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455. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

Mais ce que l’âme sait, quand elle en est arrivée à se saisir ainsi elle-même, c’est qu’elle est la souveraine et la dominatrice de la matière à laquelle elle est unie, et que cette matière est son instrument et son compagnon subordonné, quoique trop souvent indocile. […] — « Tout comme il vous plaira, dit-il, si toutefois vous pouvez me saisir et que je ne vous échappe pas. […] Considérons ce qu’elle peut devenir, lorsque, se livrant tout entière à cette poursuite, elle s’élève par ce noble élan du fond des flots qui la couvrent aujourd’hui, et qu’elle se débarrasse des cailloux et des coquillages qu’amasse autour d’elle la vase dont elle se nourrit, croûte épaisse et grossière de terre et de sable10. » Puis, dans cette sage conciliation que Platon a tentée entre le sensualisme ionien et l’idéalisme de Mégare, il employait la douce ironie qu’il avait apprise de Socrate, à se moquer « de ces hommes semés par Cadmus, de ces vrais fils de la terre, qui soutiennent hardiment que tout ce qu’ils ne peuvent pas palper n’existe en aucune manière ; de ces terribles gens qui voudraient saisir l’âme, la justice, la sagesse, ou leurs contraires, comme ils saisissent à pleines mains les pierres et les arbres qu’ils rencontrent, et qui n’ont que du mépris, et n’en veulent pas entendre davantage, quand on vient leur dire qu’il y a quelque chose d’incorporel11 ». […] Il est impossible à l’âme de se placer en face d’elle-même, sans reconnaître bientôt cette évidence suprême qui accompagne tout acte de conscience, et qui de là se répand sur toutes les notions que l’âme peut saisir directement en elle.

456. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Elle a tout vu et tout reproduit très fidèlement ; après un si long espace de temps, cela se lit encore très bien, parce qu’on est replacé directement dans une situation qui a disparu, avec tant d’autres grandes choses, mais qui a été saisie avec toute sa vie et heureusement fixée à jamais dans ce récit. — Là, comme toujours, Schiller paraît en pleine possession de sa haute nature ; il est aussi grand à la table à thé qu’il l’aurait été dans un conseil d’État. […] Les hommes ne s’approchent parfois de ces sources immenses et inépuisables de vie spirituelle que pour y venir saisir quelques gouttes précieuses qui leur suffisent pendant longtemps. — Oui, Goethe a raison ! […] Il me semble souvent que je suis comme un naufragé qui a saisi une planche capable de ne porter qu’un homme. […] Je saisis les mains de Goethe ; mais je ne sais ni ce que je lui dis ni ce qu’il me répondit. […] Elle agit avec beaucoup de savants comme une malicieuse jeune fille, qui nous attire par mille charmes, et qui, au moment où nous croyons la saisir et la posséder, s’échappe de nos bras8. » XVIII La religion chrétienne l’occupait de plus en plus, et il l’admirait d’une affection éclectique.

457. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Il y a l’entente bien plus profonde du grand homme qui commence à poindre, et dont Μ. de Cassagnac a très bien saisi et rendu le trait caractéristique, à ce moment de son action. […] il a manqué, comme tous ses contemporains, d’aperçu lointain et supérieur, et il s’expose très simplement à ce reproche qu’on peut lui faire ; mais, du moins, il n’a pas manqué des vifs éclairs d’un magnifique bon sens, et au premier symptôme, au premier flair, avec ce bond de lion des esprits véritablement politiques, qui tombe juste sur les réalités et les saisit, ce qu’il n’a pas vu à l’avance, il l’a, à l’instant même, compris. […] On y voit Louis-Philippe lui-même, fatigué, anxieux, incertain, portant mal cette couronne qu’il n’a pas fortement saisie et prêt à l’abandonner, comme il abandonna bientôt les précautions qu’il avait prises d’abord contre l’avenir et les trahisons de la fortune. […] Parmi tous ces portraits heureusement saisis, à l’exception peut-être de celui de Guizot, si grandi qu’il en perd toute proportion et toute réalité, nous en avons remarqué plusieurs que nous aurions voulu citer pour donner une idée des ressources variées du coup de pinceau de l’auteur. […] C’est par là qu’il saisit la pensée et qu’il restera dans le souvenir.

458. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Il faudrait donc, pour résoudre la question de la composition du curare, saisir sur place l’agent réellement actif et le débarrasser de tous les ingrédients inutiles. […] Au bout d’une heure on délia le bandage, et dix minutes après la mort avait saisi cet animal. […] C’est aux éléments intimes de notre organisation qu’il faut remonter pour saisir le mécanisme de toutes ces actions. […] C’est une vérité bien remarquable et bien essentielle à saisir que ces deux phases du circulus nutritif se traduisent si différemment, l’organisation restant latente et la désorganisation ayant pour signe sensible tous les phénomènes de la vie. […] Notre esprit saisit cette unité comme une conception qui s’impose à lui, et il l’explique par une force ; mais l’erreur serait de croire que cette force métaphysique est active à la façon d’une force physique.

459. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Mais il ne faut pas partir de là pour larmoyer aux pièces de Molière : le triomphe de son génie comique, c’est précisément d’avoir saisi la gaieté latente dans chaque type et chaque situation. […] De ces originaux Molière fait des types, parce qu’il saisit toujours le caractère humain dont ils sont la déformation contemporaine. […] Nulle part cependant les suites graves des travers les plus légers ne sont absentes : étudiez les Précieuses, et vous saisirez comment le faux bel esprit mène aux pires aberrations de la conscience et de la conduite, par quelle pente nos héroïnes en idée arriveront à n’être que des aventurières. […] Il ne comprend que la tendresse indulgente : la nature, la bonne et raisonnable nature veut que l’enfant soit puissant sur le père390, et en obtienne tous les secours qui l’aideront à saisir la part de plaisir où elle l’invite.

460. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Pensez à ces myriades de spectacles que la surface vivante de la terre, animée par le contact des cieux, engendre à chaque instant de l’éternité, et qui n’attendent pas, pour se produire toujours nouveaux, qu’un œil ou une oreille soient là pour les saisir. […] Et quanti l’homme était encore absent de la terre, quand son œil n’était pas là pour jouir de ces décorations, qu’importe, elles se réfléchissaient dans l’œil des animaux qui la peuplaient, et qui, en harmonie eux-mêmes avec la géométrie divine, goûtaient de cette beauté du monde les rayons qu’ils pouvaient en saisir et qui les animaient, comme encore aujourd’hui, sans qu’ils en eussent conscience, comme l’air qu’ils respirent, la lumière qui les éclaire, la chaleur qui les échauffe, l’orage qui les effraie. […] L’autre, au contraire, saisit la vie dans tous les moules qu’elle revêt ; il se place dans un point de l’espace et du temps, et s’y enracine profondément ; il sépare, il anime chaque objet qu’il touche ; il en projette au loin les reflets et les ombres ; il en décrit tous les rapports, toutes les harmonies et tous les contrastes. […] Sa vue perçante saisit les lignes des montagnes et l’harmonie compliquée d’une cathédrale du Moyen-Âge.

461. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

Le psychologue, il est vrai, ne peut saisir directement, chez les animaux inférieurs, les plus simples formes de la vie consciente et noter le passage progressif à des formes plus hautes, comme le biologiste analyse les diverses fonctions vitales de l’amibe, aperçoit les segmentations de l’œuf fécondé, etc. […] Intellectuellement, objet ne se comprend que par le sujet, et le sujet ne se saisit que dans son rapport à un objet ; donc l’intelligence arrive elle-même à poser la dualité sujet-objet, et, ceci fait, elle n’a plus rien à se représenter : l’intelligence proprement dite a atteint sa limite. […] Si un tel artifice était nécessaire, il faudrait (on l’a dit depuis longtemps) un second acte de conscience pour saisir le premier, un troisième pour saisir le second, et ainsi de suite à l’infini.

462. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Wundt, lui, reconnaît mieux la force de la volonté sous celle des idées, mais, nous l’avons vu, il place cette force uniquement dans l’attention, dans ce qu’il appelle l’aperception, c’est-à-dire la saisie des objets par l’intelligence. […] Les artistes, de leur côté, ont besoin de comprendre ce qu’il y a de naturel et de nécessaire dans toutes ces attitudes et tous ces mouvements qu’ils ont à saisir et à reproduire. […] Le marin, le cavalier, le danseur, se laissent facilement reconnaître ; les banquiers, les notaires, les avocats ont aussi des gestes qui leur sont propres ; mais ici le diagnostic devient incertain. » On sait que Lavater, quand on lui envoya le masque de Mirabeau, devina « un homme d’une énergie terrible, indomptable dans son audace, inépuisable en ressources, résolu, hautain. » On sait encore qu’un jour un inconnu se présenta à Lavater : « Regardez-moi bien et devinez qui je suis. » Lavater devina d’abord un homme de lettres, puis un homme habitué à saisir le côté ridicule des choses, ayant de l’originalité, de l’esprit. […] La science ne saisit que les rapports extérieurs et mécaniques qui relient les êtres ; l’art va au cœur des choses et, par l’expression sympathique, il nous met en communication avec ce qu’il y a de nous-mêmes dans les divers êtres de la nature, — de nous-mêmes, et aussi de tous les autres.

463. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Il avoit le talent de saisir les traits essentiels d’un caractère & de le peindre des couleurs qui lui sont propres. […] Il saisit avec la vérité la plus frappante le jargon poissard & les mœurs de la derniere classe du peuple. […] Dans ses Epitres on voit trop souvent l’homme atrabilaire, qui n’ayant pas assez de philosophie pour maîtriser son ressentiment, saisit les injures les plus fortes qui se présentent à sa plume pour en accabler ses ennemis. M. de Voltaire est plus gai ; il excelle par l’art de saisir tout ce qui peut rendre ses adversaires ridicules.

464. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — I. » pp. 131-146

Mais quand tout s’écroule et se renouvelle, quand les institutions antiques tombent en ruines et que l’état futur n’est pas né, que toutes les règles de conduite et d’obéissance sont confondues, que la justice et le droit hésitent entre les cupidités, les intérêts révoltés qui courent aux armes, c’est alors que le don de sagesse est bien précieux en quelques-uns, et que les hommes qui le possèdent sont bientôt appréciés des chefs dignes de ce nom, qu’ils sont appelés, écoutés longtemps en vain et en secret, qu’ils ne se lassent jamais (ce trait est constant dans leur caractère), qu’ils attendent que l’heure du torrent et de la colère soit passée pour les événements et pour les hommes, et qu’habiles à saisir les instants, à profiter du moindre retour, ils tendent sans cesse à réparer le vaisseau de l’État, à le remettre à flot avec honneur, à le ramener au port, non sans en faire eux-mêmes une notable partie et sans y tenir une place méritée. […] C’est sur un esprit d’une trempe si inégale que le président Jeannin avait à agir, à opérer avec lenteur, à revenir vingt fois à la charge pour saisir les bons instants.

465. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Était-il disciple et adepte à quelque degré, ou n’était-il qu’un observateur encore, déguisé en disciple, et n’avait-il qu’une arrière-pensée, celle de saisir le dernier mot de la cabale et la clef du jeu ? […] Et il insiste sur ce que ce n’est point là le spectacle et la décoration des montagnes centrales, de ces hauteurs désolées et de ces déserts, où l’œil ne rencontre plus rien qui le rassure ; où l’oreille ne saisit pas un son qui appartienne à la vie ; où la pensée ne trouve plus un objet de méditation qui ne l’accable ; où l’imagination s’épouvante à l’approche des idées d’immensité et d’éternité qui s’emparent d’elle ; où les souvenirs de la terre habitée expirent ; où un sombre sentiment fait craindre qu’elle-même ne soit rien… Ici l’on n’est pas hors du monde ; on le domine, on l’observe : la demeure des hommes est encore sous les yeux, leurs agitations sont encore dans la mémoire ; et le cœur fatigué, s’épanouissant à peine, frémit encore des restes de l’ébranlement.

466. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Les Chants modernes, par M. Maxime du Camp. Paris, Michel Lévy, in-8°, avec cette épigraphe. « Ni regret du passé, ni peur de l’avenir. » » pp. 3-19

L’ancienne tradition s’étant rompue, la nouvelle n’ayant pris ni le temps ni le soin de s’établir, il en résulte une grande incertitude dans les jugements : une très belle œuvre, neuve et émouvante, saisirait sans doute et réunirait les esprits, mais de simples vers où il y a du talent n’ont plus ce pouvoir. […] et c’est ce que plus d’un académicien a déjà provoqué), afin de chercher le beau, le vrai et le bien par tous les moyens possibles. » On le voit, de tout ce que demande là M. du Camp dans son projet de réorganisation académique, une moitié est vraiment bien difficile à fixer et à saisir, l’autre moitié est tout admise et en voie de se réaliser.

467. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

D’autres choisiront de préférence d’autres passages dans ses lettres ; pour moi, je l’aime mieux quand il est moins affirmatif, moins dogmatique, quand des accès de doute et de scepticisme le viennent saisir et qu’il les confesse avec ingénuité. […] Je suis perdu dans un océan de recherches, au milieu desquelles la fatigue et le découragement viennent parfois me saisir.

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