le premier plan, mais où les humains ne sont pas oubliés ; dans toutes les courses et promenades qu’elle fait par monts et par vaux, en rayonnant tout à l’entour ; chez toutes ces bonnes gens qu’elle visite, vignerons, bûcherons, vachers, tuiliers et autres, tous les Jacques et les Jean-Pierre des environs, — et la mère Salomé la rebouteuse, — et Marguerite la désespérée, qui craint d’avoir commis le seul péché sans pardon, le péché contre le Saint-Esprit, — et une autre Marguerite, celle à Jean-Pierre, une Baucis sèche et fervente de quatre-vingt-sept ans, — dans toutes ces historiettes à conclusion édifiante, Mme de Gasparin a fait la Légende Dorée du protestantisme, légende très-modernisée, rehaussée et enluminée, à la mode du jour, de couleurs très-réelles, et présentée sous forme de mœurs populaires ; mais le protestantisme y est, il y revient bon gré, mal gré, il ne souffre jamais qu’on le perde de vue, et l’on pourrait intituler cet ensemble de volumes déjà si variés : le protestantisme dans la nature et dans l’art au xixe siècle. […] le vôtre, le mien : pétulance, un sang chaud, quelque parole trop vive, beaucoup d’années sans trop penser à Dieu, un cœur malhabile à le saisir, facile à s’en distraire. » Là-dessus une conversation s’engage : le pasteur (ou Mme de Gasparin déguisée en pasteur) s’applique à rassurer Lisette : elle ne croyait qu’en Jéhovah le Dieu terrible : il lui montre le Dieu d’Abraham, le Dieu du pardon, celui qui s’est immolé et qui a souffert.
En attendant, l’on sent ce qui manque, et parfois l’on en souffre ; on se reprend, dans certaines heures d’ennui, à quelques parfums du passé, d’un passé d’hier encore, mais qui ne se retrouvera plus ; et voilà comment je me suis remis l’autre matinée à relire Eugène de Rothelin, Adèle de Sénange, et pourquoi j’en parle aujourd’hui. […] Il y a en effet dans la vie et dans la pensée de Mme de Souza quelque chose de plus important que d’avoir lu Jean-Jacques ou La Bruyère, que d’avoir vu la Révolution française, que d’avoir émigré et souffert, et assisté aux pompes de l’Empire, c’est d’avoir été élevée au couvent.
Au reste, il contient des parties touchantes, et la douce soumission de Griselidis s’exprime par des traits quelquefois bien délicats : ainsi, quand la pauvre femme demande à son mari de traiter mieux sa nouvelle épouse qu’il ne l’a traitée elle-même : elle est, dit-elle, « plus délicieusement nourrie », plus jeune, plus tendre que moi, et ne pourrait souffrir « comme j’ai souffert ».
Ici, comme historien, je dois remarquer un fait dont je souffrais réellement pour l’orateur ; c’est qu’une foule nombreuse désertait l’auditoire : je ne pousserai pas même l’exactitude de l’historien jusqu’à répéter ce que quelques-uns disaient en sortant. […] Villemain, de notre éloquent secrétaire perpétuel, si j’avais besoin de m’excuser, je dirais hautement : Membre de l’Académie française, j’ai le droit de relever, de la seule manière qui puisse le toucher, l’organe de la compagnie là où il abuse publiquement de son rôle de rapporteur pour y glisser contrairement aux convenances, contrairement aux intentions de beaucoup de membres, ses passions personnelles : biographe littéraire, je souffre toutes les fois que je vois des critiques éminents à tant d’égards et en possession d’un art merveilleux, mais des esprits plus nés évidemment pour la louange ou la fine satire que pour l’histoire, ne songer à tirer parti des faits que pour les fausser dans le sens de l’effet passager et de l’applaudissement.
» Il s’agissait pour Boileau de rendre désormais la poésie respectable aux Pascals eux-mêmes, et de n’y rien souffrir qu’un bon jugement réprouvât. […] Louis XIV, en couvrant Despréaux de son estime, n’aurait pas souffert qu’il fût sérieusement entamé par les railleries de cour.