En poésie, Lamartine avait donné le signal du renouvellement ; d’autres le donnaient dans l’ordre de l’histoire, d’autres dans l’ordre de la philosophie : c’était par toute la jeunesse une émulation unanime et comme un recommencement universel. […] Né en 1798 dans le Jura, à Poligny, il avait fait ses premières études dans sa ville natale, et, de là, était allé suivre son cours de philosophie à l’Académie de Besançon. […] C’est là que, dans les loisirs d’une vie toute pieuse, toute studieuse, et où les plus nobles amitiés avaient leur part, il composa les deux premiers volumes de l’ouvrage intitulé Esquisse de Rome chrétienne, destiné à faire comprendre à toutes les âmes élevées le sens et l’idée de la Ville éternelle : « La pensée fondamentale de ce livre, dit-il, est de recueillir dans les réalités visibles de Rome chrétienne l’empreinte et, pour ainsi dire, le portrait de son essence spirituelle. » Interprète excellent dans cette voie qu’il s’est choisie, il se met à considérer les monuments, non avec la science sèche de l’antiquaire moderne, non avec l’enthousiasme naïf d’un fidèle du Moyen Âge, mais avec une admiration réfléchie, qui unit la philosophie et la piété : L’étude de Rome dans Rome, dit-il encore, fait pénétrer jusqu’aux sources vives du christianisme. […] Et il y a plus : je suis bien sûr que la philosophie dans la personne de M.
Mais au premier rang dans l’ordre de la beauté, il faut placer ces grandes fables morales Le Berger et le Roi, Le Paysan du Danube, où il entre un sentiment éloquent de l’histoire et presque de la politique ; puis ces autres fables qui, dans leur ensemble, sont un tableau complet, d’un tour plus terminé, et pleines également de philosophie, Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes, Le Savetier et le Financier, cette dernière parfaite en soi comme une grande scène, comme une comédie resserrée de Molière. […] Les Fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel… J’abrège cette page injurieuse67, et je n’y veux voir que ce qui y est en effet, l’antipathie des deux natures et le conflit des deux poésies. […] La philosophie du xviiie siècle, en attaquant le christianisme, en avait, par contrecoup, ravivé le sentiment dans quelques âmes.
Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville Lorsque M. de Tocqueville aborda la science politique, un très-grand nombre d’écoles ou plutôt de partis contraires et hostiles se partageaient, comme nous venons de le voir, l’empire des esprits. […] C’était le temps de la philosophie de l’histoire, de la palingénésie sociale ; on expliquait les lois de l’humanité par les rapports du fini et de l’infini ; on traduisait Vico et Herder ; on se demandait si le monde marchait en ligne droite, en ligne courbe ou en spirale. […] Tocqueville ne s’est pas contenté de croire à la démocratie, il a voulu la comprendre, et par là il s’est assuré un nom durable dans la philosophie politique. […] Il a écrit en faveur de l’État et contre l’individu un livre remarquable de philosophie politique6.
Quelle est la philosophie de Rabelais ? […] Quelle part y ont la philosophie, la prudence et le tempérament ? […] D’où vient ce débordement effréné de bavardages, d’énumérations, de citations, d’inventions, d’extravagances, de philosophie, de gaudrioles ? […] Art, littérature, philosophie, religion, famille, société, gouvernement, tout établissement ou événement extérieur nécessite et dévoile un ensemble d’habitudes et d’événements intérieurs.
C’est ce qui paroît sur-tout par ses Lettres Helviennes ou Provinciales philosophiques ; espece de correspondance littéraire & critique, entre un Chevalier bel-esprit, & une Baronne qui désire d’être initiée dans les mysteres de la Philosophie moderne. […] En poursuivant les prétendus Sages de ce siecle dans la carriere des Arts & de la Politique, où ils n’ont pas moins extravagué que dans la Physique, il aura sur les autres adversaires de la Philosophie, l’avantage d’avoir combattu des erreurs dangereuses, avec les seules armes du ridicule & de la bonne plaisanterie.
Bien des personnes suivent même ce goût dans le choix qu’elles sont des livres de philosophie, et d’autres sciences encore plus serieuses que la philosophie.
Pièces de théâtre, romans, histoire, voyages, philosophie et sciences, tout y passait, tout l’intéressait ; mais il goûtait les Essais de Morale de Nicole plus que le reste ; à dix ans, il avait lu Jean-Jacques, mais sans trop en rien conclure contre la religion. […] Pourtant, en 1796 ou 97, il envoyait au concours de je ne sais quelle académie de province un discours dans lequel il combattait avec beaucoup de chaleur la moderne philosophie, et qu’il terminait par un tableau animé de la Terreur. […] Il n’a jamais vécu en effet de cette vie qui fut la nôtre, de cette atmosphère habituelle de philosophie et de révolution où plongea le siècle. […] Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ? […] Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse à laquelle on l’aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique actif où le Conservateur l’avait vu un instant mêlé et d’où tant d’intrigues hideuses l’avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de La Chênaie, seul débris d’une fortune en ruine, il composait les premières parties d’un grand ouvrage de philosophie religieuse qui n’est pas fini, mais qui promet d’embrasser par une méthode toute rationnelle l’ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l’être : le but dernier de l’auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d’aussi près que possible les vérités primordiales d’ailleurs imposées, et de prouver à l’orgueilleuse raison elle-même qu’en poussant avec ses seules ressources elle n’a rien de mieux à faire que d’y aboutir.
Cette forme fixe est l’esprit classique, et c’est elle qui, appliquée à l’acquis scientifique du temps, a produit la philosophie du siècle et les doctrines de la Révolution. […] Au dix-septième siècle, on les appelle « les honnêtes gens », et c’est à eux désormais que s’adresse l’écrivain, même le plus abstrait. « L’honnête homme, dit Descartes, n’a pas besoin d’avoir lu tous les livres ni d’avoir appris soigneusement tout ce qu’on enseigne dans les écoles » ; et il intitule son dernier traité « Recherche de la vérité selon les lumières naturelles qui, à elles seules et sans le secours de la religion et de la philosophie, déterminent les opinions que doit avoir un honnête homme sur toutes les choses qui doivent faire l’objet de ses pensées349 ». En effet, d’un bout à l’autre de sa philosophie, pour toute préparation il ne demande à ses lecteurs que « le bon sens naturel », joint à cette provision d’expérience courante que donne la pratique du monde. — Comme ils sont l’auditoire, ils sont les juges. « C’est le goût de la cour qu’il faut étudier, dit Molière350, il n’y a point de lieu où les décisions soient si justes… Du simple bon sens naturel et du commerce de tout le beau monde, on s’y fait une manière d’esprit qui, sans comparaison, juge plus finement les choses que tout le savoir enrouillé des pédants. » — À partir de ce moment, on peut dire que l’arbitre de la vérité et du goût n’est plus, comme auparavant, l’érudit, Scaliger par exemple, mais l’homme du monde, un La Rochefoucauld, un Tréville351. […] Dans un livre qui est comme le testament philosophique du siècle382, Condorcet déclare que cette méthode est « le dernier pas de la philosophie, celui qui a mis en quelque sorte une barrière éternelle entre le genre humain et les vieilles erreurs de son enfance ». — « En l’appliquant à la morale, à la politique, à l’économie politique, on est parvenu à suivre dans les sciences morales une marche presque aussi sûre que dans les sciences naturelles. […] Saphary et Valette professaient encore la philosophie de Condillac dans deux lycées de Paris.
L’honneur de la philosophie est d’avoir eu toujours pour ennemis les hommes frivoles et immoraux, qui, ne trouvant point en eux l’instinct des belles choses, déclarent hardiment que la nature humaine est laide et mauvaise et embrassent avec une sorte de frénésie toute doctrine qui humilie l’homme et le tient fortement sous la dépendance. […] La religion, la philosophie, la morale, la politique trouvent de nombreux sceptiques ; les sciences physiques n’en trouvent pas (au moins quant à leur partie définitivement acquise et quant à leur méthode). […] Plût à Dieu que toutes les âmes vives et pures fussent convaincues que la question de l’avenir de l’humanité est tout entière une question de doctrine et de croyance, et que la philosophie seule, c’est-à-dire la recherche rationnelle, est compétente pour la résoudre ! […] La morale, la philosophie, la vraie religion ne sont pas à sa portée ; elle tourne dans une fatale impuissance. […] Les quelques bribes de philosophie allemande qui ont passé le Rhin, combinées d’une façon claire et superficielle, ont fait une meilleure fortune que les doctrines elles-mêmes.
Et il semble, en effet, que, transportant dans la philosophie sa vision d’artiste, Flaubert ait constaté dans l’homme un Bovarysme irrémissible qui fait de l’erreur et du mensonge la loi de sa nature, un mal d’imagination et de pensée qui l’oblige à méconnaître toute réalité pour céder à la fascination de l’irréel, qui le contraint à concevoir, hors de la portée de son intelligence et le ses sens, un au-delà dont la perspective s’éloigne après chaque effort fait pour l’atteindre. […] La révélation de l’immense richesse intellectuelle qui leur est livrée n’excite en eux qu’un sentiment d’admiration pour la science, pour l’art, pour la philosophie, pour la pensée sous ses formes les plus hautes. […] Tandis que, dans La Tentation, le délire du saint évoque la cohorte des religions et des métaphysiques se réfutant les unes les autres par le seul fait de leur confrontation, l’enthousiasme intellectuel de Bouvard et de Pécuchet qui les porte à tout apprendre, à s’élancer sans cesse dans toutes les directions de l’esprit, prête à une revue encyclopédique de toutes les philosophies et de toutes les sciences. […] Aussi Flaubert avait-il beau jeu à faire apparaître les contradictions des systèmes en des sciences telles que l’histoire ou l’histoire naturelle, la médecine, la philosophie, l’esthétique, la politique ou la pédagogie. […] Ce qu’il faut donc constater en fin de compte, c’est qu’avec la philosophie et la science, c’est qu’avec l’universalité des modes de la connaissance, l’homme se conçoit propre à atterrir en des régions qui lui demeurent inaccessibles, à posséder un savoir qu’il ne conquiert jamais, qu’il se conçoit né pour des fins qui ne sont pas les siennes, qu’il y a un abîme entre sa destinée et la destination qu’il se suppose, qu’essentiellement, et dans son activité la plus haute, il se conçoit autre qu’il n’est.
Sans parler des maîtres de la philosophie officielle, dont l’enseignement, donné sous forme spiritualiste ou kantienne, fonde la morale sur cette croyance, un penseur comme Amiel en vient à ce compromis de formuler que si l’homme n’est pas libre absolument, du moins il y a du jeu dans le mécanisme de nécessité qui le contraint. […] Si la plus grande part de l’humanité a satisfait jusqu’ici le besoin d’immortalité qui la possède par le moyen des religions dont les plus grossières furent, semble-t-il, les plus efficaces, le même besoin a induit une élite à une contention beaucoup plus forte de l’esprit, d’où la philosophie est sortie, avec toutes les sciences qu’elle a attachées à son service. […] Parvenue à ce degré d’affinement et de sincérité dans la recherche, la philosophie rejoint la biologie, la physique et la chimie et enfièvre, de l’ardeur qui la suscita, les sciences les plus positives. […] Enfin, dès que l’on interroge les philosophies, et à mesure que l’on s’adresse aux plus récentes et aux plus hautes, on constate que leurs réponses impliquent des affirmations de plus en plus vagues pour venir jusqu’à n’en plus formuler aucune, ou jusqu’à nier la réalité de l’objet que le désir humain leur avait ordonné de découvrir. […] Comme la philosophie, comme l’effort industriel, l’effort de l’homme pour se guérir et se défendre contre la mort, a atteint un but différent de celui qui était visé.
L’histoire et la philosophie ont subi, depuis cinquante ans, des révolutions profondes. […] Quant au Dieu des Bonnes Gens, je le compare sans hésiter aux plus sévères inspirations de la philosophie antique. […] M. de Lamartine semble avoir pris à la lettre la réponse du maître de philosophie à M. […] La belle chose, mon Dieu, que la philosophie de l’histoire ! […] Rendons grâces à la philosophie de l’histoire qui explique si nettement, si clairement un problème qui nous semblait insoluble.
Le jeune Oratoire était en partie philosophique, et de la philosophie d’alors la plus avancée. […] A la maison de Montmorency il fut chargé de la classe de philosophie, puis de celle de théologie. […] Lorsque plus tard, en 1825, l’éditeur de Boileau crut devoir étendre sa polémique à Shakspeare, à Schiller, aux Schegel, aussi bien qu’à la philosophie de Kant et à celle de M. […] Je n’opposerai peut-être à l’énergique opinion de Saint-Just que des considérations timides, plutôt dictées par des habitudes et par des craintes que par l’austérité de la philosophie républicaine qu’il a seule interrogée. […] On conçoit qu’obligé de rentrer sa politique en 1802, Daunou se soit dédommagé en donnant plus de jour à sa philosophie : en 1814, le triomphe des influences religieuses l’obligea au contraire de rentrer à jamais cette philosophie : il put s’en dédommager en revenant, bien qu’avec quelques gênes, à ses théories et doctrines politiques.