Âmes solitaires Toute connaissance étant comme forme d’une matière, l’unité d’une multiplicité, je ne vois pourtant en sa matière qu’une quantité évanouissante, conséquemment nulle s’il me plaît, et cela seul et véritablement réel qu’on oppose au vulgairement dénommé réel (à quoi je laisse ce sens antiphrastique), la Forme ou Idée en son existence indépendante. […] La sobriété de son métier réel trace son sillon jusqu’au ciel bas encombré — il doit l’être — d’ailes lourdes. […] Il fallait bien faire vides les chambres d’enfants pour la petite future princesse des promesses et ses réelles néphélococcygies. […] Du réel (au sens vulgaire) assez pour insuffler l’humanité aux fantoches et que le sang jaillisse couleur de lèvres de nos coups d’ongle au fœtus de terre glaise pétri par le génie des paumes du dramaturge magnétiseur. […] Deux diètes se peuvent : l’embryon non gravé irradie en toutes directions, et au bout du temps, biotermon de l’œuvre année scolaire, sera génie, ayant tout en lui réel ; — et ceci n’est qu’illusion, car il est mémoire.
. — Que si maintenant nous essayons, dans ce processus très complexe, de faire la part exacte du réel et de l’imaginaire, voici ce que nous trouvons. Il y a un espace réel, sans durée, mais où des phénomènes apparaissent et disparaissent simultanément avec nos états de conscience. Il y a une durée réelle, dont les moments hétérogènes se pénètrent, mais dont chaque moment peut être rapproché d’un état du monde extérieur qui en est contemporain, et se séparer des autres moments par l’effet de ce rapprochement même. […] Ainsi, quand nous entendons une série de coups de marteau, les sons forment une mélodie indivisible en tant que sensations pures, et donnent encore lieu à ce que nous avons appelé un progrès dynamique : mais sachant que la même cause objective agit, nous découpons ce progrès en phases que nous considérons alors comme identiques ; et cette multiplicité de termes identiques ne pouvant plus se concevoir que par déploiement dans l’espace, nous aboutissons encore nécessairement à l’idée d’un temps homogène, image symbolique de la durée réelle. […] Mais lorsque nous nous figurons que les éléments dissociés sont précisément ceux qui entraient dans la contexture de l’idée concrète, lorsque, substituant à la pénétration des termes réels la juxtaposition de leurs symboles, nous prétendons reconstituer de la durée avec de l’espace, nous tombons inévitablement dans les erreurs de l’associationnisme.
Ce dédain du réel, tout le monde sait que les romantiques l’ont poussé jusqu’à la négation radicale. […] On peut s’étonner pourtant que les naturalistes, qui ont eu la prétention d’exprimer la réalité avec une rigueur scientifique, aient eu l’horreur du réel, peut-être encore plus que les romantiques. […] Et d’abord, grâce à ces dispositions préalables, nous obtiendrons une notion plus consciencieuse, plus profonde et plus clairvoyante du réel. […] Le réel est immense. […] Dans la perception du réel, elle joue le même rôle pour nous que la dialectique pour le philosophe.
Alcibiade n’est qu’Alcibiade, Pétrone n’est que Pétrone, Bassompierre n’est que Bassompierre, Buckingham n’est que Buckingham, Fronsac n’est que Fronsac, Lauzun n’est que Lauzun ; mais saisissez Lauzun, Fronsac, Buckingham, Bassompierre, Pétrone et Alcibiade, et pilez-les dans le mortier du rêve, il en sort un fantôme, plus réel qu’eux tous, don Juan. […] Ils sont de l’idéal réel. […] Œuvre troublante et vertigineuse où de toute chose on voit le fond, où il n’existe pour la pensée d’autre va-et-vient que du roi tué à Yorick enterré, et où ce qu’il y a de plus réel, c’est la royauté représentée par un fantôme et la gaieté représentée par une tête de mort. […] Après avoir ainsi pourvu de vie réelle son personnage, le poëte peut le lancer en plein idéal.
Pris ainsi au dépourvu par l’événement, les novateurs se sont crus obligés de finir en toute hâte ce qu’ils avaient jusque-là essayé avec plus de lenteur ; et sur quelques fondements réels, sur quelques faits ingénieusement observés, ils ont vite échafaudé leur monde ; ils ont bâti en un clin d’œil, temple, atelier, cité de l’avenir. […] Reynaud est assurément ingénieuse, pleine de justesse et de portée ; mais c’est dans les conséquences auxquelles il arrive qu’il nous paraît sortir des faits réels et des améliorations praticables.
Les positions apparentes des étoiles diffèrent de leurs positions réelles, à cause du mouvement de la Terre, et comme ce mouvement est variable, ces positions apparentes varient. La position réelle nous ne pouvons la connaître, mais nous pouvons observer les variations de la position apparente.
Voilà donc sa bonté réelle, et, comme roi, sa réelle grandeur.
Nous ne parlons pas du Sacrifice d’Abraham, une grande diablesse d’histoire dont Rembrandt est le héros, laquelle n’a pas de raison pour être plutôt dans ce volume que dans tout autre volume de nouvelles, et qui en aurait une que je sais bien de n’y être pas… Enfin, dans les Contes de la montagne, où l’auteur se détire de son fantastique et commence de s’en dégager, vous ne trouverez que deux contes de cette espèce : Le Violon du pendu et L’Héritage de mon oncle Christian, aussi faibles d’ailleurs que tout le reste ; car pour le Conte qui a presque proportion de roman, et qui envahit, à lui seul, tout le volume, ce très beau Conte de Hugues-le-Loup, je ne le mets point parmi les tentatives fantastiques de l’auteur, malgré la donnée somnambulique qui en fait le dénouement et qui a été si rabâchée depuis Shakespeare, mais je le place plutôt parmi les autres récits, où le talent d’Erckmann-Chatrian, son talent réel et lumineux, — son talent antifantastique — s’est montré avec le plus de suite et d’éclats. […] Cela suffirait seul pour justifier nos observations sur Erckmann-Chatrian, qui, de nature, n’est pas fait pour ce monde à part, surnaturel et clair-obscur, ou fantastique, et dont le talent n’a qu’au plein jour de la vie réelle et corpulente, sa force et son intensité.
Dans les périodes réalistes, la science, qui constate, accumule et ordonne des faits réels, triomphe et fait invasion sur le territoire de sa voisine ; dans les périodes idéalistes, la littérature, qui ne peut créer la beauté sans avoir devant les yeux un idéal, prend sa revanche et ressaisit une partie du terrain conquis. […] Mais aussi, ce qu’on oublie trop, elle peut être un prolongement logique du réel, une construction ayant ses fondations dans un terrain solide en même temps que son faîte dans les nuages. […] Je crains que ces ouvrages, où le vrai et le faux, le réel et le chimérique s’enchevêtrent d’une façon inextricable, ne satisfassent guère, passé un certain âge, ni la raison ni l’imagination. […] Pour parler sans métaphore, il se fait dans le domaine intellectuel un partage sur de nouvelles bases entre l’élément personnel ou subjectif fourni par l’homme et l’élément réel ou objectif fourni par la nature, et le mouvement de pendule qui fait tour à tour prédominer l’un ou l’autre continue ses régulières et larges oscillations. […] Voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique. ; elle sera, non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère des plus hautes conceptions de l’intelligence. » La poésie sera sans doute autre chose aussi ; bien téméraire qui voudrait enfermer l’incessante mobilité de l’art dans une formule rigide ; mais il est certain qu’elle peut et doit réaliser la prophétie de Lamartine.
En effet, ces notions sont censées contenir tout ce qu’il y a d’essentiel dans le réel, puisqu’on les confond avec le réel lui-même. […] Or nous ne pouvons pas ne pas regarder comme réel ce qui s’oppose à nous. […] Mais, pour les uns comme pour les autres, pour les empiristes comme pour les rationalistes, elle est tout ce qu’il y a de vraiment réel en morale. […] Ces propriétés sont alors tout ce que nous savons du réel ; par conséquent, elles doivent déterminer souverainement la manière dont les faits doivent être groupés.
Ce qui frappe dans les édifices de Babylone et de Ninive, après le caractère imposant qu’ils ont en commun avec les monuments de l’Égypte, ce sont les représentations animées de la vie réelle qui s’y déployaient sur les murailles. […] « C’est sans doute la raison pour laquelle Vitruve établit entre les proportions du corps humain et les lois de l’architecture une analogie, fausse peut-être au point de vue scientifique, réelle au point de vue esthétique. […] Je ne veux voir que ce que Dieu ou l’homme ont fait de beau ; la beauté présente, réelle, palpable, parlante à l’œil et à l’âme, et non la beauté de lieu et d’époque, la beauté historique ou critique, celle-là aux savants. […] Je ne sentais que ce qu’on éprouve à la vue d’une œuvre sans défaut, un plaisir négatif ; mais une impression réelle et forte, une volupté neuve, puissante, involontaire, point ! […] Ils proscrivent du domaine de l’action celui qui excelle dans le domaine de l’intelligence et de la parole ; ils ne veulent pas que Platon fasse des lois réelles, ni que Socrate gouverne une bourgade.
Il est très réel que dans la poésie contemporaine, les mots abstraits sont devenus un des moyens les plus puissants de représentation des formes de la vie737 : on s’en est servi pour des effets larges, mais précis, d’une puissance singulière. […] Tout ce qui est circonstance, réalité, forme visible de l’être s’efface : chaque Méditation n’est guère qu’un soupir, et Lamartine gagne cette gageure impossible d’établir par des mots entre son lecteur inconnu et lui ces intimes communications qui se forment dans la vie réelle par le silence entre deux âmes sœurs. […] n’est-ce pas plutôt qu’il n’y a de réel, de précieux pour lui que sa pensée, détachée des accidents de sa personne et de sa fortune ? […] Incertitude dans l’inspiration, maîtrise de la facture, réelle mais étroite sensibilité, inaptitude et prétention à penser, don des sensations originales et précises, don d’agrandissement fantastique de la sensation réelle, voilà ce que le poète a révélé jusqu’ici. […] Enfin, dans le Rhin (1842), il avait donné par la prose un pendant aux Orientales : sensation cette fois, et non plus rêve, vision réelle des choses, et suggestion d’images par leur immédiate impression.
Malgré l’intérêt réel et soutenu qu’il renferme, il doit certainement occuper le second rang parmi les titres littéraires de M. […] De la vie active et réelle je sais peu de choses par moi-même. […] La puissance la plus réelle gagne toujours à s’exercer. […] Les comédies et les tragédies jouées à Madrid ressemblent bien plus à des aventures de roman qu’à des épisodes de la vie réelle. […] L’amour de cœur est un besoin réel, incontestable.