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1739. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Mais ces premiers paysages faits à dessein et composés avec art, qui sont relevés d’images et de souvenirs mythologiques ou classiques (Arcadie, épée de Damoclès, autels d’Esculape, etc.), me plaisent moins que ceux qui seront retracés chemin faisant et avec des traits plus naturels, sans que l’auteur ait l’air de se mettre exprès à son chevalet. […] Ainsi, en montant le pic du Midi, le voyageur arrivé à une certaine élévation se trouve avoir atteint à un beau réservoir d’eau appelé le lac d’Oncet, et où la nature commence à prendre un grand caractère ; il en fait voir en peu de mots l’encadrement, et en quoi ce nouveau genre de beauté consiste : C’est un beau désert que ce lieu : les montagnes s’enchaînent bien, les rochers sont d’une grande forme ; les contours sont fiers, les sommets hérissés, les précipices profonds ; et quiconque n’a pas la force de chercher dans le centre des montagnes une nature plus sublime et des solitudes plus étranges prendra ici, à peu de frais, une idée suffisante des aspects que présentent les monts du premier ordre. […] Il ne disait pas assez en parlant ainsi ; il ne disait pas que dans ses propres écrits comme dans ceux d’un bien petit nombre de savants exacts, il était entré quelque chose de la beauté de l’art et de la magie du talent, et qu’il y aurait à citer des disciples de premier ordre dans la postérité de Buffon : lui-même, fût-il le seul, en serait la preuve.

1740. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Il insiste peu sur ses débuts, et n’a pas les tendresses de l’enfance ni des premières années ; il ne pense qu’à prendre l’essor, à aller par-delà les monts, à voir l’Italie, le Milanais, qui depuis les expéditions de Charles VIII et de Louis XII était le champ de bataille et l’école militaire de la jeune noblesse. […] Montluc ne fait que courir sur ces premiers temps de sa carrière, et il a pour principe de n’insister que sur les affaires où il a commandé. […] Montluc, qui nous a conservé ses paroles, sentit là ce premier et poignant aiguillon de la louange qui, parti de haut, fait faire ensuite l’impossible aux gens de cœur.

1741. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — III » pp. 90-104

Montluc ne se donne pas pour un historien, c’est un écrivain spécial de guerre ; il semble qu’il tienne à justifier ce mot de Henri IV lisant ses Commentaires, que c’est la Bible du soldat : « Je m’écris à moi-même, et veux instruire ceux qui viendront après moi : car n’être né que pour soi, c’est à dire en bon français être né une bête. » Il commence par établir une bonne police dans la ville ; il la divise en huit parties, dont chacune est sous la surveillance et les ordres d’un des huit magistrats nommés les « huit de la guerre » : dans chacune de ces sections, il fait faire un recensement exact des hommes jusqu’à soixante ans, des femmes jusqu’à cinquante, et des enfants depuis douze, afin qu’on voie quels sont ceux qui peuvent travailler aux choses de siège et à quoi ils sont propres ; dans le travail commun, les moindres ont leurs fonctions ; chaque art et métier, dans chaque quartier, nomme son capitaine, à qui tous ceux du même métier obéissent au premier ordre. […] Il s’adressait d’ailleurs à une population déjà exercée et aguerrie ; dès avant son arrivée et au premier cri de cette indépendance menacée, la population de Sienne, et les femmes les premières, avaient eu l’idée de s’organiser pour la défense et d’y aider de leurs mains : à ce souvenir et à la pensée de ce que lui-même a vu de bonne grâce généreuse et patriotique en ce brave et joli peuple, Montluc s’émeut ; son récit par moments épique redouble d’accent ; quelque chose de l’élégance et de l’imagination italienne l’ont gagné : Il ne sera jamais, dames siennoises, que je n’immortalise votre nom tant que le livre de Montluc vivra : car, à la vérité, vous êtes dignes d’immortelle louange, si jamais femmes le furent. […] Pour rester dans les règles toutefois, il était convenable que le gouverneur stipulât directement, et en son nom, sa capitulation avec le marquis de Marignan ; mais au premier mot qui lui en fut dit de la part de ce dernier, il s’enflamma et parut se révolter, déclarant qu’il aimerait mieux perdre mille vies, et que le nom de Montluc ne se trouverait jamais en capitulation.

1742. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal de Dangeau. tomes III, IV et V » pp. 316-332

J’ai parlé précédemment des deux premiers, et dans des articles insérés au Moniteur 58 j’ai cherché à marquer de quel secours pouvaient être les faits purement extérieurs, recueillis par Dangeau, et de quelle utilité à l’éclaircissement de certaines questions toutes morales et politiques, et par exemple à celle de la révocation de l’Édit de Nantes. […] Le roi nous a dit qu’il n’avait jamais vu une si belle relation, et qu’il nous la ferait lire. » Les éditeurs ont eu l’heureuse idée de nous faire le même plaisir que Louis XIV à ses courtisans, c’est-à-dire de nous donner le texte même de la relation de M. de Luxembourg, conservée au Dépôt de la guerre, et de laquelle s’étaient amplement servis les historiens militaires du règne ; mais dans sa première forme et dans son tour direct, elle a quelque chose de vif, de spirituel, de brillant et de poli qui justifie bien l’éloge de Louis XIV, et qui en fait de tout point une page des plus françaises. […] Fagon, son premier médecin : « Faites, monsieur, pour M. de Luxembourg tout ce que vous feriez pour moi-même si j’étais dans l’état où il est. » Louis XIV n’offre pas d’abord des trésors à celui qui sauvera M. de Luxembourg ; il dit ce simple mot humain : Faites comme pour moi-même.

1743. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Appendice » pp. 453-463

Le temps a manqué, et de la foule des admirateurs (cela n’a rien d’étonnant), il n’est pas sorti du premier coup un bon juge. […] Enfin, en la mettant au premier rang, le jury a cédé à une impression unanime reçue par lui à plus d’une reprise ; il a cru couronner, et il ne s’est pas trompé, quelque chose de la naïveté, du mouvement et de la grâce de la jeunesse. […] Je ne veux pas dire que ce premier jugement soit toujours mauvais et faux, mais il est hasardeux, et il court risque fort souvent de ressembler à de la prévention.

1744. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Pour nous, si nous nous risquons à en parler, c’est que nous ne nous guérirons jamais de cette vieille habitude d’aller à ce qui est vivant, de nous arrêter à chaque vaillant début d’un talent neuf et vigoureux, et de lui payer publiquement ce premier et bien légitime hommage, — l’attention, — dussions-nous mêler aux éloges quelques remarques critiques et quelques observations morales. […] Lisez à haute voix ces premières pages si fermes, si fortement scandées. « La maison est plantée de travers, sur une butte de sable, etc. » — « Si je me suis volontairement exilé dans cette affreuse solitude, etc. », vous avez la sensation d’une ouverture en musique. […] Un des moralistes qui ont le mieux observé et noté la passion, La Rochefoucauld a dit : « La jalousie naît avec l’amour, mais elle ne meurt pas toujours avec lui. » Pourquoi donc alors cette jalousie, qui peut très bien s’irriter et s’ulcérer dans les derniers temps par amour-propre, n’est-elle pas née en Roger du premier jour qu’il a aimé Fanny ?

1745. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

Quoi qu’il en soit, l’impression que laisse la lecture parallèle de ces lettres de M. de Montmorency et de M. de Chateaubriand est toute favorable au premier ; sa belle et bénigne figure ressort à nos yeux par le contraste ; et dans les générations modernes, ceux qui auront quelque souci encore de ces choses pourront dorénavant se faire une idée de ce dernier homme de bien des grandes races, de ce dernier des prud’hommes (comme on disait du temps de saint Louis), dont la renommée de vertu avait été jusqu’ici renfermée dans un cercle aristocratique tout exclusif. […] Insistant sur cette nature première, toute de dévouement, qu’il se plaisait à contempler en elle et que la société, selon lui, méconnaissait en n’y voulant voir que désir de plaire et coquetterie, il lui disait encore : Vous étiez primitivement une Antigone, dont on a voulu, à toute force, faire une Armide. […] C’était donc un homme d’esprit, mais qui, à première vue, payait peu de sa personne : un peu bègue, très myope, toujours questionnant comme s’il n’était pas au fait, il lui fallait quelque temps avant d’être apprécié à sa valeur.

1746. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV, publiés par MM. L. Dussieux et E. Soulié. » pp. 369-384

Il est vrai que cette première maîtresse de Louis XV n’abusa point de sa faveur, ne l’afficha point trop hautement, qu’elle n’en parut surtout point jalouse, et que, sauf quelques petits accès d’humeur et de caprice qu’on lui entrevoit, elle était la plus accommodante des femmes. […] La mort subite de Mme de Vintimille à Versailles, à la suite de sa première couche, vient tout confondre et porter un coup bien rude au cœur de Mme de Mailly comme à sa fortune ; et quand une autre sœur (car on ne sort point d’abord de cette famille de Nesle) se présente pour disputer l’héritage de Mme de Vintimille, cette fois c’est une rivale qui s’annonce, une ambitieuse véritable, non plus une femme à rien partager : Mme de La Tournelle, la future duchesse de Châteauroux, veut et impose des conditions éclatantes, qui vont mettre fin au règne traînant de son aînée. […] Les quatre premiers volumes sont en vente. — (La publication a continué depuis.)

1747. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Le lendemain, c’était la princesse Zénaïde Wolkonski, toute catholique et propagandiste, toute chrétienne comme l’autre était tout païen, ayant à raconter des œuvres merveilleuses, couronnées de bénédictions surnaturelles : était-ce l’âge d’or des trois premiers siècles de l’Église qui recommençait ? […] — Cet autre homme, lui, est chrétien ; il admet la divinité, une émanation plus ou moins directe de la divinité, une inspiration d’en haut dans la vie, dans les actes et les paroles du Christ : mais il se permet de rechercher quels ont été au vrai ces actes et ces paroles ; il étudie les témoignages écrits, les textes ; il les compare, il les critique, et il arrive par là à une foi chrétienne, mais non catholique comme la vôtre : homme pur d’ailleurs, de mœurs sévères, de paroles exemplaires : et cet homme-là, parce qu’il ne peut en conscience arriver à penser comme vous sur un certain arrangement, une certaine ordonnance, magnifique d’ailleurs et grandiose, qui s’est dessinée surtout depuis le ve siècle, vous l’insulterez, vous l’appellerez à première vue blafard en redingote marron ! […] Mais il a beau faire, il en tient, lui, à son corps défendant et jusqu’aux moelles ; il est bien du fonds gaulois, du plus gras et du plus dru ; quoique, sous l’influence combinée de Bossuet et de M. de Maistre et sous le coup des événements, il ait eu ses inspirations éloquentes, il n’est complètement original que quand il coupe en pleindans sa première veine. — Car des pages même comme celle que je viens d’indiquer sur Saint-Simon, si vertes, si amères d’accent et où la verve, après tout, ne demande qu’à s’étaler insolemment au soleil, cela n’a rien d’épiscopal : c’est du mâle gaulois, c’est du bon Régnier en prose, c’est d’un rude et vaillant compère.

1748. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

« Il a pris la parole : des restes de cette voix usée à déclamer des réquisitoires, qui passe sur les idées avec l’aisance et la mélodie d’une scie édentée, il a proposé dans l’intérêt de l’Église une chose bien simple, un court article additionnel, etc… » Et cet autre plus agréable, ce garde des sceaux en fonction, mais qui évite tant qu’il peut les batailles rangées, il n’attrape qu’un mot, mais le mot est bon : « Son premier soin a été naturellement de rapetisser le débat pour le mieux remplir. » (M.  […] Ô mon premier amour et ma première née,   Anges que le Ciel m’a repris !

1749. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

mais de la vérité, du comique même ; l’Architriclin, le Vatel au désespoir quand il voit que le vin manque ; Jésus averti tout bas par sa mère et réparant le mal sans bruit ; l’étonnement du maître d’hôtel quand il goûte ce vin de la fin qui se trouve le meilleur, tandis que, selon l’usage des noces de ce temps-là (et, m’assure-t-on, de quelques noces de campagne encore aujourd’hui), on donnait le meilleur vin au premier service, et le moins bon au dessert ; car il suffit que cela gratte, quand les palais, une fois, sont échauffés. — Ces noces de Cana seraient tout un tableau flamand, s’il y avait de la couleur. […] Je ne ferai plus qu’une remarque : c’est que Madeleine, lorsqu’elle entend parler de Jésus-Christ et de ses miracles par des gens qui viennent d’en être témoins, les questionne sur un ton léger qui est bien dans son premier rôle. […] On y assiste ; dans un tête-à-tête avec son fils, elle lui adresse successivement quatre requêtes, et lui demande au moins de quatre choses l’une : 1° de ne point mourir, lui son fils, de ne point souffrir mort, s’il est possible ; 2° cette première requête refusée, et puisque cette mort est jugée nécessaire, de ne point la souffrir si amère, si honteuse et si cruelle ; 3° cette requête rejetée encore par Jésus au nom des Écritures et des Prophéties, de permettre au moins que sa mère meure la première et n’ait point à voir de ses yeux une mort si terrible ; 4° puisque cette troisième pétition n’est pas plus accueillie que les deux autres, de vouloir bien qu’elle perde au moins connaissance pendant la durée de la Passion, qu’elle soit ravie en esprit et demeure comme une chose insensible, privée d’intelligence et de sentiment.

1750. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Flaubert d’en recommencer aussitôt un autre, qui fît pendant au premier et en partie contraste. […] Malgré ses premiers succès, Hamilcar s’étant joint avec Hannon, puis avec le général qui succédait à ce dernier, reperdit ses avantages et la supériorité qu’il avait d’abord acquise sur les ennemis. […] Mathos le Lybien (ici Mâtho) se dessine également dès cette première scène.

1751. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

César, dont la parole est un décret, même en matière de goût, l’a appelé un demi-Ménandre, et, en le louant comme un amateur de la plus pure diction, il a fort regretté qu’il n’eût pas plus de force unie à la douceur, afin que son talent comique fût au niveau des premiers et brillât d’un égal éclat en regard des maîtres grecs : Lenibus atque utinam scriptis adjuncta foret vis, Comica ut œquato virtus polleret honore ! […] Qu’on veuille donc penser à ce que c’était que Térence, ce premier Romain qui, à côté de Scipion et de Lélius, sut être l’urbanité même dans la langue latine. […] Ayant fait sa première pièce qu’il vendit aux édiles pour être représentée, on exigea qu’il la lût auparavant au vieux poète Cécilius, alors en grand renom, et qui faisait ainsi l’office de censeur.

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