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767. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Les clefs de Notre-Dame avaient été remises à une société catholique, et 25 000 curés en 1796 desservaient 30 000 paroisses. […] Dans les Martyrs, encore un ancien monde et un nouveau monde, le monde païen et le monde chrétien, la beauté gracieuse et la sainteté sublime : où Corneille n’avait vu que deux âmes (dans Polyeucte), faire voir deux sociétés, deux civilisations, deux morales, deux esthétiques ; ce que Bossuet avait indiqué d’un trait sobre et sévère, en prêtre qui instruit (dans le Panégyrique de saint Paul, et ailleurs), le développer en artiste, pour la beauté et pour l’émotion. […] Un poison inconnu se mêlait à tous mes sentiments… Je suis un pénible songe… Je m’ennuie de la vie ; l’ennui m’a toujours dévoré ; ce qui intéresse les autres hommes ne me touche point… En Europe, en Amérique, la société et la nature m’ont lassé. » Eudore nous révèle encore et toujours la même personnalité, assez délicatement localisée à l’aide des Confessions de saint Augustin, où Chateaubriand trouvait une forme historique appropriée à son âme inquiète : mais à chaque instant la fiction se déchire, et Eudore découvre l’auteur. […] Il y a même dans René un dilettante de la révolte et du crime qui se fait une volupté d’être seul contre toute la société : « Se sentir innocent et être condamné par la loi était dans la nature des idées de René une espèce de triomphe sur l’ordre social ». […] Des embarras d’argent inquiétèrent sa vieillesse, et il fut obligé, comme il dit, d’hypothéquer sa tombe, c-à-d. de vendre à une société la propriété de ses Mémoires qui ne devaient paraître qu’après sa mort.Éditions : Atala, 1801, in-12 ; Génie du Christianisme, 1802, 5 vol. in-12 ; Atala et René, 1805, in-12 ; les Martyrs, 1809, 2 vol. in-12 ; Itinéraire, 1811, 3 vol. in-8 ; Œuvres complètes (contenant la 1re éd. des Natchez), 1826-1831, 31 vol. in-8 ; éd.

768. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Après tant de belles peintures de l’homme en général, il restait à peindre l’individu, dans cette société qui lui donnait tant de valeur, le Français à une époque où la France a été si grande. […] Nous sommes au milieu de la société la plus polie qui fut jamais ; nous la voyons dans les personnes qui donnent le ton et sur qui tout se modèle ; nous l’entendons parler des bruits du jour, de ce qu’on rapporte de l’armée, du fils ou du mari qu’on y a, de la cour, des faiblesses du roi. […] J’y vois moins de pénétration politique que de ressentiment contre une société où il n’était pas écouté ; c’est plutôt de la mauvaise humeur que de la prophétie. […] Aucune littérature, et, nous pouvons le dire, aucune société, n’a offert une galerie plus riche et plus variée. […] Quel siècle enfin que celui qui, après avoir enfanté tant de grands hommes, et, pour toutes les fonctions de la guerre et de la paix, des hommes de génie, produisait dans sa vieillesse, et jusque dans sa décrépitude, une tête de société si forte et si capable !

769. (1913) La Fontaine « II. Son caractère. »

Seulement dans la société, et surtout quand vous êtes ce que vous êtes, on jouit du plaisir de plaire à tout le monde ; et dans la solitude, on jouit du plaisir de vivre avec soi-même, et cela est une affaire d’âge et de condition. […] Oui, La Fontaine a été un Rousseau, c’est-à-dire qu’il a eu le goût de l’indépendance et de la solitude poussé à un très grand point et mélangé d’un certain goût, toujours persistant aussi, pour les plaisirs de la société. […] Ainsi je vous citerai une seule anecdote touchant ses distractions fameuses, et qui est celle-ci : Un jour dînant (comme on disait alors, c’est-à-dire déjeunant) en compagnie d’une société qui ne lui plaisait pas beaucoup, il se leva et prit congé. « Où allez-vous donc   Oh ! […] Il fait parler les animaux, les arbres, les pierres… » Nous avons le témoignage presque aussi dur de Louis Racine, dont il faut bien cependant tenir compte, puisque Louis Racine a vu lui-même La Fontaine, oui, mais très peu, car il était enfant quand La Fontaine est mort, mais enfin voici ce qu’il nous dit touchant La Fontaine, et certainement il y a quelque vérité, quelque précision historique dans son propos, parce qu’il a tenu la chose de son père : « Autant il était aimable par la douceur de caractère, autant il l’était peu par les agréments de la société. […] Causeur charmant, aimable jusqu’à l’âge, vous le voyez, de soixante-cinq ou six ans, parlant de toute chose, laissant aller son imagination et sa douce fantaisie à travers tous les sujets, papillon non seulement du Parnasse, mais en quelque sorte de l’univers, aimant la discussion, et puis enfin, peut-être un peu brusquement s’échappant, mon Dieu, parce qu’il peut en avoir assez de la société dans laquelle il est, ou plutôt, et j’en suis sûr, plutôt parce qu’une pensée particulièrement chère lui est venue, une pensée favorite, en quelque sorte, qu’il veut suivre dans cette solitude si féconde qu’il aime tant.

770. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Quand les sociétés n’ont plus la flamme qui crée les grandes œuvres et l’intérêt palpitant qui s’y attache longtemps avec une passion, qui est au génie ce qu’un cœur tendre est à un grand cœur, l’amour de l’archéologie, ce touche-à-tout des vieillards redevenus enfants, s’empare de ces esprits qui baissent, et on joue aux bagatelles de l’histoire, aux curiosités, aux minuties. […] Le moraliste devrait savoir que nous avons, dans la vie domestique, la menue monnaie de Mme de Chevreuse, et que l’exemple des grandes dames dans une société sans grandes dames peut encore être contagieux. […] … Nous l’avons dit déjà, mais tant de prostitution d’admiration y fait revenir, hors le rang social qui lui donne sa valeur de surface, hors ce piédestal, aujourd’hui brisé, réduit en poudre, de la grande société à laquelle elle appartenait, Mme de Chevreuse n’a rien qui puisse la faire placer au-dessus des femmes de notre temps et de tous les temps, qui se distinguent par le double désordre de l’intelligence et des mœurs. […] Cousin avec sa jocrisserie d’admiration pour les femmes quelconques de la haute société du xviie  siècle, qui pût songer à prendre à part, dans un cadre taillé exprès pour elle, cette figure de Mme de Hautefort, insignifiante quand elle n’est pas désagréable, car cette prude orgueilleuse le fut avec Louis XIII, avec Anne d’Autriche. […] « Posons la plume, dit-il, et mettons fin à ces peintures d’une société à jamais évanouie et de femmes que l’œil des hommes ne reverra plus.

771. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Jansénius avait été le prétexte à toutes ces disputes qui ont vivement agité la société française Au milieu de la dispute se présenta Pascal, armé de toutes pièces comme un rude jouteur qu’il était. […] Le bretteur Alcidas, est descendu au dernier degré du gentilhomme perdu de vices et de misères ; — c’est Molière qui l’a indiqué le premier, anticipant ainsi sur la société du siècle suivant ! […] qu’il y avait, autrefois, deux sociétés bien différentes, Paris et Versailles, la ville et la cour ; ces deux sociétés étaient bien plus séparées l’une de l’autre, que si elles l’eussent été par des montagnes et par des villes, elles étaient séparées par les usages et par les mœurs. […] Cette fois, dans Le Misanthrope, vous la voyez, non seulement dégagée des entraves de la vie bourgeoise, mais encore dégagée même des plus simples exigences de cette société si réglée et si correcte du grand siècle. […] Quand toute cette société que charmait Marivaux de sa politesse, est emportée et morte au fond de l’abîme, sa comédie est vivante encore et porte légèrement cette couronne de roses à peine ternie.

772. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Cette société des camps a des lois sociales plus étroites, plus promptes, plus absolues, plus draconiennes que les lois de la société civile. […] Goûtez-vous plus la liberté compatible avec l’ordre des sociétés humaines ? […] Le gouvernement est la force des intérêts généraux de la société reliés ensemble pour le salut des sociétés contre la révolte et l’anarchie des intérêts particuliers qui cherchent sans cesse à prévaloir contre la communauté ; en d’autres termes, le gouvernement, c’est tous ; les factions, c’est l’individualité. […] La société est au premier venu quand ce premier venu se dévoue à elle et non à lui-même ; voilà la loi de la conscience quand il n’y a plus que la conscience pour loi. […] Jamais, dans un temps d’anarchie et d’illusions philosophiques sur la constitution des sociétés civiles ; jamais le néant des systèmes et l’infaillibilité de la nature, en matière de pouvoir, ne s’étaient incarnés plus fortement que dans ce jeune homme.

773. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

C’est dans les congrès, tribunaux suprêmes de la société internationale, que sont débattus, rejetés ou admis ces titres. […] Celui qui les viole est hors la loi ; tout le monde a le droit de guerre contre lui ; c’est le grand anarchiste de la société internationale, c’est l’insurgé contre la civilisation : car le droit public, c’est la civilisation. […] Trop habile pour la devancer, trop souple pour lui résister, il se laissait emporter par le courant des innovations, sans excès de zèle, sans fanatisme, mais sans scrupule envers ses préjugés de naissance, de rang, de société ou de profession. […] Liquider les guerres de la république et remettre le gouvernement consulaire en société diplomatique avec l’Europe entière, c’était donc la nécessité habile du premier consul, comme c’était l’instinct traditionnel de M. de Talleyrand. […] Premier ministre et ambassadeur à la fois au congrès de Vienne, M. de Talleyrand domina, quoique vaincu, les vainqueurs ; les Bourbons rentrèrent de plain-pied, et avec la France ancienne tout entière, dans la société des rois et des peuples.

774. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Il continuait de vivre ainsi de cette vie sans règle et sans excès apparent, lettré amateur, agréable à sa société, badin, d’une espièglerie spirituelle et vive, semblant avoir pris pour devise ce mot d’un poète : « Dilecto volo lascivire sodali », et, pour tout dire, le plus aimable des compagnons, lorsque arriva le grand événement qui l’arracha à la société, le plongea en d’inexprimables angoisses et l’amena graduellement, et par des épreuves douloureuses, à un état de rajeunissement et de maturité d’où sortirent des productions de génie. […] En 1774, il était mieux, mais incapable de toute lecture et de toute distraction de société, et il avait toutefois besoin absolument de s’occuper à quelque chose, mais sans fatiguer son attention. […] On peut donc dire de Puss qu’il s’était complètement apprivoisé, que la timidité, la sauvagerie de sa nature, avait tout à fait disparu, et, en un mot, il était visible, à mille signes qu’il serait superflu d’énumérer, qu’il était plus heureux dans la société de l’homme que lorsqu’il était enfermé avec ses compagnons naturels.

775. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Ce contemporain, dont le nom n’étonnera que ceux qui n’ont lu aucun de ses trois ouvrages caractéristiques, et qu’un instinct heureux de fureteur ou quelque indication bienveillante n’a pas mis sur la voie des Rêveries, d’Oberman et des Libres Méditations ; l’éloquent et haut moraliste qui débuta en 1799 par un livre d’athéisme mélancolique, que Rousseau aurait pu écrire comme talent, que Boulanger et Condorcet auraient ratifié comme penseurs ; qui bientôt, sous le titre d’Oberman, individualisa davantage ses doutes, son aversion sauvage de la société, sa contemplation fixe, opiniâtre, passionnément sinistre de la nature, et prodigua, dans les espaces lucides de ses rêves, mille paysages naturels et domestiques, d’où s’exhale une inexprimable émotion, et que cerne alentour une philosophie glacée ; qui, après cet effort, longtemps silencieux et comme stérilisé, mûrissant à l’ombre, perdant en éclat, n’aspirant plus qu’à cette chaleur modérée qui émane sans rayons de la vérité lointaine et de l’immuable justice, s’est élevé, dans les Libres Méditations, à une sorte de théosophie morale, toute purgée de cette âcreté chagrine qu’il avait sucée avec son siècle contre le christianisme, et toute pleine, au contraire, de confiance, de prière et de douce conciliation ; fruit bon, fruit aimable d’un automne qui n’en promettait pas de si savoureux ; cet homme éminent que le chevalier de Bouflers a loué, à qui Nodier empruntait des épigraphes vers 1804 ; que M. […] Il y a quelques années, une petite société philosophique, dont MM. […] Plein d’aversion pour une société factice où tout, suivant lui, s’est exagéré et corrompu ; en perpétuelle défiance contre cette force active qui projette l’homme inconsidérément dans les sciences, l’industrie et les arts ; ne croyant plus, d’autre part, à la libre et hautaine suprématie de la volonté, il tend à faire rétrograder le sage vers la simple sensation de l’être, vers l’instinct végétatif, au gré des climats, au couchant des saisons ; pour une plus égale oscillation de l’âme, les données qu’il exige sont un climat fixe, des saisons régulières ; il choisit de la sorte, il compose un milieu automnal, éthéré, élyséen, selon la molle convenance d’un cœur désabusé, ou selon la mâle âpreté d’une âme plus fière, l’île fortunée de Jean-Jacques ou une haute vallée des Alpes ; il y pose le sage, il l’y assimile aux lieux, il lui dit d’aller, de cheminer à pas lents, prenant garde aux agitations trop confuses, et se maintenant par effort de philosophie à la sensation aveugle et toujours semblable. « Je ne m’assoirai point auprès du fracas des cataractes ou sur un tertre qui domine une plaine illimitée ; mais je choisirai, dans un site bien circonscrit, la pierre mouillée par une onde qui roule seule dans le silence du vallon, ou bien un tronc vieilli, couché dans la profondeur des forêts, sous le frémissement du feuillage et le murmure des hêtres que le vent fatigue pour les briser un jour comme lui. […] Son type regretté, auquel il rapporte constamment la société présente, c’est un certain état antérieur de l’homme, état patriarcal, nomade, participant de la vie des laboureurs et des pasteurs, sans professions déterminées, sans classement de travaux, sans héritages exclusifs, où chaque individu possédait en lui les éléments communs des premiers arts, la  généralité des premières notions, la jouissance assidue des pâturages et des montagnes.

776. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Quand il s’agit de juger la vie, les actions, les écrits d’un homme célèbre, on commence par bien examiner et décrire l’époque qui précéda sa venue, la société qui le reçut dans son sein, le mouvement général imprimé aux esprits ; on reconnaît et l’on dispose, par avance, la grande scène où le personnage doit jouer son rôle ; du moment qu’il intervient, tous les développements de sa force, tous les obstacles, tous les contrecoups sont prévus, expliqués, justifiés ; et de ce spectacle harmonieux il résulte par degrés, dans l’âme du lecteur, une satisfaction pacifique où se repose l’intelligence. […] Toutefois, en attendant que cette grande et longue décadence du moyen-âge fût menée à terme, ce qui n’arriva qu’à la fin du xviiie  siècle, en attendant que l’ère véritablement moderne commençât pour la société et pour l’art en particulier, la France, à peine reposée des agitations de la Ligue et de la Fronde, se créait lentement une littérature, une poésie, tardive sans doute et quelque peu artificielle, mais d’un mélange habilement fondu, originale dans son imitation, et belle encore au déclin de la société dont elle décorait la ruine. Le drame mis à part, on peut considérer Malherbe et Boileau comme les auteurs officiels et en titre du mouvement poétique qui se produisit durant les deux derniers siècles, aux sommités et à la surface de la société française.

777. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVII. Rapports d’une littérature avec les littératures étrangères et avec son propre passé » pp. 444-461

Pour répondre à ces points d’interrogation, une étude méticuleuse des sociétés et des époques qui nous les posent est indispensable. […] Shakespeare, avant d’être déifié par Victor Hugo, dut attendre deux cents ans pour se trouver en harmonie avec l’état d’esprit de la société française ; il eut peine encore sous la Restauration à conquérir ses lettres de naturalisation ; en 1822, il fut dénoncé par un patriote du parterre comme « aide de camp de Wellington » et ses drames furent taxés de « monstruosités dégoûtantes ». […] Placée entre le nord et le midi de l’Europe, la France est souvent le champ de bataille où se heurtent des forces issues des deux régions opposées ; au xvie  siècle, recevant d’Italie la Renaissance et d’Allemagne la Réforme, elle est tiraillée, déchirée entre les deux tendances contraires qui bouleversent les intelligences et la société. […] « Dis-moi qui tu aimes et je te dirai qui tu es. » La préférence qui reporte une société vers tel ou tel moment de son existence antérieure est révélatrice de son goût dominant.

778. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Elle est la première actrice en France qui ait eu à la fois de l’éclat sur la scène et de la considération dans la société. […] Ayant appris que la mère d’Argental, Mme de Ferriol, pensait à éloigner son fils, et même à l’envoyer à Saint-Domingue, de peur qu’il ne se portât à quelque proposition de mariage, Mlle Le Couvreur n’hésita point à la rassurer ; elle alla trouver Mme de Ferriol, et, l’accueil de celle-ci l’ayant peu encouragée à parler, elle lui écrivit une lettre noble de ton, admirable de sentiments, et comme une femme qui veut concilier tous les devoirs naturels avec les convenances de la société. […] Les jours où elle n’était pas trop envahie par les duchesses et par les personnes de bel air, Mlle Le Couvreur se plaisait à recevoir ses amis : Ma vanité, disait-elle, ne trouve point que le grand nombre dédommage du mérite réel des personnes ; je ne me soucie point de briller ; j’ai plus de plaisir cent fois à ne rien dire, mais à entendre de bonnes choses, à me trouver dans une société de gens sages et vertueux, qu’à être étourdie de toutes les louanges fades que l’on me prodigue à tort et à travers. […] En entendant, l’autre jour, le drame intéressant dans lequel la lutte du talent et du sentiment vrai contre le préjugé et l’orgueil social est si vivement représentée sous son nom, je me disais combien les choses ont changé depuis un siècle, combien la haute société ne mérite plus, à cet égard du moins, les mêmes reproches, et combien elle est peu en reste d’admiration et de procédés délicats envers tout talent supérieur.

779. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Cet art ne fut jamais mieux connu ni pratiqué que dans le xviiie  siècle, au sein de cette société régulière et pacifique, et personne ne le poussa plus avant, ne le conçut plus en grand, et ne l’appliqua avec plus de perfection et de fini dans le détail que Mme Geoffrin. […] Mme de Tencin remuait ciel et terre pour faire de son frère un Premier ministre : Mme Geoffrin laissa de côté la politique, ne s’immisça jamais dans les choses de religion, et, par son art infini, par son esprit de suite et de conduite, elle devint elle-même une sorte d’habile administrateur et presque un grand ministre de la société, un de ces ministres d’autant plus influents qu’ils sont moins en titre et plus permanents. […] Les empressements la suffoquaient ; le trop de durée, même d’un plaisir, le lui rendait insupportable ; « de la société la plus aimable, elle ne voulait que ce qu’elle en pouvait prendre à ses heures et à son aise ». […] Il n’y a rien d’agréable, de délicat et de distingué comme les pages que Marmontel a consacrées dans ses Mémoires à Mme Geoffrin et à la peinture de cette société.

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