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1078. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

C’est pourquoi ceux-ci, transformés, se dégourdirent vite : la race fabriquée se trouva d’esprit alerte, bien plus avisée que les Saxons, ses voisins d’outre-Manche, toute semblable à ses voisines de Picardie, de Champagne et d’Île-de-France. « Les Saxons82, dit un vieil auteur, buvaient à l’envi, et consumaient jour et nuit leurs revenus en festins, tandis qu’ils se contentaient d’habitations misérables : tout au contraire des Français et des Normands qui faisaient peu de dépense dans leurs belles et vastes maisons, étant d’ailleurs délicats dans leur nourriture et soigneux dans leurs habits, jusqu’à la recherche. » Les uns, encore alourdis par le flegme germanique, étaient des ivrognes gloutons que secouait par accès l’enthousiasme poétique ; les autres, allégés par leur transplantation et leur mélange, sentaient déjà se développer en eux les besoins de l’esprit. « Vous auriez pu voir, chez eux, des églises s’élever dans chaque village, et des monastères dans les cités, construits dans un style inconnu auparavant », en Normandie d’abord et tout à l’heure en Angleterre83. […] Robert Wace, leur historien et leur compatriote, n’est pas plus troublé par l’inspiration poétique qu’ils ne le sont par l’inspiration guerrière ; et, la veille de la bataille, il a l’esprit aussi prosaïque et aussi lucide qu’eux86. […] C’est pourquoi nulle race en Europe n’est moins poétique. […] Nulle grande œuvre poétique ou religieuse ne les manifeste à la lumière. […] On voit bien par le chant, l’accent et le tour de leurs ballades176, qu’ils sont capables de la plus belle invention poétique ; mais leur poésie reste entre les mains des yeomen et des joueurs de harpe.

1079. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

Quelle fiction poétique vaut la sensation vraie ? […] Les plus nobles passages sont défigurés par des apostrophes de collége, et la prétendue diction poétique vient y étaler sa friperie usée et ses ornements convenus1274. […] Cela semblait impossible au dix-neuvième siècle, puisque l’œuvre propre de notre âge est la considération épurée des idées créatrices et la suppression des personnes poétiques par lesquelles les autres âges n’ont jamais manqué de les figurer. […] Il met à nu les procédés poétiques, se demande où il en est, compte les stances déjà faites, gouaille la Muse, Pégase et toute l’écurie épique, comme s’il n’en donnait pas deux sous. […] Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours : trop fort contre autrui et contre lui-même, et tellement effréné qu’après avoir employé sa vie à braver le monde et sa poésie à peindre la révolte, il ne trouve l’achèvement de son talent et le contentement de son cœur que dans un poëme armé contre toutes les conventions humaines et contre toutes les conventions poétiques.

1080. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Nous avons beaucoup de poètes, venus de beaucoup de pays ; car ce qui caractérise le personnel poétique d’aujourd’hui c’est que la carte des deux mondes s’y échantillonne. […] L’idéalisme est à la base de la Poétique nouvelle. […] Et peut-être n’était-ce pas la peine défaire tant d’affaires pour revenir finalement à ce système bâtard de la prose poétique dont on s’est jadis tant moqué. Le vers libre est cela même : prose poétique, prose rythmée, prose musicale, prose précieuse, ou de quelque épithète qu’on veuille la décorer, mais toujours de la prose. […] Comme naguère il nous avait révélé le roman russe, M. de Vogüé vient de nous donner sur l’ensemble de l’œuvre poétique et romanesque de G. d’Annunzio une étude magistrale.

1081. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Louis de Vignet avait reçu de la nature une âme de Werther qui se dévorait elle-même, une imagination ardente et fatiguée avant d’avoir produit, un dégoût qui venait de l’exquise exigence de son goût, un talent poétique et un style d’écrivain qui l’auraient égalé aux plus grands poètes et aux plus vigoureux prosateurs, mais une mélancolie âpre et maladive qui flétrissait en lui le fruit de son génie avant qu’il fût mûr. […] Figure rêveuse, physionomie plus que belle, car elle était ineffaçable ; âme molle comme l’attitude ; caractère qui se pliait à tous ceux de ses amis comme une étoffe moelleuse à laquelle l’artiste n’a point donné de forme, mais dont on se drape au gré de la saison ; voix musicale qui résonnait jusqu’au fond de l’âme ; imagination poétique que la langueur des sensations empêchait de produire, mais toujours prête à rêver mieux que vous vos propres rêves et à ruminer mieux que vous vos propres vers ; un homme-écho enfin, si l’on peut se servir de cette expression, mais un écho sensible, intelligent, qui ne restait muet que par paresse, et inerte que par amour du sommeil. […] Nous n’avions eu que cette apparition de l’auteur de René ; mais c’était assez pour notre superstition poétique. […] La caravane poétique reprit sa route vers les Alpes.

1082. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Sur le caractère et les œuvres de Béranger I Nous avons laissé Béranger jeune, pauvre, cherchant son talent en lui-même, et cherchant sa voie dans le monde, indécis comme tout homme l’est à cet âge sur ses propres opinions, rêvant un poème épique national et monarchique, attendri sur les destinées tragiques des Bourbons, célébrant le rétablissement du culte d’État dans sa patrie, applaudissant à l’inauguration providentielle d’une dynastie militaire sur un trône recrépi de gloire et de force ; en un mot nous avons laissé ce jeune homme faisant tout ce que M. de Fontanes, M. de Chateaubriand, M. de Bonald auraient pu faire pour la restauration poétique du passé : disons mieux, nous l’avons laissé ne sachant pas ce qu’il faisait, écolier du hasard ébauchant les thèmes de l’inexpérience et de l’imagination. […] Il voulait, disait-il, lui assurer ainsi le loisir poétique. […] Cette lettre de Béranger sur les Girondins me rappela tout à coup une lettre de M. de Talleyrand sur les Méditations poétiques, lettre plus étonnante encore et plus littérairement prophétique. […] Ce billet était daté de cinq heures du matin ; le prince, que l’on aurait supposé si peu susceptible d’une impression poétique et d’une insomnie littéraire, disait à son amie « qu’il n’avait pas dormi avant d’avoir lu le volume, et qu’un poète était né cette nuit. » M. de Talleyrand et Béranger, deux hommes si semblables d’esprit, si divers de caractères, parrains de mon avenir !

1083. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Je vous raconte simplement la chose ; dans un moment plus poétique j’aurais déchaîné les vents, soulevé les flots, montré la petite nacelle tantôt voisine des nues, tantôt précipitée au fond des abymes, vous auriez frémi pour l’instituteur, ses jeunes élèves et le vieux philosophe votre ami. […] Il est d’expérience que la nature condamne au malheur celui à qui elle a départi le génie, et celle qu’elle a douée de la beauté ; c’est que ce sont des êtres poétiques. […] Il s’introduit par la raison une exactitude, une précision, une méthode, pardonnez-moi le mot, une sorte de pédanterie qui tue tout : tous les préjugés civils et religieux se dissipent, et il est incroyable combien l’incrédulité ôte de ressources à la poésie ; les mœurs se policent, les usages barbares, poétiques et pittoresques cessent, et il est incroyable le mal que cette monotone politesse fait à la poésie. […] Les ombres des montagnes commençaient à s’alonger, et la fumée à s’élever au loin au-dessus des hameaux ; ou en langage moins poétique, il commençait à se faire tard, lorsque nous vîmes approcher une voiture.

1084. (1845) Simples lettres sur l’art dramatique pp. 3-132

C’était une excellente arme aux mains de M. le commissaire du roi que Mlle Rachel ; son talent tout antique, plein de froide majesté, de sobre passion et de sourde ironie, remarquable par une diction irréprochable bien plutôt que par des accents du cœur, devait reproduire d’une manière satisfaisante les types grecs et romains de la littérature du xviie  siècle, poétiques figures qui semblent moins empruntées à la nature vivante qu’à l’atelier du statuaire ; mais aussi ce talent monocorde devait échouer lorsqu’elle essayerait de représenter les créations pittoresques, excentriques ou passionnées du xixe  siècle. […] En effet, il y a à Paris, nous ne dirons pas un comédien de talent, mais un artiste de génie, capricieux et fantasque comme Garrick, terrible et emporté comme Kean. poétique et sombre comme Macready, un homme qui porte avec la même facilité le manteau royal de Richard III et les haillons du Joueur ; un homme qui attache à toutes ses créations un cachet tellement original, qu’à chaque création nouvelle tout le monde littéraire s’émeut ; un homme qui traîne après lui son public, en quelque lieu qu’il lui plaise de le conduire, soit au théâtre de l’Odéon, soit au théâtre de la Porte-Saint-Marlin, soit au théâtre de la Renaissance, soit au théâtre de l’Ambigu, soit au théâtre des Folies-Dramatiques. […] Buloz ; énumérons les chefs-d’œuvre enfouis dans la lourde et ténébreuse Revue des Deux Mondes, que cette fée à qui Dieu a donné une plume au lieu de baguette soulevait comme un ballon, illuminait comme un météore chaque fois que sa capricieuse et poétique fantaisie posait dans ce nid de hibou, un de ces cygnes au doux ramage ou au plumage éclatant qui composent sa riche et nombreuse famille. […] Douée, comme centre, d’une puissance d’assimilation supérieure à celle de toutes les nations ses voisines, elle pouvait joindre à la raison et à l’esprit, qui sont ses qualités distinctives, qui sont ses dons naturels, la rêverie de Dante, l’humanité de Shakespeare, le pittoresque de Calderon, la fécondité de Lope de Vega, la passion de Schiller, le philosophisme poétique de Goethe.

1085. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Soulary possède à merveille la langue poétique de la Renaissance, et, grâce à l’emploi d’un vocabulaire très-large, mais toujours choisi, il a trouvé moyen de dire, en cette gêne du sonnet, tout ce qu’il sent, ce qu’il aime ou ce qu’il n’aime pas, tout ce qui lui passe par le cœur, l’esprit ou l’humeur, son impression de chaque jour, de chaque instant.

1086. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

»  Indiana n’est pas un chef-d’œuvre ; il y a dans le livre un endroit, après la mort de Noun, après la découverte fatale qui traverse l’âme d’Indiana, après cette matinée de délire où elle arrive jusque dans la chambre de Raymon qui la repousse, — il y a là un point, une ligne de démarcation où la partie vraie, sentie, observée, du roman se termine ; le reste, qui semble d’invention presque pure, renferme encore de beaux développements, de grandes et poétiques scènes ; mais la fantaisie s’efforce de continuer la réalité, l’imagination s’est chargée de couronner l’aventure.

1087. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Rossignol établit, avant tout, ce soin scrupuleux et presque religieux que mirent les Grecs à distinguer les genres divers de poésie, et à maintenir ces distinctions premières durant des siècles, tant que chez eux la délicatesse dans l’art subsista : La nature dicta vingt genres opposés D’un fil léger entre eux chez les Grecs divisés ; Nul genre, s’échappant de ses bornes prescrites, N’aurait osé d’un autre envahir les limites… André Chénier s’est fait, dans ces vers, l’interprète fidèle de la poétique de l’antiquité.

1088. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

De là j’ai passé au romantisme poétique et par le monde de Victor Hugo, et j’ai eu l’air de m’y fondre.

1089. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — I »

Il réserve la religion pour l’humanité naïve et poétique qui, dans son enfance, ne peut recevoir la solution de ses doutes sur sa destination que sous des figures pittoresques, des formes animées.

1090. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

. ; il y aura toujours une littérature plus en quête des exceptions, des idées avancées et encore paradoxales, des sentiments profonds, orageux, tourmentants, dits poétiques et romanesques.

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