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604. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Lui-même, dans des pages excellentes, en définissant l’esprit et le goût, il n’a pu s’empêcher de définir son propre goût, son propre esprit ; on ne prend jamais, après tout, son idéal bien loin de soi : L’esprit, dit-il, est en général cette faculté qui voit vite, brille et frappe. […] Il ne se dissimulait pas que ce talent brillant qu’il portait avec lui, qu’il déployait avec complaisance dans les cercles, et dont jouissait le monde, lui attirait aussi bien des envies et des inimitiés : « L’homme qui porte son talent avec lui, pensait-il, afflige sans cesse les amours propres : on aimerait encore mieux le lire, quand même son style serait inférieur à sa conversation. » Mais Rivarol, en causant, obéissait à un instinct méridional irrésistible. […] Ceux qui n’en abuseront pas sont ceux qui les connaissent comme vous, et ceux qui n’ont pas su les tirer de leur propre sein ne les comprendront jamais, et en abuseront toujours. […] Venant aux passions des hommes, Rivarol les analyse et les définit avec une précision colorée qui lui est propre.

605. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

De l’humeur dont il était, j’en doute fort, à moins qu’il n’eût bientôt espéré d’imprimer de son propre caractère à ce gouvernement. […] Il n’est pas homme à donner dans les utopies ; il ne veut pas que le mouvement des trois jours soit autre chose que l’emploi courageux du moyen commandé par la Constitution elle-même pour son propre salut : « Il est arrivé dans notre pays ce qui devait y arriver une fois, pour que la Révolution, commencée en 89, fût vraiment terminée. » La révolution de 1830, pour lui c’est une fin ; elle clôt 89 et ne laisse point à craindre de 93. […] « D’un autre côté, si l’on s’imagine que les événements de Juillet n’ont fait autre chose que mettre un nom propre à la place d’un nom propre, une famille à la place d’une autre, … on se trompe d’une manière déplorable. » Ce n’est point là non plus sa solution. […] L’expression a du vrai ; à le lire, c’est comme le Junius anglais, quelque chose d’ardent et d’adroit dans la colère, plutôt violent que vif, plus vigoureux que coloré ; le nerf domine ; le fer, une fois entré dans la plaie, s’y tourne et retourne, et ne s’en retire plus ; mais ce qui donne un intérêt tout différent et bien français au belliqueux champion, c’est que ce n’est pas, comme en Angleterre, un inconnu mystérieux qui attaque sous le masque ; ici, Ajax combat la visière levée et en face du ciel ; il se dessine et se découvre à chaque instant ; il brave les coups, et cette élégance virile que sa plume ne rencontre pas toujours, il l’a toutes les fois que sa propre personne est en scène, et elle l’est souvent.

606. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Toutes nos démonstrations tendent à prouver que cette troisième action diminue et disparaît à mesure que les sociétés évoluent, et cela en raison même du fait primordial que la société est une institution de conservation de l’individu et de l’espèce19 dirigée contre l’opération destructive propre de la natureek. […] La gloire, le pouvoir, la richesse, le succès ne s’acquièrent en dernière analyse qu’en suscitant dans des âmes étrangères, des images, des enchaînements de pensées et de sentiments, qui, remplaçant ou doublant les états d’esprit appartenant en propre à ces êtres subjugués, donnent à leur volonté, à leurs muscles, à leur sensibilité, des impulsions qui sont utiles à leur maître. […] L’âme d’un grand homme est celle qui peut mettre en mouvement un million de bras comme les siens propres ; l’âme d’un grand artiste est celle qui peut frémir en un million de sensibilités individuelles et fait la joie et la douleur d’un peupleen. […] Aucun artiste ne peut ne pas se mettre dans son œuvre ; aucun n’a songé et n’aurait pu parvenir à falsifier cet aspect de sa nature intime qui gît au fond de toute œuvre ; tant qu’ils s’appliqueront à la tâche ardemment poursuivie d’exprimer quelque face nouvelle et poignante du beau, de frapper l’âme humaine en quelque place vierge d’émotion, ils seront empêchés, s’ils veulent atteindre le but, de dissimuler la grandeur, la beauté et l’aspect de leur propre âme, dont la communication même, impudique ou discrète, est la condition de la pénétration de leur œuvre dans l’âme d’autrui. […] Ce rapport dépend, selon nous, du principe de l’imitation entre organismes psychiques semblables, qui est une variété particulière du fait de la répétition, et qui semble être la forme de ce fait, propre à la société humaine, beaucoup plus que l’hérédité.

607. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Malheureusement, la plupart de nos contemporains n’ont retenu que les méthodes analytiques comme propres à la critique. […] Le critique qui, par définition doit être un esprit clair, méthodique, ami des dissociations d’idées, partisan de la différenciation, oublie, tout comme les autres, les limites propres au genre qu’il a choisi : 2º Accablé par la quantité d’œuvres qu’il doit examiner, il n’a plus la lucidité nécessaire, le temps et la place de développer ses idées, d’examiner l’ensemble d’un roman ou d’une comédie. […] Écrivain de bon ton, de si bon ton, il écrit un style pur, immaculé, virginal, que ne pollue aucun contact, un style propre, repassé, glacé, qui, en souvenir de Bourget, se fait blanchir à Londres — ou à Genève… M.  […] Maurras ; comme lui, il regrette l’abaissement moral des littérateurs, cet amour de l’or qui les pousse au-devant de leur propre servitude. […] Camille Mauclair. — Il « a touché à tout et l’on peut dire qu’il n’est pas de beautés ni d’idées qu’il n’ait goûtées et comprises, ni de façon de sentir ou de penser auxquelles, il ne se soit prêté pour nous en donner ensuite… sa notation propre et toujours intéressante23… » Il est critique littéraire et critique d’art.

608. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Là est ce que les Anglais appelleraient la particularité de son livre et sa propre originalité. […] Elles dépendent de quelque chose de plus élevé qu’elles, et ce quelque chose, tout homme qui ne veut pas être le Bridoison de sa propre critique, est obligé de dire ce que c’est. […] Nettement, on ne trouve pas un seul aperçu nouveau qu’on puisse signaler et qui lui appartienne en propre. […] Mais, chez nous, chez nous qui vivons dans l’intimité de notre propre littérature, pour qu’on se croie le droit de toiser les hommes et les œuvres, il faut, si on n’est pas un maître, en savoir pourtant un peu plus long que le premier venu littéraire, il faut une personnalité. […] Mais nous qui l’avons vu écoutant Beethoven ou encore se livrant au mouvement de ses propres idées, nous affirmons qu’il avait souvent dans sa physionomie, ce satyre, de l’invention de M. 

609. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Chaque être demande à se nourrir des contingences pour les refondre en lui, suivant son propre caractère. […] L’homme qui dès lors, a l’âge de l’amour, se livre aux voluptés solitaires et s’enferme en son propre être, ne jouit que de lui-même, de son pauvre et triste moi. […] C’est en persévérant dans cette voie qu’il grandit peu à peu à sa propre vue, dans l’isolement et l’inimitié du tout. […] Celui même qui a dressé dans son cerveau, avec des assises dans l’être entier, un autel au dieu des voluptés secrètes, contemplant sa propre image que des rides précoces lui interdisent seules de comparer à l’éclatante beauté d’un Narcisse, s’adresse à lui-même ces paroles dans la mystérieuse solitude de son être : « Restons de plus en plus en nous-mêmes, d’essence toujours plus rare et sans cesse plus précieuse ; ne troublons pas ce qui doit rester pur, pour dominer les vains fantômes illusoires des réalités et l’immense troupeau des apparences. […] … J’entends en moi naître et s’élever la mélodie des élus du silence… Et le solitaire, abîmé sans la contemplation de sa beauté, dont la simple clarté du jour ruinerait l’infinie délicatesse incomprise, se perd de plus en plus dans les abîmes de jouissance qu’il découvre en lui-même, en sculptant sa propre image, d’une main que l’art rend toujours plus mystérieusement habile.

610. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Les lecteurs tout à fait contemporains de l’écrivain de Souvenirs aiment à refeuilleter avec lui au hasard quelques années de leur vie ; ceux qui sont venus plus tard, s’ils ont l’esprit curieux, ouvert, un peu oisif, pas trop échauffé à sa propre destinée, apprennent beaucoup de détails à ces causeries familières et devinent toute une société légèrement antérieure, au sein de laquelle ils s’imaginent volontiers avoir vécu. […] Nièce du général O’Farrill, ministre de la guerre sous Joseph, et parfaitement informée de tout le détail de ces temps mémorables, madame Merlin réfléchit dans ces pages les sentiments de son oncle et les siens propres, de manière à nous transporter aisément à l’époque et aux lieux dont il s’agit.

611. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre II. Du sens et de la valeur des mots »

Mais ce sens propre et exact n’est pas, tant s’en faut, adéquat à leur valeur. […] Quand le philologue, outre le sens primitif ou général du mot, en note les acceptions dérivées ou particulières, il ne fait que ce que fait le naturaliste, qui divise une espèce en variétés et en races : il y a toujours un point où il faut s’arrêter, et les dernières subdivisions où l’on parvient réunissent toujours des individus qui ont des caractères communs et des caractères propres.

612. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Georges de Bouhélier (1876-1947) »

Il leur emprunte, à chacun, la qualité particulière de leur lyrisme, voire même des expressions qui leur sont propres, au point que, par exemple, lue isolément, la strophe que je signale serait attribuée au poète des Voix de la montagne . […] Il fallait le don verbal et la sublimité de pensée propres à un pareil poète pour en réaliser aussi parfaitement la figure.

613. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Les instructions, les idées, les sentimens naissent en foule avec la variété des tours & le choix des termes propres à les embellir. […] Qu’il nous soit seulement permis d’ajouter, que, si la Religion avoit besoin de suffrages pour triompher des efforts de l’impiété, un tel homme seroit bien propre, par ses lumieres & par ses mœurs, à confondre la présomption qui l’attaque, & à faire rougir les vices qui la déshonorent.

614. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Sa naissance a été latine ; son éducation a été latine ; et jusque pendant sa maturité, si on doit supposer qu’il la vit depuis trois siècles, l’appui et les conseils du latin l’ont suivi pas à pas : le latin a toujours été la réserve et le trésor où il a puisé les ressources qu’il n’osait pas toujours demander à son propre génie. […] Lui donner sur son propre territoire des langues concurrentes, c’est amoindrir son importance dans des proportions incalculables.

615. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

Que ceux qui composent un cours de philosophie nous exposent la sagesse des précautions que la providence a voulu prendre, et quels moïens elle a choisi pour obliger les hommes par l’attrait du plaisir à pourvoir à leur propre conservation. […] Voilà ce qui les porte à courir avec tant d’ardeur après ce qu’ils appellent leur plaisir, comme à se livrer à des passions dont ils connoissent les suites fâcheuses, même par leur propre experience.

616. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 22, quelques remarques sur la poësie pastorale et sur les bergers des églogues » pp. 171-178

Un general qui donne une bataille fait-il reflexion si le terrain qu’il fait occuper par son corps de reserve seroit propre pour y asseoir une maison de campagne ? […] Puisque les bergers d’égypte et d’Assyrie sont les premiers astronomes, pourquoi ce qui se trouve de plus facile et de plus curieux dans l’astronomie ne seroit-il pas un sujet propre pour la poësie bucolique ?

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