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625. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

Il ne leur faut qu’un seul mobile, le plus simple et le plus palpable, tout grossier, presque mécanique, tout physiologique, l’inclination naturelle qui porte l’animal à fuir la douleur et à chercher le plaisir. « La douleur et le plaisir, dit Helvétius, sont les seuls ressorts de l’univers moral, et le sentiment de l’amour de soi est la seule base sur laquelle on puisse jeter les fondements d’une morale utile… Quel autre motif que l’intérêt personnel pourrait déterminer un homme à des actions généreuses ? […] La jouissance personnelle ne lui suffit pas ; il lui faut encore la paix de la conscience et les effusions du cœur  Voilà l’homme tel que Dieu l’a fait et l’a voulu ; il n’y a point de défaut dans sa structure. […] » — On reconnaît, à travers la théorie, l’accent personnel, la rancune du plébéien pauvre, aigri, qui entrant dans le monde, a trouvé les places prises et n’a pas su se faire la sienne, qui marque dans ses confessions le jour à partir duquel il a cessé de sentir la faim, qui, faute de mieux, vit en concubinage avec une servante et met ses cinq enfants à l’hôpital, tour à tour valet, commis, bohême, précepteur, copiste, toujours aux aguets et aux expédients pour maintenir son indépendance, révolté par le contraste de la condition qu’il subit et de l’âme qu’il se sent, n’échappant à l’envie que par le dénigrement, et gardant au fond de son cœur une amertume ancienne « contre les riches et les heureux du monde, comme s’ils l’eussent été à ses dépens et que leur prétendu bonheur eût été usurpé sur le sien421 »  Non seulement la propriété est injuste par son origine, mais encore, par une seconde injustice, elle attire à soi la puissance, et sa malfaisance grandit comme un chancre sous la partialité de la loi. « Tous les avantages de la société422 ne sont-ils pas pour les puissants et pour les riches ?

626. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Une jeune femme de la cour, plus éprise de la gloire personnelle que du rang, la marquise du Châtelet, s’était attachée à lui comme à son maître dans l’art de penser et d’écrire. […] Sa fortune considérable, indépendante des caprices et des confiscations des gouvernements, était en partie disponible, en partie placée en rentes sur les différentes contrées de l’Europe ; elle s’élevait à deux cent mille livres de rente ; ses besoins personnels bornés laissaient une grande partie de ce revenu à la disposition de ses goûts pour des libéralités princières, le reste en économie pour les éventualités extrêmes de sa vieillesse. […] Or, quelles que soient ses erreurs personnelles, on ne peut méconnaître dans Voltaire cette passion désintéressée de la vérité.

627. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Ainsi regardez les débuts du règne personnel de Louis XIV, de 1661 à 1672 environ. […] Je ne te promets pas un bon rang dans la course aux écus : mais tu auras la pure et profonde satisfaction d’avoir poursuivi de toutes tes forces et d’avoir traduit de façon personnelle ton rêve de beauté. […] Il aboutit à remplacer l’aristocratie fausse, factice, convenue, celle qui se fonde sur des parchemins ou des sacs d’écus, par l’aristocratie vraie, naturelle, qui repose tout entière sur le mérite personnel.

628. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Mais l’habitude funeste des mêmes créations nous a fait perdre la conscience joyeuse de notre pouvoir créateur ; nous avons cru réels ces rêves que nous enfantions, et ce moi personnel, limité par les choses, soumis à elles, que nous avions conçu. […] Il avait apporté une vision originale : la vie manquait, et l’air, à ses sites de banlieue ; mais la description avait un charme de franchise personnelle. […] Malheureusement ces messieurs n’ont pas encore développé un style personnel et anglais.

629. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Abauzit, je soutiens qu’on ne peut la regarder, ni comme personnelle, ni comme injuste, ainsi qu’ils le font entendre. […] Mais s’ensuit-il de là que ma critique ait été personnelle ou injuste ? […] Telle est, Monsieur, la maniere dont je me serois exprimé, si j'avois eu sur le personnel de M.

630. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Son inspiration la plus personnelle lui vient de son amour sincère des humbles, de son intelligence clairvoyante de la poésie quotidienne et surtout d’une grande simplicité d’émotion. […] Mendès (Lieder) avaient tenté quelque chose d’approchant, l’un avec une richesse de vocabulaire, l’autre avec une virtuosité de syntaxe, qui espacent aisément les rivaux… « On trouve, d’ailleurs, des ancêtres aux méthodes les plus personnelles, et celle-ci serait mauvaise si elle était sans famille. […] Les premiers vers de ce jeune homme égalaient les Noces corinthiennes, les derniers sont personnels et parfaits.

631. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Ainsi fut bâclée cette sanglante affaire, et immédiatement après signée, scellée, enregistrée parmi les sanglots suffoqués. » L’homme qui écrit ainsi palpite et frémit tout entier comme un prisonnier devant des cannibales ; le mot y est : « Bureau d’anthropophages. » Mais l’effet est plus sublime encore, quand le cri de la justice violentée est accru par la furieuse clameur de la souffrance personnelle. […] Nous n’imaginons les objets que par ces précisions et ces contrastes ; il faut marquer les qualités distinctives pour rendre les gens visibles ; notre esprit est une toile unie où les choses n’apparaissent qu’en s’appropriant une forme arrêtée et un contour personnel. […] Il n’écrivait pas sur des sujets d’imagination, lesquels dépendent du goût régnant, mais sur des choses personnelles et intimes, uniquement occupé à conserver ses souvenirs et à se faire plaisir.

632. (1881) Le naturalisme au théatre

Un critique ne peut condamner d’un mot le choix des sujets historiques, malgré toutes ses préférences personnelles pour les sujets modernes. […] La pièce est exaltée ou éreintée, parce qu’elle passe par les passions personnelles du critique. […] Examinez le personnel de nos actrices, par exemple. […] Je ne répondrai pas aux critiques qui me sont personnelles ; je lui appartiens, il me juge comme il me comprend, c’est parfait. […] Dire ce qu’il faut dire, et le dire d’une façon personnelle, tout est là.

633. (1902) Propos littéraires. Première série

On n’aimera jamais une abstraction comme une personne, ni un être collectif comme un être personnel. […] Car le sens burlesque chez Heine est personnel et aussi national, et c’est même ce qu’il a de plus national. […] Car, par instinct, goût personnel, parfaitement légitime, tout au contraire de M.  […] Tolstoï a une façon personnelle de voir les choses. […] Je ne crois pas qu’hier beaucoup de personnels aient eu souvent l’occasion de dire : “Comme cela est beau !”

634. (1927) Approximations. Deuxième série

Selon Du Bos, grâce à un art de lire personnel mêlant flair et détachement, Strachey invente un nouvel art d’écrire, entre histoire et biographie. […] Que l’on m’entende : je constate, je ne reproche point ni surtout ne prétends à ériger en loi des prédilections personnelles. […] Parmi les esprits de premier rang en effet, nul n’est moins que Montaigne engagé dans sa pensée propre alors même que celle-ci lui est le plus personnelle. […] Si sa phrase lui est personnelle jusqu’à l’inimitable, ce n’est jamais cependant à la mimique de cette phrase qu’il confie le soin de transmettre le message : servante docile, diligente et qui sait plus d’un tour ; mais non point maîtresse. […] Car Proust est tout ensemble le plus objectif et le plus personnel des écrivains… Il a greffe le moelleux et non moins l’exacerbation de l’expérience sur l’infatigable esprit d’inquisition de la jeunesse.

635. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Gosse, c’était un païen, n’admettant d’autre guide que sa conscience personnelle. […] Il continua de la diriger jusqu’en 1870, sans aucun profit personnel, et simplement pour permettre au père de son ami de la revendre sans trop de perte. […] Nous devons d’abord les faire passer par notre tempérament personnel, qui ne peut manquer de les modifier au passage. […] Elles sont trop remplies de détails personnels ; traduites séparément, elles risqueraient d’ennuyer. […] Indifférentes à toute considération de plaisir personnel, s’oubliant dans leur amour de l’humanité, la chimère du bonheur universel est la seule qui les tente.

636. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Je m’étonnais même que cet écrivain vivant, personnel et vrai, eût vu deux de ses livres couronnés par les vieillards verdâtres dont la Morgue porte le nom prétentieux d’Académie française. […] La parole de Max Lyan fait songer à ce je ne sais quoi de plus personnel et de légèrement sauvage qui est le charme de tels provinciaux attardés, des La Fontaine, des J. […] L’écriture de Camille Pert est aussi personnelle que ses sujets. […] Mais on ne retrouve chez elle ni la noblesse d’une pensée personnelle, ni ce qu’il y a parfois de vivant aux mouvements du Nîmois qui se contient. […] On n’y trouve pas grand effort de critique personnelle, mais, les opinions des Italiens y sont tantôt résumées, tantôt délayées.

637. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

C’est que, en dépit de son acte de foi préalable en un Dieu personnel et distinct de la création, Lamartine a bien, en présence de l’univers physique, la même disposition sentimentale et éprouve bientôt la même espèce d’ivresse que les panthéistes décidés. […] Je n’ai voulu vous soumettre, touchant la Chute d’un ange, que quelques impressions qui me fussent à peu près personnelles (encore m’abusé-je peut-être). […] Lamartine croirait volontiers à un Dieu personnel ; et même il y croit. Mais un Dieu personnel, ce n’est, forcément, que l’homme agrandi. […] Après le Dieu personnel, créateur et extérieur au monde ; après le Dieu immanent, le Dieu évolutionniste, ressort de l’histoire et du progrès humain, reste « Dieu sensible au cœur », Dieu postulat de la morale, le Dieu solide et pratique.

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