L’incontinence générale ne pouvait souffrir patiemment cette réserve de langage et de manières qui faisait ressortir son effronterie ; la décence gracieuse, du genre de celle de la marquise de Rambouillet, de Julie, des Sévigné, des La Fayette, importunait la cour, foyer de la dissolution générale, choquait les personnages importants de la capitale. […] Connoist, conoit, Souffert, soûfert. […] Mais comme l’approbation des yeux est d’un ordre inférieur au mérite de ces belles, elles s’élèvent par la raison et par l’esprit, et tâchent de fonder en droit les passions qu’elles peuvent faire naître Il y a les beautés fières et les beautés sévères : les premières souffrent les désirs accompagnés de respect : le respect n’adoucit pas les sévères ; ni les unes ni les autres ne sont invincibles. » De Pure ajoute qu’elles font solennellement vœu de subtilité dans les pensées, et de méthode dans les désirs. […] Elles ont la bonté de souffrir celle des autres, et d’agréer leurs services quand elles en ont besoin. […] Petitot dit que « si les dames de l’hôtel Rambouillet souffrirent patiemment Les Précieuses ridicules, ce fut parce que l’auteur eut l’adresse de leur faire croire qu’il n’avait voulu attaquer que les sociétés de province (les peckes provinciales) ».
Boissonade, qui avait horreur des éloges outrés, qui en était véritablement confondu et qui en souffrait, littéralement parlant, au moral et au physique, a été loué et préconisé un peu plus que de raison. […] Il avait été et était resté fort galant ; il dut être très-sensible aux pertes de l’âge et souffrir dans sa fierté de ce qui lui manquait pour avoir des succès complets en vieillissant. il l’a remarqué de Solon et des anciens sages : pourquoi ne le remarquerait-on pas de lui ? […] L’honneur du maître n’en eût point souffert ; la vérité s’en fût trouvée bien. […] Cela est bon en langue latine, qui n’en a que fort peu ; car, à cause de ce petit nombre, on remarque aussitôt ceux qui sont ainsi mis de rang, et l’oreille qui n’y est pas accoutumée ne les peut souffrir.
Première disposition admirable pour exceller au génie critique, qui ne souffre pas qu’on soit fanatique ou même trop convaincu, ou épris d’une autre passion quelconque. […] Si Bayle en demeura exempt, l’abbé Prévost, critique comme lui, mais de plus romancier et amoureux, ne fut pas sans en souffrir. […] Je n’ai jamais pu souffrir le miel, mais pour le sucre je l’ai toujours trouvé agréable : voilà deux choses douces que bien des gens aiment. » Toute la délicatesse, toute la sagacité de Bayle, se peuvent apprécier dans ce trait et dans le précédent. […] Sa sincérité dut souffrir d’être si à la gêne et réduite à tant de faux-fuyants.
Il ne consentait pas à reconnaître dans ses œuvres un plus bel endroit, et il ne souffrait pas qu’on le lui montrât. […] » La maladie dont souffre René est de tous les temps. […] L’homme a besoin de souffrir de son imperfection pour valoir tout son prix, et de se souvenir de sa misère pour être heureux. […] Il y aura toujours, sur le rang où doit être placé Chateaubriand dans la glorieuse élite, une dispute entre ceux qui ne peuvent le souffrir au premier et ceux qui ne se contentent pas pour lui du second.
Il fut précoce, et, bien qu’il ait commencé le métier des armes à treize ans, dit-il, ou du moins à quinze (car les dates qu’il donne souffrent quelque difficulté), il avait déjà fait de bonnes études, d’abord chez les Jésuites d’Autun, ensuite au collège de Clermont à Paris. […] Bussy, tout léger qu’il est, a connu la vraie passion en effet, mais il ne l’a connue que tard ; il convient que, dans toutes ces premières et folles épreuves, il n’avait rien de sérieux d’engagé : « Pour revenir à mes amours, dit-il plaisamment en tout endroit, il est à remarquer que je ne pouvais plus souffrir ma maîtresse, tant elle m’aimait. » — « Mon heure d’aimer fortement et longtemps n’était pas encore venue » dit-il encore ; et, parlant d’une séparation qui eut lieu alors, et qui lui fut moins pénible qu’elle n’aurait dû l’être : « C’est que la grande jeunesse, ajoute-t-il, est incapable de réflexions ; elle est vive, pleine de feu, emportée et point tendre tout attachement lui est contrainte ; et l’union des cœurs, que les gens raisonnables trouvent le seul plaisir qu’il y ait dans la vie, lui paraît un joug insupportable. » Le véritable attachement de Bussy ne fut que tout à la fin pour la comtesse de Montglat, qui l’en paya si mal, et qui lui laissa au cœur, par sa perfidie, une plaie ulcérée et envenimée dont on voit qu’il eut bien de la peine à guérir. […] Le premier soin de Bussy, une fois retiré dans sa Bourgogne, c’est de persuader à ses amis de Paris qu’il ne souffre pas trop de son malheur ; il tâche de croire qu’il ne s’ennuie pas et de le faire croire à tout le monde : Je suis ici très commodément, écrit-il de son château de Bussy (19 janvier 1667) ; j’y fais bonne chère ; j’embellis tous les jours une belle maison. […] Il en souffre, il en est ulcéré ; il va jusqu’à s’en étonner, lui qui paraissait estimer si peu le sexe.
Or voilà qu’une disgrâce désagréable vient la saisir au front ; son visage se couvre de rougeurs ; des dartres (puisqu’il faut les appeler par leur nom) viennent l’éprouver : Dieu vous a donné, lui disait Fénelon, une rude croix par le mal que vous souffrez. […] Mais la douleur n’est pas ce qui vous fait le plus de peine ; vous êtes courageuse et dure contre vous-même pour souffrir patiemment ; mais Dieu vous a prise par un autre endroit plus sensible, qui est votre faible, il attaque votre délicatesse et votre propreté. […] Mme de Grammont le croyait sans doute comme lui, mais elle souffrait tout en le croyant.
. — Souffre des guerres inactives. […] Son père, qui avait poussé assez loin sa fortune, jusqu’à être lieutenant général et ambassadeur, avait eu à souffrir des revirements politiques du temps et des suites de la Fronde. […] Louis XIV, la première fois qu’il le revit après cet accident, « lui fit l’honneur de lui dire qu’il avait trop bonne opinion de l’étoile du marquis de Villars pour croire qu’il eût pu périr d’une chute dans les fossés de Bâle. » Dans les années de guerre qui suivirent et qui ne se terminèrent qu’à la paix de Riswick, Villars, d’abord commissaire général de la cavalerie, puis maréchal de camp, puis lieutenant-général et gouverneur de Fribourg en Brisgau, continua de se distinguer ; mais il souffrait beaucoup de l’inaction où l’on restait trop souvent avec de fortes armées, et se plaignait de ces campagnes trop peu remplies d’événements.
En se levant, le pli d’un chausson lui a déplu ; toute la journée sera orageuse, et tout le monde en souffrira. […] N’allez pas lui parler des choses qu’il aimait le mieux il n’y a qu’un moment : par la raison qu’il les a aimées, il ne les saurait plus souffrir. […] Il a besoin de tout le monde ; il aime, on l’aime aussi ; il flatte, il s’insinue, il ensorcelle tous ceux qui ne pouvaient plus le souffrir ; il avoue son tort, il rit de ses bizarreries, il se contrefait ; et vous croiriez que c’est lui-même dans ses accès d’emportement, tant il se contrefait bien.
Il semble qu’en avançant dans la vie, le poète ait renoncé à souffrir ou qu’il en ait honte ; lui-même il nous le dit : J’aurais pu souffrir davantage ; Mais, de bonne heure, plein d’orgueil, J’eus toujours le rare courage De cacher les pleurs de mon œil. […] Il ne pouvait souffrir un livre relié, et, dès qu’il en tenait un, il lui cassait le dos.
Je souffre, je souffre, je crois, comme il n’a été donné à aucun être aimant de souffrir… » Puis, le 24 avril : « Dans la lecture d’un volume qu’il lit et qu’il interrompt, il cherche où il en est, et après avoir longtemps fatigué le volume de la promenade de ses mains dessus, il me jette d’une voix timide : Où en suis-je ?
C’est peut-être parce que Verlaine avait souffert réellement, qu’il intéressa moins : l’imagination des gens ordonnés et aisés, qui ont le moyen de s’installer en une loge d’Opéra-Comique ou une baignoire de Comédie-Française pour voir grelotter des poètes pauvres, se satisfait beaucoup plus de ces douleurs théâtrales que de la peu intéressante vérité des iniquités de la vraie vie. […] Elles souffrent, elles pleurent, mais elles restent fines et presque élégantes. […] Nous souffrons de cet étalage impudique des misères de l’artiste devant son ennemi éternel.
Le foie souffrait et avait sa blessure. […] C’est en songeant à ces scènes douloureuses du Temple que M. de Chateaubriand, qu’il ne faut pourtant pas confondre ici (comme on l’a fait trop souvent) avec Bossuet, a dit dans Atala, par la bouche du père Aubry : « L’habitant de la cabane et celui des palais, tout souffre, tout gémit ici-bas ; les reines ont été vues pleurant comme de simples femmes, et l’on s’est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois. » Un poète populaire, faisant allusion à cette phrase célèbre, mais continuant de mettre en opposition les classes, a dit : De l’œil des rois on a compté les larmes ; Les yeux du peuple en ont trop pour cela ! […] Je n’avais pas de lumière ; mais, dans les grands jours, je souffrais moins de cette privation.
Il aperçoit des gens qui gesticulent et passent, qui pleurent, qui prospèrent, qui nuisent, qui meurent, et rien ne s’explique dans le trouble de son esprit, sinon que très clairement tous soutirent et font souffrir. […] Et de même que ces êtres ne témoignent cependant d’aucune honte sociale et ne souffrent de leur déchéance que parce qu’ils sont inhumains et indignes de pitié, les canailles de Dostoïewski aussi découvrent parfois naïvement et sans trop se savoir odieux, leur perversité, avec un doux cynisme. […] Il souffre avec les violentés et se navre de la tristesse des violents.