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669. (1883) Essais sur la littérature anglaise pp. 1-364

On raconte que les Gaulois, dans leurs excursions guerrières, levaient leurs épées en l’air toutes les fois qu’il tonnait. […] Dès la première attaque, le cheval de lord Herbert fut blessé et son épée brisée ; et alors s’engagea un combat homérique que nous laisserons raconter en partie au héros lui-même. […] Ils se racontent indiscrètement peu à peu, comme un somnambule ou un homme qui parle en rêvant ; leur passion a été plus forte que leur volonté. […] Il prête à l’Église romaine des crimes sans nom et raconte sans la moindre hésitation les fables les plus absurdes. […] Ce lieutenant Lefebvre à l’agonie si touchante, Sterne en avait entendu raconter l’histoire à son père.

670. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Il faut raconter tout cela pour nous montrer la vie, sinon on reste froid et ennuyé. […] III Il décrit comme il conte, pour les yeux et avec les détails : car décrire, c’est raconter, et la seule différence c’est que dans le second cas les détails se succèdent, et que dans le premier ils sont ensemble. […] Si le loup veut montrer qu’on le persécute, il cite l’histoire de sa race, et raconte les moeurs du village, les proclamations du château, les contes de la chaumière, les noms spéciaux, pittoresques qui peignent son entourage et ne conviennent qu’à cet entourage. […] Lui, étant retourné vers ses compagnons, leur raconta ce qui lui était arrivé.

671. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Nous allons à regret nous séparer de son sens historique dans deux graves circonstances très bien racontées, mais mal jugées par lui, selon nous : le Concordat de 1801 et la mort du duc d’Enghien. […] Il le raconte et il le discute, qu’il nous permette de le lui dire, non pas comme Bossuet ou Fénelon l’auraient fait, mais comme Machiavel l’aurait raconté et discuté. […] Thiers raconte ensuite, avec la verve d’un Molière politique, les rôles divers joués par le premier Consul, par sa femme, par ses frères, par ses sœurs, par le sénat, par le conseil d’État, par Fouché, par Cambacérès, ses confidents, chargés de risquer les indiscrétions et de subir les désaveux pour se faire offrir sous un nom ou sous un autre le titre du pouvoir monarchique dont il avait déjà la réalité.

672. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

Écoutons-la raconter cette scène d’intérieur, qui précéda de quelques heures l’exil et les agitations de toute sa vie. […] Elle raconte ainsi son lugubre réveil. […] « Une personne de ma connaissance m’a raconté que peu de jours après la mort du duc d’Enghien elle alla se promener autour du donjon de Vincennes. […] La poésie lyrique ne raconte rien, ne s’astreint en rien à la succession des temps, ni aux limites des lieux ; elle plane sur les pays et sur les siècles ; elle donne de la durée à ce moment sublime pendant lequel l’homme s’élève au-dessus des peines et des plaisirs de la vie.

673. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Dimanche 20 février Au coin de sa cheminée, Flaubert nous raconte son premier amour. […] Les gens qui l’aiment, font des livres où ils racontent ce qu’ils ont souffert à propos d’elle, car on n’aime que ce dont on souffre. — Oui, lui disons-nous, cela explique la maternité !  […] Et il raconte que, lorsque elle avait été bien sage, il l’emmenait déjeuner chez Bancelin, où il y avait un lit et des pantoufles dans les cabinets, et que la pauvre femme, à la vue de ces choses, qui n’étaient pas faites pour elle, se mettait à pleurer. […] Chandellier : c’était le grand dérideur de Gavarni, qui nous raconte, en riant encore aux larmes, qu’un jour Mme Hercule se plaignant d’un échange qu’elle avait fait d’un gril et d’une guitare, contre une fausse queue qu’on lui avait assurée être de la couleur de ses cheveux et qui n’en était pas, au milieu de mille lazzis, Chandellier prenant la queue des deux mains et l’enjambant, se mettait à galoper frénétiquement autour de la chambre, ainsi qu’un enfant monté sur un cheval de bois.

674. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

En un style baroque, outré, contourné, agité sans cesse de la plus féminine façon, par tous les mille petits sentiments que l’écrivain anglais ne peut s’empêcher de ressentir à propos de n’importe quoi, il raconte les histoires les plus compliquées, les plus follement invraisemblables à la fois et les plus mal construites, telles que le dernier feuilletoniste sait en échafauder de plus plausibles. […] Le ton du récit, le coloris du style, les tournures partiales ne laissent jamais de doute sur les dispositions dont le narrateur est animé à l’égard de ce qu’il raconte. […] On sait si Dickens se prive de consacrer de longs passages aux commentaires personnels introduits à propos ou hors de propos dans la trame de son récit, comment son style est trépidant et empanaché, comment, même dans la narration pure, dans le dialogue, la description, il trouve moyen de marquer sans cesse ce qu’il pense de ce qu’il raconte. […] Pas un billet qu’il écrive pour proposer une promenade en commun, pour inviter à dîner, pour expliquer une affaire, qui ne soit conçu en termes rapides, d’un style concité, frémissant de passion, de vitalité, d’exubérante bonne humeur ; il y narre à ses correspondants les petits faits qui arrivent chez lui, avec autant de drôlerie et de vivacité qu’il en met dans ses livres ; ses pages les plus célèbres ne sont ni meilleures ni autres que la lettre dans laquelle il raconte au pied levé, avec tout l’humour des grandes occasions, le lamentable trépas d’un corbeau familier qu’il tenait à sa villa.

675. (1882) Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature

Les monnaies informes frappées sous son règne le racontent mieux que les plus magnifiques médailles. […] Mais il faut laisser le comte de Rebenac raconter à Louis XIV cette farce lugubre du Possédé imaginaire couronné. […] C’est avec le même accent d’assurance qu’il raconte la mort de la reine d’Espagne. […] Ce n’est pas l’histoire politique du règne de Charles II que nous avons voulu raconter, mais sa chronique intime, le journal de sa décadence. […] Interrogez-le sur sa vie passée, il s’embrouille, il balbutie, il vous raconte des fragments de rêves..  

676. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

C’est qu’il n’en a pas eu l’idée : il l’a sue, il l’a sentie, il l’a racontée. […] Les débuts, les inconstances de l’abbé Prévost, ses allées et venues de la vie monastique à la vie mondaine, sont si connus et ont été si souvent racontés que je n’y reviendrai pas ; j’ai publié autrefois moi-même des lettres intéressantes qu’il écrivit au moment de sa fuite de chez les Bénédictins et quelque temps après.

677. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — I. » pp. 279-295

Dans son éloge de M. de Lamure, Vicq d’Azyr parlant des succès de ce professeur de Montpellier, raconte que lorsqu’on félicitait M. de Lamure déjà vieux sur l’intérêt de ses cours, celui-ci répondait : « C’était dans ma jeunesse qu’il fallait m’entendre. » Et Vicq d’Azyr à ce propos, ramené de quatorze ans en arrière à ses propres souvenirs, ne peut s’empêcher de s’écrier : Combien, en effet, cette jeunesse dont on se méfie tant n’a-t-elle pas opéré de prodiges ! […] Jusqu’ici, en parlant des universités de la Péninsule, Vicq d’Azyr n’avait en vue que de loin l’université de Paris, bien autrement pratique et avancée pour la branche médicale ; mais il y songeait manifestement et il y faisait une allusion qui devait être sentie de tous, lorsqu’il ajoutait : Semblable aux vieillards qui racontent avec enthousiasme ce qu’ils ont vu dans leur jeunesse et qui refusent d’apprendre ce que les modernes ont découvert, la plupart des anciens corps enseignants prodiguent des éloges aux âges qui les ont précédés, et se traînent péniblement après le leur.

678. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Mais ce n’est pas aujourd’hui ce qui nous rappelle vers lui : ces scènes orageuses, tant célébrées, sont entrées dans toutes les mémoires, et l’époque qui les précède ou plutôt qui les embrasse, et durant laquelle Bailly remplit un rôle si honorable, a été tellement et tant de fois racontée et peinte, que les personnages qui y figurent sans cesse finissent presque par lasser nos yeux et par s’user. […] L’une de ces tragédies était un Clotaire où l’on voyait un maire du palais massacré par le peuple : on l’a du moins raconté ainsi depuis.

679. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Il raconte la visite que lui fit un peintre, un professeur de l’Académie de Venise : « Nous avons naturellement beaucoup causé peinture, mais nous ne nous entendions pas parfaitement, et toujours par la même raison : il me parlait toujours des grands maîtres, et moi de la nature. » Assistant à une exposition de tableaux à Venise (août 1833), il est frappé de la singulière faiblesse des ouvrages et de l’absence de toute originalité. […] Un soir, le dernier jour de l’année 1832, Léopold Robert était sorti avec son frère pour remettre des cartes chez le gouverneur et chez le comte de Cicognara : Nous sommes entrés ensuite, raconte-t-il dans l’église Saint-Marc, où il y avait une cérémonie : nous avons reçu la bénédiction.

680. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Eugénie de Guérin, Reliquiae, publié par Jules Barbey d’Aurevilly et G.-S. Trébutien, Caen, imprimerie de Hardel, 1855, 1 vol. in-18, imprimé à petit nombre ; ne se vend pas. » pp. 331-247

L’auteur suppose qu’un des êtres de cette race intermédiaire à l’homme et aux puissantes espèces animalesx, un centaure vieilli raconte à un mortel curieux, à Mélampe, qui cherche la sagesse et qui est venu l’interroger sur la vie des centaures, les secrets de sa jeunesse et ses impressions de vague bonheur et d’enivrement dans ses courses effrénées et vagabondes. […] Guérin, sous forme de centaure, a fait là son René et raconté sa propre histoire, sa source réelle d’impressions, en la projetant dans les horizons fabuleux.

681. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Rossi, qui savait si bien son Bonstetten, et qui jeune, et dans ses années de séjour à Genève, avait été si bien apprécié par lui, racontait à merveille l’anecdote suivante. […] Je racontais a Gray ma vie et mon pays, mais toute sa vie à lui était fermée pour moi ; jamais il ne me parlait de lui, il y avait chez Gray entre à présent et le passé un abîme infranchissable : quand je voulais en approcher, de sombres nuées venaient le couvrir.

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