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697. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Dans cette incessante variabilité des modes et des vogues littéraires, les traductions, notamment, sont chose essentiellement relative et provisoire ; elles servent à l’éducation des esprits, elles en sont la mesure, et il n’y a rien d’étonnant qu’à un moment venu, ils s’en passent on en veuillent d’une autre sorte et d’une autre marque. […] Si, dans les grands et pathétiques naufrages modernes, l’intérêt public se porte naturellement sur les deux ou trois survivants que le radeau a rapportés et qui représentent pour nous les absents abîmés et engloutis, il convient de faire, ce semble, la même chose dans l’ordre de l’esprit et du talent, et de ne pas trop chicaner un ancien qui nous est arrivé par exception et par un singulier bonheur, surtout quand il nous offre en lui des dons charmants, incontestables ; il sied bien plutôt de l’aimer et de le louer tant pour son propre compte que pour les amis et parents qu’il représente et qui ne sont plus, au lieu d’aller se servir de ces noms très grands assurément, mais un peu nus désormais et à peu près destitués de preuves, pour l’infirmer et le diminuer. […] Le maître y met de la préparation, un air de solennité mystérieuse : « Ce n’est pas de ton savoir-faire ordinaire que j’ai besoin dans l’affaire présente, mais d’autres qualités que j’ai remarquées en toi, ta fidélité et ta discrétion. » — « J’écoute. » — Et ici le maître rappelle à l’affranchi ses bienfaits : il l’a acheté tout enfant, il l’a toujours traité avec douceur et clémence : le voyant servir d’un cœur si honnête, il lui a donné ce qu’il y a déplus cher, il l’a affranchi.

698. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Eugénie de Guérin et Mme de Gasparin, au contraire, sont également nôtres, et presque au même titre ; chacun en est juge, et la comparaison qui commencera par une lecture de toutes deux, lecture que je conseille fort, servira à tous et à toutes. […] On retrouve en elle la fille d’une race et d’une société plus antique, plus vieillie, plus usée : elle se sert d’une langue toute faite ; c’est une riche et fine étoffe un peu passée, qu’elle rajeunit avec grâce en la mettant, mais dont chaque pli ne crie pas sous ses doigts. […] Un jour qu’elle a assisté à une profession de religieuse au Bon-Sauveur, elle raconte ainsi à sa chère Louise son impression enflammée et attendrie : « Si Cholet ne m’avait pas dit que les charbonniers (qui servent de messagers) partent à onze heures, je vous parlerais au long de la cérémonie du Bon-Sauveur, cérémonie belle et touchante, qui fait admirer, qui fait pleurer.

699. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine »

Il avait servi de secrétaire, pendant vingt-quatre ans et plus, à M.  […] « Je vous régalerai, écrivait-il à l’un d’eux (et il l’aurait pu dire également à chacun en particulier), de tout ce que la main de la Providence mettra entre les miennes et que je croirai pouvoir servir de nourriture agréable et utile à l’amour que Dieu vous a donné pour toute vérité. […] Son gendre et sa sœur, Mlle de Moramber, sont sans cesse à le servir avec son fils et son épouse, et tous se surpassent, chacun en sa manière. » Et dans la même lettre, reprenant la plume le lendemain (car le jour du courrier n’était que le jeudi) : « Ce 25 mars, vers le soir. — Je sors de chez le pauvre M. 

700. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

À quoi sert un auteur de plus, s’il ne fait pas ce qui n’a pas été fait avant lui ? […] L’adversité sert à détromper sur le mérite apparent, sur ce petit mérite commun qu’il est très-facile de paraître avoir, sur cette élévation qu’on affecte en vérité sans peine, quand le sort fait tout pour nous soutenir. […] Ainsi c’est toujours par une sorte d’incapacité que les autres restent enchaînés, ils ne savent pas secouer les entraves. » Cela se peut : leur talent n’est pas celui-là, et remarquez que celui qui sait, selon vous, lutter contre le sort, pourrait être plus justement regardé comme bien servi par le sort, puisque la difficulté des premiers pas à faire était justement ce qui convenait à ses moyens. 

701. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 13, qu’il est des sujets propres specialement pour la poësie, et d’autres specialement propres pour la peinture. Moïens de les reconnoître » pp. 81-107

Voilà ce qu’un peintre ne sçauroit faire : il est réduit à se servir pour nous toucher, de personnages que nous connoissons déja : son grand merite est de nous faire reconnoître sûrement et facilement ces personnages. […] Je me suis étonné plusieurs fois que les peintres qui ont un si grand interêt à nous faire reconnoître les personnages dont ils veulent se servir pour nous toucher, et qui doivent rencontrer tant de difficultez à les faire reconnoître à l’aide seule du pinceau, n’accompagnassent pas toujours leurs tableaux d’histoire d’une courte inscription. […] Tous les traits dont Homere se sert pour peindre l’impetuosité d’Achille, ne sont pas également forts, mais les foibles sont rendus plus forts par d’autres, ausquels ils donnent réciproquement plus d’énergie.

702. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Mais les institutions qui nous ont servi à mesurer le progrès de l’égalitarisme se rencontrent chez toutes les nations modernes occidentales, quelles que soient les races qui les composent. […] Placez des cerveaux semblables dans des milieux différents : un même processus cérébral pourra servir à des fins différentes. […] Un seul fait, en somme, vous sert de texte : l’expansion de l’idée de l’égalité dans la seule civilisation occidentale.

703. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Mais la même raison qui a dû faire tomber tous ces genres d’éloges déclames ou chantés, écrits ou parlés, ou ridicules ou ennuyeux, ou vils ou du moins très inutiles à tout le monde, excepté à celui à qui on les paie, a dû au contraire accréditer les panégyriques des grands hommes qu’on peut louer sans honte, parce qu’on les loue sans intérêt, et qui, dans des temps plus heureux, ayant servi l’humanité et l’État, offrent de grandes vertus à nos mœurs, ou de grands talents à notre faiblesse. […] Ce n’est pas tout ; observez l’influence de son caractère sur ses talents, ou de ses talents sur son caractère ; en quoi il a été original, et n’a reçu la loi de personne ; en quoi il a été subjugué ou par l’habitude la plus invincible des tyrannies, ou par la crainte de choquer son siècle, crainte qui a corrompu tant de talents ; ou par l’ignorance de ses forces, genre de modestie qui est quelquefois le vice d’un grand homme ; mais surtout démêlez, s’il est possible, quelle est l’idée unique et primitive qui a servi de base à toutes ses idées ; car presque tous les hommes extraordinaires dans la législation, dans la guerre, dans les arts, imitent la marche de la nature, et se font un principe unique et général dont toutes leurs idées ne sont que le développement. […] Il ne placera donc point son héros sur un froid piédestal ; on le verra sur un rocher escarpé, qui lui sert de base, poussant à toute bride un cheval fier et vigoureux qui gravit au sommet du rocher, et de là il paraîtra étendre sa main sur son empire.

704. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Or, il a promis au couvent de ne jamais se servir de son épée contre Philippe II. […] Les chroniques ne serviraient de rien, il n’y a pas songé un seul instant. […] N’a-t-il pas dû souvent servir de pourvoyeur à la couche royale ? […] À quoi servirait d’interroger l’histoire ? […] Le profil inflexible sert à toutes les dynasties, à toutes les prostitutions renommées.

705. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

L’un et l’autre livre sont dédiés au prince, dont ils servent les intentions. […] C’est l’expression dont on se sert pour désigner ceux qu’il a prêchés de 1662 à 1670. […] Tout homme a tant de raisons de ne se servir de l’écriture que pour déguiser sa pensée ! […] Lui, qui n’y croit point, se sert de la contradiction pour ruiner l’hypothèse, ou plutôt encore pour en émanciper tout ce qu’on y croit lié d’utile. […] Oserai-je me servir ici d’une locution un peu familière ?

706. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

La comédie des Ménechmes est une de celles qui servent de fondement à sa réputation. […] Il creuse sa tombe sur le rivage de l’Océan, appelle à ses funérailles toutes les grandes images du désert et fait servir les éléments à son mausolée. […] La déraisonnable jalousie de Léontes, et sa violence, retracent le caractère d’Henri VIII, qui, en général, fit servir la loi d’instrument à ses passions impétueuses. […] Ce fait est rapporté au procès de sir Gilly, et servit à sa condamnation. […] De ces deux pièces, l’une a servi de moule, si on peut s’exprimer ainsi, à la seconde partie de Henri VI, l’autre à la troisième.

707. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Sa mémoire, puissance qu’on multiplie en la chargeant, le servait avec fidélité, mais aussi avec cette liberté qu’elle doit laisser à l’improvisation, tout en rappelant l’orateur à son but et à son texte ; sa diction, sans être théâtrale, était modulée. […] Enfin quel précieux avantage que d’avoir toujours à la main des armes qui peuvent servir à votre défense ou à celle des autres, à défier les méchants ou à repousser leurs attaques !  […] Si tu veux m’imposer silence, ce n’est pas mes biens qu’il faut m’ôter : il faut m’arracher cette langue que tu crains, étouffer cette voix qui n’a jamais parlé que pour la liberté ; et, quand il ne me restera plus que le souffle, je m’en servirai encore, autant que je le pourrai, pour combattre et repousser la tyrannie.” […] Lisez ceci ; c’est une scène biblique de philosophie parlée entre ces deux patriarches de la pensée humaine, Cicéron et Caton : « J’étais à Tusculum, et, désirant me servir de quelques livres du jeune Lucullus, je vins chez lui pour les prendre dans sa bibliothèque, comme j’en avais l’usage. […] Aussi, jouissant d’un loisir aussi complet, et se trouvant dans une aussi riche bibliothèque, il semblait, si l’on peut se servir d’une comparaison aussi peu noble, vouloir dévorer les livres.

708. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

Elle s’en sert pour se défendre et pour protéger son fils ; c’est de sa vertu même qu’elle apprend l’influence de ses charmes et que lui vient la pensée d’en user. […] Mais cette coquetterie, puisque j’ai eu besoin de ce mot, dans l’une est le manège innocent d’une mère qui fait servir sa beauté à la défense de son fils ; dans l’autre une ruse inspirée par une passion furieuse. […] Le nom d’une femme sert de titre à chaque pièce27. […] L’ambitieux que la faveur étourdit et précipite, c’est Mathan ; le soldat qui a servi sous deux maîtres, et qui obéit au second en gardant sa foi au premier, c’est Abner. […] Les confidents ne sont si froids que parce qu’on ne les emploie pas pour leur compte ; ils servent, soit à couper par des interruptions la longueur des monologues, soit à tenir la place de l’interlocuteur véritable qui n’arrive pas.

709. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

L’écharpe ondoyante du vers ne doit servir qu’à « vêtir de grandes pensées et de grands sentiments ». […] D’autre part, que les doctrines positivistes aient servi de parangon aux naturalistes en général, aux parnassiens en particulier, les œuvres littéraires ou artistiques des uns et des autres le prouvent abondamment. […] Si je l’ai placé en tête de ce livre, c’est moins pour servir de commentaire à ma poésie, que pour me consoler de ce que je n’ai pu réaliser. […] encore trop théoriques, quoique profondément senties, servir à d’autres meilleurs, et acheminer l’art vers ses fins les plus hautes et les plus naturelles. […] Au surplus, je me permets de déplorer le vague dans lequel flottent la plupart des termes destinés à servir de fanion à toute école littéraire ou philosophique.

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