Son talent principal consistoit à disserter sur tous les Ouvrages nouveaux nouveaux, à les critiquer sans ménagement, à tourner en ridicule les Auteurs, à amuser les Sociétés où sa malignité le faisoit rechercher : pauvre genre de distinction, qui fait le seul mérite de tant d’Aristarques ambulans, dont les lumieres se bornent à prononcer, dans les Cafés & autres Bureaux d’esprit, sur tout ce qui paroît ; Etres déterminés à ne rien approuver que ce qui est marqué au coin des Fabriques qu’ils protégent, mais dont le Public rejette les censures, comme il ignore leur existence.
Ceux qui se plaindroient qu'on ait prodigué tant d'esprit & d'imagination sur un sujet aussi mince que la Vie des Comédiens, ne savent peut-être pas que l'arme du ridicule étoit déjà nécessaire du temps de Scarron, pour corriger l'extravagance & abattre l'orgueil de ces Messieurs.
Le géomètre ambitionne la réputation de littérateur, et il reste médiocre ; l’homme de lettres s’occupe de la quadrature du cercle, et il sent lui-même son ridicule.
s’écriait-il aussitôt ; son air charmant et majestueux se répand sur toutes ses actions ; sa maison royale emprunte quelques rayons de sa gloire ; son âge est mûr et parfait ; le travail infatigable lui est devenu naturel… Son amour extrême pour nous sacrifie toutes ses veilles à notre repos, et s’il abrège et méprise le temps du sommeil, c’est parce qu’il le passe sans nous… Ne vous étonnez pas, messieurs, du zèle de ce discours : chaque mot est un trait de flamme… Cela paraissait ridicule, dit de ce ton, même alors, — surtout alors62. […] C’est ainsi que de sa part il se mêlait comme inévitablement du ridicule, même à une noble pensée. […] [NdA] Car aujourd’hui, il est bon de le savoir, nous sommes aussi très ridicules quand nous louons, mais nous ne nous en apercevons pas.
Prenons une comparaison bien sensible pour nous : en faisant justice des Précieuses ridicules, en faisant main basse sur leur faux jargon avec sa verve la plus vigoureuse, Molière ne laissait pas à ce qu’on appelait les bonnes précieuses la ressource de se distinguer des autres et de leur survivre. […] Montesquieu, dans une de ses Lettres persanes, a écrit à propos des Espagnols ce mot souvent cité : « Le seul de leurs livres qui soit bon est celui qui a fait voir le ridicule de tous les autres. » C’était le mot définitif de Montesquieu, et il le répétait toutes les fois qu’on parlait de littérature espagnole devant lui. […] Pour renverser ces deux colosses, ils n’employèrent d’autres armes que le ridicule, ce contraste naturel de la terreur humaine.
Une jeune fille qui sort pour la première fois du couvent où elle a passé toute son enfance ; un beau lord élégant et sentimental, comme il s’en trouvait vers 1780 à Paris, qui la rencontre dans un léger embarras et lui apparaît d’abord comme un sauveur ; un très-vieux mari, bon, sensible, paternel, jamais ridicule, qui n’épouse la jeune tille que pour l’affranchir d’une mère égoïste et lui assurer fortune et avenir ; tous les événements les plus simples de chaque jour entre ces trois êtres qui, par un concours naturel de circonstances, ne vont plus se séparer jusqu’à la mort du vieillard ; des scènes de parc, de jardin, des promenades sur l’eau, des causeries autour d’un fauteuil ; des retours au couvent et des visites aux anciennes compagnes ; un babil innocent, varié, railleur ou tendre, traversé d’éclairs passionnés ; la bienfaisance se mêlant, comme pour le bénir, aux progrès de l’amour ; puis, de peur de trop d’uniformes douceurs, le monde au fond, saisi de profil, les ridicules ou les noirceurs indiqués, plus d’un original ou d’un sot marqué d’un trait divertissant au passage ; la vie réelle, en un mot, embrassée dans un cercle de choix ; une passion croissante qui se dérobe, comme ces eaux de Neuilly, sous des rideaux de verdure, et se replie en délicieuses lenteurs ; des orages passagers, sans ravages, semblables à des pluies d’avril ; la plus difficile des situations honnêtes menée à fin jusque dans ses moindres alternatives, avec une aisance qui ne penche jamais vers l’abandon, avec une noblesse de ton qui ne force jamais la nature, avec une mesure indulgente pour tout ce qui n’est pas indélicat : tels sont les mérites principaux d’un livre où pas un mot ne rompt l’harmonie. […] Le paysage de parcs et d’élégants cottages, les mœurs, les ridicules des ladies chasseresses ou savantes, la sentimentalité languissante et pure des amants, y composent un tableau achevé qui marque combien ce séjour en Angleterre a inspiré naïvement l’auteur.
« Il y a dix fois plus d’invention dans Cyrus que dans l’Iliade. » Horace, les lyriques, la tragédie avec ses absurdes chœurs recevaient leur compte en passant : mais de Pindare surtout, il ne subsistait rien ; il n’y avait rien de plus ridicule que cet inintelligible poète, sinon ses forcenés adorateurs. […] Nous entendons traiter Perrault d’ignorant à chaque page : nous lisons qu’il a commis, ici, « une grossière faute de français », là « une ineptie ridicule », là « cinq énormes bévues ». […] Et, sans même invoquer les principes excellents qu’il avait ailleurs énoncés, il se rabattit sur de puériles contestations et des chicanes ridicules.
Si cela est vrai (et ce ne l’est pas toujours), c’est peut-être que ceux qui se laissent éteindre par elle ne flambaient plus guère ; et on ne saura jamais si c’est elle qui leur a coupé leurs élans ou si c’est eux qui ont cessé d’en avoir L’institution est ridicule et surannée ? […] C’est sans doute ma faute ; et lorsque, ensuite, je l’ai vu si digne dans l’affaire des faux autographes, si décidé à braver le ridicule, à sacrifier sa réputation et toute sa vie à la justice et à la vérité, je n’ai plus eu d’étonnement. […] Or, il est certain que si un type analogue à cet académicien avait été conçu par Dickens ou Georges Elliot, ils en auraient fait un délicieux bonhomme, et beaucoup plus touchant que ridicule.
Le monde du ridicule a, lui aussi, ses espèces perdues. […] Augier a ses mesquineries et ses ridicules ; mais lui prêter pour mobiles de si minces ficelles, mais montrer ses chefs et ses orateurs tournoyant, comme des marionnettes, sous la main d’une bégueule en quête d’un mari, ce n’est plus même de la satire, c’est de la parodie, et de la plus forte. […] Les boutades creusent, les épigrammes pensent, chaque saillie porte, chaque plaisanterie fait trou dans le ridicule où elle vise.
Elle l’aurait vainement espéré dans la société où son regard inexorable ne voyait guère qu’une collection de ridicules, de prétentions et de sottises. […] De Walpole on ne veut guère voir que la crainte qu’il avait, dans ce monde moqueur d’alors, d’encourir un ridicule par cette passion affichée de la vieille aveugle : et quant à Mme Du Deffand, nous la jugeons trop comme l’ont fait Grimm, Marmontel, la coterie encyclopédique, à travers laquelle la tradition nous est venue. […] Elle excellait dans le portrait et y fixait les ridicules, les sottises, d’une façon pittoresque, ineffaçable.
Un des premiers soins de Boileau fut de le déloger de l’estime de Colbert, sous qui Chapelain était comme le premier commis des lettres, et de le rendre ridicule aux yeux de tous comme écrivain. […] On sera ridicule, et je n’oserai rire ! […] On peut distinguer trois périodes dans la carrière poétique de Boileau : la première, qui s’étend jusqu’en 1667 à peu près, est celle du satirique pur, du jeune homme audacieux, chagrin, un peu étroit de vues, échappé du greffe et encore voisin de la basoche, occupé à rimer et à railler les sots rimeurs, à leur faire des niches dans ses hémistiches, et aussi à peindre avec relief et précision les ridicules extérieurs du quartier, à nommer bien haut les masques de sa connaissance : J’appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.
Il est une contrée septentrionale de l’Europe, qui est comme une grande république de royaumes, où la littérature n’a pas plus de centre d’unité que le pouvoir, où la police du ridicule n’existe pas, où les esprits, disposés à la méditation par leur isolement, à l’indépendance par leur dispersion, et à l’erreur par leur sincérité même, ont souvent porté la profondeur jusqu’à l’abstrusion, le sentiment jusqu’au mysticisme, et l’enthousiasme jusqu’à l’exaltation. […] Certains mots, bizarrement figurés ou violemment détournés de leur acception ordinaire, véritables tics de langage, sont reproduits à tout propos, hors de propos surtout, et marquent d’un sceau ridicule les productions de la nouvelle école. […] Abjurez, il vous est permis, les dieux de l’antique Olympe ; nous convenons avec vous que l’Aurore est bien vieille, et Flore bien fanée ; qu’il y a bien longtemps que Vénus est la déesse de la beauté, et que son fils est un enfant : mais songez que le merveilleux, du Christianisme est d’un emploi difficile et périlleux ; qu’il est toujours tout près d’offenser la sévérité du dogme ou celle du goût ; tout près, en un mot, d’être hétérodoxe ou ridicule.
Et, de fait, quoi de plus piquant que de voir les sociétés et de juger l’homme à travers les deux ridicules qui font la comédie, — le ridicule éternel et le ridicule de chaque temps ?