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886. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Le dix-septième siècle, si curieux investigateur du cœur humain, et si grand peintre de l’homme, avait laissé quelque chose à dire même sur ce sujet en apparence épuisé ; il avait laissé beaucoup à dire sur la société française, sur l’homme tel que la France le fait ; il avait laissé presque tout à dire sur l’homme social, sur l’économie des sociétés humaines. […] La meilleure et la plus durable partie des Lettres persanes, celle qui donne tant de poids à ce livre léger, ce sont les lettres où sont exprimées les premières vérités de la science sociale. […] C’est plus qu’un homme de génie qui trouve sa voie, et un grand écrivain qui crée sa langue : c’est la France elle-même, qui, après avoir montré dans Descartes tout ce qu’elle a de puissance intellectuelle, dans Pascal tout ce qu’elle a d’âme, dans Bossuet toutes ses grandes qualités à la fois dans leur force native et leur culture la plus achevée, apparaît dans Montesquieu découvrant les vérités premières et créant la langue de la science sociale.

887. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Nos peines et nos plaisirs seraient ainsi le résumé des peines ou plaisirs élémentaires d’une myriade de cellules : un peuple souffre ou jouit en nous, notre moi est légion, notre bonheur individuel est en même temps un bonheur collectif et social. […] Il résulte de là que l’étude du plaisir et de la douleur est analogue, comme complication et comme difficulté, à la science sociale, où les actions et réactions mutuelles semblent, par leur variété et leur multiplicité, échapper aux prises du calcul. […] On a tiré de là de graves conclusions pour la morale et pour la science sociale.

888. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

S’ils ont été acclamés et compris à tous les degrés de l’échelle sociale, s’ils ont su donner satisfaction aux illettrés aussi bien qu’aux critiques les plus délicats, est-ce donc le signe d’une infériorité, et ne faut-il pas voir là au contraire la preuve de génies infiniment plus vastes, capables de s’imposer partout ? […] Si l’homme, — comme le maître des Fleurs du Mal, — est artiste et poète, s’il a reçu du ciel un don de sensibilité qui en fait presque un sujet pathologique, ces troubles de l’âme sociale deviennent en lui logiquement plus aigus et plus visibles encore. […] Quand on lit un de leurs romans, on ne sait jamais au juste si l’on est en présence d’un ouvrage de plastique et de couleur, ou d’une peinture de mœurs ou d’une thèse sociale. […] On appellera ça la révolution sociale 212. […] Dans leur organisme social, l’individu n’est rien : il se perd dans la caste, entité vague qui représente un des aspects, une des formes de l’humanité.

889. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Mais, au fond, cette corruption ne fait pas sur notre état social une tache si grande ; le voile d’innocence, la blanche mousseline d’une première communiante qui passe suffit pour le faire oublier. […] « Je crois en Dieu, a dit l’auteur du Contrat social, et Dieu ne serait pas juste si mon âme n’était immortelle. […] L’auteur n’a pas, pour mieux impressionner son lecteur, fait de son héros un déshérité, un mendiant, il nous a présenté un aveugle sortant de l’Institution et aussi bien armé que possible pour la lutte sociale. […] Un jour, dans un dîner d’amis, un convive, en veine de paradoxe, soutenait que la pudeur est une convention sociale, un peu factice, qu’une jeune fille très pudique n’aurait aucune gêne à être nue si personne ne la voyait. […] L’ennui, l’absence de distractions sociales, artistiques ou intellectuelles, voilà, je crois, la seule explication.

890. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

— On ne peut pourtant demander à ces gens de faire une contre-enquête après chaque pièce ou chaque roman. — Avouons plutôt, bonnement, que nous faisons le possible pour entretenir la fâcheuse opinion qu’ils ont de notre vie sociale. […] Tant pis aussi, peut-être, pour la stabilité sociale de notre pays ! […] Les gens curieux d’expériences politiques, de nouveautés religieuses et de solutions sociales n’y sont pas moins satisfaits que les chercheurs d’or, de pétrole ou de nickel. […] Paul Bourget a rapportés d’outre-mer, autant je me défie des recettes sociales et des panacées un peu cosmopolites dont il nous vante l’efficacité. […] L’auteur d’Outre-Mer s’est souvenu que sa renommée, fondée d’abord par des dissertations littéraires ou sociales, avait été singulièrement accrue par des récits tels que Cruelle énigme, Mensonges, Crime d’amour.

891. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ici la littérature va se présenter à nous sous un autre aspect que celui d’un art ; elle est partie intégrante de la vie humaine, en tant que sociale et civilisée. […] Le littérateur, au contraire, n’est ce qu’il doit être qu’à la condition de se tremper dans le mouvement social. […] Peut-être, en parlant du degré d’autorité de l’Ancien Testament en fait de morale et d’institutions sociales, ai-je sacrifié la précision à la concision. […] Passons maintenant aux vertus de l’autre sorte, aux vertus sociales, et commençons par le commencement, je veux dire par la justice. […] Il est aisé de comprendre, d’après tout cela, que, malgré l’éclat et le charme qui en décoraient les sommités, cette vie sociale, si brillante et si raffinée, fut cependant étroite dans son ensemble ; ces classifications fausses isolaient des éléments sociaux qui, plus tard, se sont mieux fondus.

892. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Mais le roman russe médite, on n’en peut douter, d’accomplir la réforme sociale par le communisme de la charité. […] Hugo s’est bien souvent posé la question sociale. […] Dumas à tenter lui aussi de résoudre le problème social. […] N’a-t-il pas mission de visiter les hôpitaux, les prisons, les lavoirs, les gares de chemin de fer, le Mont-de-Piété, les refuges de nuit, toutes les institutions économiques et sociales inventées par la justice, la tolérance, ou la charité ? […] L’homme absolument probe et moral est, dans la classe des paysans, une exception. » La raison en est celle-ci, ajoute Balzac : « Par la nature de leurs fonctions sociales, les paysans vivent d’une vie purement matérielle, qui se rapproche de l’état sauvage auquel les invite leur union constante avec la nature.

893. (1881) Le naturalisme au théatre

Elle répondait à l’esprit social de l’époque. […] On bâillait aux étoiles, l’on se suicidait, réaction très curieuse contre l’affranchissement social qui venait d’être proclamé au prix de tant de sang. […] Nous nous trouvons donc devant une conséquence de l’état social, qu’il serait trop long d’étudier. […] Ce c’est pas une affaire de mode, c’est une affaire d’évolution humaine et sociale. […] Cette évolution est un travail humain et social sur lequel des volontés isolées ne peuvent rien.

894. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Mais j’ai peine, je l’avoue, à suivre dans leur enthousiasme ceux qui voient dans le développement des arts une régénération sociale. […] Voilà ce que je lui reproche ; c’est précisément cette ivresse des sens, cette douce quiétude, cet oubli du monde réel que donne la musique qui la rendent impropre à ce rôle de régénératrice sociale qu’on veut lui assigner. […] Cela ne s’explique, ni par l’admiration pour le talent de l’écrivain, ni par la sympathie pour ses théories sociales, et il est évident qu’il faut tenir compte du piédestal de l’exil dont Victor Hugo n’est pas encore descendu. […] S’il s’agit de la guillotine, « toutes les questions sociales dressent autour de ce couperet leur point d’interrogation ». […] « La mer, c’est l’inexorable nuit sociale où la pénalité jette ses damnés.

895. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Sismondi appartient à la classe des historiens moraux ; il est trop porté à expliquer toutes choses, même celles d’un âge très-éloigné et d’une forme sociale toute différente, par les contrastes et les vicissitudes de liberté et de despotisme, de vertu et de corruption, qu’il entend au sens moderne. […] Toutes les circonstances extérieures et sociales empruntées au personnage de Mme Lindsay, et qui étaient faites dans le temps pour donner le change à la curiosité, ne détruisent pas cette vue intime.

896. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Sans doute il ne suivit aucun plan général dans ses attaques, et ne les gouverna souvent qu’au gré de ses passions ou même de ses besoins ; et c’est en ce sens surtout qu’il est vrai de dire que sa mémoire publique, sa mémoire de grand citoyen a reçu d’irréparables atteintes ; mais il eut de rares et lumineuses inspirations sur l’état social profond et l’avenir où l’on se précipitait. […] A Montesquieu, l’histoire renouvelée ; à Voltaire, la propagation du déisme, du bon sens et de la tolérance ; à Diderot, le résumé encyclopédique des connaissances humaines ; à Jean-Jacques, la restauration du sentiment religieux, des droits de l’homme, tant individuel que social, et le grand principe de la souveraineté démocratique : tels sont les titres généraux que leur reconnaît M.

897. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Montesquieu par l’Esprit des Lois, Rousseau par l’Émile et la Contrat social, Buffon par l’Histoire naturelle, Voltaire par tout l’ensemble de ses travaux, ont rendu témoignage à cette loi sainte du génie, en vertu de laquelle il se consacre à l’avancement des hommes ; Diderot, quoi qu’on en ait dit légèrement, n’y a pas non plus manqué88. On lui accorde de reste les fantaisies humoristes, les boutades d’une saillie incomparable, les chaudes esquisses, les riches prêts à fonds perdu dans les ouvrages et sous le nom de ses amis, le don des romans, des lettres, des causeries, des contes, les petits-papiers, comme il les appelait, c’est-à-dire les petits chefs-d’œuvre, le morceau sur les femmes, la Religieuse, madame de La Pommeraie, mademoiselle La Chaux, madame de La Carlière, les héritiers du curé de Thivet ; — ce que nous tenons ici à lui maintenir, c’est son titre social, sa pièce monumentale, l’Encyclopédie !

898. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Parmi tant de doutes qui nous travaillent, soit au sujet de certaines influences longtemps souveraines, soit sur la forme même de l’ordre social et politique sous lequel nous vivons, de quel prix ne serait-il pas de ne point douter du moins de la chose d’où dépend tout le reste, je veux dire la nature même de l’esprit de notre pays ? […] Quoiqu’il ne s’agisse que de l’esprit français dans la littérature, comme tout ce qui est de la vie politique et sociale des arts, de la religion, de la philosophie, tout ce qui est une matière pour l’activité humaine, a été exprimé ou peut l’être par la littérature, on est bien près de connaître tout le fonds de sa nation, quand on en connaît l’esprit dans les œuvres littéraires.

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