Lui, historien de la Restauration, il ne saurait dire, par exemple, de Louis XVIII en 1814, ou de M. de Talleyrand, qu’il appelle à cette même date un vieux diplomate, qu’ils avaient à peine dépassé le milieu de la vie. […] Je n’insiste sur cette phrase de début, qui a frappé beaucoup de personnes, que pour montrer qu’on ne saurait raisonnablement attendre de l’historien-poète un grand scrupule d’exactitude sur ces points de détail et d’humble réalité. […] Je sais que M. de Lamartine a bien des cordes à sa lyre, qu’il n’a pas seulement la corde voluptueuse et amollie. […] Dans son Histoire de la Restauration, M. de Lamartine revient aux premières scènes de sa jeunesse, et, bien qu’il y revienne avec un complet dégagement de vues, il saura en ressaisir suffisamment les émotions et le ton : il les embellira même peut-être ; mais, qu’il se montre plus ou moins indulgent ou sévère, il ne saurait ici être dangereux. […] Il y a un moment sensible où l’écrivain les poétise et les romance, je ne sais pas un autre mot.
Quand elle sut de quoi il s’agissait, elle sauva ce pauvre homme, qu’elle fit coucher et panser dans son cabinet jusqu’à ce qu’il fût guéri. […] Elle sait la mythologie, l’histoire ; elle cite couramment Burrhus, Pyrrhus, Timon, le centaure Chiron et le reste. […] Il est très peu de femmes qui, comme la princesse Palatine ou comme l’illustre Catherine de Russie, savent être à la fois galantes et sûres d’elles-mêmes, et qui établissent une cloison impénétrable entre l’alcôve et le cabinet d’affaires. […] Elle dotait et fondait des couvents, tout en payant des gens de savoir pour l’entretenir de philosophie, et des musiciens pour l’amuser pendant les offices divins ou dans les heures plus profanes. […] Certes, au point de départ, il y eut entre ces deux reines, entre ces deux belles-sœurs, bien des rapports ; mais une telle comparaison ne saurait se soutenir historiquement.
On pourrait croire seulement qu’elle est funeste à la largeur des vues et doit conduire à une doctrine étroite : c’est là un écueil que M. de Tocqueville a su éviter. Peu d’esprits ont su concilier avec une semblable impartialité les idées les plus diverses et en apparence même les plus opposées. […] Tocqueville est le premier qui, regardant la démocratie comme bonne en elle-même et inévitable, ait su voir qu’elle pouvait conduire au despotisme aussi bien qu’à la liberté : observation vulgaire chez tous les publicistes de l’antiquité, et cent fois vérifiée dans les petites républiques de la Grèce, mais qui, appliquée à toute la surface du monde civilisé, inspire à l’entendement et à l’imagination une singulière impression de religieux effroi. […] J’ai donc entrepris de faire ressortir clairement, et avec toute la fermeté dont je suis capable, les uns et les autres, afin qu’on voie ses ennemis en face et qu’on sache contre quoi on a à lutter. […] Moi, je voudrais que la société vît ces périls comme un homme ferme qui sait que ces périls existent, qu’il faut s’y soumettre pour obtenir le but qu’il se propose, qui s’y expose sans peine et sans regret, comme à une condition de son entreprise, et ne les craint que quand il ne les aperçoit pas dans tout leur jour. » Dans une lettre de la même époque à un autre de ses amis, trop longue pour être citée, il exprime encore avec plus de précision la vraie pensée du livre de la Démocratie.
Sa redingote n’est pas très-bien boutonnée, son pantalon flageole beaucoup autour de ses jambes, et il n’est pas probable qu’il sache jamais faire un nœud de cravate. […] Il n’a pas d’esprit ; il ne trouve jamais de mots piquants ; sa conversation n’a aucune souplesse ; il ne sait pas tourner autour d’une idée, l’effleurer, s’en jouer. […] Le principal ornement de sa chambre est un bureau immense, je ne sais pas de quelle couleur, l’ayant toujours vu encombré de livres. […] Il reste à savoir si dans son ensemble il est une cause primitive et un fait indépendant. Comment savoir s’il est un effet ou une cause ?
Je ne sais. […] Nous ne savons comment l’enfant gâté avalera cette médecine.
L'abbé Dupanloup, encouragé par le succès de sa première lettre au duc de Broglie, en a publié une deuxième, qui a moins réussi : personne ne sait s’arrêter à temps et ne pas abuser. — Le Rancé de Chateaubriand a été une déception ; les articles de M. […] Jamais, dans les vrais siècles de grandes et vertueuses œuvres, on n’a songé ainsi à étaler cette plainte secrète ; on travaillait, on mûrissait, et se sentir mûrir console des fleurs qu’on n’a plus : on croyait à ce perfectionnement intérieur qui va à l’inverse des grâces riantes et qui, en définitive, sait s’en passer. […] Notre jeune siècle poétique et lyrique, par cela même qu’il ne sait pas vieillir et qu’il étale à ce degré devant tous sa misérable faiblesse, trahit son point vulnérable, l’inspiration morale positive et la foi qui lui ont trop fait défaut.
Mais, sur ce point encore, qui est le grand point, je ne voudrais pas être plus conservateur que de raison et me brouiller avec l’avenir… Je ne sais si aujourd’hui nous pensons bien, j’en doute un peu ; mais, certes, nous pensons beaucoup ou du moins nous pensons à beaucoup de choses et nous faisons un horrible gâchis de mots. […] Sa conception d’un poème dont chaque vers n’est pas seulement intéressant par lui-même, mais concourt à une harmonie d’ensemble, il l’a réalisée dans son admirable Pèlerin passionné, fort et gracieux tour à tour comme le savent être les maîtres, plein d’une inspiration noble et naturelle. […] Il en porte la destinée, et on lui saura gré de l’excellente influence qu’il a prise sur ses disciples et dont je tiens à nommer au moins M.
On savait dans chaque maison pour quelle cause on écrivait. […] Les frères Berthold faisaient les Colloques respectables ; Émile et Armand, du haut de leurs tribunes, poursuivaient des querelles célèbres ; Polydore savait répandre à millions sa petite gazette ; le talon-rouge Louis et Jules le libertin flétrissaient vivement la médiocrité du sceptre. […] Il touchait au monde politique, savait les dessous des gens en place, les faisait transparaître.
Il s’agit de savoir quel rôle y jouent les grands hommes et quelle place doit leur être accordée. […] Mais qu’un homme, un grand écrivain, si l’on veut, vienne préciser ce qui était nuageux, condenser ce qui était éparpillé, mettre en pleine lumière ce qui était encore enveloppé d’ombre, exposer brillamment ces besoins que beaucoup sentaient sans en avoir la conscience bien nette, alors on lui sait gré d’avoir « dit le secret de tout le monde », d’avoir exprimé tout haut ce que tant d’autres pensaient tout bas, d’avoir donné une voix à des aspirations jusque-là presque muettes. […] On connaît ce mot plaisant prêté à je ne sais plus quel chef de bandes indisciplinées : « Il faut bien que je les suive : je suis leur chef. » De même un grand homme n’est aussi reconnu pour tel qu’à condition d’aller dans le sens du courant qui l’entraîne et le porte.
Il savait que l’on en fait toujours, si médiocre soit-on, avec une comédie politique, et, du premier coup, dès qu’il a eu fait la sienne, lui, l’auteur du Gendre de M. […] J’ose trouver sa comédie mauvaise, — aussi mauvaise que la préface dont il l’a fait précéder pour la défendre et dans laquelle il a tout l’air d’un tapissier maladroit qui ne sait pas planter un clou sans s’écraser les doigts. […] Très inférieur à Scribe, il n’en procède pas moins de ce maître du vaudeville français : il se sert du procédé de cet homme qui savait le secret du succès, secret honteux qui consiste en ceci, au théâtre : plus une plaisanterie est connue, plus elle réussit.
C’est un mérite sans doute, que de savoir narrer avec esprit, en vers libres & faciles ; mais ce mérite n’est pas suffisant, quand on aspire à la gloire d’un succès solide & durable. Il faut, pour être assuré de toujours plaire, sur-tout dans le genre de l’apologue, s’attacher à des ressorts plus puissans, c’est-à-dire à cette chaleur vivifiante qui naît de la force du sentiment & que l’esprit ne sauroit jamais suppléer, à cette variété de tours & d’images qui réveille l’attention & écarte l’ennui, & sur-tout à ce choix d’expressions nobles & figurées qui distingue le vrai Poëte du froid Versificateur.
Ce n'est pas qu'on n'y trouve de l'esprit, du savoir, & même un certain talent ; mais il manque de goût & de sentiment, & l'on sait que le génie même auroit de la peine à soutenir un Poëme dépourvu de ces deux qualités.
Venu immédiatement après ces deux grands peintres, Bernardin de Saint-Pierre sut être neuf et distinct à côté d’eux. […] Mais s’il savait toujours être idéal dans l’effet de l’ensemble, il ne reculait pas sur la vérité, infinie familière, du détail. […] On ne saurait croire combien il sert, jusque dans les créations les plus idéales, de se donner ainsi quelques instants d’appui sur des souvenirs aimés, sur des branches légères. […] Bernardin, le peintre du coloris fondant et des nuances mœlleuses, a su, en ses deux contes indiens, adoucir la raillerie sans l’éteindre, la revêtir d’une magnificence charmante et faire sentir le piquant dans l’onction. […] Sut-il l’apprécier en retour et reconnaître en cet écrivain grandissant le plus direct, le plus autorisé en génie, et le plus dévorant en gloire, de ses héritiers ?